Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 11 : Chemin de Traverse

8024 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/06/2022 12:45

Bonjour à toutes et à tous ! Avant le chapitre à proprement parler, petite note à votre intention pour 3 choses :


1) Faites attention, vous avez peut-être loupé le prologue (chapitre 0) si vous n'êtes remontés que jusqu'au chapitre 1 ! Si c'est le cas les intermèdes avec Drago vous ont peut-être semblé un peu étranges ;)


2) En voyant les vues augmenter progressivement au fur et à mesure, j'ai l'impression que vous êtes au moins quelques-uns à suivre la publication de près, et ça me fait extrêmement plaisir, merci beaucoup ! J'espère que cette fanfiction vous plaît !


3) Et enfin, merci aux modérateurs et acteurs du forum qui m'ont fait un accueil très chaleureux lors de mon inscription cette semaine ❤️


Bonne lecture, j'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre, j'espère qu'il vous plaira aussi ❤️



– Je peux savoir ce que c'est que ÇA ?

Quelques jours après leur escapade au bord de la mer, Narcissa et ses sœurs bavardaient tranquillement avec Sirius dans leur chambre quand la tante Walburga fit irruption dans la pièce, furibonde, et leur mit sous le nez un dessin enfantin, dont Narcissa ne comprit pas tout de suite la signification.

Le dessin les représentait tous les cinq, au bord de la mer, avec Druella en arrière-plan. Les traits étaient maladroits, mais la couleur de leurs cheveux et leurs sourires réjouis ne laissaient aucune place à l'incertitude.

Derrière Walburga, Regulus glissa sa tête dans l'entrebâillement de la porte, tout penaud, les joues rouge écarlate.

– J'attends une explication, exigea sèchement leur tante.

– Ben quoi ? geignit Bellatrix. Je lui ai parlé de la mer, il y a quelques jours. Il a dessiné ce qu'il imaginait, voilà tout.

Mais malheureusement, la tante Walburga n'était pas du genre à se laisser berner aussi facilement.

– Druella ! appela-t-elle de sa voix stridente. Viens ici tout de suite !

Quand celle-ci arriva, inquiète, Walburga lui désigna la petite maison en pierre que Regulus avait soigneusement dessiné à côté d'elle, en haut d'une falaise, en arrière-plan.

– Je reconnais cet endroit, siffla-t-elle. Tu as osé les emmener là-bas ?

Druella examina le dessin avec une perplexité admirablement feinte.

– Je ne vois pas de quoi tu parles, dit-elle.

Les narines de Walburga frémirent, et ses yeux gris se mirent à lancer des éclairs de fureur.

– Tu es une honte pour notre famille, Druella. Je l'ai toujours dit : une honte. Si tes filles savaient... Dire que tu les as fait dormir dans cet endroit souillé, et avec mes fils par-dessus le marché ! Ah ! Je ne veux même pas y penser ! Je me tue à les éduquer correctement, tout ça pour que tu viennes tout gâcher !

– Walburga, calme-toi, tempéra Druella Black.

Elle fit un pas vers Walburga, mais une de ses chevilles lui faisait mal, et elle s'arrêta, grimaçant de douleur.

– Regarde-toi, poursuivit Walburga, avec cette maladie que tu traînes comme une fatalité... Si tu veux mon avis, rien n'arrive par hasard : cela doit avoir un lien avec toutes tes immondes fautes ! Si mes parents savaient, lorsque tu as épousé Cygnus ! Et tout ça parce que tu étais belle !

Walburga avait craché ces mots comme du poison. Les cinq enfants Black étaient médusés.

Druella se tourna vers eux, inquiète.

– Oh, ne t'en fais pas, Druella, je ne leur dirai rien. Je ne tiens pas à déshonorer ma maison. Mais, j'en fais la promesse : si tu continues à dévoyer mes enfants de la sorte, je te chasse d'ici, et tu finiras seule, reniée de tous, comme tu aurais dû l'être depuis bien longtemps !

Les enfants, heureusement, ne comprirent pas la portée de tous ces sous-entendus. Et, malgré leur importance cruciale, Narcissa occulta temporairement ces paroles de sa mémoire, car quand Walburga en eut terminé avec sa belle-sœur, elle se mit à toiser les enfants un par un, et déclara :

– Vraiment, c'est dommage, c'était le jour idéal pour nous rendre au Chemin de Traverse... Je comptais vous emmener, tous les cinq. Nous aurions certainement passé un bon moment, avec les Goyle, qui y sont en ce moment, et nous aurions offert à Narcissa une jolie baguette. Mais puisque vous prenez un malin plaisir à conspirer contre moi, tant pis pour vous : vous resterez ici, et Narcissa ira faire ses courses dans quelques jours, ou peut-être plus tard... Quand j'aurai du temps à lui consacrer.

À ces mots, Sirius sortit de ses gonds. Il attrapa Regulus, qui était à côté de lui, et lui asséna une tape violente derrière la tête :

– Toi, t'es rien qu'un cafard ! On aurait dû te laisser ici !

– Sirius ! le gronda Andromeda, choquée.

Et Regulus se réfugia dans les jupons de sa mère, contrit, encore plus écarlate qu'auparavant.

– Sirius, monte immédiatement dans ta chambre, ordonna Walburga d'une voix menaçante. Viens, Regulus. Tu as eu tout à fait raison de me prévenir. Allons nous promener, et laissons tes cousines méditer leur punition.

Quand Walburga claqua la porte, Narcissa se tourna vers ses sœurs. Tout ce qu'avait dit Walburga à sa mère avait été balayé par une seule interrogation, bien plus importante à ses yeux : qui allait l'emmener au Chemin de Traverse, désormais ? Le jour de la rentrée se rapprochait dangereusement. Tous les livres neufs allaient être pris, et il ne lui resterait que ceux qui étaient abîmés, habituellement distribués aux jeunes sorciers disposant de peu de moyens... Sa rentrée à Poudlard était déjà un désastre.

– Pourquoi vous ne m'avez pas défendue ? explosa-t-elle à l'intention de ses deux sœurs.

Andromeda baissa les yeux. Narcissa le savait déjà, elle avait beaucoup de mal à défier l'autorité. Bellatrix, en revanche, ne semblait nullement affectée par ce qui venait de se passer, et affichait même un petit sourire canaille.

– Sèche tes larmes, Cissy, j'ai une idée. Non seulement tu auras ta baguette à la fin de la journée, mais en plus, on va se venger de cette vipère ! se réjouit-elle.

Elle les entraîna vers les escaliers, radieuse.

– Qu'est-ce que tu fabriques ?

– Fais-moi confiance !

Bellatrix monta jusqu'au dernier étage, et se dirigea droit vers la porte de la grande chambre matrimoniale d'Orion et de Walburga.

– Non, Bella ! protesta Andromeda. On n'a pas le droit ! Et puis, c'est sûr qu'il y a de la magie noire, là-dedans...

– Oh, mais quelle effarouchée ! chuchota Bellatrix, excédée. Tu veux que Cissy ait une baguette digne de ce nom, oui ou non ?

À cette idée, Narcissa sentit les larmes lui monter aux yeux, et Andromeda eut l'air de se sentir coupable.

– Bon... Qu'est-ce que tu comptes faire ?

– L'autre jour, Orion parlait de magie noire avec son ami, vous savez, celui qui est tout défiguré...

– Piscus Crabbe ?

– Oui, voilà. Orion lui parle de beaucoup de choses, mais cette fois-ci, il parlait d'un objet qui nous intéresse tout particulièrement.

– Lequel ?

– Une châsse en cristal. On dit qu'un certain sorcier y a mis son cœur, autrefois, pour ne pas être affaibli par ses sentiments...

– Quelle horreur !

– Et son cœur est devenu tout ratatiné, couvert de longs poils noirs !

– Bella !

– Depuis, le coffret est doté de puissants pouvoirs. Pour détruire une personne, il faut placer dans le coffret un objet lui appartenant, et elle sera maudite jusqu'à ce que mort s'ensuive...

– Mais c'est horrible ! s'indigna Andromeda.

– Nous n'allons pas nous en servir, triple idiote ! Même si je ne serais pas contre lancer une petite malédiction sur cette vieille mégère de Walburga, dit-elle pensivement.

– Bella !

– Je plaisante, je plaisante... Non, outre ses grands pouvoirs, ce coffret peut nous rapporter beaucoup, beaucoup d'argent !

– Mais... Nous ne pouvons pas le voler à Orion ! Il s'en rendrait compte !

– Non, il l'a caché dans une trappe, sous leur lit, et il n'y regarde jamais, car il pense que personne – à part Crabbe, donc – ne connaît son existence. Il disait que même Walburga serait effrayée par cet objet, donc il le lui cache. Et comme elle fouille partout, il ne le sort pas à tout bout de champ.

– Bon... Et après ?

– Orion a dit à Crabbe où il l'avait acheté... Eh bien, je vais l'y revendre.

– Et où est-ce ?

– C'est pas bientôt fini, ton petit interrogatoire ? Je t'assure que je sais ce que je fais ! L'endroit est juste à côté du Chemin de Traverse. Tout ira bien, je te dis ! Venez, suivez-moi !

Et pour couper court à d'autres protestations, elle poussa la porte de la chambre. Narcissa n'était jamais entrée, car tous les enfants en avaient l'interdiction formelle. Un immense lit à baldaquin trônait au centre de la pièce, avec un cadre en bois sculpté, semblable à ceux de leurs deux enfants. Les murs étaient recouverts de soie noire, où les armoiries des Black étaient brodées de fils d'argent. Sur les étagères, Narcissa aperçut plusieurs couteaux effilés et des récipients couverts de runes anciennes.

– Attention, dit Bellatrix, ne vous approchez pas trop du tapis, il est ensorcelé.

Et en effet, le tapis, coincé sous le lit, s'était mis en mouvement. Il se souleva légèrement du sol, comme s'il se réveillait : sans doute essayait-il de déterminer si les nouveaux venus étaient ses maîtres, ou bien des pillards. Après quelques secondes, il s'ébroua, et émit une sorte de crachotement furieux. Puis, il tendit toutes ses fibres vers les intruses, avec une énergie hallucinante. Il semblait n'avoir qu'une idée en tête : les attraper. Lorsque Bellatrix fit un pas dans la chambre, le tapis se dressa face à elle, ses franges en laine se déployèrent comme des tentacules menaçants, et Bellatrix dut reculer pour se retrouver hors de sa portée.

– C'est un Tapis Vorace ! Faites diversion pendant que j'attrape le coffret... Il faut lui donner quelque chose à manger !

Andromeda déglutit avec difficulté, et regarda Narcissa pour se donner du courage. Puis, elle attrapa précautionneusement un tabouret qui se trouvait à sa droite, et le lança de l'autre côté de la chambre. Aussitôt, le tapis fit le tour du lit pour se précipiter dessus. Il enroula ses brins de laine autour du tabouret, et, dans un nuage de fumée noire, se mit à le déchiqueter en copeaux de bois, dans un vacarme épouvantable.

Bellatrix se précipita à l'opposé de la chambre, tâtonna sur le parquet, puis, après plusieurs secondes, souleva plusieurs lattes.

– Bella... Dépêche-toi !

Bellatrix ne répondait pas, le bras entier plongé dans le parquet. Quant au tapis, il avait quasiment achevé la destruction du tabouret.

– Je l'ai !

Elle brandit un coffret en cristal, remit les lattes de parquet en place, et se précipita vers la sortie, au moment où le Tapis Vorace s'apprêtait à l'engloutir de ses tentacules laineux. Avant qu'elle ne ferme la porte, Narcissa contempla la chambre, désespérée : le tapis, à force de tirer furieusement vers la porte, avait quasiment arraché le cadre du lit, et tout le mobilier était recouvert de copeaux de bois.

– On va se faire massacrer, gémit Andromeda une fois que la porte fut fermée.

– Dis-moi, tu as déjà passé une journée sans chouiner ? la rabroua Bellatrix. Allez, ne t’en fais pas, Walburga ne connaît même pas l'existence de ce coffret, elle ne risque pas de remarquer. Et puis, Orion m'a confié que le tapis pouvait s'emballer accidentellement. Il voudrait s'en débarrasser, d'ailleurs, même si Walburga s'y oppose. Il préférerait un moyen de protection plus fiable.

– Tu parles beaucoup avec Orion, dis donc...

– J'ai plutôt appris à écouter aux portes... À Poudlard, mes copains adorent la magie noire, il faut bien que je reste au niveau ! Bon, en tout cas, on a notre pactole, dit Bellatrix en donnant un petit coup sur le coffre en cristal.

À ce moment-là, toutes les trois entendirent un tintement très distinct à l'intérieur du coffre.

– Oh-oh, dit Bellatrix. Qu'est-ce qu'il y a dedans, à votre avis ?

Elle secoua le coffret près de son oreille, et le tintement résonna à nouveau dans les entrailles de l'objet.

– S'il y a quelque chose, c'est qu'Orion a ensorcelé quelqu'un, frissonna Andromeda.

– Orion, ou son ancien propriétaire... Justement, Orion voulait l'ouvrir à tout prix : c'est pour cela qu'il en a parlé à Crabbe, d'ailleurs. Il était absolument furieux. À mon avis, il s'est fait rouler : le coffre ne s'ouvrira que le jour où la cible choisie aura rendu l'âme... En attendant, ce coffret est inutile.

Et en effet, le coffret était couvert de traces et de marques brûlées, prouvant que de puissants sortilèges avaient été lancés contre le fermoir afin de le faire céder – mais sans succès.

Au moment où elle se penchait sur le coffret avec ses sœurs, Narcissa s'en écarta, mal à l'aise. Elle avait brusquement froid, se sentait triste et en colère, sans aucune explication valable.

– Cissy, ça va ? s'inquiéta Bellatrix. Ah, ce doit être le coffret qui te fait cet effet-là... Ne t'en fais pas, je vais l'emballer.

Depuis qu'elle était arrivée au square Grimmaurd, Narcissa évitait de s'approcher des amulettes ensorcelées et des potions maléfiques qu'adorait collectionner Orion ; celles-ci dégageaient une aura désagréable, qui donnaient à Narcissa des migraines et des pensées malveillantes.

Lorsqu'elle avait interrogé Bellatrix, celle-ci avait dégainé son livre préféré, intitulé Secrets les plus sombres de la magie noire, et lui avait expliqué avec un ton docte que certaines personnes étaient plus sensibles que d'autres aux forces obscures, et à l'aura menaçante qui émanait de certains objets ensorcelés. Elle avait déclaré que Narcissa devait s'estimer chanceuse de savoir détecter aisément les marques laissées par cette noble science, mais Narcissa ne partageait pas son avis. Être à la merci des ondes destructrices qui se répandaient autour des objets en question n'avait strictement rien d'appréciable.

En l'occurrence, le coffret était entouré d'une aura de malfaisance pure, difficilement supportable, plus puissante que toutes les autres babioles d'Orion réunies. Rien qu'en le regardant, Narcissa pouvait faire l'expérience de la haine et de la cruauté ressentie par ceux qui s'en étaient servis. Même les marques de brûlures autour du fermoir semblaient suinter de rage et de désespoir.

– Allons-y vite, proposa Bellatrix en écartant le coffret de Narcissa. Plus vite on en sera débarrassées, mieux ce sera.

Narcissa se souvint soudainement de la raison pour laquelle Bellatrix tenait le coffret dans ses mains, et retrouva un peu d'enthousiasme à l'idée d'aller se promener avec ses deux sœurs. Bellatrix enveloppa le coffret dans un balluchon, et elles descendirent à la cuisine à la file indienne. Narcissa et Bellatrix montèrent dans la cheminée, mais Andromeda hésitait encore.

– Allez, arrête un peu, lui lança Bellatrix, agacée.

Narcissa serrait fort le bras de Bellatrix, qui tenait dans sa main une pleine poignée de poudre de cheminette.

– Alors ? Tu viens, ou pas ? insista Bellatrix.

Andromeda regarda derrière elle, comme si la tante Walburga allait surgir d'un instant à l'autre.

– Chemin... commença Bellatrix, impatiente.

Andromeda croisa le regard suppliant de Narcissa, et se précipita enfin dans la cheminée pour saisir l'autre bras de Bellatrix, qui afficha aussitôt un sourire triomphant.

– Et voilà, gloussa-t-elle. À nous le Chemin de Traverse !

En arrivant sur place, Narcissa se sentit submergée par les souvenirs. Elle était venue deux fois, accompagné de ses sœurs et de sa mère, pour les deux premières rentrées de Bellatrix. Elle retrouva avec bonheur les magasins, les étals, l'effervescence joyeuse, les gens qui faisaient leurs courses et pestaient contre le prix du foie de dragon, toutes ses choses qui lui rappelaient que bientôt, son univers s'élargirait bien au-delà des murs sinistres du 12, square Grimmaurd.

– Attendez-moi là ! s'exclama soudain Bellatrix.

– Où vas-tu ?

– Le magasin est par là. Pas la peine de m'accompagner, je me débrouillerai !

Bellatrix leur désigna une allée miteuse perpendiculaire au Chemin de Traverse. Narcissa frissonna : la ruelle était sombre, sinueuse, et elle y distinguait des silhouettes peu amènes.

– L'Allée des Embrumes ? Bella, tu es sûre que...

Mais Bellatrix s'éloignait déjà entre les boutiques biscornues, zigzagant avec entrain entre les mendiants et les flaques douteuses, avec le baluchon qui contenait le coffret en cristal serré contre elle.

– Attendons-la ici, dit Andromeda en retenant Narcissa qui s'élançait à sa suite.

Narcissa vit Bellatrix s'enfoncer dans les volutes de brumes, puis disparaître. Elle commençait à sentir la panique la gagner, lorsqu'elle entendit une voix fluette dans son dos :

– Cissy !

Narcissa fit volte-face, et écarquilla les yeux. Son amie d'enfance, Daisy Goyle, se tenait devant elle. En deux ans, elle n'avait quasiment pas changé : ses beaux yeux verts pétillaient intensément, et pour la sortie, elle avait joliment apprêté ses cheveux, dont l'éclat cuivré s'était accentué avec le temps.

Sans laisser à Narcissa le temps de réagir, elle lui sauta au cou.

– Je suis trop contente de te voir ! Tu te rends compte, l'an prochain, on pourra passer toutes nos journées ensemble ! C'est génial, non ?

– Euh, oui, génial, bafouilla Narcissa, qui lorgnait toutes les fournitures neuves de Daisy avec envie. Alors, tu... Tu as acheté ta baguette ?

– Oui, c'est Maman qui l'a gardée ! Maman ! appela Daisy. Viens ici, regarde, Cissy est là !

Vera Goyle, qui examinait à la loupe un tas de graines bleues sur un étalage de l'apothicaire, releva la tête et s'approcha d'elles à grands pas. Elle non plus n'avait pas changé depuis l'époque bénie où les sœurs Black habitaient encore la Colline d'Émeraude. Ses taches de rousseur étaient toujours bien en place, et sa longue tresse aux reflets cuivrés se balançait entre ses omoplates, imperturbable. Elle portait un long manteau en cuir violet, et un chapeau orange ; et comme d'habitude, son petit ravluk, Albert, qui ressemblait à un singe vert ailé, était perché sur son épaule, et faisait des grimaces amusantes aux passants.

– Bonjour, mes chéries ! s'exclama joyeusement Vera Goyle. Quelle joie de vous voir ! Comment allez-vous ? Votre mère n'est pas avec vous ?

– Non...

– Vous lui direz de répondre à mes lettres, quand vous la verrez ? dit Vera sur un ton taquin.

Andromeda et Narcissa échangèrent un regard, surprises. Des lettres ?

– Mais... Maman n'a reçu aucune lettre...

Le sourire de Vera s'évanouit, et elle fronça les sourcils.

– J'espère que vous plaisantez... J'en donne à Walburga, chaque fois que je la vois ! Elle est censée lui transmettre ! C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle je me coltine cette vieille mégère à longueur de temps !

Toutes les trois comprirent en même temps que Walburga n'avait jamais eu l'intention de donner la moindre lettre à Druella. Elle avait dû les cacher, ou les détruire.

– Cissy, tu... Elle t'a donné tes cadeaux d'anniversaire, n'est-ce pas ? L'appareil photo, l'an dernier ? Et cette année, une chaîne en argent ?

Narcissa secoua la tête, consternée.

– Elle les a gardés, murmura-t-elle, la gorge serrée.

Un an plus tôt, à peu près au moment de l'anniversaire de Narcissa, Regulus avait reçu de sa mère un superbe appareil photo dont Narcissa avait été très jalouse ; et cette année, Walburga avait acquis récemment une splendide chaîne en argent qu'elle portait au cou en même temps que le Collier de Charme qu'elle avait usurpé à Druella quelques jours après leur arrivée au 12, square Grimmaurd.

– Je vois que je vais avoir quelques comptes à régler avec votre tante, dit Vera avec colère.

Sur son épaule, Albert fit mine d'étrangler quelqu'un, et Narcissa retrouva son sourire en imaginant Albert en train d'étrangler la tante Walburga.

– Mais puisque vous êtes là, ajouta Vera, vous pourrez donner ça à Lulu ?

Vera sortit de sa poche intérieure une enveloppe violette, où elle avait inscrit "Lulu" en grandes lettres vert émeraude – c'était le surnom que Vera donnait à Druella depuis qu'elles se connaissaient, c'est-à-dire à peu près depuis le berceau. Andromeda la glissa dans sa poche avec précaution, comme si c'était désormais la chose la plus précieuse qu'elle possédait.

Soudain, une fille brune du même âge que Narcissa surgit à côté de Daisy. Elle regarda Narcissa avec suspicion, et celle-ci le lui rendit bien.

– Ah, Carla ! s'exclama Daisy avec enthousiasme. Je te présente Narcissa...

La dénommée Carla haussa un sourcil, circonspecte.

– Mais si, tu sais bien, insista Daisy, je t'en parle tout le temps !

Puis Daisy se tourna vers Narcissa, ingénue.

– C'est Carla et sa famille qui ont emménagé dans votre maison, quand vous êtes partis !

Daisy pensait sans doute naïvement que cela créerait une connivence entre ses deux amies, et que cela les rapprocherait. Mais évidemment, cela eut l'effet inverse : car immédiatement, Narcissa l'imagina, prenant ses aises dans la maison que les Black avaient été contraints d'abandonner, se prélassant dans son ancienne chambre, s'appropriant chaque recoin du jardin. Et, alors que Carla n'avait pas encore prononcé le moindre mot, Narcissa décida qu'elle la détesterait de tout son être.

– Carla Avery, dit la fille brune en tendant une main mollassonne à Narcissa. La maison est vraiment chouette, non ? Enfin, si tu t'en souviens, bien sûr... On a eu du mal à retirer vos lettres en argent au-dessus de la porte d'entrée, mais on a fini par réussir, et maintenant, il n'y en a plus aucune trace.

Carla avait un visage inexpressif, avec des petits yeux noirs, des pommettes saillantes et un front extraordinairement large, ce qui lui donnait un air particulièrement sournois. Narcissa n'avait aucune envie de lui serrer la main, mais heureusement, Bellatrix reparut à ce moment précis.

– Tadaaa ! triompha-t-elle en tendant à bout de bras une énorme bourse en velours.

Tout le monde la regarda avec un drôle d'air. Elle était complètement décoiffée, avait perdu une chaussure, et le bas de son chemisier était déchiré.

– Bella ! Tu as eu des ennuis !

– Rôôh, tout de suite les grands mots ! Disons qu'un passant s'est intéressé à moi d'un peu trop près. Heureusement, un monsieur qui se trouvait chez Barjow et Beurk m'a tirée de là ! Il était très charmant, d'ailleurs, et très impressionné par ce que j'avais à vendre ! Et regardez ce qu'on m'a donné, en échange du coffret !

Elle agita devant leurs yeux une bourse volumineuse, tellement remplie de pièces qu'elle semblait prête à éclater.

– Bon, je vois que vous avez appris à vous débrouiller toutes seules, remarqua Vera Goyle avec amusement.

– S'il vous plaît, ne dites rien à notre tante ! la supplia immédiatement Andromeda.

Vera Goyle remit son chapeau orange en place, et adressa aux trois sœurs un grand sourire rassurant.

– Je ne sais pas ce que vous complotez, mais d'accord, je veux bien vous rendre ce petit service. Je vous offre une glace chez Fortarôme, pour fêter nos retrouvailles ?

– Plus tard, Vera, crâna Bellatrix, nous avons à faire ! Il faut acheter toutes les fournitures de Cissy !

Bellatrix prit très fièrement ses deux sœurs par le bras, et s'éloigna à grands pas.

– Au revoir, Vera ! Daisy, on se voit à Poudlard ! lança Narcissa, sans adresser un mot à Carla Avery.

– Tournée générale pour tout le monde ! s'exclama Bellatrix en s'élançant entre les boutiques.

Et toute l'après-midi, les trois sœurs sillonnèrent avec entrain le Chemin de Traverse, leurs listes de fournitures en main. Elles achetèrent donc un chaudron en étain non pliable pour Narcissa, trois uniformes neufs – un pour chacune – des robes de travail et un chapeau pointu chez Mme Guipure, une paire de gants protecteurs vert foncé, une cargaison entière de livres neufs chez Fleury & Bott, des parchemins, de l'encre qui changeait de couleur en écrivant, une grande plume d'oie, des fioles en cristal, un télescope, une balance en cuivre...

Dans chaque boutique, Bellatrix les abreuvait de multiples anecdotes : la fois où elle avait projeté de la Potion d'Enflure sur les préfets de Gryffondor ; une autre où elle avait caché un pétard du Dr Flibuste dans la dinde de Noël ; et surtout la fois où, en troisième année, le professeur Slughorn l'avait conviée à un cours destiné aux cinquième année, pour que le Polynectar qu'elle avait confectionné en cachette leur serve d'exemple.

À la fin de l'après-midi, Narcissa avait l'impression de posséder le plus grand des trésors, malgré tous les élèves qui se promenaient autour d'elle avec un chariot semblable au sien. Elle trépignait d'impatience à l'idée de commencer à lire les livres qui s'accumulaient dans ses bras, et espérait devenir aussi douée que Bellatrix, tout en restant aussi disciplinée qu'Andromeda.

– Bon, allons chercher ta baguette, décida Bellatrix.

Et elles se dirigèrent vers la boutique étroite et délabrée, au-dessus de laquelle des lettres d'or écaillées indiquaient : "Ollivander – Fabricants de baguettes magiques depuis 382 avant J.-C."

Alors qu'elles n'avaient cessé de piailler avec enthousiasme depuis le début de leur expédition, dès qu'elles eurent franchi le seuil de la porte, les trois sœurs Black ne dirent plus un mot. L'endroit était austère et rempli d'une aura mystérieuse, que Narcissa avait peur de perturber dès qu'elle faisait le moindre mouvement.

– Bonjour, mesdemoiselles, dit une voix douce.

– C'est lui, souffla Andromeda à l'oreille de Narcissa en désignant l'homme qui se tenait dans un coin de la pièce.

Narcissa avait peur de croiser le regard de Mr Ollivander. Ses yeux pâles brillaient comme des lunes dans la pénombre de la boutique, et il scrutait chacune des sœurs attentivement, comme s'il cherchait à déceler leurs secrets les plus intimes.

– Miss Bellatrix Black, dit-il finalement en sortant de la pénombre, tout en hochant imperceptiblement la tête. Bois d'acacia et plume d'Oiseau-Tonnerre, 27,5 centimètres... Très rigide... Une baguette extrêmement puissante, difficile à manier. Je vous l'ai déjà dit, vous ferez de grandes choses, miss Black, de grandes choses...

Bellatrix rosit de fierté, et s'approcha un peu de Mr Ollivander, pour l'inciter à continuer à parler de la sorte. Mais celui-ci se tourna vers Andromeda, et Bellatrix fit la moue, déçue que ce moment de gloire ait si peu duré.

– Miss Andromeda Black... Oui, je me souviens, j'ai eu beaucoup de mal à dénicher la baguette qui vous conviendrait, et la présence de votre tante n'a pas facilité les choses. Mais enfin, nous l'avons trouvée, ou plus précisément, c'est elle qui vous a trouvée... Une baguette en bois de sorbier, conçue principalement pour la défense et la protection... Crin de licorne, 28 centimètres, très souple... Idéale pour une sorcière à l'esprit clair et au cœur pur, sourit Mr Ollivander.

Contrairement à Bellatrix, Andromeda piqua du nez, se tordit les mains, et eut l'air de vouloir disparaître sous terre. Heureusement, Mr Ollivander se mit aussitôt à inspecter Narcissa.

– Et je suppose que vous êtes avec votre petite sœur... Narcissa, c'est bien cela ?

Toutes les trois approuvèrent en chœur.

– Alors, miss Narcissa Black, vous connaissez la procédure, je présume ?

Narcissa jeta un coup d'œil à ses deux sœurs, inquiète. Elle ne voyait absolument pas de quelle procédure Mr Ollivander voulait parler. Mais avant que celles-ci aient fait le moindre geste, Ollivander sortit de sa poche un mètre ruban avec des marques en argent, et se mit à mesurer les bras de Narcissa, de l'épaule jusqu'au bout des doigts, puis du poignet jusqu'au coude, puis la hauteur de l'épaule jusqu'aux pieds, puis du genou à l'aisselle.

Narcissa était un peu raide, mais lorsque Bellatrix lui adressa un clin d'œil, elle se détendit et se laissa faire.

Mr Ollivander lui présenta de nombreuses baguettes. Bois d'érable, bois d'orme, bois de laurier, souple, rigide, résistante, idéale pour la métamorphose, les sorciers énergiques, indépendants, curieux... Narcissa en avait le tournis, et aucune ne semblait convenir : à chaque fois que Narcissa les saisissait, elle avait l'impression de tenir un bout de bois inerte. Au bout d'un long moment, Narcissa fut saisie d'une crainte subite : et si aucune baguette ne lui convenait ? Et si la baguette qui aurait dû la choisir, ne la voyant pas arriver, s'était tournée vers un autre sorcier ? Que se passait-il, dans ces cas-là ? Serait-elle acceptée à Poudlard ?

Mais Mr Ollivander ne se décourageait pas. Il attrapa une boîte rectangulaire parmi tant d'autres, et dit :

– Ah... Voilà une belle baguette, en bois de frêne et crin de licorne. Plutôt rigide, 26,5 centimètres. C'est une baguette très fidèle et entêtée, qui ne fonctionnera jamais aussi bien qu'avec le sorcier qu'elle a choisi...

Narcissa releva la tête, de nouveau attentive : c'était exactement ce qu'il lui fallait. Une baguette qui resterait toujours à ses côtés, et se rebellerait si quelqu'un d'autre essayait de s'en emparer... Intérieurement, elle supplia la baguette de la choisir.

À sa grande joie, lorsqu'elle saisit la baguette, elle sentit aussitôt une étrange chaleur se répandre dans ses doigts. Immédiatement, la magie qui sommeillait en elle parut se réveiller, et s'acheminer le long de son bras, comme si Narcissa lui avait ouvert la voie vers le monde extérieur. Des étincelles bleues et rouges jaillirent de sa baguette, tournèrent autour d'elle en faisant voler sa robe, allèrent chatouiller les chevelures de ses sœurs, puis disparurent en projetant sur le mur des lueurs mouvantes. Narcissa éclata d'un rire joyeux, et ses deux sœurs applaudirent avec enthousiasme.

– Les Black ont toujours été des clients difficiles, commenta Mr Ollivander. Peut-être parce que vous êtes tous destinés à faire de grandes choses, chacun à votre manière. Mes baguettes pourraient avoir peur de ne pas être à la hauteur...

Cette explication plut beaucoup à Bellatrix, qui salua Mr Ollivander avec enthousiasme et faillit oublier de payer.

En sortant finalement de chez Ollivanders, Narcissa cramponnée à sa jolie baguette, il leur restait encore deux gallions.

– Ces deux gallions sont pour toi, Cissy ! décida Bellatrix. Qu'est-ce que tu voudrais acheter ?

Bellatrix proposa d'acheter un hibou, mais en rentrant dans la boutique du Royaume des Hiboux, un grand-duc leur froua dessus en battant des ailes, et Narcissa ressortit immédiatement en décrétant que c'était une très mauvaise idée.

En revanche, au milieu du Chemin de Traverse, un marchand ambulant vendait à la criée toutes sortes de babioles.

– Approchez, approchez ! Peignes Démêltout, Chaussures Accélérantes, Plumes Tricheuses... N'ayez plus de doute, j'ai forcément ce que vous recherchez !

Un monceau d'objets recouvrait une table, qui bougeait devant le marchand au fur et à mesure qu'il progressait à travers la foule. Narcissa s'aperçut qu'Andromeda lorgnait sur les peignes Démêltout : elle en avait possédé un, autrefois, le seul qui arrivait à dompter sa chevelure épaisse. Malheureusement, le bel objet avait été vendu avant qu'ils ne quittent la Colline d'Émeraude, et depuis, Andromeda devait se démener matin et soir pour ne pas ressembler à un balai-brosse.

Narcissa se pencha avec elle sur l'étalage, et dénicha un superbe peigne qui lui plaisait beaucoup, avec de longues dents argentées et un manche incrusté d'émeraudes.

– Allez-y, mademoiselle, essayez-le, lança le marchand, un homme jovial au ventre proéminent. Vous verrez, c'est de la qualité, de l'authentique Démêltout ! Vous ne trouverez pas mieux ailleurs, c'est moi qui vous l'dit !

Narcissa passa le peigne dans les cheveux d'Andromeda. En effet, l'objet était miraculeux : sur son passage, les nœuds disparaissaient, et en quelques instants, la chevelure d'Andromeda fut plus souple que jamais.

– Génial, dit Andromeda en passant ses doigts dans ses cheveux avec ravissement.

Soudain, un sorcier chauve et râblé passa à côté d'elles, lui arracha le peigne des mains, et s'enfuit à toutes jambes à travers les passants.

– Oh non !

Étonnée, Narcissa vit le marchand ambulant hausser les épaules, et fouiller les monceaux d'objets qui recouvraient sa table sans prêter attention au voleur qui s'enfuyait.

– Monsieur... Le peigne ! Il l'a volé !

Le marchand éclata de rire, sans cesser de fouiller sur sa table ambulante.

– Vous croyez que je me promènerais avec autant d'objets précieux, à la portée de n'importe quel passant ? Non, cette table est équipée d'un puissant Sortilège d'Antivol... Quand le voleur aura cessé de courir, il réalisera que ses poches sont vides ! Ah, tenez, le voilà !

Stupéfaite, Narcissa vit le marchand extirper d'un tas de babioles le peigne qu'on lui avait arraché des mains, quelques secondes plus tôt, et elle le trouva encore plus ravissant qu'auparavant.

– On le prend ! déclara-t-elle, radieuse.

Bellatrix ne le vit pas d'un bon œil.

– Cissy, j'ai dit que c'était pour toi !

– Eh bien, c'est ça qui me fait plaisir ! rétorqua Narcissa. Andromeda te le prêtera !

– Jamais de la vie, protesta Bellatrix. J'aurais l'air d'un caniche, si on me retirait mes nœuds !

Renfrognée, elle finit par tendre les deux gallions à l'homme aux bibelots, et Narcissa donna fièrement son nouveau peigne à Andromeda.

– Et voilà !

– Félicitations pour ce bel achat, mesdemoiselles ! Puis-je vous offrir une photo souvenir, pour fêter cette belle journée ?

Narcissa accepta, et prit la pose avec enthousiasme. Andromeda et elle se postèrent devant la boutique de Mr Ollivanders, et brandirent leur baguette devant elles en riant.

– Allez, Bella, viens !

– Sûrement pas...

– Allez !

Narcissa tira Bellatrix par le bras ; celle-ci se décrispa légèrement, grimaça un sourire et les trois sœurs furent immortalisées côte à côte. Le marchand leur donna à chacune un exemplaire de la photo, et s'éloigna en continuant de crier les bienfaits de ses bibelots.

Bellatrix retrouva rapidement son véritable sourire, et les trois sœurs s'en retournèrent chez elles, main dans la main. Le soir, Walburga les soupçonna ouvertement de lui avoir volé quelque chose, au vu de tous leurs achats et de la transformation de sa chambre en champ de bataille. Mais les trois sœurs nièrent en bloc, dénoncèrent la trop grande susceptibilité du Tapis Vorace, expliquèrent que c'était Vera Goyle qui leur avait prêté l'argent, et lorsqu'elles posèrent sur la table l'enveloppe violette destinée à Druella Black, Walburga se renfrogna et fila dans sa chambre en marmonnant des injures.

La veille de la rentrée, l'excitation atteignit son paroxysme au 12, square Grimmaurd. Narcissa, bien sûr, trépignait à l'idée de découvrir l'univers merveilleux de Poudlard ; mais ses deux sœurs n'étaient pas en reste, car leurs nerfs avaient été rudement éprouvés par ce mois d'août plus monotone que jamais.

Bellatrix rentrait en cinquième année, et avait reçu quelques jours plus tôt une nouvelle des plus excitantes : Dumbledore lui avait accordé sa confiance pour endosser le rôle de préfète. D'après la lettre qui accompagnait l'insigne brillant que Bellatrix avait reçu, Dumbledore espérait vivement que Bellatrix interprèterait cette marque de confiance comme une incitation à se tenir tranquille, et à faire fructifier ses capacités hors du commun en cessant de semer la zizanie. Andromeda, elle, entrait en troisième année, à Serpentard également, sans autre ambition que de revoir ses bons amis, et ravie à l'idée de voir ses deux sœurs réunies auprès d'elle.

Elles passèrent la soirée enfermées dans la salle de bain, bien décidées à tout faire pour resplendir le lendemain. Après un long bain et un nettoyage minutieux, des serviettes nouées autour de la poitrine et munies de paires de ciseaux, elles rafraîchirent mutuellement leurs chevelures. Narcissa avait du mal à contenir sa joie : que c'était bon de faire enfin partie des grands, de participer à ce rituel qu'elle leur avait tant envié pendant les années précédentes !

Sans pouvoir l'expliquer, Narcissa pressentait à quel point cet instant était précieux, et s'appliquait à inscrire dans sa mémoire autant de détails que possible – tous les mots qui fusaient, tous les regards qui s'échangeaient, la lumière qui se déposait sur elles et les odeurs qui les assaillaient.

Émerveillée, elle se percha sur un petit escabeau, et partit à l'attaque de l'indomptable crinière de sa sœur aînée.

– Dis donc, t'en as une tignasse !

– Tu verras, toutes les filles de Poudlard en sont très jalouses, crâna-t-elle en secouant la tête en arrière pour l'éclabousser.

– Tu parles, rit Andromeda en peignant sa propre chevelure avec son nouveau peigne Démêltout. Plutôt mourir que de porter sur la tête ton sac de nœuds !

Bellatrix esquissa un mouvement vers elle, mais Narcissa la retint.

– Reste là, c'est déjà assez dur de démêler tout ça !

– Mais dépêche-toi un peu, j'ai froid !

– Tu vas avoir besoin de renforts, sourit Andromeda avant d'abandonner son nouveau peigne pour s'approcher d'elles.

Alors que les boucles de jais dégringolaient sur la pierre brute et inondée de la salle de bains, Narcissa fixa le miroir et savoura à nouveau ce spectacle d'une grande complicité. Les murs sans fenêtre formaient une petite capsule calfeutrée, qui s'échappait loin de leur quotidien morose. La buée opacifiait le miroir et faisait disparaître toutes leurs dissemblances. Elle se sentait fière, là, dans la vapeur étouffante qui s'élevait de la baignoire, surplombant ses deux sœurs sur son petit escabeau, toutes trois délicatement parfumées et vêtues des mêmes serviettes incolores.

Quand elles eurent fini avec Bellatrix, Andromeda se plaça devant Narcissa et lui offrit le spectacle ravissant de sa chevelure bouclée et, grâce au peigne Démêltout, parfaitement disciplinée.

– Coupe quelques centimètres, pas plus, dit-elle en désignant les cheveux qui lui encadraient le visage.

Bellatrix, sans remercier ses sœurs, fit un geste nonchalant vers le miroir pour en effacer la buée, et examina sous tous les angles le résultat de leur travail. Elle haussa les épaules avec une moue indifférente, puis elle s'assit sur un petit tabouret dans un coin de la pièce, s'accouda sur l'évier et se mit à les observer en silence, tout en jouant du bout des doigts avec les volutes de vapeur, auxquelles elle faisait prendre des formes amusantes.

– Tu ne nous aides pas ?

– Je ne sais pas m'y prendre.

– Mais si, allez !

– Je préfère surveiller Cissy !

– Pour quoi faire ? Tu es contente de ta coupe, au moins ?

Elle haussa à nouveau les épaules.

– Je me sens plus légère, mais je ne vois aucune différence.

Habituées à sa rudesse de caractère, ses sœurs n'insistèrent pas et la laissèrent se perdre dans la contemplation des volutes de vapeur. Distraite, Narcissa lui jetait des regards de biais et s'étonna une fois de plus de voir à quel point ses deux sœurs étaient semblables, et pourtant diamétralement opposées. Mêmes yeux, mêmes cheveux, même teint pâle. Et pourtant, Bellatrix dégageait une beauté fière, immédiate, écrasante ; alors qu'Andromeda, elle, s'inscrivait dans chaque décor avec harmonie et douceur, comme une caresse délicate qu'on voudrait toujours pouvoir regarder.

– Tu ne coupes pas droit ! glapit Bellatrix en se levant comme un ressort.

– Hein ? Quoi ?

– Comment ça ? Ça se voit ? s'affola Andromeda.

– Mais non, ne t'inquiètes pas, assura Narcissa, peu convaincante.

– Bien sûr que si !

Bellatrix se faisait une joie d'alimenter la panique naissante.

– Tu n'as qu'à regarder ton reflet...

– ARGH ! Quelle horreur ! Cissy, qu'est-ce que tu as fabriqué ?

Dans le reflet du miroir, les cheveux d'Andromeda étaient coupés complètement de travers, ébouriffés, hideux... Une catastrophe absolue. Mais Narcissa réalisa rapidement que le miroir ne reflétait absolument la réalité.

– Bella ! s'insurgea-t-elle. Tu as changé le reflet !

Dans le coin de la pièce, Bellatrix était pliée de rire.

– Tu devrais voir ta tête, Andy...Quelle horreur ! l'imita-t-elle avec une voix aiguë.

Elle claqua des doigts, et le reflet redevint conforme à la réalité. Narcissa avait coupé une mèche un peu trop courte, mais au milieu des boucles noires d'Andromeda, la bévue était pratiquement invisible.

– Mais quelle chipie ! fit Andromeda en se ruant sur Bellatrix. Tu vas voir ce que tu vas voir...

– Allez-y, essayez un peu, répliqua Bellatrix, ravie de la tournure que prenait la situation.

Narcissa se joignit à Andromeda, et se jeta sur Bellatrix pour lui faire des chatouilles. Les trois sœurs se battirent pendant quelques instants, puis, à la suite d'un faux mouvement, basculèrent toutes les trois dans la baignoire, en soulevant de grandes gerbes d'eau.

– On a tout inondé ! s'exclama Andromeda, le visage couvert d'eau savonneuse.

– Tant mieux, ça fera enrager la vieille harpie ! s'exclama Bellatrix, ravie. Tiens, regarde !

Et sous les yeux ébahis de Narcissa, l'eau qui remplissait la baignoire se mit à bouillonner autour d'elles, puis à se mouvoir, et s'éleva dans les airs, formant un gros plafond d'eau au-dessus de leurs têtes.

– Qu'est-ce que vous faites, les cousines ?

Sirius venait de faire irruption dans la salle de bain. Bellatrix poussa un cri strident, et cessa de fixer la grosse bulle d'eau pour réajuster sa serviette autour de sa poitrine. Aussitôt, les dizaines de litres d'eau qui se trouvaient en lévitation au-dessus d'eux retombèrent brutalement sur leurs têtes, inondant non seulement la salle de bains, mais également le reste de l'étage et la cage d'escalier.

– Oups !

Devant l'air hagard de Sirius, trempé de la tête au pied, Narcissa éclata de rire, rapidement imitée par ses deux sœurs, puis par leur cousin.

À peine quelques instants plus tard, elles entendirent la voix de la tante Walburga dans les escaliers :

– Qu'est-ce que c'est que ce vacarme ?

Andromeda cessa immédiatement de rire, mais les autres ne pouvaient plus s'arrêter.

– Je vous préviens, pestait Walburga en montant l'escalier, si je dois élever la voix...

Bellatrix fit une horrible grimace, et Narcissa rit de plus belle, bien malgré elle. Alors que Walburga arrivait à leur hauteur, on frappa trois coups violents sur la porte d'entrée, et Walburga interrompit sa progression.

– Allons donc ! Qui peut bien avoir l'impolitesse de nous rendre visite, à une heure pareille ?

Quelques secondes plus tard, la voix de Vera Goyle retentit à travers la porte :

– Walburga ! Viens m'ouvrir la porte, espèce de vieille bique !

Walburga regarda vers le haut de l'escalier, puis vers le bas.

– J'aurais dû m'en douter, marmonna-t-elle.

– Tu ne m'empêcheras pas de voir Lulu ! cria Vera à travers la porte. Laisse-moi rentrer, ou je réécris toutes mes lettres que tu as détruites, et je te les fais manger !

À côté de Narcissa, Sirius éclata de rire – la vision de sa mère étouffée par des enveloppes semblait lui procurer beaucoup de joie.

Tout en maugréant, Walburga renonça à monter jusqu'à la salle de bains, et alla ouvrir la porte d'entrée.

– Je te préviens, Vera, tu...

– Écarte-toi de mon chemin, la coupa immédiatement Vera en pointant sa baguette sur elle. Où est Lulu ?

Walburga ne bougea pas d'un pouce.

– Deux ans que tu me racontes des salades ! Tout ça pour me séparer d'elle ! Comment peux-tu être aussi sournoise ?

Après deux battements de cils impassibles, Walburga accepta sa défaite et s'écarta avec lenteur.

– Druella est au deuxième étage, dit-elle de sa voix monocorde.

Narcissa entendit des claquements de talons dans le hall, puis dans l'escalier, et sa marraine apparut sur le palier du premier étage, radieuse, avec son ravluk Albert perché sur son épaule.

– Bonjour, tout le monde ! Je vois que vous étiez en pleine bataille d'eau ? Quelle belle idée ! Oh, bonjour, mon petit ! dit-elle en ébouriffant les cheveux trempés de Sirius.

Celui-ci la regardait avec un grand sourire, béat d'admiration devant l'inconnue qui venait de défier sa mère. Vera éclata de rire, puis sortit de son manteau deux paquets cadeaux, et les tendit à Narcissa, qui venait de sortir de la baignoire, encore dégoulinante d'eau savonneuse.

– Cissy, voilà les deux cadeaux que je te devais, dit-elle. J'ai racheté un appareil photo dernier cri, les mouvements des photos sont particulièrement fluides... Il peut faire des acquisitions de vingt secondes, un record ! Et voilà la chaîne en argent... J'espère qu'elle te conviendra.

Narcissa balbutia des remerciements.

– Bon, je vous laisse, Lulu et moi devons rattraper le temps perdu !

Et elle tourna les talons, faisant tournoyer sa longue robe violette et sa tresse de cheveux cuivrés.

– Où te caches-tu, Lulu ? Ma parole, quelle maison sinistre ! pesta Vera dans l'escalier qui menait au deuxième étage.

Narcissa entendit à nouveau le claquement de ses talons sur le plancher du deuxième étage, puis le bruit d'une porte qui s'ouvrait.

– Ma chérie ! Viens là, que je t'embrasse ! Dis donc, les murs sont parfumés à l'ennui, ici ! Je vais être obligée d'arranger ça...

C'était la plus belle soirée que Narcissa avait vécue depuis bien longtemps. Après avoir découvert son parquet ciré et son escalier inondés par de l'eau savonneuse, Walburga adressa des remontrances acerbes à tous les enfants, mais elle n'osa pas élever la voix, de peur de provoquer à nouveau la colère de Vera, et elle ne parvint pas à troubler la félicité des trois sœurs.

Le dîner fut fantastique. La présence de Vera donna à Druella assez d'énergie pour descendre s'attabler avec tout le monde. Dans un premier temps, Walburga refusa de leur ouvrir la porte du garde-manger, mais Albert réussit à lui subtiliser la clé, et Vera leur cuisina un ragoût rempli d'épices délicieuses, qu'elle avait ramenées de pays lointains.

Elle ouvrit également une bouteille de jus de citrouille, et en distribua à tous les enfants, y compris Sirius, malgré les protestations de Walburga. Albert amusa tout le monde en faisant des acrobaties sur les casseroles et en jonglant avec les pommes qui se trouvaient dans le cellier ; mais Narcissa n'y prêta pas grande attention, car elle était trop occupée à regarder sa mère rire aux éclats dans les bras de Vera.

Après le dîner, qui dura jusque tard dans la nuit, Narcissa se coucha dans son lit, sèche et propre, au comble du bonheur, fin prête à affronter l'inconnu. Tout en entendant de temps à autre Vera Goyle et sa mère glousser comme des adolescentes dans la chambre du deuxième étage, elle se dépêcha de tout raconter dans son journal, désireuse d'immortaliser le moindre détail de tous ces fabuleux souvenirs. Le bonheur de Narcissa était si grand qu'il lui paraissait à la fois inépuisable et indestructible. Elle s'imaginait déjà devenir, avec ses deux sœurs, des sorcières puissantes et respectées, ne reculer devant rien, conquérir le monde pour, enfin, le déposer aux pieds de leurs deux parents ; et puis, une fois leurs destins accomplis, vieillir lentement et apaisées, soupirant devant l'ampleur du chemin qu'elles auraient parcouru, et se remémorant avec délice leur si précieuse complicité, ces piailleries et ces rires innocents, ces mèches d'or et de jais qui jonchaient le sol inondé de la salle de bains.



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