Sans perdre de temps

Chapitre 13 : And then they were three

2818 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/07/2020 18:23

— Une autre fois, soupira-t-il.


Barry tourna les talons et entreprit de se diriger vers l'étage. Tant pis pour son estomac qui grondait, il avait trop besoin de dormir. S'étendre, ne plus penser à rien. Et avec un peu de chance, rêver d'un monde où Len était encore en vie, où il ne venait pas de le voir étendu dans un tiroir glacial. L'odeur du désinfectant lui agressait encore les narines, comme si elle s'était imprégnée dans chaque fibre de son être et qu'elle ne le quitterait plus jamais.


Iris n'était pas prête à le laisser en réchapper si facilement. Elle se leva d'un bond et le poursuivit alors qu'il commençait à monter les marches vers sa chambre.


— Non, maintenant. Tu sais très bien ce que j'ai découvert.


Il s'arrêta dans sa lancée et la dévisagea un instant avant de repartir. Les émotions se mélangeaient dans sa tête, jusqu'à s'annuler entre elles. Il avait l'impression d'être vide. On avait percé un trou dans sa chair, là où avait un jour battu son cœur. Ça ne faisait pas mal.


— Oui, je sais, déclara-t-il d'une voix égale. Mais ça n'a plus d'importance maintenant.

— Bien sûr que ça a de l'importance ! Barry, tu m'avais promis de ne plus jamais faire confiance à ce type !


Il secoua la tête et reprit son ascension. Peu à peu, sa colère gonflait et, même à travers le voile d'apathie qui recouvrait son esprit, il la sentait sur le point d'exploser. Est-ce qu'elle ne pouvait pas le laisser tranquille ? Est-ce que c'était vraiment si urgent que ça ?


— Barry, attends ! cria-t-elle quand il recommença à s'éloigner. C'est pas contre toi et tu le sais très bien ! Mais tu le connais aussi bien que moi et tu sais qu'il va essayer de profiter de toi. Je ne veux pas qu'il te fasse du mal !


Barry était enfin arrivé à la porte de sa chambre. Avant de s'y réfugier, il se tourna vers Iris une dernière fois.


— Tu peux arrêter de t'inquiéter, il ne fera plus jamais de mal à personne.


Elle lui lança un regard interrogateur.


— Je reviens de Seattle. Je l'ai vu. Dans un sac mortuaire. Maintenant, si tu permets…


Il referma la porte derrière lui, tandis qu'Iris restait interdite, immobile au bout du couloir.


Il n'arriva pas jusqu'à son lit et tomba assis au milieu de la pièce, secoué de tremblements. Froid, il avait si froid. Sa chaleur était restée dans cette morgue, avec lui.


Barry tenta de ne pas songer à ce qui allait arriver à sa dépouille, d'oublier ce que lui avait dit Ravi. En vain. Il ne pouvait que penser à l'atroce solitude que cela représentait, de rester à l'état de cendres au milieu d'autres oubliés, parmi tous les rebuts de la société.


On frappa doucement à la porte et la voix étouffée d'Iris lui parvint aux oreilles.


— Barry, parle-moi, s'il te plaît.


Il ne répondit pas. Il avait oublié de verrouiller la porte, elle entrerait quoi qu'il lui dise.


— Si tu veux bien, je vais entrer. Je veux juste m'assurer que tout va bien.


Les gonds grincèrent, et l'instant d'après, Iris était assise près de lui. Elle passa une main qui se voulait rassurante dans son dos, mais ne réussit qu'à le faire se replier encore un peu plus sur lui-même.


— Dis-moi ce que tu as, s'il te plaît. Je suis morte d'inquiétude.

— J'y arriverai pas, Iris.

— Tu arriveras pas à quoi ? À me le dire ?

— J'arriverai pas à vivre sans lui.


Iris n'eut pas un mot à dire pour faire comprendre ce qu'elle pensait. Sous la surprise, elle se détacha de son frère adoptif et lui lança un regard qui en disait long. Barry, lui, ne bougea pas d'un pouce. Il savait qu'il n'aurait pas d'autre choix que de tout lui expliquer, et qu'elle ne serait sans doute pas aussi compréhensive que Cisco. Il hésita longtemps, puis se lança dans son récit, non sans un long soupir.


Toute cette histoire lui paraissait si lointaine à présent qu'elle était achevée qu'il eut l'impression de raconter la vie d'un autre. Comme la dernière fois, il omit certains moments, même dans les plus innocents, ceux qu'il voulait garder pour lui et pour lui seul. Il esquissa parfois un sourire en repensant à ces instants, mais sa joie s'estompait vite quand il se souvenait qu'il ne pourrait plus jamais les revivre.


Iris écoutait, une grimace de désapprobation au visage. Il s'attendait à cette réaction, il ne lui en voulait pas.


— Voilà, tu sais tout. Je sais bien que tu auras du mal à comprendre, mais je l'aimais. J'avais besoin de lui… J'ai toujours besoin de lui.


Si cela n'avait tenu qu'à lui, il serait allé le sauver sur le champ. Sa promesse à Cisco restait la seule chose qui le retenait de remonter le temps jusqu'à cette nuit-là. Quand il était tombé amoureux de l'homme qui se cachait derrière le criminel, son envie de rendre le monde meilleur s'était décuplée. Désormais, il ne savait plus s'il réussirait à rester un héros.


— Tu as raison, j'ai beaucoup de mal à comprendre. Je vais avoir besoin de temps pour digérer tout ça. Mais… si jamais tu veux en parler, je serais là pour toi, tu peux compter sur moi. Allez, viens.


Elle se leva et tendit la main vers lui. Il l'accepta, et elle le guida jusqu'à son lit avant de sortir de la chambre sans un bruit.


Barry resta longtemps sans trouver le sommeil. Il ne bougea pas, ne pleura pas. Mais ses yeux restèrent désespérement ouverts. Morphée avait décidé de l'abandonner et de le laisser tourner et retourner ses pensées sombres jusqu'à la nausée. Peu à peu, la réalité s'imposait à lui et ce qui ne lui avait semblé être qu'un cauchemar devenait tangible. Il ne pouvait plus y échapper. Il devait apprendre à vivre sans lui.


Mais bien vite, une conclusion s'imposa à lui : il en était incapable.


***

— 'u 'as que'que part ?


Major se tenait dans l'encadrement de la porte, sa brosse à dents couverte de dentifrice coincée entre les lèvres. Il regardait d'un air curieux son colocataire qui s'affairait à fourrer dans un sac de sport quelques vêtements de rechange, une trousse de matériel médical et une petite glacière.


— Je ne serai pas long, répondit Ravi, plus pour lui-même que pour Major. C'est l'affaire d'un aller-retour, m'assurer que tout va bien.


Il ne reçut en retour qu'un sourcil levé, dans l'attente qu'il développe sa pensée. Mais il n'avait pas le temps, il devait partir tout de suite. Quand il arriva enfin à refermer son bagage, il le hissa sur son épaule et se dirigea vers la sortie.


— Je devrais être rentré demain ou après-demain. Je t'ai laissé un peu de liquide, vu que c'est ma semaine de courses normalement. Je t'ai noté deux trois trucs à prendre sur le frigo, et il faudrait aussi de l'assouplissant et des croquettes pour Minor.


Il continua à réciter la liste de courses à un rythme effréné, faute de savoir comment expliquer la situation à Major. S'il avait presque pardonné à Liv et de lui avoir menti et de l'avoir transformé en zombie, les rapports entre eux restaient distants et Ravi évitait de la mentionner en sa présence.


— O'é, se contenta-t-il de répondre dans un haussement d'épaules. 'a m'dit tou'ours pas où 'u 'as.

— C'est rien du tout. Pas de quoi s'inquiéter, vraiment.


Nouveau haussement de sourcils. Ravi entreprit de descendre les escaliers. Dieu savait dans quel pétrin Liv avait encore réussi à se fourrer et si elle passait trop de temps sans se nourrir… il préféra ne pas y songer.


Il avait déniché, par miracle, un avion en partance pour Starling City, le dernier de la journée. Il arriverait en tout début de matinée et de là, pourrait prendre un train direction Central City. D'après les sites d'amateurs de super-héros qu'il avait consultés, la rumeur courait que Flash travaillait avec les scientifiques de STAR Labs, ce serait son premier point d'enquête. Il avait chargé Maggie, la petite vieille dame de l'accueil qui se montrait toujours si gentille avec lui, de donner à New Hope sa ration de « bouillie protéinée » quotidienne – cerveau, poulet et un peu de blanc d'œuf réduit à l'état de pâte rosâtre – et de remplir son bol d'eau si nécessaire. Tout était sous contrôle, il avait tout prévu.


Sauf…


Quand il ouvrit la porte d'entrée, manteau à moitié enfilé, sa deuxième chaussure à la main, prêt à décoller, il se trouva face au lieutenant Babineaux qui, lui, s'apprêtait à appuyer sur la sonnette.


— Lieutenant ! s'exclama-t-il un grand sourire aux lèvres tentant de dissimuler son état de panique quasi hystérique. Quel bon vent vous amène ?

— Liv est ici ? Elle ne répond pas au téléphone et Peyton ne l'a pas vue depuis deux jours.

— Liv ? Liv ! Oh, euh, Liv, tout va très bien avec Liv !


Babineaux le dévisagea, les yeux plissés, sans dire un mot, tandis que Ravi se décomposait de plus en plus.


— Que se passe-t-il, Ravi ? demanda-t-il finalement, avec un calme que de nombreuses années de service lui avait enseigné.

— Liv est partie poursuivre un suspect à Central City et elle s'est… mise… dans le pétrin.

— Pardon ?


Un silence gênant tomba entre les deux. Ravi trépignait sur place, impatient de pouvoir enfin s'en aller. Mais évidemment, Babineaux ne laisserait pas tomber aussi facilement.


— Je vais aller la chercher, tout est sous contrôle. Tout va bien. Touuut vaaa biiien.


En prononçant cette dernière phrase, il tenta d'ignorer le fait qu'il n'y croyait pas lui-même. Non, tout n'allait pas bien. Il allait décoller en direction d'une ville inconnue, à la recherche de l'homme le plus rapide du monde, avec pour seuls indices les élucubrations d'une bande de nerds. Son niveau de contrôle de la situation avoisinait le zéro absolu.


— Je viens avec vous.

— Non, non, non, non, non. Pas la peine, je vous assure.

— C'était pas une question.


***


Cheveux impeccablement coiffés, veste de cuir et posture d'une droiture à toute épreuve, la femme n'avait pas desserré les lèvres depuis qu'elle s'était assise en face d'elle.

Liv fulminait. Le colosse l'avait menée directement en salle d'interrogatoire et l'y avait laissé en plan pendant plusieurs heures. Au moins, cela lui avait donné le temps de passer en revue toutes ses options d'évasion. Options qui s'élevaient désormais au nombre impressionnant de zéro.


Elle avait passé au crible toutes les solutions, envisagé toutes les possibilités, retracé dans son esprit le chemin jusqu'à la sortie, encore et encore. Rien ne marcherait. Elle se trouvait au sein d'un complexe militaire hautement sécurisé, rempli à ras-bord de combattants surentraînés et sur le qui-vive en permanence. Aucun des audacieux plans qu'elle avait pu concocter ne dépassait des trente pour cent de chances de succès. Alors elle avait pris son mal en patience et prié pour sortir avant que la fin ne commence à la tenailler.


Ce duel de regards commençait à la fatiguer. Elle connaissait bien cette tactique : installer un silence gênant pour pousser l'autre à craquer et à tout avouer. Sa mère l'avait utilisé plus d'une fois quand elle était enfant. Forte de cette expérience et du cerveau de criminel endurci qui gardait encore une prise solide sur le sien, elle ne craquerait pas de sitôt.


— Est-ce que vous savez pourquoi vous êtes ici, mademoiselle Moore ?


Elle retint un sourire. Et voilà, elle avait gagné. Pour toute réponse, elle se contenta d'une moue et d'un haussement d'épaules nonchalant.


— Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Lyla Michaels, je dirige cet endroit.


Intéressant. La directrice de l'A.R.G.U.S en personne venait l'interroger.


— Il est remonté jusqu'à moi que vous auriez des informations sur la mort de Leonard Snart.

— Tout ça est très hypothétique. Bien, maintenant, si ça ne vous ennuie pas, je vais sortir d'ici, comme c'est mon droit le plus strict en tant que citoyenne des États-Unis d'Amérique.


Joignant le geste à la parole, elle se leva. Elle se doutait que son bluff ne porterait pas ses fruits, mais si cela pouvait lui permettre de découvrir les vraies intentions de cette Lyla Michaels, elle aurait déjà une longueur d'avance. Comme elle l'avait prévu, le gorille lourdement armé qui gardait la porte ne bougea pas d'un millimètre quand elle se posta devant lui.


— J'ai le droit de vous détenir dans ces locaux pendant soixante-douze heures, mademoiselle Moore, lança Michaels. Alors revenez vous asseoir si vous voulez bien. Ou alors je serai contrainte de demander à ce charmant monsieur de vous escorter jusqu'à votre chaise et de faire en sorte que vous n'en bougiez plus.

— Même pas peur, répondit Liv avec un haussement de sourcil suggestif à l'adresse du garde.

— Comme vous voudrez.


Le colosse s'avança et saisit Liv par l'épaule. La poigne de son énorme main serrée sur sa clavicule provoqua une décharge de douleur instantanée dans tout son bras. Tout juste assez pour lui permettre de passer en mode zombie. En une seconde, elle sentit une monstrueuse puissance l'envahir et le monde se teinta de rouge. Son corps agissait seul, comme s'il connaissait par cœur les mouvements à effectuer. Coup de coude, saisie, torsion, projection, écrasement. Plexus, bras, épaule, torse, trachée. Quand elle reprit la pleine possession de ses moyens, elle se tenait à califourchon au-dessus du soldat étendu au sol, haletante. Du sang coulait du nez de l'homme et, s'il poussait quelques faibles geignements de temps à autre, il serait hors de combat pour un moment. Et comme elle l'avait prévu, elle avait gardé le dos tourné à la directrice, qui n'avait pas pu voir son visage de tout le combat.


— On sera mieux pour bavarder juste entre filles, déclara-t-elle, satisfaite, tandis qu'elle reprenait place sur sa chaise.


Lyla Michaels l'observa, silencieuse, pendant un moment, avant de faire signe à ses agents derrière le miroir sans tain. Immédiatement, deux soldats de la même carrure que celui que Liv venait de mettre au tapis vinrent récupérer leur collègue et le traîner hors de la salle.


— Doit-on le faire remplacer, Madame ?

— Pas la peine, répondit-elle. Mademoiselle Moore a raison. On va bavarder entre filles.


Quand elles furent enfin seules, le silence retomba pendant une longue minute. Elles se jaugeaient, d'un côté et de l'autre de la table, comme deux truands du Far West avant un duel. Aucune n'avait l'air de vouloir faire le premier pas.


— Vous êtes très impressionnante, commenta finalement Michaels. Peut-être pourrions-nous travailler ensemble à l'occasion.


À ces mots, Liv sentit un picotement familier lui remonter le long du dos. Une vision.


Il fait nuit, le vent souffle. Lyla Michaels se tient face à un grand bâtiment de verre et de béton, sur une grande place déserte. Elle sourit, amusée.


— Vous êtes un sacré numéro, monsieur Snart. Peut-être pourrions-nous travailler ensemble à l'occasion.

— Gardez ça pour d'autres. Je suis pas le toutou de l'A.R.G.U.S.


— Gardez ça pour d'autres, répondit Liv en un souffle. Je suis pas le toutou de l'A.R.G.U.S.


Ce fut furtif mais, durant une fraction de seconde, les traits de Lyla Michaels se déformèrent sous l'effet de la surprise. Encore un point pour Liv. Tant qu'elle parvenait à la désarçonner, elle garderait l'avantage.


— Comme vous voudrez, poursuivit Michaels, qui avait repris toute contenance. Si vous ne voulez pas parler de Leonard Snart, parlons un peu de Flash.

— Qu'est-ce que vous lui voulez ?

— Je ne veux que lui venir en aide. Barry Allen est mon ami. Et je ne crois pas à ce qu'on m'a raconté. Ce n'est pas lui, le coupable.


Encore une fois, l'intérêt de Liv s'accrut. Quelle étrange bonne femme… Elle semblait sincère, mais comment être certaine qu'elle ne la menait pas en bateau ?


— Et qu'est-ce qui vous fait croire qu'il ne l'a pas tué ? Après tout, il est autant capable d'arracher un cœur à main nues que de se rendre à Seattle et de revenir à Central City deux minutes plus tard comme si de rien n'était…


Cette fois-ci, Michaels lui adressa un large sourire. Elle semblait avoir prévu cette réaction.


— Je le crois, c'est tout. Et quelque chose me dit que vous aussi.


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