La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre
Chapitre 12: Le Chasseur
Lorsque Galro ouvrit les yeux, il n’eut pas le temps de se dire « Tiens, je vais me lever. » qu’un ignoble mal de crâne le saisit. Il avait souvent entendu l’expression d’avoir « une face de statue » et enfin il comprenait pourquoi. Lorsque l’on abuse de l’alcool, on sent sa figure aussi rigide que de la pierre et tout endolori par une douleur indescriptible sous les cheveux. Il devait arrêter d’abuser de la compagnie de la bière et du vin, sinon il ne ferait pas de vieux os avec tous ces maux de tête. Il se retourna vers son général, il ronflait encore, étalé de toute sa longueur sur le tapis écarlate. « Il doit faire de beaux rêves, celui-là ! » se dit le paladin. Il s’habilla et enfila son armure de parade.
Durant toutes ces années d’apprentissage, on lui avait enseigné comment être distingué et être respecté « Tout commence par la tenue ! » lui avait souvent répété son professeur. Dorénavant qu’il était un chevalier de la lumière, il ne pouvait se permettre de s’habiller comme un vulgaire vilain. Il appartenait à la noblesse, et s' il voulait qu’il soit respecté tel quel, il devait premièrement être impeccable sur soi. Il se coiffa devant son miroir, lissant ses longs cheveux bruns qui descendaient sur ses épaules carrées. Il fit une brève inspection de sa barbe, car selon la volonté de la mode, elle ne devait être ni trop grande, ni trop petite. Elle était parfaite, elle partait de sa moustache et de ses pattes, pour revenir au menton, et tout en lui donnant un air sage, il avait néanmoins les traits de la jeunesse.
Il s’étira et marcha jusqu’à la porte. Quand il l’ouvrit, le serviteur de la nuit dernière était posté devant comme s' il attendait un ordre.
_Tu es là toi ? Fit le chevalier surpris. Soit, puisque tu tiens tant à me servir, va me chercher mon petit déjeuner. Je meure de faim, et je sais que Dieu dans sa miséricorde sans limite me procurera des vivres.
L’homme partit sur le champ, courant jusqu’aux cuisines. Cela faisait belle lurette qu’il n’avait pas vu de serviteur aussi dévoué à leur maître. Alors qu’il avait disparu dans les couloirs du temple, le paladin se massa le front et songea que se rafraîchir le visage avec une eau bien froide ne lui ferait pas de mal. Mais voilà, il venait juste d’envoyer cet homme préparer son repas du matin. Il avait été stupide sur ce coup, il se nota mentalement que la prochaine fois il réfléchirait au moins deux fois avant de donner un ordre.
Il restait un fond de vin dans la bouteille posée au centre de la table. « Non Galro ! Ce n’est pas raisonnable ! Tu as déjà suffisamment mal aux cheveux pour comprendre que boire plus ne t’aidera pas ! » Mais la tentation était si forte. Le goût fruité et son arôme exceptionnel l’appelait, le vin lui murmurait « Pose moi sur tes lèvres, laisse moi entrer en toi ! Consomme moi ! ». La soirée dernière l’avait décidément rendu dépendant à l’alcool. Fallait qu’il trouve une solution pour résister à cette épreuve que Dieu lui imposait. Il marcha jusqu’à la fenêtre et l’ouvrit.
La vue était splendide, il pouvait voir les agriculteurs de la cour dans leurs activités habituelles, les poules qui caquettaient, les chèvres qui bêlaient, les chiens qui aboyaient... Et cet air pur, c’était si bon. Mais la présence du vin derrière lui envahissait de plus en plus son esprit « Bois moi ! » qu’il disait. Il ne supportait plus, finalement il approcha de la table, tendit son bras et...
_ Enfin te voilà ma belle !
Sauvé par Tilbar, qui se sacrifiait, le verre à la main, soulagea Galro d’un fardeau supplémentaire. Le général versa maladroitement le précieux liquide dans le godet de cuivre et avala cul sec. Il poussa un soupir de soulagement et se releva péniblement. Il fixa Galro de son oeil et fit:
_Te revoilà toi ? Que fais-tu dans ma chambre ?
Il avait oublié la nuit dernière et tous les derniers événements, ou bien il plaisantait, de sa part tout était possible.
_Non Tilbar, tu es dans mes appartements. Cette pièce est la mienne, tu ne t'en rappelles pas la nuit dernière ? Que tu t’apprêtais à partir puis que tu t’es endormi sur mon tapis.
Le général regarda tout autour de lui, Galro pouvait voir que l’homme semblait complètement perdu. Au bout de trois minutes, il fit:
_ Peut-être. Je ne sais plus.
_ Je t’invite à partager mon petit déjeuner, acceptes-tu ?
Il s’assit et se massa le crâne longuement. Même lui avait la « face de statue », et pourtant ce n’était pas le genre d’homme à se sentir chaud au bout de trois verres. Il resta ainsi dans cette position longtemps, longtemps, longtemps, tellement longtemps que Galro commença à prendre racine. Et finalement, le général ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il s’arrêta aussitôt. « Allez, répond ! » se hurlait mentalement Galro. Mais son subordonné était obstiné à rester muet. Soudainement, on frappa trois fois à la porte, et le petit serviteur entra avec un plateau rempli de mets plus délicieux les uns que les autres.
_ Je sens que j’ai un petit creux ! Répondit enfin le général.
Galro fit signe au domestique de poser les victuailles sur la table centrale, et le jeune homme obéit de suite, et pendant un bref instant, il avait un léger sourire. Ce n’était pas un de ces simulacre, comme la plupart des gens de sa profession le font, mais un vrai sourire. Que se passait-il dans sa tête ? Est-ce qu’il aime tant que ça, s’exécuter à longueur de journée ? C’en était presque pathétique, un esclave asservi de son plein gré par des ignobles maîtres.
_ Puis-je vous être utile à autre chose messire Galro ?
_ Oui, va me chercher une bassine d’eau fraîche !
_ Oui, messire.
L’homme avait une voix étonnamment jeune, emplie de dynamisme et de bonne humeur. Qu’est-ce qu’il avait ce vilain ? Pourquoi était-il si radieux ? Le garçon disparu derrière la porte, qu’il prit soin de refermer le plus discrètement possible. On pouvait l’entendre courir au pas de course dans les couloirs.
_ Il est motivé ce gars là ! Remarqua également Tilbar. En tout cas, c’est mieux qu’il chantonne lorsqu’il fait notre vaisselle que s'il faisait la gueule. Bon appétit messire !
Le général prit un biscuit qu’il trempa dans un bol de lait chaud. Le paladin s’empara d’un gâteau fourré au miel dans lequel il mordit, les papilles envahies par le goût à la fois sucré et doux. C’était si moelleux qu’il n’avait quasiment pas besoin de forcer sur ses mâchoire pour mâcher le met. Les cuisines de l’Église étaient réputées pour être les meilleures d’Étale, mais elles étaient encore loin de ce que se souvenait Galro lors de son voyage chez les elfes. Il mangea encore un autre gâteau, celui-ci était fourré à la fraise. Un autre torrent de saveur traversa sa bouche, délicat arôme qu’est la vie. Ils continuèrent ainsi à savourer tous ces petits délices, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Les deux compères prirent une serviette qui était disposé à leur intention sur le plateau, se débarrassèrent des miettes qui étaient le plus grand défaut de ces friandises, et ils s’assirent dans les divans face à la cheminée dans laquelle le feu était mort depuis longtemps.
_Bien, commença Galro, nous avions les hommes, le soutien mais il nous manque tout de fois le primordial pour cette mission. Il nous faut des guides, des chasseurs de préférences, des chasseurs locaux. Bien que nous ayons les compétences de guerriers et que nous organisions des parties de chasse, nous n’avions pas la même conception de la chasse que ces hommes là. Bien qu’ils soient hors la loi, ils pourraient nous être utiles, et d’une pierre deux coups, nous sauverons de pauvres femmes d’un terrible sort, mais nous pourrions aussi faire repentir de leurs péchés ces braconniers.
_ Faut bien avouer que tu marque là un joli coup Galro ! Répondit Tilbar. Mais es-tu certains que tu pourra faire repentir ces vilains, qui n’ont que faire de la loi ? Qui n’ont que faire des Lois !
_ Fais moi confiance Tilbar. Nous les persuaderons de se confesser et nous ferons d’eux des honnêtes citoyens.
_ Ma foi, tu peux tenter le coup, mais fait attention, ces types sont de vrais renards ! Ils feront tous les serments du monde à tes genoux, et dès que tu tourneras le dos, ils s’enfuiront et pécheront de nouveaux. Le mieux encore, c’est de faire de ces gredins des moines, les forcer à faire vœux de chasteté et de cloisonnement. Ce serait la meilleure chose à faire ! Ah oui ! N’oublie pas de les forcer à faire vœu de silence, il ne faudrait surtout pas qu’ils traumatisent les autres de par leur vulgarité !
_Ne t’en fait pas cher ami, grâce à toi ils ont déjà l‘habitude, il n’y aura aucun souci, ils seront forcés de respecter leur serment, crois en moi !
Le général se leva et s’adossa contre le bord de la fenêtre. Il poussa un profond soupir et fit:
_ Bon, alors allons les chercher, tes fameux chasseurs !
Lorsqu’ils descendirent, ils croisèrent le jeune serviteur, la bassine d’eau dans ses bras. Le paladin le regarda et se dit « Je l’avais oublié celui-là ! »
_ Messire ...?
_Ce n’est plus la peine, tu es disposé !
_ Mais sire ...
_ Dispose, c’est un ordre !
Les yeux du garçon se remplir de larme, mais se retint d’en laisser tomber une seule, et parti dans les couloirs sombres.
_ Quel boulet ! Fit Tilbar. Ce gamin est vraiment trop serviable, ça en devient encombrant !
Ils continuèrent ainsi leur avancée et atteignirent l’entrée du temple, où un carrosse les attendait. Il était recouvert des symboles de l’Église: les quatre chevaliers, deux anges tenant le Perchoir et le Phénix qui dominait le tout de ses grandes ailes. Deux serviteurs leurs ouvrirent les portes et un autre leur installa les marches devant l’entrée. Le paladin suivi de son général pénétrèrent dans la diligence et lorsque la porte se referma, aussitôt le cocher fouetta les chevaux qui se mirent aussitôt à trotter, laissant à peine le temps à l’homme à l’escabeau de se retirer qui aussitôt se fit écraser les orteils, et hurla de douleur. Tilbar ne manqua pas de faire un commentaire aussitôt:
_ Ça lui apprendra d’être trop lent ! La première qualité des domestiques est la rapidité ! Il le saura pour la prochaine fois !
Ils voyagèrent ainsi pendant une bonne heure ou deux à travers les villages, les champs et petites villes. Ils arrivèrent enfin à la caserne, qui ne manqua pas de faire revivre quelques souvenirs à Galro. Il se revit pendant un bref instant en enfance, apprendre à se battre avec ce fameux capitaine. « C’était le bon vieux temps ! » se dit mentalement le paladin. Mais à présent il allait commander à la phalange. Il regarda à gauche et vit le vieux chêne sous lequel ils s’étaient séparés pour la première fois, et sous lequel ils se séparèrent pendant vingt ans.
_ Galro ! Fit le général. On y va ?
Le carrosse s’était arrêté, et deux militaires leur avaient mis un petit escalier devant la porte de la calèche.
_ Oui, on y va ! Répondit Galro.
Quant ils descendirent, les soldats étaient en rangs serrés, les lances en l’air, et un tambourin commença à jouer l’hymne de l’armée. Les deux compagnons traversèrent la haie d’honneur et atteignirent la porte principal du bâtiment central. « Il y a du bon à être paladin ! » se dit Galro. Quant il était un enfant, ces mêmes hommes lui aurait craché à la face, mais maintenant qu’il était un haut gradé, plus personne ne s’amuserait à lui faire ne serait-ce la moindre remarque. Et si un soldat peu discipliné tentait de porter tord au paladin, les autres écraseraient leur compagnon et le tailleraient en pièces. Deux hommes leurs ouvrirent l’entrée et un viel homme, tout de fois robuste, se présenta du salut militaire.
_Valrikhan, colonel du neuvième régiment d’infanterie, à vos ordres !
_ Repos soldat ! Dit Galro. Nous sommes en mission et réquisitionnons les hommes de votre caserne. J'ai besoin de cinquante soldats robustes et téméraires.
_ Juste là, veuillez me suivre paladin Galro.
Ils traversèrent un petit couloir sombre, éclairé par de minuscule torches, et dans une grande salle, cinquante hommes de bonne constitution étaient assis à jouer aux cartes. Mais lorsque la porte s’ouvrit et qu’ils aperçurent le chevalier de l’Ordre, ils se levèrent brusquement, au garde à vous, raides comme des piquets. Le général s’avança vers un d’entre eux, et il devait bien mesurer un mètres quatre-vingt au moins. Mais malgré la taille imposante de ce soldat, le général haut de son mètre soixante le dominait de sa force mental, écrasant le monde qui l’entourait. Les pouvoirs du psychisme étaient incroyablement puissants. Son œil se tourna vers le colonel, et remarqua:
_ Vous les avez bien discipliné vos hommes ! Toi, le géant, quel est ton nom et ton rang ?
_Raalin, sergent neuvième régiment d’infanterie, à vos ordres général !
La voix était incroyablement fluette pour un homme de ces proportions, c’en était presque ridicule. Mais tout de fois, il ne valait mieux pas se fier à sa voix pour comprendre que ses muscles écraseraient le plus solide des crânes. Le général se tira la barbe avec l’index, le majeur et le pouce, d’un air pensif, et ausculta un autre soldat, plus petit, mais au regard plus vif.
_ Nom et grade ?
_ Brindal, archer sous officier neuvième régiment d’infanterie, à vos ordres général !
_Je me disais aussi que tu étais le genre d’homme à préférer l’arc à l’épée. Et toi, le nabot ! Nom et grade ?
_Galin, officier du neuvième régiment d’infanterie, à vos ordres général !
_ Bien, bien, nous avions là de beaux spécimens ! Quel est ton nom et ton grade ?
_Gwador, sergent chef du neuvième régiment d’infanterie, à vos ordres général !
_ Bon, je pense qu’ils sont fiables pour cette mission, paladin. Me donnez-vous l’autorisation de leur faire un bref briefing ?
C’était la première fois que Tilbar ne disais pas « Tu » ou un « vous » moqueur, mais un véritable vouvoiement que doit tout subordonné à son supérieur. Ceci amusa Galro de voir son ancien professeur s'écraser sous son autorité.
_ Vous êtes autorisé général Tilbar.
Alors, le général demanda à ce que l’on lui amène une carte de l’Etale dans les plus brefs délais, ce qui ne tarda pas en effet. Il la déplia sur une grande table et fit venir les plus hauts gradés du régiment. Il leur désigna l’endroit où devait se passer la mission d’après les dires du paladin, et leur donna les raisons et les objectifs de ce future combat. Ce n’était pas une escarmouche ordinaire, et Tilbar ne manqua pas de le faire comprendre aux soldats. Il n’était pas seulement question de vaincre un ennemi, ou de partir à la chasse aux orques, mais de sauver des femmes de bêtes féroces et ils avaient pour devoir de les faire repentir de leurs péchés. Il fallait agir avec délicatesse et tact, éviter de faire le moindre mal aux prisonnières. L’objectif était représenté sur la carte par une croix noire, placée au nord du pays. Bien que ce soit encore imprécis, le général rassura les troupes en les informant de l’intention de Galro d’engager des chasseurs du coin pour débusquer les monstres
_De mon côté, afin de vous soutenir, j’apporterais ma contribution d’hommes avec quarante hommes de plus. Bien qu’il soit possible d’avoir plus d’effectifs, nous préférons l’efficacité au nombre. Pendant que le paladin Galro vous guidera, je guiderai mes propres hommes. Je sais que pour beaucoup d’entre vous cette mission est ostentatoire par rapport à nos problèmes actuels, car de cette victoire nous ne retirons ni territoires, ni or, ni gloire. Mais, Dieu nous en sera reconnaissant, ainsi que ces pauvres femmes, car n’oubliez jamais, nous ne sommes pas un ordre militaire quelconque, nous sommes l’armée du Divin souverain. Nos combats n’ont pas seulement pour but de contribuer à la puissance du pays, mais également à apporter la parole de Dieu à travers le monde ! N’oubliez pas lors de ce combat que vous ne luttez avec pas moins d’honneur qu’un autre guerrier, que votre cause est aussi louable que n’importe quelle autre cause ! Je vous demande de vous battre avec autant de ferveur que lors des grandes batailles ! Vous ne serez pas entraînés à combattre ce genre de bêtes, aussi je vous demanderai d'être vigilants, ce sont des loups haut de deux mètres au moins. Sur le chemin, moi et le paladin Galro allons recruter les guides qui nous mèneront à la tanière. Repos !
Les combattants firent un bref salut militaire et partirent dans le clos, à la rencontre de Valrikhan. Une bonne chose de faite, mais à présent il fallait trouver ces fameux « guides ». Ils avaient les guerriers, mais sans ces chasseurs, trouver leur ennemi serait aussi facile que de chercher un cure dent dans un tas de copeau de bois. Et pour trouver ces hommes, il n’y avait pas trente-six solutions, ils devaient aller les chercher au nord, aussi proche de l’objectif que possible. Donc à peine avaient-ils fini de faire ce bref briefing qu’ils repartirent dans la foulée. « Est-ce une si bonne solution que de demander de l’aide à des braconniers ? » se dit le paladin sur la route.
Le voyage avait duré trois longs jours, ils avaient dû faire des pauses sur le chemin, entre autres pour les chevaux, entre autres pour les hommes. Mais ils y arrivèrent quand même, ils se retrouvèrent à Gadmindray, un village aux abords de la forêt à peine défrichée, mais aux tavernes abondantes. C’était sûrement là qu’ils allaient trouver leurs hommes. Ils arrêtèrent le carrosse et descendirent, les deux pieds dans la boue, car même si le soleil était haut dans le ciel, l’air était humide et froid. Quand les gens les aperçurent, ils ne purent s’empêcher de faire circuler la rumeur à la vitesse de l’éclair et bientôt tous les vilains du village avaient quitté leur précieux comptoir pour admirer « le paladin ». « Au moins, ça nous facilitera la tâche. » se dit Galro alors qu’il marchait. Il n’y avait qu’à espérer qu’il ne tomberait pas sur de trop gros poivrots pour sa mission, il fallait être d’une extrême lucidité et la moindre erreur ne serait pardonnée. Il regarda les miséreux et lança:
_Je suis le paladin Galro, des Croisés de l’Ordre, et je cherche un groupe de braconniers qui seraient de la région ...
_ Il n’y a pas de braconnier dans le coin ! Cria une vieille femme aussi véreuse que pourrait l’être le plus moche des crapauds.
_ Personne ne chasse, promis mon seigneur, nous ne savons même pas comment utiliser un arc ! Hurla un homme barbu, dont sa pilosité était infestée de restes de nourritures et de vermines.
_ Faffer est une actifité réverfée aux feigneurs, remarqua un homme à qui il manquait visiblement un bonne partie de ses dents. Nous vautres ne fommes que de mivréreux fillavois fans or ni obvets de faleurs.
_ Le houblon est notre seule distraction messire le paladin, cria un homme crasseux qui tenait une chope de bière dans sa main droite et qui tenait de l’autre une poutre pour ne pas s’effondrer.
_ Et le Graïnbar ! Fit remarquer un autre tout aussi répugnant.
_ Et le Graïnbar ! Chantèrent en choeur tout un groupe d’ivrognes.
« Est-ce une si bonne idée de demander de l’aide à ce village ? » se demanda mentalement Galro. Ils étaient tous aussi alcooliques les uns que les autres ! Même la plupart des enfants avaient déjà le nez rouge et des pustules qui leurs poussaient, et les femmes cachaient leur boisson sous leur grand manteau. C’était pittoresque ! Et le seigneur, que faisait-il de tout cela, les avaient-ils laissé à l’abandon, dans l’errance la plus morne et inutile qui soit ? Et le maire, que faisait-il contre ça ? Il aurait pu informer le maître de ces terres que ses habitants se gavaient d’alcool, et pas des plus sains, à longueur de journée ! Il n’avait que très peu de chance de trouver des guides qui ne se perdraient pas en forêt. « Tant pis, j’irais chercher les chasseurs seigneuriaux pour m’aider ! » se dit-il, en espérant qu’il y avait seigneur dans la région. Il se dirigea vers le carrosse pour repartir de ce village qui sentait la bouse et la bière infecte.
Tandis qu'il s’apprêtait à partir avec son escorte, un homme de grande taille, muni d'une cape tachetée et d'une capuche moisie s'approcha du convoi. On ne voyait que le bas de son menton mal rasé et son sourire carnassier. Lorsque le paladin se retourna, il était inspiré d'un profond malaise. L'inconnu leva la main et s'adressa aux Croisés :
_ Quelle est la prime ?
Le paladin hésita, il n'avait pas l'impression d'avoir affaire à un homme. Il émanait une forte odeur de pourrie de ce mystérieux interlocuteur. Son instinct lui hurlait de ne pas s'approcher, mais il était fasciné par ce dernier. Il ordonna à sa garde de sortir le coffre qu'il avait emmené et de l'ouvrir. Galro saisit une poignée de pièce d'or et les fit glisser lentement de sa main, faisant sonner la douce monnaie entre ses doigts.
_ Après cette mission, vous n'aurez plus besoin de chasser.
Un sourire prédateur balafras le bas du visage de l'homme encapuchonné. Ses crocs étaient pointus, du moins Galro avait cette sensation.
_Je vois, répondit l'inconnu, sortant une main de son manteau.
Elle était couverte d'un épais gant en cuir, sur son bras des osselets s'entrechoquaient, mais ils étaient difficilement identifiables.
_ Alors ? Demanda le Paladin. Êtes vous chasseur ?
L'homme répondit par un rire léger, et affirma qu'il était bien chasseur.
_ Avez vous déjà croisé des loups géants ? Demanda le paladin.
_ Oui, répondit le chasseur. Ils sont discrets, bien plus que ne laisse supposer leur apparence. J'en ai quelques-uns à mon tableau de chasse.
Le chevalier divin se sentit rassuré d'avoir rencontré un homme qui semblait connaître le sujet, mais une pression de plus en plus forte enserra sa gorge, il ignorait qui devait-t-il craindre le plus, les loups, ou cet homme. Alors qu'ils se toisaient mutuellement, le chasseur demanda :
_ Vous êtes nouveau ? N'est-ce pas ?
Le paladin fut surpris par cette question, mais n'y prêta pas attention. Le chasseur s'approcha, puis le contourna légèrement par la droite. Il lui dit à voix basse :
_ Vous portez l'odeur du sang. Mais vous semblez si naïf. Alors, quel est votre palmarès ?
Le paladin déglutit, il était concentré sur l'odeur fétide qui se dégageait de la cape. Il remarqua que ce chasseur n'avait ni arc, ni flèches. Il se ravisa de lui poser la question, et lui répondit :
_J'ai tué un elfe noir.
_ Un elfe noir ?! Répondit le chasseur avec une once d'admiration cynique dans la voix. Félicitation messire, peu peuvent se vanter d'avoir affaire à un elfe noir et ressortir victorieux. On dit que ces bêtes sanguinaires sont aussi vicieuses que barbares. Il paraîtrait même que l'un d'eux aurait été capable de tuer... un paladin Phénix. Quel était son nom déjà ?
Galro revécu alors les souvenirs de son enfance, quand dans la nuit du nouveau printemps, il affronta cette « chose ». Il se demandait encore, des années plus tard, comment il avait pu survivre à cette nuit. Alors qu'il se retourna, il pouvait deviner les longs crocs du trappeur.
_ Et vous ? Demanda le Paladin. Avez vous des exploits à me conter ?
Un ricanement sordide sortit de la bouche du chasseur.
_ Rien d'aussi extraordinaire que vous, messire, tenta de rassurer le chasseur. Je chasse pour en vivre. Mais...
Il tendit légèrement son bras, dévoilant sous sa cape une rangée de poignards. L'une d'elle était de très belle ouvrage, finement forgée. Sa lame était bien plus longue que les autres, et son fourreau était orné d'une rose.
_Ce sont de bonnes prises. Ça me permet de terrer dans ce genre de trou à rat oisivement pendant un bon moment.
_ De bonnes prise … ? demanda le paladin ne comprenant où est-ce qu'il voulait en venir. Était-ce un marchand de fourrure ? Dans ce cas là, pourquoi n'avait il pas de trophée sur lui ? L'homme encapuchonné montra son visage, il avait les cheveux poivre et sel, une barbe de plusieurs jours, des yeux verts, et une expression sauvage.
_ Je suis un chasseur sur contrat, répondit t-il. On me paie pour débarrasser des nuisibles.
Lorsque ce dernier mit l'accent sur « nuisibles », Galro avait un goût amer qui lui envahit la bouche. Qui était ce spécimen ? Ne sachant trop que répondre, Galro referma le coffre et lui dit :
_ Bien, alors vous nous guiderez jusqu'à la tanière des loups ?
Le mystérieux chasseur referma sa cape, et d'un sourire moqueur répondit :
_ Oui messire, je vous guiderai jusqu'à ces monstres.