Kaboum : Le réveil des Karmadors

Chapitre 13 : La Désobéissance des Justes

2921 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

La Salle du Grand Conseil se trouvait dans une salle ronde au cœur même de l'Académie des Karmadors. Sculptée avec précision, elle formait un amphithéâtre circulaire aux murs noirs veiné d'or. Une lumière diffuse, émanant du plafond cristallin, baignait les lieux d'une clarté surnaturelle. L'atmosphère y était lourde, solennelle, presque irréelle.

Au centre, Esther, Martin, Anne Marie et trois Sentinelles blessés se tenaient en ligne. Aucun d'eux ne portait plus leur tenue de combat. Leurs bras étaient bandés, leurs visages marqués, leurs regards fatigués mais droits. Autour d'eux, en arc de cercle, siégeait le Grand Conseil.

Les membres du Conseil étaient immobiles, vêtus de longs manteaux d'or scintillant. Leurs visages étaient dissimulés derrière des masques dorés lisses, sans expression. Chaque masque portait une gravure unique, rappelant un symbole ancien, presque oublié.

Parmi eux se tenait Mr Grosse Tête, reconnaissable malgré le masque doré qui couvrait son visage. Sa tête chauve brillait sous la lumière pâle, et une longue barbe blanche, soignée mais imposante, descendait jusque sur sa poitrine. Sa stature imposante et sa voix grave suffisaient à faire taire les murmures. Même masqué, personne ne doutait de son autorité.

— Vous avez déployé vos pouvoirs sans masques ni codes, sans autorisation, déclara un doyen à la barbe blanche, visible sous le bord inférieur de son masque. Vos actions ont été observées de l'extérieur. Des témoins ont rapporté la scène.

Un murmure métallique secoua les bancs du Conseil.

— Et pourtant, dit une autre voix, calme mais implacable, vous avez évité un carnage.

Mais l'image de Gina, s'effondrant sous une explosion, cloua le silence. L'un des doyens leva les yeux.

— Gina a agi sans la moindre approbation. Elle a recruté des jeunes sans expérience, les a entraînés dans l'ombre, et les a envoyés au feu.

Esther serra les poings.

— Elle n'a pas eu le choix, dit-elle d'une voix plus forte que prévu. Elle savait ce que Beurk, Viak et Riu préparaient. J'ai entendu leur nom. Si elle n'avait rien fait, il y aurait eu des morts. Aucun civil n'était présent dans le hangar. Elle avait prévu chaque détail.

Martin acquiesça, maladroitement.

— On a fait ce qu'on pouvait. Pas sûr qu'on ait eu le droit. Mais ça nous semblait juste.

Anne Marie s'avança, les bras croisant sa poitrine.

— Si Gina n'avait pas cru en nous, je serais morte. Et eux aussi. Alors si vous voulez lui faire un procès, faudra attendre qu'elle sorte de l'infirmerie.

Un autre silence. Long. Presque oppressant.

Puis Sollonella se leva.

Elle était restée en retrait jusque-là, mais désormais, son pas résonnait sur la pierre. Elle fixait les membres dorés du Conseil, non les enfants.

— Punir la bravoure serait plus dangereux que nos ennemis, dit-elle simplement.

Un doyen se redressa.

— Sollonella, ce n'est pas la bravoure qu'on juge. C'est la chaîne de commandement.

Elle s'arrêta net, face à lui.

— Et notre silence ? Notre inaction ? Croyez-vous que le chaos attendait notre permission pour frapper ?

Son ton, calme, glaça la salle. Elle tourna ensuite les yeux vers les jeunes.

— Ils ont désobéi, oui. Mais parce qu'ils ont compris ce que nous avons oublié : le danger n'attend pas.

Les doyens se regardèrent. Puis, en silence, ils quittèrent l'estrade pour délibérer. Lorsqu'ils revinrent, le verdict tomba.

— En raison de leur lignée, les Bordeleau et Anne Marie ne peuvent être exclus. Mais cela ne les protège pas de la loi. Vous serez tous trois placés sous stricte surveillance. Vous êtes formellement interdits d'intervention, de mission ou d'entraînement. Votre avenir au sein de l'Académie est suspendu. Toute récidive entraînera votre renvoi définitif, sans appel. Gina, si elle survit, devra comparaître en audience fermée. Quant aux Sentinelles, leur cas sera réexaminé lors d'une prochaine séance du Conseil.

Un chuchotement. Certains doyens n'étaient pas d'accord. Mais la décision était prise. Même Sollonella, malgré son autorité, n'avait pu infléchir le jugement.

Dans le couloir, après la séance, Martin était assis sur un banc, le dos contre le mur. Son regard était vide, perdu dans le sol glacé de marbre.

— J'ai l'impression qu'on a gagné... mais aussi qu'on a tout perdu, souffla-t-il.

Esther resta debout, silencieuse. Elle avait le regard figé sur ses bras, encore parcourus de légers filaments de lumière résiduelle. Anne Marie, raide, observait la porte du Conseil comme si elle pouvait encore changer ce qui venait d'être dit.

Un peu plus loin, les trois Sentinelles blessés se tenaient, l'un d'eux assis, deux debout. Ils semblaient abasourdis. L'un d'eux murmura, la voix tremblante :

— Et si Gina ne se réveille pas ? Qu'adviendra-t-il de nous ?

Un autre ajouta, amer :

— On nous mettra à la porte. Ou pire... ils nous oublieront.

Le silence tomba de nouveau, lourd, insupportable. Les couloirs de l'Académie, d'ordinaire bruyants et animés, semblaient soudain glacés, figés dans le temps.

Esther prit une inspiration profonde. Elle sentait le poids de tout ce qu'ils avaient vécu, mais aussi une forme de fierté étrange. Elle avait choisi. Elle avait agi. Sa mère aurait fait pareil. Elle en était certaine.

Soudain, des pas approchèrent. Sollonella apparut au bout du couloir. Elle s'arrêta devant eux, les yeux plus sombres que d'habitude. Elle les regarda, l'un après l'autre.

— Je n'ai pas pu faire mieux, dit-elle. Le Conseil est souverain. Même moi, je ne peux rien contre leur verdict.

Martin releva la tête, abattu. Anne Marie ne répondit pas.

— Mais je peux vous dire une chose, ajouta Sollonella, plus doucement. Suivez votre cœur. C'est la seule chose que ce Conseil ne pourra jamais vous enlever.

Elle s'éloigna, laissant derrière elle une promesse muette, une étincelle d'espoir dans l'obscurité du doute.

Un peu plus tard, à l'infirmerie, Gina avait rouvert les yeux. Allongée dans un lit blanc, ses bras encore couverts de pansements et d'électrodes, elle souriait faiblement. Autour d'elle, les quatre Sentinelles veillaient. Aucune d'elles n'était blessée gravement — elles étaient simplement restées près d'elle depuis le combat.

Esther, Martin et Anne Marie entrèrent dans la pièce, soulagés de la voir consciente. Gina les accueillit d'un regard pétillant malgré la fatigue.

— Vous êtes venus me faire la morale ? demanda-t-elle avec un sourire en coin.

— Tu plaisantes ? T'as failli y passer, murmura Martin.

Esther s'approcha, puis fronça les sourcils.

— Attends... Où sont Simon et Sébastien ? Je les ai vus dans le hangar. Ils étaient avec nous, non ?

Gina éclata d'un petit rire, puis toussa un peu.

— Oh, eux ? Ils sont très doués pour une chose : détaler comme des lapins dès que ça explose. Ils étaient déjà loin avant même que le feu ne commence à chauffer.

Anne Marie sourit malgré elle.

— Des héros de l'ombre, hein ?

— Non, juste très... prudents, répondit Gina avec ironie.

Les Sentinelles échangèrent un regard complice. Le lien entre eux tous, forgé dans le feu du combat et renforcé par le rejet du Conseil, n'en ressortait que plus fort.

Gina détourna un instant les yeux, comme si une pensée trop lourde menaçait de la briser. Sa voix devint plus basse, mais terriblement sincère.

— J'ai l'impression d'être trop, souffla-t-elle. Je m'attache si vite aux gens... Je suis prête à donner mon cœur aux inconnus, à les accompagner dans de folles aventures. Je suis prête à parler de tout, à me dévoiler entièrement, à m'ouvrir. Je suis prête à tout quitter, à me laisser porter par le vent, à tout accepter. Les gens pensent que c'est trop. Ils ont des barrières. Ils ne comprennent pas. Ils ont peur... Et ils me laissent.

Son regard se posa sur eux, fragile et intense à la fois.

— Je ne veux pas être trop. Je veux juste être moi. Je veux juste...

Un silence suivi. Profond. Respectueux. Anne Marie baissa les yeux, émue. Martin pinça les lèvres pour ne pas laisser sa gorge trembler. Esther s'approcha, puis s'agenouilla doucement près du lit.

— Alors ne change pas, dit-elle simplement. Pas pour eux.

Elle se redressa ensuite, les yeux brillants d'une lumière grave. Une force nouvelle semblait l'habiter, née de la douleur mais guidée par une conviction indestructible.

— Quand tout est perdu et que vous êtes les seuls qui restent... Qui va continuer le combat ? Courir et profaner la mémoire de vos camarades... ou combattre et continuer la volonté ?

Elle balaya la pièce du regard.

— Serez-vous les derniers à courir... ou les derniers à rester ?

Les Sentinelles la fixèrent, en silence. Quelque chose venait de changer. Dans leurs yeux, une lueur s'était rallumée.



Plusieurs semaines plus tard, le soleil projetait une lumière pâle sur les hautes murailles de l'Académie, comme si lui-même hésitait à briller. Les couloirs silencieux menant à l'aile du Grand Conseil étaient vides, à l'exception de trois figures debout, figées comme des statues.

Esther, Martin et Anne Marie attendaient.

Devant la grande porte d'onyx du Conseil des Karmadors, le temps semblait suspendu. Leurs regards restaient fixés sur la double arche aux gravures anciennes. Aucun bruit. Aucun indice. Rien que ce silence oppressant.

Anne Marie tapotait nerveusement le mur du bout des doigts, son regard dur et voilé d'inquiétude.

— Ça fait presque une heure, murmura-t-elle. C'est pas bon signe.

Esther serra ses bras autour d'elle, comme pour repousser un froid invisible.

— Ils auraient déjà ouvert, si c'était une bonne nouvelle...

Martin, accroupi contre la paroi, jouait distraitement avec une pierre du sol. Mais sa voix trahissait son anxiété.

— Peut-être qu'ils essaient juste de... de réfléchir à la meilleure façon d'annoncer une réintégration, dit-il sans y croire. Ils doivent peser les mots, non ?

Anne Marie le regarda, le visage dur.

— Arrête. On sait tous comment ils fonctionnent. Gina s'est rebellée. Elle a défié les règles. Pour eux, c'est pire qu'un crime.

Un grincement sourd les fit tous sursauter. Les battants massifs de la porte s'ouvrirent lentement, dans un souffle ancien. La lumière dorée de la salle s'en échappa, découpant des ombres qui grandirent jusqu'à eux.

Et puis ils les virent.

Gina sortit la première. Elle marchait droite, la tête haute, mais son visage portait la trace d'un orage intérieur. Juste derrière elle, quatre Sentinelles, leurs visages figés dans une colère contenue, la suivaient d'un pas plus pesant. Ils gardaient leurs regards fixés sur le sol, les mâchoires serrées.

Personne ne parlait.

Le choc fut immédiat.

Anne Marie s'avança en premier, le cœur battant.

— Gina ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ? Tu peux rester, pas vrai ?

Gina secoua lentement la tête. Aucun mot ne sortit. Elle avait les yeux humides, mais ne pleurait pas. C'était pire que des larmes : c'était une résignation silencieuse.

— Ils... ils disent que je suis un danger potentiel, murmura-t-elle enfin. Que mes dons sont instables. Que je n'ai pas obéi. Que je représente une menace pour les fondations de l'Académie...

Esther ouvrit la bouche, choquée :

— Mais tu as sauvé des vies ! Sans toi, le Krashmal aurait...

— Ils s'en fichent, coupa Gina. Ils veulent des Karmadors, pas des gens qui agissent selon leur instinct.

Corinne, derrière elle, parla d'une voix sourde :

— Nous avons plaidé ta cause, Gina. Jusqu'à la dernière minute. Mais la décision était déjà prise. Il fallait un exemple.

Martin se leva brusquement, le visage rouge :

— Un exemple ? Ils ont sacrifié une élève brillante pour faire peur aux autres ?

— Ils appellent ça maintenir l'ordre, répondit Gina, amère. Moi j'appelle ça de la lâcheté.

Un silence brutal s'abattit. Puis, Anne Marie, les poings serrés, souffla :

— On va rien faire ? On laisse ça passer ?

— Vous ne pouvez rien faire... Pas maintenant. Je dois partir ce soir. Ils me donnent jusqu'au coucher du soleil.

Esther recula, le cœur brisé.

— Tu ne peux pas... partir comme ça...

— Je vous laisse quelque chose, dit Gina en glissant une petite pierre gravée dans la main de Martin. Vous saurez quand l'utiliser.

Martin regarda l'objet, confus.

— C'est quoi, ça ?

— Un jour, vous comprendrez. Et ce jour-là... je reviendrai.

Elle leva les yeux vers eux une dernière fois, les yeux pleins d'un amour silencieux. Puis elle tourna les talons et disparut dans le couloir, les Sentinelles sur ses traces.

Le vent s'engouffra dans la salle, comme pour combler son absence.

Anne Marie resta là, figée. Esther, elle, pleurait en silence.

Martin serrait la pierre dans sa paume, les dents serrées.

— On va pas les laisser gagner. J'en fais le serment.

Et ce fut tout.


La chambre d'Esther était plongée dans une semi-obscurité tranquille, seulement traversée par la lueur douce de la lune filtrant à travers les rideaux. Elle était allongée sur son lit, les bras croisés derrière la tête, les pensées tourbillonnant comme des feuilles dans un vent d'automne. Un petit coup discret à la porte la sortit de sa torpeur.

— C'est moi... marmonna Martin derrière la porte.

— Entre, soupira-t-elle.

Il entra doucement, en pyjama froissé, une brosse à cheveux oubliée dans une main, comme s'il l'avait prise sans réfléchir en quittant sa chambre. Il s'assit au pied du lit sans rien dire pendant quelques secondes, puis :

— Ça va pas, hein ?

Esther haussa vaguement les épaules.

— Pas vraiment. Je repense à Gina. À son regard quand elle est partie. J'ai l'impression qu'on l'a laissée tomber.

— C'est clair... répondit Martin, la voix basse. Et j'aime pas ça. Ça me rend malade.

Un silence. Puis, Martin releva soudain la tête, les yeux un peu trop brillants pour que ce soit une bonne idée.

— Bon. On doit faire quelque chose. Tu veux des idées ? J'ai des idées.

Esther tourna la tête vers lui, suspicieuse.

— J'ai peur de ce que tu vas dire...

— Attends, écoute-moi. Première option : on construit un faux Conseil des Karmadors dans le gymnase. Avec des mannequins, des projecteurs et un peu de brume artificielle. Gina revient, on fait semblant d'avoir changé les règles, elle s'inscrit à nouveau, et hop !

— ...Tu veux piéger Gina dans un mauvais théâtre de lycée ?

— Ouais, bon, dit comme ça, c'est bancal.

Il enchaîna, plus excité.

— Deuxième option : on infiltre le Conseil. On se déguise en Sentinelles, mais des anciennes. Genre époque moyenâgeuse. On se fait passer pour des légendes revenues à la vie. Les Gardiens paniquent, se prosternent, et là on leur impose la réintégration de Gina !

— Tu veux littéralement faire un casse... dans un gouvernement mystique.

— Je te sens pas emballée.

— Continue, soupira Esther, entre amusée et désespérée.

— Troisième option : on force l'Académie à organiser un grand tournoi. Gina y participe, gagne haut la main, et les règles sont forcées de s'incliner face à son talent. Classique.

— Tu veux déclencher le retour de Gina via un Shonen arc ?

Martin haussa les épaules, l'air presque convaincu de sa propre folie.

— Y'a une noblesse dans le tournoi. Mais sinon... quatrième option... on arrête le temps.

Un silence.

Esther tourna lentement la tête vers lui.

— Attends. Quoi ?

— J'ai dit... on arrête le temps. Pour, genre, immobiliser tout le Conseil. Leurs grands discours, leurs décrets poussiéreux, pause. Et pendant ce gel cosmique, on... je sais pas... leur montre ce qu'ils refusent de voir.

Il se mit à rire doucement, mais Esther ne riait pas du tout. Elle s'était redressée d'un coup, les yeux fixes.

— Répète ça.

Martin cligna des yeux.

— Arrêter le temps ?

Elle se leva du lit, brusquement, comme frappée par un souvenir.

— C'est ça... C'est ça !

— Euh... j'disais ça comme une blague.

— Non. C'est réel. Greg. Greg a ce pouvoir.

Martin fronça les sourcils.

— Greg ? Tu veux dire... notre Greg ? L'ado de l'épicerie, celui qui connaît trop bien les chansons des années 70 ?

— Oui, lui. Il a déjà arrêté le temps, Martin. J'en suis presque certaine. Une fois, tout s'est figé autour de moi. Les sons, les gens, même les horloges... Et lui, il bougeait. Il me parlait. Comme si tout ça était normal.

Martin écarquilla les yeux.

— Greg... il nous aime bien. Il a vu ce qu'on traverse.

Esther se tourna vers son frère, l'air déterminé.

— Demain matin, on va le voir. Avant l'ouverture de l'épicerie. On lui raconte tout.

Martin eut un sourire en coin, admiratif.

— Donc... mon idée pas sérieuse était sérieusement brillante ?

— Par pur hasard, oui, admit-elle en souriant. Mais tu m'as offert la clé sans le savoir.

Martin se leva, fit un petit salut dramatique.

— On arrêtera le temps pour sauver Gina. Pas un mot de plus. C'est le plan le plus fou... et c'est le nôtre.

Esther hocha lentement la tête.

— Et c'est peut-être notre seule chance.







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