Chroniques du Soleil Levant : Avènement d'un Nouveau Japon

Chapitre 2 : 11 août 1473, Kyoto

925 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/02/2017 12:46

Pourquoi se souvient-on aussi nettement de tous ces détails futiles qui encombrent la mémoire ? Les souvenirs de l'odeur et du goût délicieux des dangos enrobés de caramel ou la déception toujours vivace d'une défaite au Kendo face à Otomo Takauji sensei, mon maître d'armes, sont-ils d'une quelconque utilité ? À la place, j'aurais préféré me rappeler ce jour où j'ai appris la mort de mon père. Au lieu de cela, rien, pas même une image fugace. Les souvenirs sont des choses bien étranges. C'est comme un grand livre dont certaines pages, les plus précieuses, auraient jauni au fil des ans, laissant l'écriture méticuleuse des scribes à peine lisible, et dont d'autres pages traitant de frivolités ou de lieux communs, seraient restées éclatantes comme au premier jour.

Je suis Ashikaga Yoshikatsu 1er du nom, du clan Ashikaga. Cela fait à peine un mois que je suis officiellement le nouveau Shogun du Japon. Japon qui a déjà bien changé depuis la mort de mon honorable père. Le Conseil des Anciens pendant la régence, avec la bénédiction de l'Empereur et de ma mère Tomiko, bien que respectueux de l’œuvre de mon défunt père, décida de ne pas poursuivre sa politique intérieure que d'aucuns pouvaient qualifier de contemplative en ces temps troublés.

Sous l'autorité de notre brillant conseiller diplomatique, le défunt Urugami Mihito sensei, nos diplomates sillonnèrent le pays pour convaincre les Daimyos de cesser les hostilités. Malgré mon jeune âge, mon statut d'héritier me permit opportunément d'être membre à part entière des délégations diplomatiques. C'est d'ailleurs durant ces missions que j'ai pu découvrir la beauté des montagnes, des plaines et des côtes qui font du Japon un pays unique et sacré par les Dieux kami. Ce fut aussi pour moi l'occasion de me rendre compte du désastre qu'était cette guerre d'Onin sur notre bon peuple. Des villages pillés, brûlés, des enfants à l'abandon, des populations par centaines jetées sur les chemins pour fuir les massacres... Toutes ces visions macabres m'ont amené à une promesse. Une fois Shogun, aucune famille japonaise ne subira un tel sort. Je ne détournerai pas le regard comme put le faire mon défunt père. Je serai le garant de la Justice et punirai les coupables. Et les coupables étaient tous désignés.

Les discussions diplomatiques avec les Daimyos m'ont beaucoup appris sur l'art de la politique et la force des mots. Alors que la pensée dominante était, et est toujours, que seuls les forts peuvent survivre, Mihito sensei m'a fait prendre conscience que la force n'était pas l'unique chemin pour atteindre ses buts. Des présents donnés au bon moment, des paroles prononcées aux bonnes personnes peuvent changer le cours de l'Histoire. Et c'est ce qui se passa durant la Régence. Malgré une guerre d'Onin omniprésente, nous parvînmes à convaincre successivement les clans du Nord, les Date, les Shiba et les richissimes Takeda, à nous rejoindre pour un Nouveau Japon uni et pacifié. Cela prit des années de palabres et de négociations, mais finalement, leur domaine fusionna avec le nôtre de telle façon que nous pouvions enfin rivaliser en terme de puissance avec les menaçants Hosokawa au Sud.

Ces derniers n'avaient pas perdu de temps. Au cours d'une guerre gagnée d'avance contre le clan Ouchi, ils s'emparèrent de trois provinces supplémentaires divisant le Japon en pratiquement deux parties équivalentes. Les Ashikaga au Nord, et les Hosokawa au Sud. La tension à travers tout le pays était à son comble et tout le monde craignait une escalade dans la guerre civile. En effet, l'expansion des Hosokawa aux dépens des Ouchi aurait fourni à n'importe quel Shogun un motif valable pour déclarer la guerre. De par l'étendue du domaine des Hosokawa, il était facile de montrer que ce clan censé être subordonné au Shogun visait désormais la domination du Japon en entier. Mais en cette période de régence, il en était différemment. Le Conseil de Régence était pieds et poings liés. Selon les Lois Fondamentales, il lui était interdit de se lancer dans une guerre de sa propre initiative, si tant est qu'il ait pu le souhaiter.

C'est donc dans cette situation singulière, pleine d'incertitudes, qu'eut lieu la cérémonie d'investiture. C'était il y a un mois, le 9 juillet 1473, à l'occasion de mes quinze ans. Je m'en souviens comme si c'était hier. Il faisait chaud, très chaud, même pour un été caniculaire. C'était un jour d'orage. Tel que l'exigeait le protocole, les Daimyos étaient naturellement conviés à notre Palais des Fleurs de Muromachi, y compris Hosokawa Katsumoto affichant un large sourire de circonstance, figé, comme les masques de ces pièces de théâtre Nô. Plus important, l'Empereur en personne, descendant d'Amateratsu Omikami, nous fit grâce de sa présence, ce qui est rare. Ma mère était en larmes, de joie bien sûr, et ne pouvait s'empêcher de m'assaillir de conseils, sur ma tenue, ma façon de marcher ou l'orientation de ma frange. C'est après un long discours de l'Empereur empreint de solennité, au milieu d'une assemblée d'une centaine de nobles de haut rang, que je devins officiellement Shogun. Le Shogun d'un Nouveau Japon.

 

Ashikaga Yoshikatsu Ier

(Souvenirs d'un Ashikaga, Tome 1)

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