La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 13 : Le guerrier sombre

14438 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/11/2024 11:27

Chapitre 13: Le guerrier sombre





Le soleil brillait du haut de son trône céleste, admirant la belle et magnifique forêt qui s’étendait à ses pieds, une forêt composée de pins, d’arbres fruitiers, de vertes fougères et de conifères. Et au milieu de cette forêt, il y avait une clairière, et dans cette dernière il y avait une marre. Devant il se trouvait la plus belle biche qui soit, et elle se désaltérait élégamment.  Elle tendait sa belle langue rose vers la surface de l’eau, la plongea de quelques centimètres avant de la ressortir, amenant la boisson à sa bouche. Les ondes qui se propageaient sur la peau de la marre se répercutaient sur les bords et se déformaient, et repartaient vers le centre. Quand l’animal étancha sa soif, il leva sa tête et regarda les alentours. À priori, aucune menace à l’horizon, mais la biche resta prudente comme lui conseillait si bien son instinct sauvage. Elle se dirigea vers un buisson, sur lequel les perles de la rosée matinale étaient disposées sur les feuilles vertes et fraîches, tendre à volonté. La bête se pencha et contempla son futur déjeuner, elle sentit l’arôme dégagé par la plante, ouvrit sa petite bouche, tendit la langue, et soudainement, elle sauta sur le côté et entama une course à la survie. Un bout de bois avec une pierre en pointe au bout siffla et déchira les airs juste avant de se figer dans un tronc innocent. Un être des plus étranges qui soit sorti de sa cachette et se mit à poursuivre sa proie. il était bipède, se tenait sur ses deux pattes arrière, tenait dans ses deux pattes avant un bâton tordue par une corde et d’autres bouts de bois droits avec une pierre pointue au bout; elle avait un étrange objet énorme et disproportionné dans son dos, retenu par des lanières; sa peau était couverte par une énorme carapace assez sombre, au niveau du torse, des bras, des épaules et de ses jambes; il avait une peau plus légère au niveau des cuisses et en dessous de la carapace. Mais surtout, au niveau de la tête, elle avait la peau noire comme la nuit, une crinière blanche et une paire d' yeux à la rétine rouge comme le sang. Et ce prédateur hurlait de toute sa rage:

_ Toi viens par là ! Je t’aurais toi !

La biche terrifiée continua sa course effrénée afin d’éviter la mort, elle sentait qu’elle gagnait du terrain mais le carnassier était tenace, il courait toujours et n’abandonnait pas. Un mur de roc et de terre se dressa devant elle, et le monstre était juste derrière. Elle n’avait plus le choix, elle grimpa l’amas de rocher et de boue aussi vite qu’elle pouvait, mais le prédateur avait déjà encoché un bout de bois à son bâton tordu et tira de nouveau. Le projectile se figea juste à côté d’elle, et la biche disparut par dessus la butée. 

_ Tu ne t’enfuiras pas comme ça ! Hurla le monstre bipède, et il chargea de nouveau, monta la butée en toute aisance.

La course poursuite continua encore un moment avant que la biche monte sur une surélévation et aperçoive son ennemi, toujours aussi fougueux et furieux. Elle sauta et galopa à travers les arbres, esquivant un nouveau tir, qui lui frôla les oreilles. La bête regarda sa réserve de bout de bois, il en restait trois. « Plus que trois essais ! » se dit le prédateur. Il sauta à son tour et reprit sa course encore plus rapidement qu’avant. L’animal herbivore sauta au-dessus des bûches qui lui barraient son chemin, traversa les ruisseaux qui lui encombraient la route, se faufila à travers les fougères qui lui dissimulaient les obstacles. Elle tendit ses oreilles et un nouveau sifflement passa à sa droite, et la branche volante meurtrière se planta dans un tronc. Le carnassier poussa un nouveau juron et se remit à courir. La biche sentait la fatigue s’emparer d’elle, mais la peur lui procura une dose d’énergie phénoménale. C’était le terrible jeu de la vie, où ceux qui perdent meurent et les vainqueurs dévorent. Les arbres filaient à toute vitesse, les fougères lui fouettaient les pattes, le moindre caillou la déstabilisait. Des rochers lui barrèrent la route, elle était de nouveau coincée. Elle eut juste le temps de tourner la tête qu’un nouveau trait lui érafla le museau, et le tir se fracassa contre la caillasse. La pointe de pierre explosa en mille morceaux, les fragments s’éparpillèrent aux quatre points cardinaux. Du sang coula de la plaie, tachant de pourpre la jolie fourrure, et profitant du temps que son agresseur remette une autre pointe sur son bâton courbé pour s’enfuir. Plus qu’un projectile ! Plus qu’un essai ! Ils reprirent une course acharnée à la survie. 


Ils coururent encore pendant une dizaine de minutes, tout deux épuisés, l’un de chasser, l’autre d’être pourchassé. C’était long et pénible, les deux savaient que ce serait bientôt fini, d’une manière ou d’une autre. Soit la biche mourrait, soit ce serait son traqueur qui mourrait de faim. Une épée de Damoclès flottait au-dessus de leur tête, et elle hésitait encore sur laquelle elle tomberait. Alors qu’ils sprintaient tous les deux, un nouveau virage se présenta. La biche sauta et rebondit avec rapidité et souplesse, son agresseur en fit de même. Un ruisseau leur barrait la route, la biche le survola d’un bond élégant, le chasseur sauta par dessus également. Un tronc déraciné obstruait le passage, la biche le contourna, le prédateur aussi. Et ils eurent encore de nouvelles péripéties, la biche les évita, son ennemi l’imitait. Mais le moment fatal était arrivé, une falaise se dressa devant eux, ils eurent à peine le temps de freiner que le mangeur de viande affamé encocha son dernier bâton meurtrier et tendit son arme. C’était le moment ultime, soit il réussissait à la toucher et la biche sera tuée, ou la biche arrivait à esquiver ce tir ultime et la créature bipède serait occis par la famine. La belle bête balafrée au museau se retourna, regardait de ses deux yeux noirs le monstre armé, dans ce regard il y avait presque de la pitié, de la pitié à cause de la folie de cet opposant qui ne saurait jamais apprécier les simples choses de la vie. On entendait chaque torsion de la corde tordre le bout de bois qui formait un arc de cercle à présent, les yeux rouges admirèrent la bête et fixèrent la pointe de projectile braquée sur elle. Il ajusta son tir et lança son trait. Ce long moment que j’ai décris par ma plume semblait être une éternité, alors que dans la réalité ce ne fut qu’un bref moment qui ne dura pas plus d’une seconde. Le bâton vola et déchira les airs, sifflant sa rage et sa colère, perçant l’espace entre lui et sa proie, son bec de pierre presque à portée de la chair et... L’animal esquiva. Le projectile se figea dans la terre, tout espoir était perdu pour l’avaleur de viande. Alors que la biche savourait sa victoire et partait gaiement à la clairière, une brute des plus terrifiantes jaillit de derrière un arbre, la gueule en avant, attrapa la gorge et d’un coup de molaire, brisa la carotide. L’épée de Damoclès avait fait son choix, elle tomba sur l’animal innocent. 


Alors que le loup noir tenait dans sa gueule la petite biche, Warda s’assit et tentait de reprendre son souffle. Cette course poursuite l’avait épuisé, il avait épuisé toutes ses flèches et son énergie. Il avait pourtant tout bien fait, il était resté discret jusqu’au dernier moment, il était face au vent, les ombres lui étaient favorables, il avait visé juste... Il n’y avait pas la moindre erreur, alors pourquoi fut-il obligé de traquer son gibier pendant un long moment avant que Granland  ne vienne encore ramasser sa victoire, c’était extrêmement humiliant de se voir voler sa proie, surtout lorsque c’était Granland. 

_ Alors ? Je suis encore obligé de te rattraper, sale bipède ? Tu es armé jusqu’aux dents et tu n’arrives pas à attraper une petite biche ? Tu as mis plus de dix minutes à la pourchasser sans résultat avec ton fichu arc et tes satanés flèches et t’es même pas fichu de l’avoir ! Moi, je n’ai que mes crocs et mes griffes et j’ai mis moins de deux secondes pour la tuer ! Vous les bipèdes, vous êtes tous lamentables !

Le loup noir reprit sa proie dans sa gueule et commença à partir, les pattes de la biche morte touchaient à peine le sol. Qu’est-ce qui pouvait être plus démoralisant que de voir un grand loup vous critiquer sur votre méthode de chasse, et repartir avec votre trophée. Le pire, c’était que ce maudit Granland prenait un plaisir malsain à humilier Warda. Mais tout de fois, l’elfe noir savait que ce n’était pas vraiment de sa faute. Jaron lui avait raconté une fois du pourquoi cette haine envers les hominidés, et c’était justifié. Granland avait lui aussi un jour vécu avec une chaman, une femme remarquable. Mais l’amour qui les liait disparut très vite, car elle n’était pas très mûre et elle décida finalement de rejoindre les hommes. Granland n’avait jamais put accepter qu’elle reparte, alors il était parti chez les humains pour la ramener. Mais elle refusa de revenir parmi les loups, et comme le canin géant ne l’écoutait pas, elle fit appel à l’Église pour l’en débarrasser et le Prophète lui-même, escorté par un capitaine borgne, partirent à la chasse au loup. Au cours de la bataille, il perdit à la fois son œil, son croc, mais surtout ce qui lui donnait la foi de vivre, son amour. Depuis, Granland nourrissait une haine démesurée envers les êtres humains, et même proches des hommes. Et même avec toute la sympathie du monde, même s' il sacrifiait sa vie pour lui, Warda ne saurait jamais gagner l’estime du loup, car malgré tout, il appartenait à une race bipède. Sans compter que c’était un être considéré comme un démon par la plupart des civilisations de ce monde, ce qui n’arrangeait pas son cas. Dix ans s’étaient écoulés avec Carnassus et Rassoun, il avait appris comment être en harmonie avec son environnement, à se battre pour sa survie, mais surtout à prendre des décisions rapidement. « N’hésite jamais, avait dit un jour le vieux noir, car ton instinct te guidera souvent sur la bonne voie. Si tu refuses de t’écouter, tu rateras à chaque fois ! ». Warda se demandait si ce serait une bonne idée de demander à Granland de partager sa prise, et il n’hésita pas une seconde pour se trouver sa réponse intérieur. « Non ! Il a décidé de me narguer aujourd’hui, et je sais qu’il ne s’arrêtera pas ! Tant pis, menu du soir, racines et insectes ! ». Lorsque les dix ans s’écoulèrent, ils jugèrent bon de l’envoyer avec Granland, car son territoire repoussait la plupart des hommes, jugeant qu'il était maudit. Mais le loup noir s’était montré inhospitalier avec lui dès le début, et les choses ne s’étaient que très peu améliorées. Il y avait encore deux ans, il n’aurait même pas autorisé l’elfe sombre à chasser dans son territoire, et encore, il avait accepté uniquement parce qu’ils avaient conclu un marché. Comme c’était « sa » terre, si Warda arrivait à capturer lui-même une proie, il devait rapporter les meilleurs morceaux à Granland, sous peine d’être taillé en pièce. Si c’était par contre le loup borgne qui attrapait son gibier, tout était pour lui. Et de ce côté là, il était inflexible pour enfoncer ses congénères dans le plus puant des tas de fumier. Ils ne se parlaient que très rarement, et tentaient de s’éviter du mieux qu’ils pouvaient. Granland vivait en question à la frontière qui sépare les régions elfiques en Guiogne du royaume d’Etale. Le canin gigantesque avait délimité les endroits où Warda pourrait s’aménager, de partout sauf dans son territoire. Ce qui laissait à l’elfe noir un nombre de choix très restreint. Il pouvait aller au pied des montagnes de Léondia, dans la forêt de Frévalié, et une route à découvert de la vue des hommes. Les transactions à la frontière étaient nombreuses, les Etalens échangeaient fréquemment de la marchandises avec les peuples elfes, ils envoyaient des apprentis là-bas pour leurs études, ou ils partaient pour s’y aménager. Bien que ce soit bien plus court par les montagnes, les humains préféraient cette voie. Ils avaient envoyé les Croisés de l’Ordre se charger des brigands et des nombreux dangers, et c’était une route relativement facile à garder. Tandis que si un marchand têtu se mettait en tête de traverser le mont de Léondia, il croiserait souvent des nains renégats, des pilleurs des montagnes, des Raichelens des neiges, mais surtout ces barbares de Ssaros. Soit disant pour protéger leur terre, ils pillaient et brûlaient les cargaisons qui osaient traverser la « terre sacrée ». Warda le savait parce qu’il espionnait souvent les gardes frontières, et il suivait ainsi l’actualité. Cela lui permettait d’être au courant des nouvelles « chasses » organisées. Jusqu’ici il avait su toujours éviter les Croisés, il avait appris que le plus dangereux des animaux restait l’homme. L’année passée, ils avaient envoyé une vingtaine d'hommes faire une battue dans les bois, officiellement pour sécuriser le chemin. Mais il savait qu’ils ne l’avaient pas oublié depuis tout ce temps, et qu’il ne pouvait décapiter un paladin impunément. Depuis, il portait son armure et son arme en permanence, il avait de grandes chances en se baladant dans la forêt de tomber nez à nez avec les guerriers de l’Église. Heureusement pour lui, tous ces moments mornes et ennuyeux étaient mouvementés par les visites occasionnelles de Jaron et Mélane. Eux aussi ne pouvaient pénétrer dans le territoire de Granland, entre autres parce que Jaron était un « traître ». Bien qu’ils soient frères de sang, ils étaient tout deux les opposés les plus extrêmes, ils ne pouvaient même pas se sentir, l’un et l’autre. Pourtant, auparavant, Granland était aussi farfelu et bon vivant que son frère, mais après le drame il découvrit une autre facette de sa personnalité: la haine. Depuis il a basculé irréversiblement vers l’intolérance et la colère. Il avait un jour décidé de s’exiler dans cette région, s’isolant totalement de tout ce qui l'avait put aimer.


C’était désormais un monstre plein de rage et d’amertume, et les humains devinrent ses pires ennemis. Cela arrivait rarement, mais lorsqu’un pauvre diable d’homme innocent avait osé poser un orteil sur son sol, il ne manquait pas de le réduire en un tas de pièces détachées. Warda avait assisté une fois à une de ses représentations, et pria pour que ce soit la dernière. Bien sûre, le loup ne les mangeait pas, ils étaient bourrés de « saloperies » comme il disait. 


Ce soir là, le guerrier sombre ne ramena rien à son repaire, ni gibier, ni cueillette, il allait être forcé de grignoter des racines et des larves. Il avait choisi comme habitation une ancienne mine de charbon, abandonnée depuis certainement des années. L’endroit ne sentait pas très bon, l’humidité régnait en maître, les fondations prêtes à s’effondrer d’un moment à l’autre, la moisissure avait largement eu le temps de se développer, et les vermines comme les insectes et les larves se nourrissaient de cette matière riche en nutriment pour eux. Il y avait peut-être une pioche ou quelques outils au fond de l’antre, mais c’était bien trop risqué de s’aventurer là-bas. Par chance pour l’elfe noir, il y avait toujours un morceau de charbon ou deux pour se réchauffer, ou pour y cuire son repas lorsqu’il attrapait quelque chose. Mais ce soir, ce sera juste pour se chauffer, la seule victuaille digne de ce nom s’était envolée dans le gosier de Granland. Il poussa un profond soupir et finalement déposa son matériel sur le côté et se dirigea vers les vers qui gesticulaient comme des petits doigts de bébé. Il en attrapa un et le regarda longtemps avant de dire:

_ Bon appétit mes amis ! 

Il le leva comme si c’était un toast, et le fourra dans sa bouche, l’écrasant sous ses molaires longuement. Le jus de la bestiole était infecte, et manger une créature qui ne cesse de tenter de fuir n’est  pas la sensation la plus agréable qui soit. Il finit tout de même par l’avaler une bonne fois pour toute et trouva un autre spécimen d’asticot fort juteux, un ver de terre. Si la moisissure est une réserve de nutriments pour les insectes, les insectes étaient une réserve de protéines pour le chasseur. Il le prit par le l’extrémité la plus large, certainement la tête, il le porta à sa voie buccale et l’aspira comme un spaghetti. Même s' il n’avait pas l’avantage d’être plus goûteux que l’autre, il avait néanmoins une meilleure capacité d’être plus nourrissant. Warda leva un débris de bois et il découvrit une colonie de cloportes. C’était son plat favori parmi les êtres rampants, car même s' ils n’étaient pas réellement plus fameux que les asticots ou les mille-pattes, ils croustillaient sous la dent comme des biscuits, ce qui leur conférait une sorte de saveur imaginaire. Il en prit une poignée et les croqua comme des cacahuètes. Une fois qu’il en eut fini des animaux à carapace, il prit une brindille et se mit en quête de fourmilière. Ces petits esclaves avaient des propriétés thérapeutiques, elle secrétaient quelque chose qui rendait plus résistant aux maladies. C’était ce que lui avait enseigné Carnassus, mais il n’eut pas besoin de se faire prier pour comprendre à quel point c’était vrai. Il eut souvent des occasions de manger des fourmis. Au bout d’un quart d’heure, il trouva enfin son festin. Un trou dominant un petit monticule de terre était bondé de circulation, de transactions de nourriture, de débris, de corps inanimés de leurs congénères, et tout cela pour atterrir dans la réserve. Au début, il avait du mal à attraper ces petites futées, mais il réussit quand même à trouver l’astuce. Il léchait dans un premier temps la brindille, il la plongeait dans la fosse à fourmis, il attendait qu’elles se collent dessus, et voilà, le tour était joué. Il n’avait plus qu’à sucer son bâtonnet d’insectes, et recommencer l’opération. Lorsqu’il eut assez manger de choses rampantes et gesticulantes, il prit quelques racines qu’il avait l’habitude d’entasser dans un coin de la grotte. Il fit brûler deux morceaux de charbon et fit cuire les végétaux, mangea, puis s’endormit. Peut-être que demain sera un jour meilleur pour la chasse. 


Alors que les Croisés de l'Ordre étaient en marche, avec Galro, Tilbar et le chasseur en tête, le général s'approcha de son camarade, lui demandant où est-ce qu'il avait trouvé. Le soir tombait.

_ Ce n'est visiblement pas un natif du village, conclut Galro. Il n'était que de passage, mais il connaissait les loups géants. 

_ Méfies toi jeune paladin, chuchota le guerrier robuste. La guerre des nécromanciens a laissé des cicatrices profondes sur tout Natal depuis cet avènement. Tu es encore novice, mais une chose que tu dois apprendre par toi-même, c'est savoir en qui tu peux avoir confiance...

Il fixa de son œil valide le chasseur qui ne les calculaient visiblement pas, mais qu'il soupçonnait certainement de quelque chose.

_ Et ceux en qui tu ne dois pas.

_ Avais-je vraiment le choix ? Répondit le Paladin. Je dois accomplir la volonté du Seigneur. Il connaît le chemin, et Dieu est de notre côté. 

_ Tu apprendras un jour que Dieu est capricieux, répondit doucement le général toujours sur ses gardes. 

_ Nous devrions faire halte paladin, dit le chasseur.

Alors que Galro fit arrêter le convoi, le chasseur posa pied à terre, saisissant une poignée de terre aride entre les doigts. Un sourire satisfait fendit sa bouche. Alors que le paladin approcha du trappeur, celui-ci inspectait soigneusement le sol.

_ Quel est la raison de cet arrêt ?

_ Nous allons entrer en territoire sauvage messire, répondit le chasseur. Nous devrions être sur nos gardes. Nous attirons trop l'attention. 

_ Quelle solution suggérez vous alors ? Demanda le Paladin fixant le dos du braconnier.

L'homme retourna une touffe d'herbe, et vit alors une trace de patte de loup géant. Il eut un rictus qui se dessina sur son visage, dissimulé par sa capuche. 

_ Ces bêtes nous ont probablement déjà repéré. Nous avons le choix, soit nous cacher... 

Il se leva, se dirigea vers un garde de Galro, et saisit sa torche. Dans la pénombre du soir, on pouvait lire une joie malsaine sur le visage du chasseur. Il jeta la flamme vers les hautes herbes sèches, qui prirent feu. Sous le regard médusé des deux commandants, le chasseur dit :

_Ou annoncer notre arrivée en grandes pompes.


Dans sa caverne froide et humide, Warda entendait le chant des oiseaux et de la vie qui provenait de l’extérieur. Alors, au son mélodieux de la douce voix, il se réveilla et enfila son armure. « Encore une rude journée ! » se dit l’elfe noir. Il prit son arc, quelques flèches, et son immense épée qu’il rangea dans son dos. Il avait pris une certaine aisance à dégainer et rengainer son arme avec l’habitude. Il en éprouvait presque une certaine satisfaction. Ne plus être obligé de regarder son Algazalm pour voir s' il ne s’était pas glissé entre les lanières, savoir son arme bien fixée dans son « fourreau », et tout en sachant qu’en cas de danger il peut la dégainer rapidement et attaquer sans délai. « Aujourd’hui, je dois fabriquer de nouvelles flèches, me trouver de la viande, mais surtout, il me faut un nouvel arc ! » En effet, Warda avait trouvé l’explication de son échec de la dernière fois. Son arme de tir était usée, au niveau supérieur il y avait une légère fissure, mais c’était suffisant pour lui faire rater chacun de ses tirs. Si son arc n’avait pas ce défaut, il aurait eu la biche la dernière fois. Et la fabrication d’un arc pouvait prendre du temps, beaucoup de temps. Il lui fallait trouver du chêne robuste, une branche résistante mais assez souple. La corde était aussi bonne à être changée, il lui fallait tresser des morceaux d’écorces effilochées, attacher la corde au deux extrémités sans que ni l’arc ni la corde casse. Sinon, tout était à recommencer. Il marcha jusqu’à l’entrée de la mine, mais alors qu’il s’apprêtait à sortir, il aperçut à l’orée des bois un groupe d’humains marcher vers sa direction. « Les Croisés de l’Ordre ? » se dit Warda terrifié à l’idée même que ce soit eux. Comment auraient-ils put le retrouver après toutes ces années ? Comment savaient-ils qu’il se cachait dans une vieille mine de charbon ? Comment pouvaient-ils savoir que c’était lui qui avait tué un paladin des années auparavant ? Comment ont-ils fait pour ne pas l’oublier ?

Lorsque les hommes se rapprochèrent, à son grand soulagement, ils ne portaient pas les insignes de l’Église. C’était certainement des brigands, ni plus ni moins. Mais mieux valait qu’il ne se fasse pas remarquer, ils ne devaient pas savoir qu’il existait. Donc, il resta dans l’obscurité de la mine, le plus immobile possible. Mais les hommes continuaient de marcher vers la mine, pourquoi étaient-ils obstinés à venir à sa rencontre ? Lorsqu’ils furent assez proches, l’elfe noir compris ce qui se tramait, et ça ne pouvait qu’aller de pire en pire. 

_...assez d’or là-dedans pour me faire mon propre cabaret ! Avec les jolies filles et tout ! Et vous, vous aurez l’entrée gratuite !

_ Il y a intérêt Fael ! C’est moi qui t’ai donné la localisation de ce trou à rats ! Moi, je m’achèterai un nouveau chapeau, celui-là est bon pour les ploucs !

Un homme barbu approchant de la cinquantaine enleva son chapeau de paille et le regarda avec dédain, comme une vieille bouse. Ils étaient sept ou huit, tous revêtu de vêtements de cuir et de crasse. 

_En tout cas bande de crétins, c’est moi qui ai amené les outils, c’est moi qui aurai la plus grosse part !

_ Dans tes rêves Gran ! On aura tous la même part ! Et si vous continuez de vous comporter comme de sales gosses, je vous étripe ! C’est clair ?

Warda put apercevoir à leur ceinture des fourreaux de tailles diverses. Il n’y avait plus aucun doute, c’était bien des pilleurs. Et l’elfe noir n’avait plus d’échappatoire, il ne pourrait se cacher vainement que le temps qu’ils montent à la mine. Être discret ne servait plus à rien, ils l’auraient trouvé de toute façon. Son seul espoir était qu’ils prennent la poudre d’escampette en le voyant. Après tout, n’était-il pas un elfe noir ? Un être que tous redoutaient et fuyaient ? Et ces hommes n’étaient pas soldats, si les choses tournaient mal il pourrait toujours s’en sortir. Alors, tandis que les criminels avançaient tout en se disputant, le sombre guerrier apparut à l’entrée de la mine. L’un des hommes le vit et prit de panique, interpella ses amis. 

_Un démon ! Un démon !

_Mon seigneur qui êtes au cieux pardonnez moi de mes péchés ! 

_ Fuyons !

_ Restez en place ! Hurla un homme assez âgé mais robuste. Vous êtes des lavettes ou des hommes ?! 

L’effet souhaité par l’elfe noir fut anéanti par cet opposant trop téméraire. Maintenant qu’ils étaient décidés à garder position, une seule issue le sortirait du pétrin: l’affrontement. Mais tout de fois, Warda ne dégaina pas son arme, il tenta de résoudre ce conflit pacifiquement. Bien sûr, tout dialogue lui était impossible, ces bandits ne l’écouteraient pas. 

_Ce n’est pas un vulgaire monstre aux yeux rouges qui va m’effrayer ! Beugla le courageux. Ce ne sont que des bêtes ! 

Il tourna sa tête vers l’elfe noir et plongea son regard plein de haine dans la paire d’yeux écarlates, puis il s’adressa à l’elfe.

_ Toi, qu’est-ce que tu veux ? Hein !

_ Partez de mes terres ! Répondit calmement Warda. 

Lorsqu’ils entendirent les paroles, ils restèrent bouche bée. Le plus jeune et inexpérimenté d’entre eux fit:

_ Il a parlé ! Le démon a parlé ! Dieu nous avait dit que ce n’étaient que des bêtes ! Pourquoi il a parlé bon sang !

_ Arrête de paniquer Vraal  ! Cria l’homme barbu. Ce n’est pas parce qu’il parle qu’il n’est pas un monstre ! C’est comme les orques ! Ils parlent, mais pourtant ils ne valent pas mieux qu’un porc ! 

_ Oui chef ! Interrompit un autre brigand. Mais ce porc là a une épée énorme ! Comment on va récupérer l’or ?

_ Il n’y a pas d’or dans cette mine ! Lança l’elfe noir. 

Tous s’entre regardèrent, confus par les paroles du démon. Ils se murmuraient les uns aux autres « il n’y a pas d’or ! ». Ils lancèrent ensuite un regard furieux vers l’elfe noir. Le chef hurla:

_ Comment en être certains ? Tu pourrais bien nous mentir !

_ Tout simplement parce que la seule chose qui vaudrait quelque chose ici, c’est ça ! Répondit instantanément Warda en leur lançant un morceau de charbon qui roula dans l‘herbe. 

L’un des hommes se baissa et ramassa le bloc, il le regarda comme la pépite d’or qu’il n’aurait jamais. Mais cette preuve ne semblait pas faire décider à la bande de ruffians de partir. Pourquoi est-ce qu’ils restaient là ? Il n’y avait rien ici, pourquoi étaient-ils encore ici ? 

_ Allez vous-en ! Hurla Warda. Il n’y a pas d’or ! Partez !

_ Désolé démon, répondit le chef des voleurs, mais il nous faut rentabiliser le voyage.

_Je vous le répète, reprit Warda, il n’y a pas le moindre grain d’or ici ! La seule richesse que vous en tirerez c’est la crasse et le charbon ! Partez ! Il n’y a rien d’intéressant ici !

_ Mais si, il y a quelque chose d’intéressant ici ! 

L’elfe noir n’aimait guère ce regard que les criminels lui lançaient. Ils cachaient quelque chose qui pourrait certainement le nuire. Ils avaient un petit sourire machiavélique au coin de leurs lèvres, ce n’était point plus rassurant. « Qu’est ce qui pourrait avoir de la valeur ici ? » se demanda Warda. L’homme barbu tendit un de ses affreux doigts et dit:

_ Toi ! 

La confusion envahit l’esprit de Warda. En quoi avait-il de la  valeur ? Les elfes noirs étaient haïs de tous, c’était impossible qu’il y ait un marché d'esclaves. Alors pourquoi aurait-il de la    « valeur » ?

_L’Eglise perd bien trop de soldats lors des chasses aux démons comme toi ! Alors ils ont résolu le problème de la manière suivante: maintenant, ils payent deux milles Densas d’or celui qui leur rapportera un scalpe blanc et une paire d’oreilles pointues noirs. C’est le double pour un vivant, mais franchement, je me passerais bien de deux milles Densas supplémentaires en échange de ma propre vie. Alors, tu as compris, même si il n’y a pas d’or ici, on se remplira quand même les fouilles !

Sur ce, ils sortirent tous leurs armes bruyamment et se mirent à ricaner. L’un d’eux lança:

_ Quoi ? Tu n’étais pas au courant ? Ah oui, c’est normal ! T’es une bête !

Cette fois-ci, Warda n’avait plus le choix, il saisit son arme et la sorti de ses lanières de cuir. C’est alors que les yeux de ses ennemis s’écarquillèrent devant la taille imposante de la lame et de son tranchant. Jamais ils n’avaient pu voir une arme de ces dimensions, ni avec une lame qui se prolonge le long du manche avant de revenir vers le haut. C’était une épée qui inspirait la terreur à chacun des hommes qui la voyait. 

_ Che...Che..Chef ? Qu’est-ce qu’on fait ?

_ Il a une arme énorme ! Il va nous écraser !

_ Nos dagues ridicules ne peuvent pas le blesser ! 

_ Fuyons ...

_ Fermez-là bande de crevards pétochards ! Hurla le chef. N’importe quel crétin peut deviner qu’une épée de cette taille est trop lourde pour être maniée ! Si ce gars avait été plus futé, il aurait choisi une arme plus légère et plus maniable, comme nos glaives. Au lieu de ça, cet abruti a décidé de porter une arme et une armure qui lui rendent ses mouvements lents et maladroits ! Ce n’est que du bluff, il ne peut pas se battre !

Il s’approcha lentement de l’elfe noir, jonglant avec son épée de droite à gauche. Il avait ce sourire qu’ont tous les criminels avant d’exécuter un crime, il n’y avait aucun doute sur ses intentions. Warda saisit Algazalm avec son autre main, il regardait fixement les mouvements de son ennemi. Il dit de façon grave comme ultime avertissement. 

_Je ne vais pas avoir le choix, je vais te tuer.

_ C’est beaux comme paroles en l’air ! Dit à son tour l’homme à barbe. Mais vois tu, je crois que c’est moi qui vais te tuer, lavette !

Il envoya son arme de la main droite à la gauche et lança une attaque par le haut. Mais contrairement à ce qu’avait prévu le chef des brigands, le guerrier noir para l’attaque avec aisance, plaçant sa large lame comme un bouclier, et profita de l’ouverture de son adversaire pour lui enfoncer le pied dans la aine. Le voleur vola et atterrit dans la boue, le souffle coupé. Il roula un bref moment et ses alliés vinrent l’aider à se relever, leur patron se dressa tant bien que mal, mais il réussit, et il lança un regard empli de haine envers Warda. 

_Je vous aurez prévenu, lança l’elfe noir. Si vous ne partez pas, je n’aurai pas le choix.

Mais ce n’étaient que de vaines paroles tombées dans des oreilles sourdes. Ils n’étaient pas le genre d’hommes qui apprennent des leçons de leurs échecs, ils étaient têtus et fous. Peu importe les coups de pied, peu importe les coups de poing, peu importe combien de fois il les fracassait, ils reviendraient. Seule la lame d’acier pourra les débarrasser de cette bêtise. Les hommes se rangèrent en lignes avec un semblant de discipline et chargèrent, les glaives en avant, en hurlant. « Tant pis pour eux. » se dit Warda tout en levant son arme. Trois l’attaquèrent de front, une nouvelle attaque par le haut, et l’elfe para sans aucune difficulté, ne résista aisément à la force unie des trois ennemis. Deux autres vinrent à tenter de le frapper sur les côtés, mais c’est alors que le démon souleva ses trois opposants de devant et fit tournoyer sa lame en arrachant la mâchoire supérieure des deux lâches. Les trois autres s’écrasèrent dans la boue, projetés comme de vulgaires quilles. Un brigand l’attaqua dans le dos, mais il ne douta pas un instant que le temps qu’il amorce son attaque, la lame mortelle qui remontait après la poignée d’Algazalm avait déchiqueté son foie. Un pilleur s’avança, glaive devant, tenta d’empaler l’elfe noir, mais la lame géante se glissa entre lui et sa cible. Warda lui envoya un terrible coup de pied dans l’articulation du genoux et brisa la jambe, et brandit sa lame en l’air. L’homme, naïvement, mit son glaive en position de blocage, perpendiculairement à la lame de Warda. Si dans la théorie c’était une défense efficace, par contre dans la réalité, avec une épée faite pour couper l’acier comme du beurre, c’était en vain. Il eut pour preuve un bras tranché au niveau de l’épaule, et une fontaine de sang à la place. Deux combattants qui étaient dans la boue se relevèrent et se lancèrent sur Warda, qui les évita en se faufilant entre eux, et leur expédia sa lame contre les leurs. Algazalm portait bien son nom, et fendit les deux épées ridicules et punit les deux malfaiteurs d’une plaie dans leur torse, pas assez profonde pour les tuer, mais assez pour les saigner. Tout deux s’effondrèrent de douleur, mais le dernier qui traînait par terre se leva et sauta sur l’elfe noir, essayant de l’étrangler. Soudainement, une main de métal l’attrapa au niveau du bras et l’éjecta à un mètre de distance de Warda. Le chef chargeait et lança une attaque frontale, qui rebondit sur l’épée géante. 

_ Tu crois être fort ? Hurla le brigand.

Il exécuta un coup par revers, puis un coup de pied, et ensuite une série d’attaques rapides et imprécises. Il jubilait de son semblant d’avantage, riait comme si c’était lui qui avait le dessus, mais chacune de ses tentatives étaient soit parées soit esquivées. Il réussi tout de fois à érafler le visage du démon, laissant une traîné de sang s’écouler de la joue noir. Mais l’attaque suivante fut parée, et l’elfe ne tenait son arme que d’une main. « Où est passé l’autre ? » se demanda le brigand qui eut la réponse relativement vite, car un poing de fer vint lui éclater une belle série de molaire et certains os de la mâchoire. L’ennemi s’écrasa face contre terre, crachant toutes ses dents. Il restait encore trois brigands en état de se battre, ceux avec le torse en sang et le dernier. Ils ramassèrent les armes de leurs compagnons déchus et chargèrent. Warda leva son épée et chargea à son tour contre ses ennemis, et découpa les membres en faisant tourner Algazalm comme les pales d’un moulin. Les bras et les jambes volants tombèrent dans la fange et donnèrent à la terre une toute nouvelle coloration. Le plus jeune tenait son moignon ensanglanté et regardait fixement le démon. C’était la vision du cauchemar lui-même, il avait en face de lui le Diable en personne, une créature abyssale démoniaque qui détruirait tout sur son passage. Warda se retourna et constata l’état de ses victimes, tous les hommes étaient soit tués, soit démembrés. De l’un d’eux se laissait échapper la bile de son ventre, et fixait le ciel comme le ferait n’importe quel cadavre. « C’est fini. » se dit Warda, marchant vers sa caverne, mais la voix rauque à moitié étranglé du chef résonna derrière lui. 

_Ou tu vfa ? Maufiette ! On en a pfas fini tfrout les deux !

La gueule en sang, un oeil gonflé comme un ballon, la chair meurtrie de toute part, boitait péniblement en tenant deux glaives dans ses mains. Il marchait avec l’énergie du désespoir et de la soif de vengeance, la haine lui donnait des ailes. Dans le reste de regard qui lui restait, Warda pouvait lire l’ivresse du combat et de la folie. L’homme barbu avança et sauta comme un chien fou sur l’elfe sombre, attaquant avec les épées, les poings, les pieds et les dernières dents qui n’avaient pas désertées. Warda tenta de le faire reculer en lui assénant des coups de genoux dans l’aine, mais le brigand était devenu aussi résistant qu’une bête enragée. Le sang de son adversaire, mélangé à sa salive, coula sur son visage en grande quantité. Et pendant qu’il luttait contre cet animal féroce, l’estropié se leva, ramassa son bras manquant et prit la fuite tel un lâche. Sur le coup, le guerrier noir ne réagit pas en voyant le fugitif, mais c’est seulement alors qu’il disparaissait entre les branchages, dans la direction est, il comprit avec effroi ce qui allait se passer. L’homme allait rejoindre la route et prévenir les Croisés de l’Ordre. Il tenta de se relever pour courir après le bandit, mais le chef du bandit même était encore sur l’elfe noir en train de lutter avec ses dernières forces, hurlant et crachant son hémoglobine noir immonde sur le visage de Warda. 

_Je vais t’tuer ! Répétait-il sans arrêt. Je vais t’tuer ordure !

Ils se battirent pendant un long moment avant que l’elfe noir arrive enfin à placer ses pieds sur l’abdomen de son ennemi et l’envoya valser en l’air, se libérant du poids de celui-ci. Warda se releva et commença à courir lorsque la main de son agresseur le saisit par la jambe et le fit trébucher. Algazalm glissa des doigts de l’elfe et tomba quelques mètres plus loin. Le chef des brigands était lui aussi désarmé, n’ayant plus que son corps comme arme. Il grimpa sur Warda et frappa à plusieurs reprises au visage. 

_Je vais te crever ! Hurla l’homme bestial sans la moindre articulation. Je vais te réduire en sang !

Warda le saisit par le col et lui écrasa face contre terre, inversant les positions: l’elfe dessus, l’homme en dessous. L’elfe noir donna deux coups de poings sur le front dans l’espoir de sonner son adversaire, et se jeta sur son arme. Mais ses deux attaques ne servirent à rien, le fou étant toujours conscient le rattrapa et les firent de nouveaux s'effondrer. Il enfonça ses dents dans la gorge de Warda, qui poussa un hurlement de douleur. Il mordait aussi férocement qu’un chien qui avait la rage. Il était atteint d’une folie que l’on avait vu qu’à lui. L’elfe noir réussi tout du moins à se balancer sur la droite, faisant lâcher prise à son ennemi, et de ses doigts de métal commença à creuser la chaire de son ennemi. Celui-ci se débattait et criait de toutes ses tripes pour faire partager sa douleur, mais Warda était devenu sourd, il continuait à griffer et à massacrer ce tas de viande vivante. Le sang, c’était tout ce qu’il voyait, le sang, la douleur avait disparu, il n’y avait plus que ce maudit sang chaud qui s’étalait sur ses gants, son armure, sa peau, son âme. Ce qu’il hachait menu n’était plus un homme, juste un sac à sang qui saignait et saignait encore. Pourtant, le sac de sang parvint à se libérer et frappa de son genoux le menton de Warda, qui s’écrasa au sol. Il était à portée de bras de son arme, mais l’homme bête déchaîna sa colère en l’étranglant. L’elfe noir en train de suffoquer tentait de ramasser son épée, mais il manquait de force, et ses doigts effleuraient seulement l’anneau à l’extrémité de la poignée. 

Le monstre à barbe continua de maintenir la pression, il enfonçait toujours ses doigts visqueux du sang sur la trachée, appuyant toujours plus juste en dessous de la pomme d’adam. Le guerrier sombre tenait presque Algazalm mais il n’arrivait pas à la tirer dans sa main. Alors que l’homme poussait un ricanement de fou, Warda choisit ce moment propice pour lui enfoncer ses deux doigts dans son oeil, crevant la cornée, la pupille et le cristallin, déversant son humeur aqueuse et sa sclérotique sur son gant d’acier. Le barbare tint son œil embroché et tomba en arrière, se tortillant de douleur. Ses hurlements étaient incroyablement aigus, et le sang qui s’était accumulé au fond de sa gorge lui donnait le même timbre qu’un homme qui se noie. Warda saisit son arme, et se releva, tenant son cou endolori, et reprit doucement sa respiration saccadée. Flageolant, il marcha lentement vers son ennemi, ce maudit animal plein de rage et de folie. Le chef des brigands se leva à son tour, tout aussi tremblant, saisissant toujours de ses deux mains l’orifice dans lequel manquait le globe oculaire dans le but d’atténuer la douleur. Warda regarda son adversaire, un être qui méritait la mort, puis il frappa de sa lame, tranchant l’angulaire de l’omoplate, le deltoïde, le trapèze et une partie du grand pectorale. Le bandit ayant les chairs sectionnées, s’effondra de nouveau, le dos s’écrasant sur la terre meuble qui cachait de nombreuses pierres qui n’attendait que lui pour le martyriser. L’elfe noir prit son arme la lame vers le bas, en position pour achever son ennemi, mais le chef des bandits dans un dernier espoir, frappa de ses deux pieds dans le gant droit, et déstabilisé Warda lâcha de nouveau son arme, mais ne tomba pas pour autant. Cet homme ne l’avait que trop nargué, il était temps d’en finir. Il sauta sur son agresseur, et commença à le frapper de ses deux poings sur sa tête. Cette chose devait mourir, il devait détruire cette bête, il devait le réduire en viande. Il frappa, il brisa l’os du nez; il frappa, il brisa la malaire; il frappa, il brisa le maxillaire inférieur; il frappa, il brisa le maxillaire supérieur; il frappa, il brisa le frontale; il frappa, il n’y avait plus que du sang qui giclait. Il continua ainsi, cognant fermement et seulement dix minutes après un acharnement intensif, Warda se rendit compte qu’il massacrait un cadavre réduit en miettes. Même Granland n’avait jamais autant réduit un homme en charpie, il ne valait pas mieux que les truands qu’il avait décimés. 


Il contempla avec effroi l’œuvre de son travail, une boucherie parfaite, tous les hommes furent si bien charcutés et broyés qu’ils n’avaient plus rien d'humain. Les brigands qui furent démembrés périrent de l’hémorragie trop importante. Quant à la carcasse qui se tenait devant lui, la cervelle sortait par tous les orifices possibles, broyée et écrabouillée avec les os et la chair. Ce n’était plus qu’une bouillie cadavérique, totalement inoffensive, il n’avait plus qu’à craindre l’odeur de la décomposition de sa part. Si des personnes rêvent des cauchemars durant leur sommeil, lui était en train d’en vivre un éveillé. Mais surtout, dans cette dimension aux allures impossibles, c’était lui le monstre. Il était complètement recouvert du sang et des morceaux de cervelle de son ennemi, il était trempé de l’hémoglobine comme il serait trempé par la pluie. Des morceaux d’os et de viande traînaient de toutes parts autour de lui, la boue brune était devenue pourpre, visqueuse, chaude, et nauséabonde. Les incisives, les molaires, les canines, toutes les dents n’étaient plus que de vulgaires fragments de calcium. Son deuxième oeil avait été complètement explosé, répandant son ignoble gélatine sur le corps de la victime. S' il pouvait se le permettre, l’elfe aurait gerbé devant l’horreur du spectacle, son spectacle. Mais il n’avait pas le temps, il devait rattraper le jeune homme et le tuer s' il voulait éviter la Croisade. Il se leva et ramassa son arme, et courut aussi vite qu’il le pouvait. Mais avant de partir à son tour vers la route des transactions transfrontalières, il regarda une dernière fois dans son dos. Même si ce n’était que des bandits, des filous, des bons à rien, ils ne méritaient pas ce sort, pas comme ça. Il partit à toute allure, épée à la main, prêt à occire le jeune homme au moindre tournant. Il devait agir avant qu’il ne soit trop tard, il devait occire ce dernier ennemi à l’abri des regards. Il enjambait les racines, il sautait par dessus les obstacles, il bondissait au moindre virage. Puis, après une heure, il le retrouva face à une marre. Le garçon tentait vainement de raccrocher son bras perdu au moignon sanglant, pleurant toutes les larmes de son corps et sanglotant. Il répétait « Maman ! Maman ! Au secours maman ! »

Ce pauvre imbécile était assis en train de « recoller » son bras et pleurer sa mère au lieu de fuir, c’en était presque ridicule. Il forçait comme un âne sur sa chair sectionnée dans l’espoir que par miracle son membre se rattache. Quel naïf ! Il avait une chance de s’en sortir vivant et voilà qu’il la gaspillait dans une activité inutile et insensée. Et suppliait celle qui l’avait engendré ne l’aiderait pas, il devait bien le comprendre, ou soit c’était le dernier des abrutis ! Warda marcha lentement, discrètement, sa victime était à portée de lame, lorsque soudainement, il marcha sur une brindille qui se brisa et qui provoqua un petit bruit, mais pas assez pour passer inaperçu dans l’oreille du garçon. Lorsqu’il se retourna, il vit le monstre qui avait massacré ses compagnons, une créature noir au cheveux blanc et pourpres. Il eut juste le temps de se décaler que la lourde lame s’abattit sur lui. Au lieu de frapper un point vitale, Algazalm emporta le deuxième bras. L’adolescent se plia de douleur et hurla de toutes ses tripes, mais sa terreur et sa peur lui conférèrent des ailes, et il prit la fuite à travers les arbres. 

_ Sale mioche ! Hurla l’elfe noir. Je t’aurais !

Il se mit à poursuivre sa proie, avec ardeur et rage. Il avait perdu de vue le garçon, mais étant manchot, il n’avait plus beaucoup de choix dans les sentiers qu’il prendrait. Il continua sa course folle, traquant la moindre piste, une tache de sang, des traces de pas, des feuilles piétinées, tout en sprintant comme un loup, et il traquait un lièvre sans défense. Il finit par le voir au bout d’un demi kilomètre, il courait toujours, paniqué et complètement affolé. Il gigotait ridiculement ses deux os sectionnés comme s' il n’avait jamais perdu ses bras. Il bondissait, il sautait, il avançait à vive allure dans sa fuite à la survie, tout en pleurant de douleur et de terreur. 

_ Maman ! Maman ! Maman ! Maman ! Maman ! Ma...

_La ferme ! Cria l’elfe noir. La ferme ! Je vais t’avoir ! Je vais te tuer !

_ Maman ! Maman ! Maman ! Maman !

_Je vais te tuer !

Une surélévation vint à barrer la route du jeune homme, et privé de ses bras, il ne pouvait la grimper. Mais il n’y avait nul autre route, sinon celle où le démon l’attendait pour le hacher avec cette épée gigantesque. Alors, il se surpassa et grimpa avec seulement ses deux jambes et tenta de se retenir avec les moignons. Il parvint à gravir l’obstacle incroyablement vite pour quelqu' un qui venait de se faire couper les deux bras juste avant. L’elfe noir arriva à son tour à la petite montée, rangea son arme dans son dos et monta à son tour, avec beaucoup plus de rapidité que sa proie. Le trouillard continuait de fuir une mort inévitable dont tous ses efforts ne faisait que retarder les choses. 


Son hémoglobine laissait des traces noires sur les branchages et les feuilles qui se léchaient sur ses plaies, qui se jouissaient de faire souffrir le jeune homme. Bien qu’il soit très rapide, Warda gagnait peu à peu du terrain, à l’aide de grandes foulées. Le pourchassé prit un virage à droite, sautant comme une gazelle, et l’elfe fit de même, comme un lion. Un ruisseau vint leur barrer la route, mais ce ne fut pas un grand obstacle, car ils le survolèrent l’un après l’autre. Le gamin pleurait à chaudes larmes, la morve et le sang s’étaient accumulés sur son menton, il reniflait péniblement, il s’étouffait, il était à bout de forces. Mais savoir qu’un grand danger mortel était sur ses pas lui conféra un pouvoir immense et il continuait malgré sa fatigue physique. Il braillait:

_ Maman ! J’ai peur ! Je vais mourir ! Je vais mourir ! Maman !

_ Tu vas mourir ! Cesse de fuir espèce de lâche !

_ Au secours ! Je vais mourir ! Au secours !

_ Viens là ! Viens là !

_ Maman ! 

Alors que Warda l’avait presque à porté de main, son fugitif reprit de l’avance en exécutant un virage à gauche, et franchissant un tronc d’un bond rapide. L’elfe noir le suivit mais tout le terrain qu’il avait si durement acquit s’était envolé et tout était à recommencer. La prochaine fois, il devait l’attraper, le chemin n’était plus très loin. Warda accéléra son allure, dépassant ses limites connues, et courut tellement vite qu’il était de nouveau à deux doigts du brigand. « Je l’ai ! » Se dit l’elfe noir en tendant ses doigts d’acier vers le jeune homme, comme des griffes qui allaient attraper et déchiqueter sa petite proie. Mais un miracle sauva l’homme, un miracle totalement inattendu, dont personne ne s’était douté. Alors qu’il allait refermer sa poigne sur sa victime, une racine qui formait un arc de cercle au-dessus de la terre fut le piège qui se referma sur le pied de Warda, et le fit effondrer. Lors de sa chute, il se cogna de plein fouet contre une autre racine malveillante, qui le fit saigner abondamment le nez. Il ne pouvait plus bouger, la douleur et l’épuisement l’avaient totalement paralysé. 

Son dernier espoir s’était envolé, au détour des arbres, une charrette qui convoitait du vin passait sans se douter de rien, le marchand fumait paisiblement sa pipe.


Alors qu’il se grattait le dos, il crut voir de mouvement parmi les arbres. C’était certainement les effets secondaires de cette herbe. Il était richement habillé, fraîchement rasé, et il portait une certaine panoplie de bijoux. Mais sa véritable passion était de fumer la pipe. Il regarda son fils aîné, qui lui aussi fumait la pipe, et lui dit:

_ Comment va la compagnie ? 

_ Bien père ! Derik a encore vomi !

_ Il est encore un bébé, c’est normal qu’il vomisse. Lorsque j’avais son âge, je repeignais toutes les pièces de la maison ! D’ailleurs, tu n’y as pas échappé non plus.

_ Et moi j’ai vomis quand j’étais petit ? Demanda un très jeune garçon aux cheveux châtains. 

_ Toi, mon garçon, tu es le seul à ne pas nous avoir fait nettoyer toutes les deux minutes ! C’est pour cela que nous t’avons nommé Galcé, le nom que portait le plus discipliné et le plus propre des chevaliers étalens. 

_ Père ! Interrompit l’aîné en lâchant sa pipe et en montrant du doigt un homme manchot qui courait comme un dératé au travers du chemin.

L’homme était blanc comme de la soie, les deux bras complètements coupés, il pleurait et sanglotait tellement que le bébé se mit lui aussi à brailler. Il était envahi de convulsions, son regard était vague et fou, il ne cessait de répéter en hurlant comme un dément:

_On va me tuer ! Au secours ! On va me tuer !

En voyant l’individu démembré, qui répandait son peu de sang sur la route, le marchand de vin arrêta les chevaux d’un coup sec sur les rênes, laissa tomber sa pipe de sa bouche et dit lentement:

_Mon Dieu, quelle horreur !

Alors que l’inconnu était presque à leur niveau, les deux frères descendirent de la charrette et partirent à sa rencontre, tous deux armés d’une lance. Le père ne pouvait bouger, figé par la stupéfaction. Il était comme hypnotisé par les deux bras absents de l’homme. L’aîné attrapa l’homme par le moignon, et tenta de la calmer. Mais le fou continua de courir, affolé et terrifié par une vision cauchemardesque. Le cadet le stoppa en lui barrant le chemin avec son arme et lui demanda ce qui se passait.

_ Fuyez ! Il y a un elfe noir ! Un démon !

Sur ces mots, le convoyeur cru s’étrangler. C’était impossible, pas ici ! Les Croisés avaient depuis longtemps protégé cette route de toute vermine et engeance, comment un elfe noir aurait put arriver ici ?  L’Église l’aurait forcément trouvé si un monstre habitait dans les environs. Mais pourtant, en face d’eux, ils avaient un homme dépourvu de bras qui hurlait de terreur et affirmait la présence d’une de ces créatures. Il prit une décision rapide, si rapide que lui-même ne s’était pas aperçu qu’il donnait des ordres.

_ Les garçons, en selles !

_ Et lui ? Fit le cadet qui voyait s’enfuir le manchot. 

L’aîné avait parfaitement compris ce que son père voulait dire, il saisit sa fronde et l’envoya sur la tête du pauvre malheureux. Le père descendit et ramassa le corps de l’estropié avec son fils, et le montèrent sur la selle d’un des chevaux de trait. Ensuite le marchand monta dans la charrette, saisit le bébé et sauta sur l’autre monture.

_ Montez Annette ! Vite ! 

Les deux garçons grimpèrent avec le blessé et se détachèrent de la charrette. L’aîné se tourna vers le père et dit:

_ Et le vin ? 

_ Au diable le vin, galopez !

_ On abandonne le vin ?

_ Obéis ! Galopez !

Les deux frères frappèrent les flancs du cheval qui hennit et partit au triple galop, suivi de leur paternel qui tenait Derik contre son torse. Lorsque le cadet se retourna, derrière eux un monstre terrifiant à la peau noir et à la chevelure blanche les poursuivait, il hurlait et chargeait comme un taureau. Dans son dos il tenait une arme immense, il ne pouvait pas savoir si c’était une grosse hallebarde difforme ou une lame gigantesque, mais elle était terrifiante, tout comme son porteur. Mais surtout, il avait plongé son regard dans celui du monstre, un regard rouge empli de haine et de soif de sang. Il se retint de crier, mais il eut un bref hoquet et ordonna à son frère:

_ Plus vite Denak ! Plus vite !

_Je fais que ça ! Je fais que ça !

Au bout d’une centaine de mètres, le démon abandonna et ils purent le semer. Le vieil homme qui tenait le bébé fermement dans ses bras le consola et lui dit:

_ C’est fini, Derik, c’est fini.


Alors que les chevaux disparaissaient au loin, Warda était exténué, épuisé, à bout de force, et il avait le goût amer de la défaite. Sa dernière chance s’était échappé, il avait déjà perdu le jeune brigand dès l’instant même où la racine l’avait fait tomber. Si il avait la peau d’un homme, il serait blanc comme un linge, mais sa pigmentation restait noire nuit, recouverte de tâche pourpre et noire. Le sang sur lui avait déjà coagulé, il était maintenant gluant et visqueux, et l’odeur de la mort envahissait déjà ses narines. C’était fini ! Tout était fini, il ne restait plus que cet homme là ! Il lui avait tranché les bras, poursuivi mais le destin semblait être en travers de son chemin. Il retourna sur ses pas et regarda les inscriptions sur la charrette, écrit en gros et en gras « Bartolf Père et fils. Vins et boissons. ». Il avait été semé par un marchand d’alcool et ses deux enfants, tout son avenir était entre les mains de cet homme. Maintenant que tout espoir était perdu, il n'avait plus le choix. Plus vite il partirait, mieux ce serait. Et le seul endroit où il serait en sécurité, ce serait la Tanière. Mais il ne pouvait laisser Granland derrière lui, même si il était brut et inamical, il ne méritait pas que les Croisés vienne le massacrer alors qu’il n’y était pour rien. Il retourna dans les bois, vers l’est, et marcha un long moment. Chacun de ses pas était plus lourd, la course l’avait achevé après le combat. Il eut une pensée pour les bandits morts devant la mine, mais il n’alla pas pour autant les voir, il n’avait pas le temps. Mais il savait qu’il ne l’oubliera jamais, un affrontement aussi violent ne pouvait être oublié. Ça lui faisait un nouveau tableau de chasse sur les bras, de magnifiques trophées qui lui rappelleront sous forme de cauchemars comment il avait occis sept hommes d’un coup de lame. Peut être même huit, car le plus jeune avait très peu de chances de survivre aux infections qui s’en suivraient de ses blessures. Le sang, c’était la seule chose qu’il avait vu lors du combat, le sang et les corps qui tombaient. Il aurait voulu que les choses se passent autrement, mais il n’avait pas le choix: soit c’était eux, soit c’était lui. Et il s’était juré qu’il vivrait, peu importait les conséquences, peu importait les actes qu’il serait forcé de commettre, il vivrait. Mais malgré tous ses efforts pour se pardonner, la vue du sang qui s’échappait des entrailles brouillait l’esprit de Warda. Des ennemis, des lames, du sang, des cadavres...


Tout cet univers morbide l’empêchait d’être en harmonie avec lui même. Son épée et lui-même avaient déjà goûté le sang des hommes, et aujourd’hui, elle avait recommencé. « Je suis un Algazalm, je suis un pourfendeur d’acier. Je ne suis qu’un monstre ! » se disait-il en marchand désespérément, le regard dans le vide, le remords dans le cœur. Il était un tueur, rien de plus qu’un horrible tueur. Il marcha encore un moment avant de pénétrer dans le territoire de Granland, et à l’entrée de ses terres il avait déposé les os de tous ceux qui avaient osé braver sa colère. Il devait trouver un moyen de calmer le loup s' il le voyait, car il savait qu’il n’avait pas du tout l’air d’être en train de chasser. Il continua sa route vers le repaire du canin géant. Exténué par tous les événements de la journée, Warda ne put avancer plus et s’arrêta pour reprendre son souffle. Il avait mal dans tout le corps, aussi bien aux muscles qu’aux os. Sa respiration était saccadée, ses membres flageolaient, il avait des palpitations dans tout son organisme. « Les effets de la descente d’adrénaline. » se dit Warda, il n’avait presque pas senti son cœur battre durant le combat et la course poursuite, mais maintenant qu’il n’était plus dans le feu de l’action, il avait un tambour qui résonnait dans sa cage thoracique. Il avait l’impression que sa tête allait exploser. Il tenta de respirer plus lentement, mais il n’y arriva pas, son corps ne lui obéissait plus. La seule chose à faire était de se reposer pendant quelques minutes, il ne pouvait pas aller contre la volonté de sa propre enveloppe charnelle. « Inspire, expire, inspire, expire... » se disait t-il pour forcer son souffle à suivre un rythme, mais en vain, ses poumons s’emplissaient et se vidaient de façon chaotique. Il n’était pas seulement vidé de toute sa force physique, mais aussi mentale.


Les souvenirs récents des cadavres lui jaillirent de la tête, il se souvint de la bouillie de tête du chef des bandits. Et alors, à son grand soulagement, il vomit. Il se plia et une nouvelle convulsion gastrique vint le marteler. Une nouvelle vague de sucs de l’estomac sorti de sa bouche, avec son repas d’hier soir. Il était suant, transpirant, la chaleur était de plus en plus intense. Il cracha de nouveau le contenu de ses tripes, et encore, et encore, jusqu’à ce qu’il n’est plus rien dans le ventre. C’était comme un coup de massue sur son estomac, le choc mental d’avoir tué le frappa dans la aine. « Du sang ! Du sang ! Du sang partout ! ». Cette phrase lui revenait tout le temps en tête, il se revoyait encore en train de marteler le crâne du pauvre homme, sa cervelle s’étaler sur son visage, l’hémoglobine l’inonder. Alors qu’il arrivait enfin à se relever malgré ses convulsions, un grognement se faisait derrière lui. Warda se retourna et vit le grand loup noir les babines retroussées, les crocs prêts à transpercer la chaire. 

_ Que fais-tu ici bipède !

_ Nous sommes en dang...

Il avait cru que c’était fini, mais le vomit lui remonta dans la gorge et lui coupa net la parole. En voyant le liquide visqueux s’étaler par terre, le grand loup lui piétina le torse de sa grande patte griffue et hurla:

_ À  quoi tu joues ?! Tu pénètres dans mon territoire sans ma permission et tu gerbes ici juste pour me provoquer ?!

_ Les Croisés...

_Je suis obligé de te supporter depuis toutes ces années dans mon sillage, et en plus je devrais t’être reconnaissant de me voler mon garde manger, de voler ma terre et de salir ma forêt ?! 

_ Les hommes...

_ Vous êtes tous pareils, vous, les hominidés ! Vous vous proclamez êtres supérieurs et vous vous offrez tous les droits ! Vous pouvez chasser, brûler nos tanières, nous massacrer par centaines, nous réduire en charpie et vous moquer des animaux parce qu’ils marchent à quatre pattes ! Décidément, je vous hais tous !

_ Granland écoute moi...

_ Non, toi écoute moi ! J’ai un jour aimé une humaine et je lui ai fait confiance, en échange de mon amour elle m’a tout détruit ! Et toi, toi, tu n’es qu’un usurpateur qui mériterait que je le mange ! Je t’exile de mon territoire maintenant !

_Nous sommes en danger Granland !

_ Tu es en danger ! Désormais tu es seul ! Ne compte plus sur moi pour t’héberger ! Vas-t’en ! Pars le plus loin possible de ma terre ! Si jamais je te croise de nouveau, je n’aurais aucune pitié !

_ Granl...

_ Disparais je t’ai dis ! Tu m’obéi...

_Les Croisés de l’Ordre vont venir !

Lorsque Warda dit ceci, Granland cessa immédiatement ses grognements, gueule bée. Son grand œil s’écarquilla de tout ce qu’il pouvait s’écarquiller et ses dents disparurent sous les babines. Il ne put retenir un gémissement tonitruant qui résonna au travers du bois. Il fixa l’elfe noir qui tentait se fuir la pression de sa grosse patte et lui demanda:

_ Comment est-ce possible ?

_ C’est ce que je m’efforçais de te dire depuis tout à l’heure !

Le grand loup leva ses griffes et laissa Warda se lever. Celui-ci s’assit et raconta toute l’histoire: les brigands, le combat, la fuite du dernier bandit, et son échec pour l’arrêter. L’animal l’écouta attentivement, mais lorsqu’il entendit que « le manchot » avait réussi à fuir, il ne put contenir sa colère et hurla sur Warda.

_ Espèce de crétin ! Tu t’es laissé avoir par une racine ! Une vulgaire petite racine d’arbre ! Maintenant par Ta faute on va devoir abandonner Mon territoire ! Tu te rends seulement compte de tout le travail que j’ai dû faire pour me trouver cet endroit ? J’ai dut repousser les hommes, chasser les braconniers, éliminer les autres prédateurs, défendre ma terre des usurpateurs et voilà que toi, tu débarques de nulle part et tu réduis mes efforts à néants !

_J’ai tenté de l’attraper ! Il m’a échappé !

_ Justement ! Tu as « tenté » de l’attraper ! Tu devais l’attraper !

_ Tu ne mûriras donc jamais Granland ? J’ai donné tout ce que j’ai pu !

_ Alors le maximum de tes efforts est très limité ! Même en courant que sur deux pattes je l’aurais eu, ton sale humain ! C’était comme avec la biche d’hier ! Tu as été incapable !

Warda se résigna, le loup avait entièrement raison, il n’était qu’un incapable ! Même avec toute la volonté de son être, le monde dans lequel il vivait avait toujours raison de lui. Peu importait ses tentatives, il échouait encore et encore ! Il n’avait pas réussi à éviter le combat entre lui et les brigands, il n’avait pas réussi à les épargner, il n’avait pas réussi à rattraper l’homme aux moignons, il n’avait pas réussi à sauver ses parents lorsqu’ils avaient besoin de lui ! Il était pourtant bien plus fort que la moyenne; il avait une arme et armure confectionnées par son père, qui était un grand forgeron; il avait tous les atouts mais il se débrouillait toujours pour faillir lorsque c’était impossible. Il ne méritait certainement pas le sacrifice de sa famille, car malgré tout, il était incroyablement faible face aux épreuves de la vie.  Il se ressaisit tout de fois, il n’avait pas le temps de se plaindre ! Il devait partir au plus vite avec Granland. Le grand loup noir se retourna et lança un regard derrière lui, et rugis:

_ Magnes toi ! Nous n’avons pas de temps à perdre bipède !

_La ferme Granland, tu es toujours aussi immature ! Même si cette femme t’as trahi il y a des années tu n’es pas forcé de te venger sur moi !

_ Toi la ferme ! Tu as oublié avec qui tu es ?

_ Et toi Granland ? Tu as oublié avec qui tu es ?

L’elfe noir sorti sa lame du fourreau, encore tâchée du sang de ses proies. Il ne pouvait plus contenir sa colère, une colère qui s’était accumulée pendant des années, pendant toute une décennie, une rage incontrôlable qui devait sortir d’une manière ou d’une autre.

_ Tu me menaces ? Demanda Granland en montrant ses crocs. 

_ Oui je te menace ! Répondit l’elfe noir. Ça fait dix ans que je me trimballe avec toi, dix ans que je ne te supporte plus ! Tu es toujours de mauvaise humeur, tu es toujours furieux, jamais tu ne pardonnes la moindre erreur ! Tu es insupportable avec ta colère insensée ! Tu m’appelles toujours « le bipède » ou « le nabot » ! Depuis tout ce temps je fais des efforts pour te comprendre, pour que notre relation s’améliore ne serait-ce qu’un tantinet ! J’ai accepté de vivre dehors sous la pluie, de vivre dehors dans le froid, de vivre dans une forêt où il n’y a pas la moindre bestiole en crevant de famine, pendant que toi tu dors dans une tanière confortable, dans une forêt chaude et peuplée, où la nourriture n’est jamais à court. Pourquoi te venges en permanence sur moi ? Pourquoi ? Hein ? Pourquoi ?

Le grand canin le regarda, les crocs toujours en évidence, et se retourna vers l’ouest. Il dit sur un air amusé:

_ Quel joli conte, nabot ! Allez en route !

Il commença à marcher, mais il n’eut que le temps de faire deux pas qu’un reflet métallique le frôla et se planta dans un arbre, dans lequel l’énorme épée avait empalé de toutes parts. Derrière lui, l’elfe noir était animé d’une nouvelle force, pas la force physique qu’il avait déployé contre les gredins, mais une force mentale qui se nourrissait de la colère.

_ Tu n’as toujours pas écouté ! Hurla Warda plein de rage. Pourquoi tu t’obstines à être toujours aussi sourd lorsque je parle ? Je ne te supporte plus ! Toi et ta mauvaise humeur permanente ! J’en ai plus qu’assez ! Tu te crois fort uniquement parce que tu aboies plus fort que moi ! Mais ça suffit ! Ça suffit ! Garde la, ta sale terre et ton maudit territoire ! Garde la, ta foutue forêt ! Garde le, ton fichu caractère ! Au moment où il faudrait que nous soyons unis, tu décides encore de me traîner plus bas que terre ! Quant est-ce que tu vas arrêter ta tragédie ? Quand est-ce qu'on pourrait espérer que tu vas arrêter de te plaindre, d’aboyer que ta chaman t’a quitté et qu’elle t’a trahi ? Tu vas continuer longtemps ? Si tu n’étais pas têtu tu aurais compris qu’elle n’était pas faite pour la vie des Loups, et elle ne t’aurait jamais envoyé les Croisés pour se débarrasser de toi ! Tu sais pourquoi elle t’a abandonné ? Parce que tu n’es jamais content ! Jamais tu n’as été capable de dire « merci » ou soit « bien joué » ! Elle t’a quitté parce que tu n’es qu’un gros cabot sauvage dégénéré !

_ Tu veux te battre encore ? Hurla le fauve enragé. C’est ça, tu veux te faire tuer ? Allez, prend ton arme ! Sans elle tu n’es qu’un bout de viande apeurée !

Warda était en colère, à un moment où prendre la fuite était la première priorité, ce sale chien continuait de le provoquer. Plongé dans la haine la plus solide, il s’enleva les gantelets, les bottes, le plastron, ses épaulières, la chemise, et le pantalon. Il jeta toutes ses affaires autour de lui et hurla:

_ Voilà, c’est ça que tu veux ? Un combat à la loyal ? Voilà, je n’ai plus d’arme, plus d’armure, plus rien, je ne suis qu’un vulgaire bout de viande apeurée ! Allez ! Approche ! Mange moi ! 

_ Tu es ridicule ! Je vais te réduire en charpie crétin ! Renfile tes affaires, j’en ai plus qu’assez de voir ton membre rachitique. 

_ Quoi ? Cria l’elfe noir. Avant, je me faisais tout petit et au moindre dérapage tu m’aurais avalé tout cru, et maintenant que je te provoque en duel au corps à corps tu fuis ? C’est bien ce que je disais, tu n’es qu’un gros cabot dégénéré, et lâche !

_De quoi as-tu as osé me traiter ? Grogna Granland. Je vais te croquer !

_Qu’est ce que tu attend alors ? Demanda Warda en le provoquant. Croques moi tout cru ! Croques moi tout nu ! Ne me dis pas que je suis aussi bourré de saloperies, tu sais de quoi je me nourris ici ! Je suis bourré de nutriments, je serai un excellent festin ! Allez ! Mange moi !

Le loup grogna, rugit, vociféra et menaça de ses dents, mais la détermination de l’elfe noir était inébranlable, il était prêt à en découdre. Finalement, Granland abandonna les mots et hérissa tous les poils de son corps, tel un porc-épic. Il bavait et sa gueule était grande ouverte, son grognement était plus tonitruant que jamais, il s’appuya sur ses pattes arrières et se lança. Warda esquiva la morsure en passant par-dessous le ventre de l’animal. Il grimpa ensuite sur le dos de son adversaire et martela le crâne de toutes ses forces. Le loup ne se laissa pas faire aussi facilement et commença à ruer, à rugir et hurler si fort que les feuilles tremblaient. 

_ Crèves sale bipède ! Fit-il en se cabrant.

Ensuite le loup se mit à courir dans toutes les directions, tentant d’éjecter l’elfe. Il donna plusieurs coups de postérieur, mais Warda s’accrocha au poil de son opposant et retira une certaine satisfaction de faire souffrir la bête. 

_Tu l’auras voulu morveux ! Fit Granland en se balançant contre un tronc. 

La jambe se coinça entre le corps massif du loup et l’écorce solide du pin, et Warda poussa un grand hurlement avant de s’effondrer. Dans sa chute, il s’affaissa par terre, le dos douloureux. Lorsqu’il se releva, il avait la gueule fumante remplie de dents qui était à deux centimètres de son visage. Il recula vivement et Granland referma sa grande bouche d’un coup sec. L’elfe noir profita de cette ouverture dans la défense de la bête et encercla de ses bras le museau puis scella la mâchoire. La brute de Granland tenta de se délivrer, mais rien à faire, il était toujours coincé. Il balança sa tête à droite, à gauche, dessus, dessous, mais Warda était toujours accroché fermement. Alors le loup se mit à courir au travers des bois, cherchant des obstacles contre lesquels cogner le petit vantard. Il chercha d’abord à le fracasser contre un cèdre, l’elfe noir bondit et se retrouva sur la tête du loup.

_Dmégage tmes chales mniches de mlà ! Hurla Ganland furieux qui n’avait pas la plus belle vue que l’on puisse avoir.

Warda ne l’écoutait pas, il était concentré sur la manière d’en finir rapidement. Il n’y avait qu’une seule possibilité. Il se pencha et focalisa tout son poids sur la gauche de la tête. L’animal pour ne pas tomber dû se plier à la volonté de l’elfe. Ce petit jeu avait déjà assez duré, il était temps de tout arrêter. Warda lança:

_Tu avais pris ton bain ce matin ?

Le loup surpris par les propos lança un grognement en réponse.

_ C’est bien ce qu’il me semblait ! Fit l’elfe. Allez, bonne 

baignade !

À ce moment précis, l’elfe sombre lâcha prise et sauta en arrière, et atterrit derrière Granland qui se retourna à son tour, mais emporté par sa vitesse et son poids, il glissa juste assez pour tomber depuis une petite falaise dans un lac profond qui était alimenté par une cascade. Il poussa un hurlement d’effroi et disparut dans le trou. Quatre secondes plus tard, il s’en suivit un « plouf ! » monumental, digne de ce nom. Warda regarda pendant quelques instants son œuvre en avançant au bord du précipice. Son adversaire était à la surface, ses grands poils flottaient à la surface comme de longs filaments d’algues, il nageait comme un petit chien pour essayer de regagner la rive. Granland leva la tête vers le vainqueur et lança:

_Tu me le payeras ! Tu me le payeras ! Sale bipède !

Sur ces mots, L’elfe nu se mit à rire et s’en alla récupérer ses affaires, laissant le chien dans son bain. 


En resserrant les dernières lanières de son plastron, l’elfe noir vu le grand loup noir venir, encore trempé jusqu’aux os. Il avait l’air déjà beaucoup moins impressionnant avec toute cette fourrure mouillée. 

_ Elle était bonne ? Lança Warda qui ricanait encore.

_La ferme ! Elle était froide ! On a plus de temps à perdre en plaisanteries ! Dépêche-toi !

Le guerrier sombre se releva et rengaina son arme, mais il ne pouvait s’empêcher de rire du drôle de spectacle de tout à l’heure. Ils commencèrent à marcher, puis ils se mirent à courir, et continuèrent leur long trajet jusqu’à la Tanière au pas de course. Il fallait espérer que les Croisés ne les pistaient pas encore. 


Galro était dans une pièce sombre, froide, avec des murs de toutes parts, et une immense étoile ornée de symboles incompréhensibles était gravée sur le sol, et à chacune de ses pointes il y avait une statue d’homme en capuchon qui baissait la tête. « Où suis-je ? » se demanda le paladin. Il regarda tout autour de lui, il n’y avait pas de porte, il était piégé à l’intérieur de cette chambre. Il continua son inspection, encore un long moment. Tout était si sombre, mais à la fois si beau. Les murs étaient gravés de glyphes anciens et de représentations historiques. Il reconnut des numéros au-dessus de chaque tableau, mais il n’arrivait pas à déchiffrer les écrits qui les commentaient. Il s’approcha du premier, celui-ci représentait la guerre entre les orques et les elfes lors de l’ancien temps. Les deux camps étaient face à face, les deux armées tendaient des lances gigantesques, les deux races hurlaient de rage. Le second montra un grand orque qui était aux genoux d’un elfe, et il déposa des armes comme des offrandes. Le troisième acte montrait des bateaux rempli par la race vaincue, et ainsi de suite l’histoire de l’ancien temps fut conté à travers différents tableaux, tel l’invasion des orques du nouveau monde, la métamorphose des elfes par Raldir, leur victoire écrasante, la guerre des Conseils, la chute du roi, et même l’épisode racontée par l’homme à la capuche noir il y a vingt ans. Mais le plus étonnant fut la suite, car au numéro vingt-cinq, le roi elfe était représenté recroquevillé sur lui-même. Il était seul, pas le moindre sujet, la seule personne a être resté était une femme elfe, elle aussi transformée. À la vingt-sixième représentation, le souverain leva la tête vers son épouse, et une étoile brillait au-dessus d’elle. Pas n’importe quelle étoile, l’étoile de la Lumière, la représentation la plus symbolique de la luminosité suprême et de l’espoir, la lumière divine capable de sauver des ténèbres toutes vies. Lors de la gravure suivante, cette même femme était enceinte et le roi elfe faisait forger par ses derniers serviteurs une nouvelle arme: un sabre. Cette lame était assez sobre, il n’y avait pas de décorations superflues, mais surtout, à la base de l’acier tranchant, il y avait un glyphe particulièrement étrange, c’était certainement une lettre qui était la fusion de deux mots, car il reconnaissait la forme de « Zan » qui signifie le vent, mais la deuxième rune lui était inconnue. Lorsque l’enfant naquit, le père retrouva tout espoir, car la Lumière venait de naître...

_Sire Galro !

Le paladin se réveilla en sursaut, saisit le pommeau de son épée, mais ce n’était que le général Tilbar. Le camp tout autour de lui était en train de se lever, les feux de camp étaient éteints, les soldats étaient prêts à repartir en route. Ils étaient dans une espèce de savane depuis prêt de deux jours, et toujours pas la moindre trace de ces maudits loups. Le paladin était épuisé par le trajet, et les maigres nuits de repos ne lui suffisait pas à recouvrer son énergie. 

_ Bien dormi, monsieur le Paladin ? Demanda le chasseur d'un air moqueur. 

Celui-ci fumait une pipe, épiant l'horizon. L'odeur âcre des cendres râpait toujours les poumons. Nul ne connaissait encore les motivations du pisteur pour avoir provoqué un tel incendie, mais maintenant, Galro en était certains, ils avaient été repérés. Tilbar offrit une gourde de vin à son maître, en lui susurrant :

_ Ce type ne m'inspire guère. 

_ Il a l'air de savoir ce qu'il fait Tilbar, rétorqua le paladin à peine réveillé.

_ Peut être, répondit son subordonné, mais nous, nous ne savons pas ce qu'il mijote. Tu es en sueur, ça va ?

_ Oui ! Répondit l'inquisiteur en se levant. Nous devons reprendre la route. Faites réveiller notre troupe, nous avons encore du chemin à parcourir. 

Inquiet, mais comprenant que son compagnon souhaitait conserver ses secrets, Tilbar s'exécuta, et sonna le départ chez les Croisés de l'Ordre. Le chasseur sifflotait au gré du vent, commentant la douce odeur de cendre. Galro avait en horreur ce sifflement hautain, combien de temps devait-il encore accepter les exactions de ce braconnier ?



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