Au-delà des Mers

Chapitre 1 : Au revoir, Lima !

4403 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/05/2021 15:38

Il avait l’œil vide, les traits tirés, le corps émacié et l’air absent. A peine reconnaissable. Mendoza ne fut d’ailleurs sûr de son identité que lorsque son maître, un Espagnol de grande taille, aux traits bourrus et aux gestes brusques, le nomma sèchement, lui reprochant d’être éternellement trop lent. Le bonhomme brandit alors une petite canne de bois souple et, afin de motiver son esclave, il se mit à le rosser sans ménagement, entaillant sa peau par endroits et laissant apparaître de petites traces de sang. C’est à peine si le petit homme réagit, se contentant de plisser les yeux fortement, de rentrer sa tête dans ses épaules, en un mouvement vain de protection, attendant, résigné, que la pluie de coups ne cesse.

        Mendoza restait en retrait, spectateur perplexe. Observant l’esclave charger inlassablement sur une carriole des sacs qui paraissaient plus lourds que lui.

Jamais il ne s’était attendu à le revoir un jour, et surtout pas à Lima, cinq ans plus tard. Il l’avait cru mort, comme tout le monde.

Comment avait-il atterri là ?

                 

Quelques heures plus tard, la nuit tombant, Mendoza retrouva le grand Espagnol attablé dans un bar malfamé devant un godet de mauvais vin. Le navigateur s’assit à la table de l’homme bourru, déposant une bouteille pleine en signe d’introduction.

L’homme leva les yeux, le regard aviné et interrogateur.

– Je me nomme Juan Alejandro Mendoza Alvarez, mais on m’appelle Mendoza !

Le gars, plus éméché qu’il n’y paraissait, arqua ses sourcils et attrapa la bouteille avec satisfaction avant de se servir généreusement.

– Federico, dit-il finalement. Federico Ibañez Cruz.

Mendoza sourit et se servit à son tour.

– Ca fait longtemps que vous avez quitté l’Espagne ? demanda Mendoza afin de commencer la conversation par une banalité.

– Quatre ans, répondit l’autre laconiquement en laissant sortir au même moment un rot sonore et malodorant.

Le navigateur dût prendre sur lui afin de ne pas montrer son profond mépris pour cette sorte d’individu et il lui sourit.

– Moi ça va bientôt faire sept ans.

Se découpant un morceau de pain à même une miche posée sur la table, Ibañez ne réplica rien et seuls ses bruits de mastication répondirent au marin.

Les manières de cet homme étaient épouvantables.

« Ca va être long. » se dit Mendoza.

S’en suivi une conversation sans intérêt, ponctuée de silences pénibles durant lesquels le marchand d’esclaves ne semblait pas réaliser que le temps s’écoulait dans le vide, jusqu’à ce que Mendoza en arrive là où il voulait en venir. Enfin !

– Je vous ai vu cet après-midi sur le port. Vous avez un esclave atypique !

L’autre leva vers lui une mine indéfinissable avant de grommeler.

– Mwouais, c’est un autochtone un peu bizarre mais il est solide.

– Vous l’avez dégoté où ?

– On me l’a refilé avec deux autres esclaves y’a quelques mois. Un marchant qui me devait de l’argent, une grosse somme.

– Mmm… fit Mendoza. Et les deux autres esclaves, interrogea-t-il, aussi étranges ?

Ibañez fit non de la tête.

– Les deux autres étaient des mayas. L’un des deux est mort. Le deuxième je l’ai revendu. Pourquoi ?

– Simple curiosité.

Mendoza marqua un temps d’arrêt avant d’enchaîner.

– A vrai dire, je me demandais si vous accepteriez de me le vendre.

L’homme s’arrêta de boire, interloqué.

– La crevette ? Non ! Il a pas l’air comme ça, mais c’est un coriace. Je préfère le garder.

Le marin fit la moue.

– Je vous en offre le double de ce qu’il vaut sur le marcher.

– C’est quoi l’arnaque ? fit le marchand de vies, les sourcils froncés.

Mendoza se cala dans son siège.

– Y’en a pas. Il m’intéresse, c’est tout.

Et il sortit un peu d’or de l’une de ses poches.

– J’ai de quoi payer.

Les yeux du marchand s’arrondirent, brusquement happés par l’apparition du bout de métal doré. Un sourire avide se dessina sur ses lèvres.

– Je veux pas savoir pour quelles raisons tordues vous tenez à avoir cet esclave, mais je crois qu’on va pouvoir s’entendre.

Le lendemain, en début de matinée, Mendoza avait rendez-vous avec Ibañez près du port pour la transaction.

Le grand Espagnol arriva, suivi de son esclave dont les mains avaient été liées dans le dos et qui fixait obstinément le sol, sans doute était-il déjà passé une dizaine de fois de mains en mains, de sorte que cette énième transaction ne paraissait pas le concerner, blasé. Un étroit collier de cuire, pourvu d’un anneau, lui enserrait le cou. Une chaîne y pendait. Ibañez la tendit à Mendoza tandis que celui-ci lui remettait son dû.

– Voilà, fit Ibañez en empochant l’or, un rictus malsain accroché aux lèvres, la crevette est à vous.

Le navigateur sourit, alors qu’Ibañez s’en allait, satisfait de cette affaire inespérée.

Sitôt le sinistre sire éloigné, Mendoza intima à son esclave, d’un cou sec sur la chaîne, de le suivre et ils se mirent en route. En chemin, l’Espagnol lança quelques œillades à sa nouvelle acquisition qui marchait tête basse, ses cheveux lui couvrant le visage. Sous ses haillons, sa maigreur faisait peur. Le marin se souvenait qu’il n’était déjà pas bien gros à l’époque, mais là, il n’en restait rien.

« Il faudra qu’il se remplume ! »

Moins de dix minutes plus tard, ils arrivèrent à une auberge, ils y pénétrèrent et gagnèrent une chambre miteuse à l’étage. L’esclave n’avait pas dit un mot, pas levé les yeux un instant, sans doute résigné de son sort et trop éprouvé pour protester. Mendoza le fit s’assoir sur le seul lit de la pièce, une paillasse peu confortable et lui défit ses liens. Puis il prit une chaise et vint se placer en face de lui, à sa hauteur, sans un mot, attendant seulement qu’il lève le nez.

Il fallu quelques minutes mais, finalement, l’esclave releva timidement son museau vers son nouveau maître, avant de se figer dans une expression indéchiffrable. Il avait écarquillé les yeux, esquissé un mouvement de recul et pris une fugace mine paniquée. De son côté Mendoza n’avait pas bronché et affichait une mine goguenarde. Le sourire en coin. Satisfait de son petit effet de surprise. Quelques instants plus tard, l’esclave se détendit un peu et prit une mine désabusée.

– Et moi qui pensais qu’il ne pouvait rien m’arriver de pire, souffla-t-il d’une voix éteinte sur un ton un peu ironique avant de replonger son regard vers le sol. Gêné.

– Je te croyais mort, lâcha finalement l’Espagnol d’un ton neutre.

– Je le suis.

Mendoza se récréa en silence avant de se lever d’un trait.

– Repose-toi. On part demain ! lui ordonna-t-il sèchement.

Et la porte se referma, suivi d’un bruit de serrure, laissant l’esclave seul.

Passées quelques secondes nécessaires à encaisser ce revirement de situation inattendu, le petit homme s’avachit sur lui-même dans un profond soupire, en se cachant le visage dans ses mains. Au travers de sa tunique, lacérée d’entailles et de petites taches de sang séché, témoins muettes de la maltraitance dont il avait été victime ces derniers temps, on voyait saillir ses os et ses articulations et on discernait nombre de petites plaies et d’hématomes maculant son corps. Il faisait vraiment peine à voir. Confusément, il se demanda ce qui l’attendait. Mendoza ne le portait pas dans son cœur, loin de là, et la suite des événements ne lui inspirait rien de bon. Il fut pris d’une peur fugace mais intense et il sentit une vive émotion lui monter aux yeux, il eut juste le temps de la contrecarrer en serrant les points de toutes ses forces et en les frappant de rage contre la paillasse.

« Fait chier ! »

Le lendemain, Mendoza pénétra dans la chambre aux aurores. Le soleil se levait à peine. Il jeta sur la couche des vêtements propres. Le petit homme sursauta et se redressa. Il avait toujours son collier de cuire autour du cou, ne laissant aucun doute sur sa condition. Mendoza hésita. Et puis d’un coup, en quelques enjambées, l’Espagnol s’approcha de sa propriété et lui enleva son entrave avec rudesse.

-Enlève-moi ces guenilles et prépare-toi, on part dans une heure, fit-il de sa voix autoritaire. Et sois présentable ! Attache tes cheveux et lave-toi !

Avant de quitter la pièce, il lui lança un quignon de pain.

– Et mange ça, Calmèque ! ordonna-t-il. T’es tellement maigre, on a l’impression que tu vas te casser en deux !

La porte se referma lourdement.

Le navigateur se figea dans le couloir un moment. Se demandant s’il ne faisait pas une belle erreur. Il tortilla ses lèvres en une moue dubitative avant de soupirer bruyamment.

« Quand le vin est tiré, il faut le boire » se dit-il.

Et comme il n’était pas homme à faire marche arrière, il se rasséréna et regagna la taverne au rez-de-chaussée de l’auberge pour y prendre son petit déjeuner.

L’avenir lui apprendrait bien assez tôt si son geste était une imbécillité ou non.

Ils étaient tous deux sur le port, moins d’une heure plus tard. Mendoza avait enlevé toutes espèces de chaînes à son esclave mais lui avait bien fait comprendre qu’il avait intérêt à se tenir à carreau. Calmèque était nerveux. Il appréhendait la suite avec méfiance. Pourquoi cet Espagnol agissait-il de la sorte ? Que lui voulait-il ? Autour d’eux, le pont était noyé dans une effervescence dont Mendoza avait l’habitude et qu’il retrouvait avec un certain bonheur. Les odeurs de poissons et de denrées diverses, les cris des marins et les injonctions des gradés qui surveillaient l’embarquement des marchandises dans des cales toujours plus lourdes et plus remplies, faisant descendre à vue d’œil, les lignes de flottaison des navires à quai. Voilà un ballet qui était familier au navigateur qu’il était. Il inspira d’aise, comme s’il cherchait à s’imprégner de toute cette agitation, synonyme de retour à la maison. Son pays lui manquait.

Il obliqua son regard en direction de l’Olmèque qui observait toute cette agitation sans mot dire. Et Mendoza était content de constater qu’un brin de toilette et des vêtements propres lui avaient rendu figure humaine. C’était fou comme une tenue normale et des cheveux lui donnaient presqu’un air anodin. Bon, d’accord, il y avait toujours ces oreilles et ces yeux, à la couleur étrange, qui dénotaient, mais dans la foultitude de ce port bondé, son atypie physique passait pratiquement inaperçue.

– J’espère que tu as le pied marin Calmèque, parce que le voyage sera long.

L’Olmèque lui lança un regard inquiet.

– Vous n’avez tout de même pas l’intention de me traîner jusqu’en Espagne ?

– Oh mais si ! Tu es à moi, je te traîne où je veux !

– Non ! Pas question ! osa-t-il, terrifié à l’idée de rejoindre l’Europe et sa civilisation archaïque.

Mendoza le toisa sans animosité.

– Un an, Calmèque. Peut-être deux maximum et tu aurais fini par crever sous les coups et les humiliations. C’est ça que tu veux ? Tu veux que je te revende à un « Ibañez » ?

Calmèque se tut et prit la mesure de sa situation. Son corps n’était que douleur et il savait que Mendoza avait raison, il n’aurait plus tenu physiquement bien longtemps à ce régime. Mais qu’est-ce que cet Espagnol lui voulait ? Et ce qu’on racontait à propos de l’obscurantisme régnant sur le vieux continent lui faisait peur.

– Pourquoi ? fit simplement Calmèque, démuni.

– Nostalgie, répondit l’Espagnol sur un ton de plaisanterie avant d’intimer au petit homme de le précéder et de monter à bord.

Quelques heures plus tard, le navire appareillait et Calmèque regardait la côte s’éloigner avec angoisse.

Mendoza, lui, savourait ce retour vers son pays. Il lança un regard appuyé à son nouveau compagnon. Il semblait désespéré.

– Ne t’en fais pas, le rassura Mendoza. Tu t’y feras.

Calmèque tourna vers lui un visage sceptique.

– Je me demande ce qui aura ma peau en premier, maugréa-t-il, le manque d’hygiène, la Sainte Inquisition ou la Peste Bubonique ?

Mendoza sourit au sarcasme de l’Olmèque. Sarcasme qui cachait tant bien que mal sa profonde inquiétude.

– Je te rappelle que tu serais mort de toute façon ! Sois positif !

Un long silence s’en suivit tandis que la côte devenait minuscule au loin.

– Je dois vous appelez « Maître »? interrogea Calmèque d’un ton plus irrévérencieux qu’il ne l’aurait souhaité.

Mendoza lui répondit en s’éloignant.

– Oh ! Surtout pas ! Venant de toi, j’aurais l’impression d’avoir une centaine d’années !

Calmèque fit une petite grimace en se tournant pour le regarder s’éloigner. La main appuyée sur le bastingage, une envie fugace de se jeter à l’eau le prit afin de rejoindre la côte avant qu’il ne soit trop tard mais quelque chose l’en empêcha. S’il s’échappait, il serait rapidement repris, soit par un marchant d’esclaves, soit par une tribu d’Indiens qui ne portaient pas les Olmèques dans leurs cœurs. Et ni l’une ni l’autre de ces possibilités ne l’enchantait. Ce départ pour l’Espagne ne l’enchantait guère, mais ce n’était peut-être pas ce qui pouvait lui arriver de pire. Restait à savoir ce que le navigateur lui réservait.

Le vent du large se levait à mesure qu’il quittait les eaux territoriales et que Lima disparaissait. Calmèque emboîta machinalement le pas de Mendoza, laissant derrière lui ses envies de baignade.

De par son statut de Navigateur, Mendoza avait sa propre cabine et mangeait à la table du Capitaine.

Il ne lui fut guère compliqué d’introduire son Olmèque au milieu du beau monde, ventant les mérites de son peuple au savoir impressionnant dont il était malheureusement le dernier représentant.

Au fil des conversations, Calmèque se mit à doucement entrevoir la raison à sa présence. Mendoza allait-il se servir de lui et de ses connaissances pour tenter de se faire un nom auprès des Grands d’Espagne ? Peut-être. En tous cas, même si l’entende avec l’Espagnol était des plus froides, les brimades et les coups n’étaient plus au programme et le petit Olmèque se remettait physiquement de ses cinq années de mauvais traitements. Les raisons de ce voyage n’étaient pas encore très claires, mais il avait nettement gagné au change.

Les premiers jours, pourtant, furent très pénibles. Manger à sa faim combiné au mal de mer l’avait plus d’une fois forcé à quitter la cabine en trombe, pris de nausées, pour aller vomir tout ce que contenait son estomac, et même des trucs qu’il n’avait pas avalé, par-dessus-bord, le laissant ensuite durant de longs heures, à genoux sur le pont dans un état lamentable, blanc comme un linge, sous les railleries de l’équipage.

– La mer, c’est pas pour les chochottes ! lui lançaient les matelots.

– La chochotte t’emmerde, grinçait Calmèque entre ses dents.

A ça ! Les premiers jours, il s’en souviendrait !

Cela faisait près d’un mois que le bateau avait quitté le nouveau continent et jusque là, le temps et la navigation n’avaient pas trop été éprouvants.

Ce matin-là, les hommes du capitaine étaient sur le qui vive, le cuisinier avait remarqué la disparition répétée de nourriture, et les quantités étaient trop importantes que pour être imputées aux rats, aussi gros soient-ils. Le bateau était donc systématiquement fouillé à la recherche du chapardeur, un passager clandestin.

Cette situation ne manqua pas de rappeler à Mendoza les débuts de son aventure avec les enfants. Il eut une pensée pour Esteban, il avait appris à aimer ce gosse au fil du temps et ne plus avoir de ses nouvelles depuis maintenant plus de cinq ans lui pesait. Peut-être était-il retourné à Barcelone ?

Il en était là à ses réflexions quand des hommes du capitaine lui demandèrent la permission de fouiller sa cabine. Il obtempéra sans objection.

La fouille dura encore plusieurs heures mais les hommes firent chou blanc et ne trouvèrent personne.

Tout en regagnant sa cabine en compagnie de Calmèque, Mendoza fit remarquer avec ironie que le « bougre se cachait bien ». L’Olmèque lui demanda ce qui le rendait si sûr qu’il y eut un intrus à bord.

– Je suis pour ainsi dire né sur un navire, Calmèque, lui dit-il avec le regard malicieux. Il y a des choses qu’un marin sent !

Un peu plus tard, Mendoza avait été appelé sur le pont, laissant l’Olmèque seul dans la cabine. Calmèque s’était allongé sur sa couchette et regardait distraitement les poutres du plafond. Il soupira. Certains passagers, sans oser rien dire, l’observaient parfois comme s’il était un animal de zoo. Le souvenir de quelques visages atterrés le fit grimacer. Et puis il y avait cette aristo un peu précieuse qui, dès qu’il arrivait dans son giron, partait se réfugier avec toutes ses courtisanes à l’autre extrémité du navire.

Il roula des yeux vers le haut.

« N’importe quoi ! »

Il en était là, à se remémorer son début de voyage quand son attention fut brusquement attirée par un bruit ténu venant d’en dessous de lui. Il fronça les sourcils, arrêta instinctivement sa respiration et se concentra. Le bruit avait cessé presqu’aussitôt, mais il était sûre d’avoir entendu comme une sorte de frottement. Il se redressa et descendit de sa couche. Puis il s’agenouilla sur le sol et tendis l’oreille en direction du plancher. Le bruit se reproduisit et Calmèque crut reconnaître un reniflement cette fois. Perplexe, il se pencha et colla son oreille sur le bois du plancher. Puis il sourit.

– Je vous entends, lâcha-t-il doucement.

Il y avait là-dessous une respiration qui s’accéléra ! Mendoza avait raison : « le bougre se cachait bien ». Un instant Calmèque se demanda que faire. Il n’ignorait pas le sort réservé aux passagers clandestins. Il fut alors pris d’un élan de compassion. N’avait-il pas du, lui aussi, se terrer comme un rat durant des mois pour fuir la région du Bouclier Fumant sans tomber entre les mains de Viraccocha ? Il fit alors le tour de la pièce des yeux. Il se saisit de l’épée de Mendoza restée contre un mur et après bon nombre d’efforts, parvint à désolidariser un pan latéral du caisson de bois se trouvant sous sa couchette pour découvrir un emplacement exigü entre le plancher des cabines et l’armature du navire qui semblait couvrir toute la surface de celui-ci. Il passa sa tête dans l’antre étroit et sombre. Ca sentait le bois humide et le rongeur.

Des centaines d’années terré sous la surface du sol pour se protéger des retombées nocives de la guerre entre Mû et Atlantide avait profondément fait muter les Olmèques. Ils avaient lentement acquis toutes les prédispositions nécessaires à la vie sous terre. Et une excellente acuité auditive mais aussi visuelle en faisait partie.

Il inspecta donc l’endroit sans difficulté et constata sans étonnement que celui qui avait été là quelques instants plus tôt, avait détalé sans demander son reste.

« Il doit pas être bien épais pour se cloîtrer là-dedans » se dit-il.

Et il décida de refermer sommairement la cachette, il n’avait aucune envie de se faufiler dans ce cloaque pour satisfaire sa curiosité. Le temps viendrait lui donner des réponses.

Quand Mendoza revint, Calmèque se garda bien de lui parler de sa découverte et quand l’Espagnol s’attabla à son bureau, déplia ses cartes de navigation, sortit son compas et commença ses calculs de position, Calmèque vint s’intéresser à son travail par-dessus son épaule.

– On est où ?

Mendoza sourit.

– A ton avis ?...

Les sourcils du petit homme s’arquèrent dans une expression d’ignorance. Il n’entendait strictement rien à cette carte et toutes les inscriptions qui se trouvaient dessus n’étaient pour lui que du charabia dans une écriture inconnue. Il prit une chaise et s’assit à la gauche de l’Espagnol.

– Je sais pas, quelque part là-dessus ? ironisa-t-il en désignant la carte.

– Exactement !

Calmèque laissa échapper un énorme soupir, l’inactivité sur ce bateau le pesait à mourir. Et les rares dialogues avec Mendoza étaient réduits à leur strict minimum. A croire que ce type ne pouvait pas aligner plus de cinq phrases d’affilé, enfin, en sa présence en tous cas, parce qu’il avait pu constater que l’homme se montrait soudainement très loquace en présences féminines. On pouvait résumer l’attitude de Mendoza comme suit : « Ta gueule Calmèque ! Bonjour mesdames ».

Il bascula un moment sa tête vers l’arrière, pensif, adossé à sa chaise. Puis demanda soudain, s’étant un instant replongé dans leur court passé commun.

– Pourquoi vous vous trimballez plus avec « Bègue et Ficelle » au fait ? Vous les avez perdus en chemin ?

L’allusion à Sancho et Pedro dérida Mendoza quelques instants.

– Non, ils sont retournés en Espagne plus tôt il y quatre ans déjà. Ils voulaient dépenser leur or et mener la belle vie, moi j’avais encore des choses à voir et à faire.

Un nouveau silence.

Calmèque revit en flash quelques images oubliées. La base, le vieux Menator, Les deux attaques successives, les pertes massives au sein de son armé qui l’avait beaucoup affecté mais qui avait laissé Menator de glace, poursuivant obstinément son projet sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre. Il revit aussi la petite Maïna, qui avait aidé à s’enfuir le gus à côté de lui.

« Maïna », elle était une des personnes à laquelle il repensait le plus souvent. Il s’était attaché à cette gamine, allez savoir pourquoi. C’est qu’elle était quand-même restée près de 2 ans prisonnière à Apuchi, et elle avait fini par faire partie du paysage. Qu’était-elle devenue ? Immanquablement il repensa alors à Esteban, Zia et Tao, le commando de sabotage. Il prit une profonde inspiration.

– Et les enfants ?

Mendoza s’interrompit un court instant pour détailler son interlocuteur.

– Ca t’intéresse vraiment ? s’étonna-t-il.

Calmèque s’affala d’un coup sur la carte, empêchant ainsi le navigateur de travailler.

– Je m’emmerde tellement que même vous, vous m’intéressez, remarqua-t-il.

Et il se redressa, en souriant et croisant ses bras fins sur sa poitrine.

– Tu veux que je demande au capitaine Diaz de te trouver quelques basses besognes à exécuter ? s’enquit le navigateur sans se départir de son calme.

Calmèque lui lança un regard peu avenant.

– Vous êtes très drôle.

Sans même regarder l’Olmèque et reprenant son travail, Mendoza poursuivit.

– Je suis sérieux, si y’a que ça pour te faire plaisir, je t’attache dans un coin de la pièce, je t’apporte quelques miettes de nourriture quand j’y pense, je passe mes nerfs sur toi une ou deux fois par jour et tu finiras le voyage plus mort que vif…

« Tiens tiens, voilà LE sujet qui fâche » se dit Calmèque. « Les enfants »

Calmèque le dévisagea ensuite. Impossible de savoir si l’Espagnol plaisantait ou non. Dans le doute, il valait mieux ne pas insister. Cet Espagnol lui avait à mainte fois prouvé par le passé, qu’en certaines circonstances, il pouvait se montrer tout aussi peu scrupuleux et impitoyable qu’il ne l’était lui-même. Après tout, il avait tendance à l’oublier, mais il n’évoluait pas vraiment sur ce bâtiment en qualité  « d’homme libre ». Il se tut donc, reportant son attention sur sa mémoire et les innombrables détails qu’elle recélait. Il se hasarda quand-même, c’était plus fort que lui.

– Faudra bien à moment donné que vous m’appreniez à lire et écrire vos caractères latins. Sans quoi, je ne vous serai pas d’une grande utilité. Si vous consentiez à m’apprendre, je pourrais vous aider pour des tas de choses. Ranger vos cartes, commença-t-il à énumérer, vous aider à calculer un cap, vous lire des histoires, plaisante-t-il ou… écrire vos mémoires. Et il termina sa tirade dans un petit rire discret.

Il guetta une infime réaction du Navigateur qui ne se manifesta pas. Il poursuivit donc non sans une dose de sarcasme.

– Avouez que ce serait tout de même dommage de gâcher votre investissement.

Et il retourna s’allonger sous le regard indéchiffrable du bel Espagnol.


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