Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 7 : Insomnie

2369 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 31/05/2022 19:27

– CRABOUILLE ! Arrête immédiatement !

Au 12, square Grimmaurd, tout était calme. Et pourtant, comme tous les soirs, Narcissa ne parvenait pas à trouver le sommeil. Un des Boursoufs qui habitaient la chambre – ces fameuses créatures duveteuses qui se nourrissaient de poussière et de crottes de nez – s'entêtait à venir lui léchouiller la figure avec sa langue d'une longueur exceptionnelle. Narcissa avait appelé celui-ci Crabouille, en raison de sa fourrure qui avait la couleur d'un animal écrabouillé.

Après s'être retournée une dizaine de fois dans ses draps jaunis, Narcissa s'assit dans son lit, et posa Crabouille sur ses genoux pour lui gratouiller la tête. Aussitôt, la petite boule de poils se mit à chantonner avec enthousiasme. Elle saisit également Nymphadora, sa poupée favorite offerte par Andromeda, et l'attira contre elle. Elle attendit une vingtaine de minutes que le sommeil vienne à elle, bercée par le son mélodieux émis par le Boursouf, mais sans succès. En désespoir de cause, Narcissa sortit machinalement son carnet rose de sous son oreiller, et se contorsionna pour le placer dans la lumière blafarde de la Lune, qui filtrait à travers les carreaux encrassés par le temps et volontairement négligés par Kreattur.

Amusée, Narcissa feuilleta son journal, et relut les premières pages, qu'elle avait écrites presque deux ans auparavant, quelque temps après son arrivée au 12, square Grimmaurd.

Cher journal,

Heureusement que tu es là, car depuis que mes sœurs sont parties à Poudlard, je m'ennuie beaucoup. Toute la journée, je reste à la maison avec Sirius, qui a quatre ans et demi de moins que moi, et Regulus qui est encore plus petit. Je les aime beaucoup, tous les deux : Sirius est très drôle, même s'il fait plein de bêtises, et Regulus est très gentil, même s'il veut tout le temps être d'accord avec ma tante Walburga.

Notre principale occupation, ici, ce sont les leçons que le précepteur donne à Sirius et Regulus. Moi, j'ai déjà suivi des leçons avec mes sœurs, quand nous habitions sur la Colline d'Émeraude. Ce ne sont pas des leçons de magie, car nous devons attendre d'être à Poudlard pour cela. C'est plutôt pour apprendre à bien se comporter en société, pour être à la hauteur de notre statut de Sang-Pur (ça, c'est mon père qui me l'a dit). C'est drôle car les leçons des garçons sont un peu différentes de celles que nous avons suivies avec mes sœurs : nous, on nous apprend à nous coiffer et à nous habiller correctement, et à être des sorcières brillantes tout en restant discrètes, alors qu'ici, Sirius et Regulus apprennent à parler plus fort que les autres et à ne jamais pleurer.

Leur précepteur s'appelle Arantius, il est très grand et tout sec, à tel point que Bellatrix a dit en le voyant qu'il suffirait d'une étincelle pour qu'il s'embrase, ou d'un peu d'eau sur sa tête pour le faire gonfler. J'y pense souvent, et cela me fait rire d'imaginer Bellatrix arroser son crâne. Il arrive tous les matins à huit heures trente précises, avec un costume qui n'est pas très beau et une petite mallette noire. Son visage est tout fripé et ses yeux sont tellement enfoncés dans leurs orbites que je ne sais même pas de quelle couleur ils sont. Sa voix aussi fait toujours des gargouillis bizarres dans le fond de sa gorge. Quand Sirius fait des bêtises, Arantius ne dit rien et le laisse faire ; mais à la fin de la journée, il raconte tout à Walburga, et alors Sirius peut être sûr d'aller au lit sans dîner. Arantius fait partie de ces Sang-Pur qui ont été ruinés par la guerre des moldus, il y a vingt ans, parce qu'ils ont fait des choses terribles. Ses deux parents ont été enfermés à Azkaban à ce moment-là, alors il s'est débrouillé avec ce qu'il lui restait : son sang pur et son savoir-vivre. Il est très reconnaissant envers Walburga : quand elle est là, il fait beaucoup de manières et parle tout le temps de notre « illustre famille ». Avec son dos courbé et son corps trop grand pour lui, il a beaucoup de mal à s'occuper de Sirius, qui est très turbulent, alors je lui donne un coup de main : je sers de partenaire pour leurs cours de danse, j'essaie de le convaincre d'être sage et je vais le chercher quand il se cache dans son armoire pour éviter les leçons.

Certains jours, je vais prendre le thé avec ma tante Walburga et ses amies. Je ne sais pas pourquoi, elle tient absolument à ce que je l'accompagne partout, c'est un peu énervant. Avant de partir, elle me fait de belles coiffures, en me tirant fort les cheveux avec plein de pinces et de rubans. Ses amies me disent souvent que je suis une ravissante petite fille, très bien élevée, et ça me fait plaisir car c'est exactement ce que mes parents auraient souhaité entendre. Ce qui m'énerve, c'est que Walburga n'arrête pas de dire à tout le monde que c'est grâce à elle si je suis si bien élevée, et que maman est paresseuse, alors que c'est complètement faux, c'est juste qu'elle est trop fatiguée, malgré les traitements et tout ça. Mais bon, je ne dis rien parce que je risquerais de m'attirer des ennuis.

Le reste du temps, je lis les livres qui sont dans la bibliothèque, même si je les ai tous déjà lus au moins une fois et que je n'y comprends pas grand-chose : la plupart des livres parle de magie noire, et c'est une science très compliquée, il n'y a que Bellatrix arrive à comprendre. Moi, mon préféré s'appelle Histoire des Sang-Pur à travers les siècles, mais je commence à le connaître par cœur.

Je joue aussi beaucoup avec Sirius. Son jeu préféré, c'est d'embêter Regulus et de lui piquer ses affaires, mais moi, je n'aime pas beaucoup ce jeu, et en plus, Regulus finit toujours par appeler sa mère qui nous gronde très fort. Alors, on essaie plutôt d'espionner Kreattur et ma tante Walburga, même s'ils ne font pas grand-chose d'intéressant à part ranger la maison et critiquer Maman, Sirius ou des tas d'autres gens. En fait, il n'y a que trois personnes que Walburga ne critique jamais : Regulus, bien sûr, mais aussi mon père, et Alphard, leur petit frère. Mon oncle Alphard, je ne l'ai jamais vu. Mon papa dit qu'il était très mauvais à l'école et qu'il posait beaucoup de problèmes, mais Walburga, elle, dit que c'étaient les professeurs qui étaient injustes avec lui, et qu'Alphard n'y était pour rien. Une fois, une amie de Walburga a dit qu'il était amoureux d'un homme, et Walburga s'est fâchée très fort en disant que c'était complètement faux. Je n'ai pas très bien compris pourquoi ça l'avait mise autant en colère, mais je n'ai pas osé demander et depuis, personne n'ose parler de mon oncle Alphard devant elle.

En général, j'essaie de me tenir loin de ma tante Walburga, car elle est vraiment très sévère, surtout avec Sirius. Elle n'arrête pas de le gronder et de lui crier des choses méchantes. Souvent, elle met les poings sur ses hanches et elle crie : « qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un fils comme toi ? ». Une fois, elle lui a même dit qu'il était « le raté de la famille ». Parfois, quand Sirius est puni dans sa chambre, je l'entends pleurer et ça me fait beaucoup de peine, alors je vais le voir en cachette et j'essaie de le consoler. Le pire, c'est quand Sirius mouille ses draps pendant la nuit : tante Walburga fait de grosses colères, elle dit que Sirius le fait exprès, et qu'il n'ira pas à Poudlard si c'est comme ça.

Elle est aussi drôlement méchante avec Maman : elle n'arrête pas de dire qu'elle fait exprès de dormir tout le temps, et qu'après tout elle a bien mérité ce qui lui arrive. Walburga parle souvent de quelque chose que ma maman a fait quand elles étaient à Poudlard, mais je n'arrive pas à comprendre ce que c'est, et quand je demande, les adultes regardent par terre et ne me répondent pas.

Maman, elle, ne va pas bien du tout, malgré le Croculus Sativus que nous donne l'Hôpital Sainte-Mangouste. Parfois, elle arrive à se lever pendant la journée, et elle vient jouer avec Sirius et moi : ces jours-là, ce sont les meilleurs jours, car ma maman est très gentille et très douce, elle fait plein de câlins à Sirius et à moi et nous sommes tous les trois très contents. Mais malheureusement, c'est assez rare, car la plupart du temps, elle est très fatiguée, elle a très mal partout, et donc elle reste dans son lit toute la journée. J'essaie de la réconforter en lui apportant de l'eau et des biscuits et en lui faisant plein de baisers, mais ça ne marche pas très bien. Il y a des Magicomages qui viennent la voir de temps en temps, mais ils ne disent pas grand-chose, et moi j'ai l'impression qu'ils sont un peu perdus.

À part ça, quand Arantius n'est pas là et qu'on en a assez d'écouter Walburga et Kreattur, Sirius et moi, on va dans le grenier, d'où on a une jolie vue sur Londres : on ouvre la petite lucarne, et on regarde la pluie qui tombe toute la journée sur les passants pressés.

Narcissa ferma son journal en soupirant. Depuis qu'elle avait écrit ces mots, presque deux ans avaient passé, dans la monotonie la plus totale. Sur la dernière page de son carnet rose, elle avait dessiné un calendrier où, chaque soir, elle rayait les jours restants avant que ses sœurs ne rentrent de Poudlard. Celles-ci étaient sa seule bouffée d'air frais, et leurs visites lui faisaient toujours un bien fou. Bellatrix se montrait toujours aussi impétueuse et dissipée, d'autant plus que leur oncle Orion – un cousin de Cygnus et Walburga, qui appartenait donc également à la famille Black – n'était pas vraiment à cheval sur la discipline, contrairement à leur père, et encourageait donc ouvertement Bellatrix à semer la zizanie à Poudlard.

Andromeda, elle, poursuivait tranquillement sa scolarité au sein de la maison Serpentard, sans faire de vagues. Elle était adroite, sérieuse et discrète, fidèle à elle-même, en somme. À chaque fois qu'elle rentrait de Poudlard pour quelques vacances, Narcissa se sentait immédiatement happée par sa douceur et sa gentillesse, extirpée de toute la tension qui régnait au 12, square Grimmaurd.

En dehors de ces jours bénis où Narcissa retrouvait ses deux sœurs, la tante Walburga menait la vie dure à tous les habitants de la maison. Et ni Narcissa, ni ses parents ne pouvaient s'en plaindre, au risque de voir s'interrompre la livraison hebdomadaire des fioles de Croculus Sativus, que l'oncle Orion déposait chaque lundi dans l'entrée à l'intention de Druella Black, sans faire aucun commentaire.

Druella avait, dès leur arrivée, timidement demandé à obtenir le traitement de cette satanée Saviriose le vendredi, afin d'avoir la force de participer aux festivités qui avaient parfois lieu le week-end ; mais l'oncle Orion avait fait la sourde oreille, et Walburga avait continué de la remplacer aux réceptions, s'attribuant ainsi tout le mérite de l'éducation de Narcissa.

Mais malgré tout cela, depuis deux ans, Narcissa continuait de faire bonne figure. Elle souriait aimablement en toutes circonstances, même lorsque les grandes personnes lui pinçaient la joue ou lui tapotaient sur la tête avec condescendance, même lorsque sa tante Walburga se plaignait publiquement de l’inutilité de sa mère en lui demandant de confirmer ses dires. Narcissa avait même apprivoisé Kreattur : il était un peu grognon, mais Narcissa l'aimait bien. Souvent, elle allait lui donner une petite friandise en cachette. Kreattur la prenait en maugréant, mais elle savait que cela lui faisait plaisir.

Si Narcissa faisait tout ça, c'est parce qu'elle n'avait jamais oublié la promesse qu'elle s'était faite, le soir où ils avaient quitté la Colline d'Émeraude, et où elle avait entendu son père dire qu'il regrettait de l'avoir mise au monde. Elle s'était promis de rendre à ses parents une vie digne de ce nom, et de tout faire pour que son père soit enfin fier d'elle. Et alors que son départ vers Poudlard approchait, elle avait au moins la satisfaction de se dire qu'elle avait fait tout ce qu'elle avait pu pour atteindre ce but.

En outre, une seule pensée lui donnait tout le courage nécessaire : bientôt, elle ne subirait plus ni l'errance de ces jours sans fin, ni les discours barbants du précepteur Arantius : dans quelques semaines, Bellatrix et Andromeda rentreraient de Poudlard pour les vacances d'été, et Narcissa les retrouverait pour ne plus jamais les quitter.

Dans son lit, Narcissa frissonna d'excitation. La rentrée prochaine serait aussi la sienne ! Enfin, au lieu de rester sur le quai de la voie 9 3/4, elle prendrait le Poudlard Express avec elles, et pourrait découvrir l'univers dans lequel Bellatrix et Andromeda évoluaient sans elle depuis déjà deux ans. Narcissa pensa, avec un mélange d'effroi et d'impatience, qu'il lui faudrait se rendre à son tour sur le Chemin de Traverse, afin de s'acheter une baguette digne de ce nom. Et elle espérait de tout son cœur qu'après deux ans à tout faire pour amadouer sa tante Walburga, celle-ci serait dans de meilleures dispositions pour l'aider.

Soudain, Narcissa se dressa dans son lit, en faisant tomber Crabouille sur le sol : elle avait entendu la clochette de la porte d'entrée, au rez-de-chaussée. Son père venait de rentrer.



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