Le Secret des Hayworth

Chapitre 6 : MONDANITÉS

8538 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/02/2023 09:02

MONDANITÉS


Je n'ai jamais réussi à en connaître la raison mais la première nuit après le retour de Lord Sebastian était devenue une de mes nuits les plus agitées depuis très longtemps. Peut-être était-ce simplement les inquiétudes qui le concernaient mais j'étais comme préoccupée. Je m'inquiétais simplement pour mes amies, Agnes semblant beaucoup trop impressionnée par Lord Sebastian pour être très lucide. Évidemment, j'avais également bien des préoccupations vis à vis de cette jeune indienne, le sens de ses propos étant en effet sujet à interprétation. J'avais passé un bon moment de ma nuit à me dire qu'il avait simplement dû lui montrer comment servir le thé ou s'occuper du pliage des chemises, mais au fond de moi, je craignais bien pire. Les propos du Vicomte Sebastian à l'encontre de plusieures d'entre nous m'avait également poussée à revoir ses yeux si particuliers à chaque fois que je fermais les miens, un regard angoissant et supérieur. Dire que j'avais été remuante aurait été un doux euphémisme, ma nuit ayant en effet été assez courte. Et pourtant, dès que des coups retentirent à notre porte, je me relevai en sursaut comme peu sûre de ce que j'avais entendu.

- Gmllll, grommela ma voisine de chambre en se redressant.

- Bon j'ai bien entendu, dis-je avant que de nouveau, un martèlement contre notre porte eut lieu.

Je me relevai brusquement, inquiète d'une telle situation. De tels coups visiblement angoissés pouvaient tenir leur origine de bien des situations, l'accident d'un domestique, le décès peut-être également, une annonce du décès d'un membre de la famille royale ou pire, celui d'un membre de la famille Hayworth. Saisie d'angoisse, j'avançai vers la porte en croisant presque les doigts pour qu'il ne soit rien arrivé aux tout jeunes maîtres ou à leurs aînés, Monsieur le Comte et son épouse ayant été bons avec moi; je ne leur souhaitais en effet aucunement ce genre de drame. J'ouvris la porte, vêtue uniquement de ma chemise, tandis que ma voisine de lit jaillissait du sien aussi inquiète que je l'étais. Je l'entrouvris très lentement pour pencher ma tête dans l'interstice et je découvris le visage paniqué de Winnifred.

- Winnie? dis-je en manquant cruellement de sommeil. Il y a un problème en cuisine?

J'avais instinctivement demandé cela, craignant un éventuel incendie obligeant tout le monde à évacuer.

- J'ai un problème !!! fit elle paniquée mais suffisamment pas pour ne pas réveiller tout le couloir.

Bêtement, craignant qu'elle ne soit pas au fait de certaines choses de la vie, j'avais baissé les yeux sur sa tenue pour m'assurer d'aucun rougissement gênant. Nul trace de cela, alors je dus lui demander.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je en ouvrant.

- C'est l'indienne ? demanda alors Agnes que je regardai méchamment après une telle dénomination.

- Oui..., murmura Winnifred visiblement paniquée.

- Il ne lui est rien arrivé dans la nuit ? demandai-je effrayée. Elle est toujours dans la chambre ?

- Pourquoi elle n'y serait pas? me demanda Winnifred extrêmement surprise de ma dernière phrase.

D'un coup, je m'étais demandée si j'étais réellement la seule à avoir relevé les propos du Vicomte Sebastian pour être la seule à imaginer le pire.

- Pour rien, dis-je alors. Elle aurait pû avoir peur en se réveillant, mentis je quand même.

- Non... Je devais descendre pour préchauffer les fours et le reste... Alors j'ai voulu la faire se lever... Et... Euh..., hésita Winnifred. Venez.

Filant à travers le couloir, nous suivîmes rapidement Winnifred jusque sa porte. Elle l'ouvrit rapidement nous dévoilant la raison de sa panique.

- Ho Seigneur, dis-je choquée.

- Alors ça c'est cocasse, fit Agnes en riant.

- Bon sang, Agnes, ne parle pas si fort, la réprimandai-je rapidement. Tu vas réveiller tout le monde.

- Bonjour, fit poliment Passminder.

Je me retournai vers elle, osant à peine la regarder. La jeune indienne était dans le plus simple appareil, des vêtements jonchant le sol. Étrangement, elle n'était nullement gênée de son apparence, à l'inverse de moi-même.

- Mais, pourquoi es-tu dans cette tenue, dis-je en ramassant une robe de chambre par terre pour la cacher.

- Le terme serait sans tenue, fit Agnes en riant.

- J'ai voulu l'aider à s'habiller avec des vêtements... Comme nous, mais elle ne veut rien entendre, dit alors Winnifred.

- Bon... Passminder... Pourquoi tu ne veux pas t'habiller ? demandai-je calmement.

- Mes vêtements plaisent à Sebastian, rétorqua la jeune fille.

Je l'avais regardée légèrement surprise qu'elle appelle le vicomte par son prénom, sans autre forme de politesse. Inutile cependant de relever immédiatement cela.

- Bon... Ici tu auras froid tu sais, dis-je calmement et de manière tempérée. Tes vêtements ne sont pas adaptés... Tu ne veux pas porter les mêmes vêtements que les autres ?

- Ça, fit-elle en indiquant ma chemise de nuit. Sebastian aime beaucoup, les femmes portaient souvent cela.

Je dus ignorer le rire d'Agnes derrière moi, maudissant le vicomte de montrer sa propre dépravation à une si jeune fille, à moins qu'elle n'en comprenne nullement le principe, j'ignorais en effet si les indiens inculquaient ces choses à leurs enfants.

- Le même vêtements que nous hier, dis-je en montrant Agnes qui ricanait. Agnes...

- Pardon... Mais c'est tellement...

- Ce n'est pas très coloré, marmonna Passminder.

- Ta tenue d'hier était plus jolie c'est sûr, dis-je alors pour lui montrer que j'étais de son avis avant d'avoir une idée. Lord Sebastian pourrait apprécier que tu essayes de t'adapter.

- C'est vrai? dit-elle avec un extrême intérêt. Il trouve cela bien de faire comme les autres ?

- Je suppose, dis-je alors méfiante. Pour travailler ici ce sera mieux...

- D'accord, fit tristement Passminder.

- Je savais pas, marmonna Winnifred. Elle disait juste qu'elle voulait sa robe.

- Cela s'appelle le conflit culturel, dis-je alors. En plus comme elle jeune... Au fait quel âge as-tu ?

- J'ai douze ans, fit-elle en me poussant à me reculer.

Douze ans... J'avais dû mal à y croire tant cette jeune fille avait l'anatomie déjà développée. Elle aurait pû sembler plus âgée si on ne se fiait qu'à sa silhouette et sa peau typique.

- Et ben, il s'ennuie pas le Vicomte..., ricana Agnes.

- Pourquoi ? demanda alors Winnifred.

- Agnes, tu veux compliquer la situation ? demandai-je outrée.

- Je dis ça comme ça, s'offusqua cette dernière. Tu veux qu'on t'aide à t'habiller ? demanda-t-elle à Passminder.

La petite indienne fut visiblement touchée de notre proposition, sa façon extrêmement rapide de bouger la tête de haut en bas nous le confirmant. Winnifred préférant s'asseoir sur son lit, ce fut à Agnes et moi-même de nous en charger. Par acquis de conscience, je pris d'abord la peine de reposer chaque élément de la livrée sur le lit avant de réaliser qu'il manquait quelque chose.

- Passminder ? l'interpellai-je alors doucement.

- Moui..., murmura la jeune indienne tout bas.

- Tu n'as pas... De petit linge? demandai-je intriguée.

- C'est quoi? demanda donc la petite me donnant sa réponse.

Je crois bien que je n'avais regardé quelqu'un de la manière dont je le faisais à cet instant là avec Agnes. Mélange de doute et d'amusement, je la regardais perdue. Il m'était très difficile de lui dire ou de lui montrer ce que c'était étant donné que sous ma chemise de nuit j'étais nue. Winnifred réagit très vite et fonça vers son armoire pour prêter avec gentillesse des sous-vêtements.

- C'est ça, annonça-t-elle fièrement en montrant une culotte et une brassière.

Le regard de Passminder fut éloquent, elle ne devait pas foncièrement connaître ses modèles. Je ne lui jetai nullement la pierre, je supposais en effet que si on me présentait des sous-vêtements qui seraient plus typique de son pays, je n'en mènerai guère plus large qu'elle à ce moment là.

- Mais en Inde, tu portes quoi? demandai-je en l'aidant à enfiler sa brassière.

- Moi... Rien, cela amuse Sebastian, dit-elle soudainement.

Dire que je m'étais figée en entendant cela ne serait franchement pas un mensonge. Je l'avais regardée en me jurant de ne pas songer à mal préférant l'aider à s'habiller. La petite indienne rigolait à chaque fois que nous eflleurions sa peau mais il fallait lui montrer quelque chose d'important.

- Passminder, l'interpella Agnes. Ici, on ne porte pas les cheveux relâchés pour travailler.

- Ha bon? s'étonna la petite indienne. Je dois couper? demanda-t-elle quelque peu inquiète.

- Je vais te montrer mais tu devras apprendre à le faire toute seule, dis-je en l'emmenant près d'un miroir.

Je pris la peine d'attraper tous ses cheveux, très doux d'ailleurs, pour les emmêler et former la base du chignon de travail. Elle ne gesticulait pas, fixant nos reflets avec attention. Je souris en voyant cela et me suis attelée à le faire. Agnes s'arrêta soudainement pour que je finisse quand Passminder se mit à caresser ma main doucement, comme le ferait une enfant avec sa mère. Je regardai donc son reflet en souriant quand je me rendis compte que ses yeux étaient perdus dans le vague.

- Passminder? l'appelai-je doucement.

- C'est triste..., murmura la petite indienne.

- Quoi donc? demandai-je.

- Toi, me répondit Passminder d'une manière assez énigmatique.

- Non je vais bien, répondis-je sans comprendre.

Ayant enfin terminé cette tâche, je m'étais reculé d'un pas pour admirer le travail. Cela était un peu perturbant de voir une jeune fille avec ses origines porter une tenue de domestique purement britannique.

- Je vais rester avec elle le temps que tu ailles te préparer, m'assura Agnes. Ainsi Winnifred peut se rendre aux cuisines et tu pourras descendre ensuite avec Passminder.

- D'accord, je vais me hâter, assurai-je en quittant la chambre.

Je n'avais d'ailleurs jamais été aussi rapide pour faire mes ablutions en réalité, me frottant nerveusement sans pour autant que ma tristesse ne me semble étonnante. C'était comme si cette petite savait que je ressentais une profonde détresse depuis la perte de ma maîtresse, Lady Fullton, et pourtant elle ne pouvait nullement le savoir. Je ne pensais en effet nullement que Lord Sebastian, qui la connaissait par le passé, ait pu en discuter avec cette jeune fille. Une fois fin prête, j'avais retraversé le couloir pour rejoindre Passminder.

- Allez viens ma grande, descendons, dis-je rapidement.

- Garde moi de la brioche, fit Agnes en partant se préparer.

Je souris en guidant Passminder totalement en difficulté avec une tenue aussi complète. Arrivées à l'office, je fis signe à Passminder de s'asseoir et je partis lui chercher de quoi manger, découvrant Carl en train de se servir.

- Tu es déjà à la tâche, dis-je surprise.

- Lord Henry s'est levé tôt, avoua Carl. Mais dis-moi... Pourquoi êtes vous si matinales?

- Disons que nous avons eu un léger soucis, dis-je en montrant Passminder.

Carl se retourna pendant que je préparai des choses et se mit à rire. Je me retournai pour admirer Passminder tirant sur sa charlotte, légèrement incommoder sans doute.

- Je devine la complexité, fit-il en posant soudainement sa main sur la mienne.

- Carl? demandai-je surprise de son comportement.

- Pas de lait, les indiens respectent ces animaux et ne consomment rien qui viennent d'eux... J'ignore pour le lait de chèvre, avoua-t-il.

- Mais quel idiote ! m'exclamai-je. J'avais oublié...

Lire trop d'informations faisait qu'au bout d'un moment, j'en oubliais beaucoup. Je l'avais su pourtant. Je pris donc le plateau et le déposa devant Passminder qui se jeta goulûment sur les victuailles. Carl s'assit et je me penchai à son oreille.

- Je peux te poser une question inconvenante ? demandai-je.

- Ne le prends pas mal mais je suis trop vieux pour toi, dit-il en riant et me choquant. Excuse moi... Tu disais ?

- Tu as un humour déplacé, marmonnai-je avec quand même un sourire aux lèvres. Tu connais bien le Vicomte ?

- Pour l'avoir servi quelques années malgré mon poste oui... Pourquoi ? s'étonna Carl.

- Tu crois qu'il..., dis-je en hésitant et fixant Passminder.

Carl me fixa un instant et ferma les yeux, comprenant sans doute les sens cachés de mes propos que je ne pouvais me résigner à prononcer.

- Elle est trop jeune, murmura Carl. Il aime les femmes mais pas aussi jeunes...

- Tu me rassures, précisai-je.

- Il attend qu'elles aient au moins seize ans, précisa-t-il quand même.

Je le regardai, désormais rassurée pour Passminder mais inquiète pour moi et les autres. Peut-être aimait il juste jouer avec les femmes après tout. Je remarquai soudainement que, dévorant toujours le pain comme si elle n'avait pas mangé depuis plusieurs jours, Passminder fixait Carl attentivement sans le quitter des yeux.

- Passminder, on ne regarde pas les gens comme ça, lui dis-je tout bas.

- Laisse ce n'est pas gênant, avoua Carl. Lord Sebastian m'étonnera toujours...

- Comment cela? demandai-je interpellée.

- Je me comprends, avoua Carl en mangeant.

- Tu en...

- Non mais il croit que je suis une pieuvre ? s'énerva soudainement Madame Smith en revenant du bureau de Monsieur Caldwell, ce dernier et Miss Robbins aux trousses.

- Theodosia, calmez vous voyons, lui intima d'ailleurs Miss Robbins.

Moi et Carl tournâmes la tête vers la scène improbable, remarquant d'ailleurs pour ma part que Passminder fit de même avec un morceau de pain en bouche.

- Il a incité le gratin régional comme ça ? s'étonna Madame Smith. Sans prévenir personne ?

- Il nous a assuré avoir passé les commandes, nous recevrons tout en matinée, assura Monsieur Caldwell.

- Et il croit que cela suffit ? Et eux font passer la journée à trimer pour lui? s'énerva Madame Smith.

- Je vous comprends, marmonna Miss Robbins. J'avais bien d'autres tâches de prévues pour mes filles qu'un dîner.

- Oui et bien le Vicomte commence déjà ses folies..., s'énerva Madame Smith. Je vais lui dire ma façon de penser...

- Theodo..., commença Monsieur Caldwell.

- Sebastian est quelqu'un de bien!!! s'énerva Passminder en se levant sans lâcher son morceau de main.

Je l'avais attrapée aussi rapidement que possible pour la faire s'asseoir quand les trois responsables se rendirent tout à coup compte qu'ils étaient en train de se donner en spectacle devant le petit personnel, ignorant littéralement les cuisinières.

- Chut..., dis-je à l'indienne. Et on dit Lord Sebastian.

- Il ne veut pas, marmonna l'indienne comme une petite fille punie.

- Peut-on savoir ce qu'il se passe? demanda Carl qui avait du mal à s'en remettre.

- Ce qu'il se passe? Tu veux savoir ce qu'il se passe? s'énerva de plus belle Madame Smith.

- Madame Smith, il suffit ! fit alors Monsieur Caldwell exaspéré. Lord Sebastian a organisé, dans le plus grand secret et nous mettant quelque peu dans les choux soit dit en passant, un repas mondain. Il a convié plusieurs nobles de la région d'ailleurs... Cela va nous pousser dans nos retranchements.

- Égal à lui-même, fit Carl en riant.

- Arriverons nous à préparer tout cela pour ce soir ? demandai-je paniquée.

- Nous aviserons Annabelle, précisa Miss Robbins plutôt en pleine déconvenue.

- Carl, fit soudainement Monsieur Caldwell. Vous devrez préparer une tenue au jeune maître... Les Swan ont été conviés.

- Je dois donc sortir le plus beau costume de Lord Henry de la naphtaline, fit-il en se levant pour énumérer ses tâches. Cirer les chaussures... Faire briller les boutons de manchettes... Assortir la cravate...

- Il sera très beau, dis-je pour rassurer Carl.

Je le vis alors lever le sourcil gauche d'étonnement en me fixant et je me sentis rougir. Ce n'était pas un aveu de ma part mais je me sentis gênée.

- Annabelle ? fit soudainement Miss Robbins me sentant de ma gêne.

- Oui Miss Robbins ? demandai-je avec gratitude.

- Je suppose que vous êtes habituée à servir un repas, chez Lady Fullton, me dit-elle avec douceur.

- En effet, assurai-je immédiatement.

- Parfait, nous avons Judith et Passminder qui n'y sont pas habituée et Agnes en a peu l'expérience... Nous prenons habituellement quelques extras mais nous ne pourrons le faire. Les bonnes devront servir et j'aimerais que vous n'oubliez pas de les surveiller et surtout...

J'avais compris, surveiller la nouvelle et sa jeunesse mais surtout son manque cruel d'étiquettes comme l'attestait sa fâcheuse habitude d'appeler le vicomte par son prénom.

- J'y veillerai Miss Robbins, dis-je quand même.

- Malgré votre manque d'ancienneté ici, vous êtes sans doute la plus expérimentée parmis les jeunes, même Edna. Naturellement, je ne vais pas mettre toute la pression sur vos épaules, je dirai de même à Myrtle et Permelia.

- Bien Miss Robbins, dis-je en voyant Madame Smith fulminer.

- Cela n'empêche que nous ne sommes que trois, marmonna Madame Smith.

- Je demanderai à Sophronia, elle sait cuisiner, assura Miss Robbins. Et je me mettrai également à la tâche.

- Je crois également que Luther sait cuisiner et que Gideon a des notions, avoua Monsieur Caldwell.

- On n'organise pas un dîner mondain comme on organise un goûter d'enfants ! s'énerva Madame Smith. Lorena! Va me chercher le viandier dans la réserve, nous ferons des sauces par dizaines vu que certains pensent que c'est possible.

Dans une œuvre de romancier à caractère policier, je ferai très attention à la place de Lord Sebastian. J'avais peu vu Miss Robbins et Monsieur Caldwell aussi stressés depuis mon arrivée. Je n'étais guère rassurée. Soudain, un petit tintement de clochette retentit et je levais les yeux sur le mur du fond. La clochette indiquait la salle d'armes.

- J'avais oublié, marmonna Monsieur Caldwell. Et il y a tellement à... Miss Robbins, puis-je vous emprunter Annabelle ?

- Bien sûr, je vais organiser le plan de table, fit-elle en s'éloignant.

- Annabelle, préparez un plateau avec une théière, quelques gâteaux et trois tasses, n'oubliez pas le sucre et le lait, m'ordonna Monsieur Caldwell. Emmenez Passminder pour qu'elle apprenne à se repérer.

- Oui, Monsieur Caldwell, dis-je alors.

Je n'étais pas idiote et surtout, j'étais suffisamment expérimentée pour comprendre que je devais me rendre dans la salle d'armes. Je conviais donc ma petite assistante à m'aider pour la préparation du plateau.

- Passminder, tu m'ouvriras les portes d'accord ? demandai-je à cette dernière.

- Oui, fit-elle contente de se rendre utile.

Je lui montrai donc les portes à ouvrir en me rendant vers la salle d'armes à travers les couloirs. Nous passâmes donc la salle de jeux et la salle de billard, nous dirigeant vers le couloir avec le bureau et la fameuse salle d'armes, à côté de celle des trophées et à quelques portes de la très grande salle de réception ronde. J'avisai rapidement le petit meuble et y déposait le plateau.

- Passminder, dis-je en la faisant se tourner vers moi. Vérifie toujours que tu es présentable, dis-je alors en lissant sa tenue.

Je souris quand elle fit de même avec moi. Par acquis de conscience, j'écoutais à la porte pour vérifier la présence des maîtres et j'entendis des cliquetis métalliques et des bruits sourds. Soudain, un rire mesquin. Je frappai à la porte tandis que Passminder l'ouvrit doucement pendant que je récupérai le plateau.

- Veuillez pardonner le dérangement, dis-je alors en entrant dans la pièce.

Un étonnant spectacle m'apparut alors. La pièce ne ressemblait pas à celle qu'elle était habituellement, le sol ayant été recouvert de tapis. Monsieur le Comte était appuyé contre le mur observant, les bras croisés et le regard dépité, les deux autres personnes dans la pièce. La première était Lord Henry, visiblement perdant d'un duel, allongé au sol et portant une tenue de protection d'escrime sur le torse. Je pouvais voir qu'il se tenait la main gauche qui devait lui être douloureuse et une rapière au sol. Le second protagoniste était bien évidemment son oncle, Lord Sebastian ayant clairement battu son neveu. Lui, il ne portait aucune protection et sa chemise était grande ouverte sur son torse. Son épée était également différente, celle-ci ressemblant bien plus à un glaive romain.

- Ha, voici le thé, réalisa Monsieur le Comte.

- Tiens, Henry, tu as droit à une pause même si j'ai l'impression que tu t'es reposé sur tes lauriers durant deux ans, le provoqua mesquinement Lord Sebastian.

- Vous êtes simplement trop fort mon oncle, fit Henry en se levant difficilement.

- Oublie tes livres, jusqu'à preuve du contraire, l'épée reste plus tranchante que la plume, s'amusa Lord Sebastian.

J'entendis un soupir de Monsieur le Comte et je posai alors le plateau, fixant Passminder avant de chochoter.

- Je vais apporter le thé, prends les gâteaux..., dis-je tout bas. D'abord Monsieur le Comte, puis Lord Henry et après Lord Sebastian.

- D'accord..., fit-elle en m'écoutant.

Pour Monsieur le Comte, ce n'était qu'un thé avec du sucre. Je servis celui-ci avant de m'approcher de Monsieur le Comte.

- Monsieur le Comte, dis-je en bougeant la tête.

- Merci Annabelle, fit-il avec douceur. Notre majordome et notre intendante se remettent de l'annonce.

- Ils sont quelques peu stressés, avouai-je.

- C'est de votre faute, mon oncle, fit Lord Henry.

- Allons je pourrais admirer ce qu'il est devenu de la jeune Lady Swan, fit Lord Sebastian avec amusement.

Discrètement, et en retournant sur la table pour préparer la tasse de Lord Henry, j'avais haussé les yeux au ciel. Je servis une tasse avec du lait et du sucre.

- Lors Henry, dis-je poliment en lui donnant. Comment va votre main?

Lord Henry me regarda et fut visiblement touché de ma sollicitude. Il prit sa tasse calmement.

- Elle va déjà mieux, fit-il doucement. Navré pour l'effervescence.

- Comment veux-tu que cela n'aille pas? se vexa Lord Sebastian. J'ai utilisé le plat de la lame, comme ton père me l'a demandé.

Je regardai immédiatement Lord Henry quelque peu horrifiée du propos et, alors qu'il allait répondre quelque chose, il réalisa mon désarroi. Il baissa les yeux vers moi et me sourit.

- Mon oncle plaisante Annabelle, me précisa Lord Henry en souriant.

- Bien, dis-je alors en me dirigeant vers la table.

- Comment s'est-elle affirmée ? A-t-elle bien des atouts ? demanda Lord Sebastian en jouant avec son arme.

- Sebastian, le réprimanda Monsieur le Comte.

- Allons Henry... La réponse ? demanda Lord Sebastian en provoquant un soupir de Monsieur son frère.

- Elle est belle, dit-il simplement.

- Pff... Une fleur de château... Il est plus intéressant d'avoir une fleur qui a poussé au milieu des rochers, fit Lord Sebastian.

Je me penchai alors sur la théière avec étonnement, le propos de Lord Sebastian étant assez énigmatique. Je me rendis compte, horrifiée que j'étais, d'un soucis. Je me redressai rapidement avec gêne.

- Vicomte? demandai-je honteuse.

- Juste du thé s'il-vous-plaît, fit-il en me regardant.

- Bien Monsieur, dis-je alors.

J'avais oublié de me renseigner à l'office mais visiblement il ne m'en tenait nullement rigueur.

- Qu'insinuez vous mon oncle? demanda Lord Henry pendant que j'approchais de Lord Sebastian.

- Une femme qui a toujours eu ce qu'elle voulait ne peut être que caprices, fit Lord Sebastian en réponse. Une qui a eu bien des difficultés peut être plus intéressante, admire donc cette bonne.

Alors que j'avançai vers Lord Sebastian, j'avais marqué un temps d'arrêt. J'étais plutôt gênée même si il était vrai que ma vie n'avait pas été facile.

- Oncle Sebastian, laissez Annabelle, fit Lord Henry qui recevait toute ma gratitude silencieuse.

J'arrivai alors près de Lord Sebastian, Passminder distribuant les gâteaux, qui prit la tasse sans prendre la sous-tasse en main, m'obligeant à attendre. Je n'osais pas le regarder mais ce fut une erreur. J'avais une vue directe sur l'intérieur de sa chemise et je ne pus en détacher les yeux. Certains pourraient croire que j'avais été saisie d'une étonnante forme de concupiscence en fixant ce torse, même si les muscles saillants et parfaitement dessinés qui luisaient sous la sueur auraient pu créer beaucoup de sentiments propre à émoustiller bien des femmes, mais ce n'était pas le cas du tout. En effet, je regardai fixement les cicatrices sur ce torse car oui, il en était littéralement rempli, des petites et peu profondes alors que d'autres étaient bien larges. Était-ce des animaux sauvages ? Je n'en savais rien mais Lord Sebastian semblait en avoir vues plus que de raison.

- Oncle Sebastian, fermez votre chemise, vous gênez Annabelle, fit alors Lord Henry.

- Ho elle semble en profiter, fit alors Lord Sebastian me choquant. Cela pourrait même la motiv...

- Je suis navrée de ce manque de respect Vicomte, dis-je rapidement en relevant la tête. J'ai juste songé que peut-être elles devaient vous faire souffrir.

- Que tu dis, fit-il amusé. Elles sont guéries depuis longtemps, vérifie...

Je le regardai surprise, entrouvrant la bouche d'étonnement quand soudain, Lord Sebastian saisit ma main pour m'obliger à toucher la plus grosse d'entre elles, celle sur son ventre qui le barrait presque. Je sursautai au contact non seulement horriblement rugueux de cette cicatrice mais aussi à celui avec la dureté de la ceinture abdominale de Lord Sebastian.

- Oncle Sebastian, fit brutalement Lord Henry en avançant vers lui.

- Vicomte..., suppliai-je pour qu'il me rende ma main.

- Allons, elle semble apprécier..., dit-il en lâchant ma main.

- Sebastian, je te prierai de te tenir correctement, lui ordonna son frère pendant que je reculais.

- Jonathan, Jonathan, s'amusa Lord Sebastian. Tu as trouvé les sentiments véritables avec Mary mais d'autres peuvent encore chercher. Henry semble enclin à apprécier la féminité de cette jeune fille.

Je regardai le vicomte choquée de ce propos et Lord Henry s'était arrêté au milieu du chemin.

- Ho... Cela s'amuse déjà dans les couloirs, s'amusa Lord Sebastian. Carl couvre tes errances nocturnes?

- Je vais vous...

- Henry! s'énerva Monsieur le Comte. L'entraînement est fini, va dans ta chambre.

Je vis Lord Henry s'en aller, vexé comme un pou. Je ne pouvais répondre avec colère au vicomte, il restait un de mes maîtres. Pourtant, j'en avais envie.

- Tu t'es levé du mauvais pied? demanda Lord Sebastian.

- Je ne passerai plus sur tes débordements, grommela Monsieur le Comte. Laisse cette jeune fille.

Je me retournai immédiatement vers Monsieur le Comte pour lui sourire de façon reconnaissante quand je sentis un souffle près de mon oreille. Sans que je l'entende, Lord Sebastian s'était approché de moi.

- Navré de cette gêne, fit-il tout bas. Ce n'est que partie remise... Navré également du travail supplémentaire... Veuillez faire attention à Passminder, nous nous verrons ce soir.

Lord Sebastian reposa alors sa tasse, me permettant de revenir récupérer le plateau ainsi que celle du comte qui observait très méchamment son frère. Je réalisai alors que Passminder avait donné du gâteau à Monsieur le Comte et Lord Henry mais pas au vicomte.

- Passminder... Le gâteau ? insistai-je en la voyant fixer Lord Sebastian.

- Sebastian préfère les fruits, fit elle alors.

- Ho... Désirez vous que je vous en apporte? demandai-je avec professionnalisme.

- Je préfère cueillir les fruits moi-même, fit-il en me fixant. Passminder... Obéis lui.

Je pris le plateau avant de me dépêcher de sortir quand j'entendis un propos incompréhensible de Monsieur le Comte.

- Cela ne m'avait pas manqué, dit alors Lord Sebastian quand je refermai la porte.

J'avais alors soupiré lourdement, quel homme insupportable. Tout cela avait été gênant. Je regardai alors la jeune fille près de moi et je me rendis compte qu'elle me fixait.

- Sebastian est gentil n'est-ce pas? insista Passminder.

- Passminder... Non rien, dis-je en me disant que c'était assez inutile de m'efforcer à lui expliquer certaines choses. Dépêchons nous de redescendre à l'office, bien du travail nous attend.

Ce n'était nullement un mensonge, nous avions tant à faire. Entre la préparation de la salle de réception pour le repas et le dit repas, nous fûmes plus que débordé. Tellement débordés d'ailleurs que ce fut presque sur la sellette que nous arrivâmes à tout préparer. Nous savions tous déjà à quel point les invités devaient être installés, attendant patiemment que nous servions de quoi les satisfaire. Tous les plateaux se trouvaient devant nous, prêt à être emmené.

- Bon, Miss Robbins et Monsieur Caldwell s'occupent des invités, je vais donc vous diriger, précisa Madame Smith. J'ai facilité la tâche Mesdemoiselles et Messieurs. Les plateaux sont disposés dans l'ordre à emmener et vous amenez le vin les garçons.

J'inspirai profondément en regardant tout cela. Les nobles se servaient également des menus pour montrer leur fortune, approvisionnant leurs invités de tant de nourriture qu'elle serait suffisante pour nourrir un petit hameau pendant quelques jours.

- Passminder, tu ne peux pas, fit soudainement Judith.

Je tournai la tête immédiatement et la découvrit tout bonnement en train de se servir. Madame Smith soupira très bruyamment.

- Passminder... Il en restera, dit alors la cuisinière.

- Ho... Et pas de goûteur ? demanda la jeune indienne.

- Tu insinues que je pourrais empoissonner quelqu'un avec ma nourriture ? demanda méchamment notre cuisinière.

- Madame Smith ? l'interpellai-je pour aller à sa rescousse. Je ne pense pas qu'elle puisse remettre en doute votre cuisine mais dans beaucoup de territoires encore, il est courant de se débarrasser d'un ennemi au repas... Je pense qu'elle a juste émis la possibilité.

- Ho... Qui oserait empoissonner de la bonne nourriture, marmonna Madame Smith.

- Bon les jeunes..., fit soudainement Carl, le plus âgé sachant que les autres servaient déjà en salle. N'allez pas trop vite pour servir, penchez vous suffisamment pour qu'ils admirent le travail... D'accord ?

- Nous ne sommes pas stupides, assura Jack en riant.

- Il y aura beaucoup de monde, avoua Gideon. Carl essaye juste de vous rassurer.

- Juste une question, dis-je alors. Il n'y a pas de restrictions ?

- Non, vous pouvez servir sans hésitation. Lord Sebastian a été prévoyant.

- Pourquoi je porte les sauces ? demanda Agnes. J'ai peur...

- Tu sais que l'on sert le vin? demanda Ezra en riant.

- Calmez vous bon sang! s'énerva Myrtle. Plus vous stressez plus vous ferez d'erreur.

- Je suis en panique, murmura Judith près de moi.

- Suis moi simplement... Je veillerai à tes erreurs, dis-je poliment.

- Mais... Je suis la troisième alors, s'étonna Agnes.

- Je sens venir une catastrophe..., grommela Permelia face à moi.

- Mais arrêtez, précisa Levi. Nous avons déjà servi des repas aux maîtres, cela n'a rien de plus compliqué.

- Passminder, précisa Sophronia avec douceur. Le pain, tu le sers avec les pinces.

C'était une bonne idée de préciser. Avec amusement, je remarquai au passage que Lorena et Winnifred semblait aussi inquiètes que nous, elles avaient passé la journée à cuisiner après tout.

- Bon... D'autres questions ? demanda Carl. Alors allons-y pour le ballet, fit-il en attrapant un plat.

Chacun des domestiques fit alors de même avant de se décider à passer en file indienne la porte de l'office. Luther, par je ne sais quel miracle, ouvrit la porte au bon moment pour nous permettre de passer dans les couloirs de la demeure. Leur efficacité était évidente et j'en étais stupéfaite. Nous progressions dans les couloirs, mes yeux fixant mes collègue en proie à la panique. Tandis que nous accédions à la salle de réception, j'entendis les douces notes somptueuses d'un piano. Quand enfin je passai l'encadrement de la porte avec mon plat de viandes, je réalisai que le musicien si talentueux n'était autre que Lord Henry. Les convives masculins portaient tous de beaux costumes aux nœuds papillons d'un blanc immaculé alors que les couleurs chatoyantes des robes des femmes me sauta aux yeux. Du jaune, du rouge, de l'indigo et des bras nus ganté. Bien sûr, elles portaient majoritairement les poitrines bien hautes grâce à de célèbres instruments de torture, les corsets. La présence de Lady Jane Swan en pâmoison devant Lord Henry était plutôt étonnante mais personne ne semblait leur en vouloir pour autant.

- Ha, Messieurs, Mesdames et Mesdemoiselles, je vous convie à passer à table, lança Lady Mary en parfaite maîtresse de maison.

Je vis les convives nous fixer attentivement puis aller s'enquérir de leurs places à tables. Nous allions devoir servir ces dames en premières mais, dans un soucis d'étiquette, nous devions approcher la maîtresse de maison pour obtenir son aval à chaque plat. Je patientai tranquillement en entendant Judith derrière moi en train de respirer difficilement.

- Judith, calme toi, dis-je tout bas. Ne panique pas.

- Oui oui... Je sais, fit-elle en fermant les yeux.

Cela allait enfin être mon tour et je me penchai donc à la table devant Lady Mary.

- Madame la Comtesse, dis-je alors poliment en penchant mon plateau. Pour le gibier, nous avons ce soir un roti de sanglier truffé mais également du faisan doré au miel.

- Sebastian n'en a pas trop fait? demanda-t-elle tout bas.

- Ce sont les dernières viandes Madame, les viandes d'élevage vous ont été présentées avant, assurai-je.

- Parfait, dit-elle en me souriant. Tout va bien?

- Un peu d'inquiétudes chez certaines mais cela se passera bien, confirmai-je.

- Servez Annabelle, conseillez le faisan, c'est mon met préféré, précisa la comtesse.

- Bien Madame, dis-je en avançant.

Je passais à côté de quelques comtesse, une marquise en robe rouge et troisième épouse beaucoup plus jeune de militaire, une dame âgée et comtesse douairière mais également la grand-mère de Lady Jane Swan avant de passer à la mère de cette dernière et donc, à elle-même.

- Lady Swan, dis-je poliment. Madame la comtesse conseille le faisan.

- Ho ainsi vous êtes réellement une bonne, s'amusa Lady Jane Swan. Vous ne m'aviez pas menti Henry, dit-elle à son vis à vis.

- Jane, je ne mentirai pas sur ce point, fit-il lassé.

- Puis-je comprendre ? fit alors Lord Sebastian voisin de son neveux.

Lady Swan commença ses palabres pendant que je patientai tranquillement en attendant qu'elle ne se décide à choisir, ralentissant malgré moi le service.

- Vous imaginez, une bonne qui sait lire! fit alors Lady Swan en s'esclaffant.

- Jane, ne soyez pas si peu ouverte, lui ordonna son père.

- Et puis, certains ont de l'éducation mais ne sont guère plus mondain que les vulgaires porcs que l'on vient de nous servir, assura Lord Sebastian en souriant comme un diable.

Je relevai doucement la tête vers ce dernier qui s'amusait bien de la situation. Un petit silence s'était installé suite à son propos, ce vicomte commetant un petit impair.

- C'est vrai que même parmis nous, certains sont plus ou moins inaptes aux mondanités, assura Lady Jane Swan. Je prendrai du sanglier.

- Bien, Lady Swan, dis-je en la servant.

- Un plus petit morceau, je ne meurs pas de fin, m'assura la jeune Lady que je m'apprêtais à servir.

- Ceci, proposai-je alors légèrement contrariée d'être encore ralentie.

- Plus petit encore, on voit que les domestiques ne connaissent-ils pas les valeurs des choses fit-elle à son voisin, un marquis.

Cette jeune fille avait tendance à m'horripiler grandement mais je pus enfin m'éloigner d'elle. Je fis ensuite le tour des convives masculins, finissant par arriver près de Lord Henry et son oncle.

- Navré pour cela, m'assura Lord Henry tout bas.

- Il n'y a pas de raison de s'excuser, dis-je alors. Madame votre mère conseille le faisan.

- J'en prendrai merci, dit-il doucement.

Je servi tranquillement Lord Henry quand j'entendis le propos de Lord Sebastian, le même propos faisant pâlir son neveu d'ailleurs.

- Je ne suis pas trop au fait des dernières avancées, fit donc Lord Sebastian. Parle-t-on déjà de fiançailles ?

- Ho j'aimerais beaucoup, fit Lady Swan en joie. Il serait satisfait.

- Sans doute, précisa Lord Henry pendant que je faisais le tour.

- Je suis bien éduquée, je sais danser, chanter, jouer du violon et je me pense assez bien faite de ma personne, continua la jeune lady.

- Et modeste avec ça, fit alors Lord Sebastian horrifiant son frère.

- Évidemment, comme il se doit, assura la lady pendant que je me penchais sur Lord Sebastian.

- Pauvre Henry, j'ai connu des filles de joie avec plus de matière dans leur pauvre caboche, murmura Lord Sebastian.

Je m'étais figée en le regardant et surtout parce que je l'avais entendu. Même en société il était direct. Il tourna doucement la tête vers moi et me sourit avant de se pencher.

- Avouez qu'il faut espérer qu'elle soit aussi efficace que ces dames dans leur domaine sinon Henry aura une vie longue... Du moins, elle lui semblera, dit-il en me regardant.

Que répondre à cela? Rien et c'était mieux mais intérieurement, je ne la portais pas en très haute estime. Réfléchissant à ce que je devais dire, je ne me rendis nullement compte que Judith avait suivi et soudain, elle me percuta avec son plateau. J'eus alors le bon réflexe de retenir le mien mais je vis avec horreur le couteau qui me servait à séparer les morceaux pencher dangereusement avant de laisser la gravité nuire à son équilibre précaire. Il allait tomber au sol dans cette salle à cet instant précis, j'allais avoir la honte de ma vie car il n'y a rien de pire pour un domestique que de faire tomber ses ustensiles de travail. Et là, d'un geste habile que je ne pus nullement discerner, une main rapide saisit le couteau alors qu'il tombait.

- Ne vous blessez pas, me fit alors Lord Sebastian qui avait donc rattrapé ce couteau au vol et me le tendit après l'avoir rapidement fait tournoyer.

- Merci, Lord Sebastian, dis-je en l'attrapant.

- Peut-être sait-elle lire mais elle aurait dû se concentrer sur l'apprentissage du service, fit alors Lady Jane Swan me poussant à la fixer avec honte.

- Jane..., murmura Lord Henry.

- C'est vrai elle...

- Peut-être pensez vous qu'il est aussi fatiguant de passer trois heures à se faire dorloter par une dame de chambre que de servir dans une demeure en préparant un banquet? demanda tout à coup Lord Sebastian.

Je penchai alors la tête vers ce dernier, totalement choquée de son comportement. Par contre, Lady Jane Swan semblait outrée mais au moins incapable de parler.

- À moins que ce ne soit de vous extasier de tout qui vous épui...

- Sebastian, l'interrompit Monsieur le Comte.

Celui-ci me regarda alors avec amusement. Visiblement il était fier de lui.

- Je prendrai des deux Annabelle, merci, m'assura le vicomte.

Je ne savais plus où me mettre, j'avais honte d'être à l'origine de la situation. Je me contentai alors de poser mon plateau sur le grand buffet et de me poster derrière en attendant patiemment d'être appelée pour un second service. Je fixais juste mes pieds, en proie à la honte, ne me rendant pas compte que le temps du repas passait.

- Annabelle... Je suis vraiment désolée, me fit Judith. Tu m'en veux tant que ça ?

Je relevai la tête, me rendant compte que la plupart des convives avaient déjà quitté la table, y retournant sans doute parfois, pour discuter ou regarder le piano et Lord Henry.

- Non, j'ai juste honte d'avoir provoqué cela, dis-je en montrant Lady Swan.

- C'est une pimbêche, m'assura Judith.

Je souris à ce propos, ce n'était pas totalement faux non plus. Tout à coup, j'entendis des pas et je me retournai immédiatement, découvrant Lady Mary qui s'approchait. Je risquais déjà une retenue sur mes gages pour cette erreur.

- Pardonnez moi Madame, cela ne se reproduira pas, dis-je alors à Madame la Comtesse.

- Quoi? s'étonna cette dernière.

- Le couteau Madame et la discussion qui s'en est suivie, dis-je pour préciser ma pensée.

- Ho ça..., fit Lady Mary en haussant les épaules. Oubliez, de toute façon Sebastian aurait trouvé un autre moyen de se faire remarquer comme maintenant.

Je regardai la Comtesse avec un mouvement de recul avant de le chercher dans la salle, me demandant ce qu'il pouvait bien être en train de faire mais je ne le vis nulle part.

- Il n'est pas là et c'est le soucis, affirma la comtesse. Les invités veulent entendre ses récits de voyage.

- C'est problématique, fit simplement Judith.

- Justement... Trouvez le, j'ai envoyé un des valets à l'étage des maîtres, pour vérifier si il n'est pas avec un des enfants, vous deux, vous montez à l'étage des invités, assura Lady Mary.

- Et si Lord Sebastian refuse de venir? demandai-je au cas où.

- Dites lui que si il ne vient pas immédiatement, si vous mettez la main dessus bien sûr, je le renvoie en Inde et qu'il n'aura pas besoin de bateau, nous fit Lady Mary.

- Ho...

- Navrée, fit Lady Mary. Passez par l'escalier principal, cela sera plus rapide. Discrètement.

Évidemment que nous allions monter discrètement. Ce fut donc à pas lents qu'avec Judith, nous quittâmes la salle de réception, refermant la porte doucement et silencieusement.

- Mais où est-il ? demanda Judith.

- Il a le talent pour mettre Monsieur le Comte et son épouse dans l'embarras, grommelai-je. Montons vite.

Nous grimpâmes immédiatement les marches de l'escalier pour partir à la recherche de la vedette de la soirée qui brillait par son absence. Avec la fatigue de la journée, cela fut assez compliqué.

- Prends l'autre côté, dis-je en l'indiquant à Judith une fois arrivée.

Partant de l'autre, je frappai doucement à une porte avant de l'ouvrir pour vérifier la présence ou non du vicomte. Une seconde porte connut le même sort. Je regardai vers ma collègue de son côté et je la vis faire des grands signes. Mais qu'est-ce qu'elle me voulait ? Voilà ce que je me demandais. Elle m'intimait également de la rejoindre et aussi de me taire. Je la regardai en la rejoignant, bougeant les lèvres pour lui demander ce qu'elle faisait. Elle s'approcha soudainement à pas lent de moi.

- Je l'ai trouvé, dit-elle. Mais ne fais pas de bruit, dit-elle amusée.

Elle s'approcha alors d'une porte en se penchant, me poussant ainsi à remarquer que la porte n'était pas fermée. Je la vis agiter la main gauche comme si elle s'était brûlée et elle me fit signe d'approcher.

- Hmmm! fit soudainement une voix provenant de l'intérieur de la pièce.

J'écarquillai les yeux sous le choc, n'ignorant clairement pas ce que j'entendais. Judith se poussa un peu et me laissa voir. J'entendis alors même que je me penchais, un nouveau miaulement émis par une femme sûrement sujette à une certaine forme d'extase. En regardant, je vis alors la marquise, épouse de militaire, allongée sur un lit et cambrée. Elle était seule ou semblait l'être. Tout à coup, Judith me fit bouger.

- Hooo quel bonheur ! miaula encore la marquise.

En ayant changé ma position, je réalisai qu'un certain vicomte que nous cherchions était affairé. La situation était plutôt compromettante, pensant le voir en pleine saillie. Étonnement, je ne vis que ses cheveux, son visage caché par les cuisses du marquise qui se tordait sur le lit. J'étais littéralement choquée de voir cela, le vicomte semblant s'en prendre vigoureusement à ce que Lady Fullton appelait le bouton de rose. Il semblait lécher la vulve de la marquise comme il dévorerait un abricot bien juteux. Je déglutis en comprenant que cet homme faisait des choses bien indécentes à une marquise, mariée qui plus est. Comment pouvait-il s'adonner à une telle perversion ?

- Hooo Sebastian !!!! Ne vous arrêtez pas!!!! hurla presque la marquise.

- Ça soit être bien, me fit alors Judith.

Je tournai la tête vers elle choquée et elle regarda comme si son propos était normal. Je reportai mon attention sur ce couple adultère en plein ébats et ce que je vis me choqua. La marquise se cambra si violemment que j'aurai pu aisément croire qu'elle venait de se briser le dos, passant ses mains dans ses cheveux en se mordant si violemment les lèvres qu'elle pourrait en saigner. Je me redressai immédiatement, choquée et outrée mais rougissante également, tout cela m'était inconnu et je voyais ce genre d'actes pour la première fois. Je tirai immédiatement Judith par la main pour l'amener dans le couloir avant de m'écrier.

- Lord Sebastian ? dis-je assez fort. Êtes vous à cet étage ?

Judith me regarda comme si je venais d'interrompre le dernier spectacle à la mode à Londres. Je la regardai outrée quand je vis immédiatement derrière son épaule, la marquise assez échevelée sortir, un gant en main.

- C'est ma faute, nous fit la marquise. Je cherchais un gant et j'avais besoin d'aide.

- Ce n'est rien Madame la Marquise, dis-je poliment. Judith peux-tu l'escorter jusqu'à la salle de réception.

- Oui, suivez moi Madame, dit alors Judith.

- Je trouve votre travail excellent, je pense très bien vous récompenser, fit alors la marquise en descendant.

Naturellement, cela arrivait d'en avoir lors de telles soirées mais il était certain que c'était une manière de s'assurer de notre silence. Une telle honte pour une marquise retentirait jusque la grande ville de Londres. Sebastian mettait vraiment mes nouveaux maîtres dans l'embarras.

- Comment une femme aussi sensuelle peut être aussi piètre menteuse, fit alors une voix derrière moi.

Je me retournai brusquement vers le vicomte, car c'était bien lui qui parlait. Je vis immédiatement que la situation gênante de notre découverte ne semblait pas plus le déconcerter de cela.

- Lady Mary demande votre retour dans la salle de réception pour narrer vos aventures, dis-je alors en osant à peine le regarder.

- Mes aventures? Cela serait inconvenant, dit-il en riant.

- Je... Je voulais dire vos exploits... Vos récits de voyage, me rattrapai-je encore.

- Que vous me semblez perturbée jeune fille, me fit le vicomte en se recoiffant.

- Cette dame est une femme mariée, dis-je choquée qu'il prenne cela à la légère.

- Avec un vieillard si sénile qu'il semble oublier qu'une femme mérite de crier son plaisir à chaque instant, me rétorqua le vicomte.

- À chaque..., répétai-je choquée. Vous pourriez jeter l'opprobre sur la Maison Hayworth !

Lord Sebastian me fixa attentivement et je me rendis compte que je m'étais un peu emportée, immédiatement, je décidai de me justifier.

- Veuillez m'excuser, dis-je poliment. Je n'aurai pas dû...

- Quelle envie de défendre cette maison, dit-il amusé.

- Monsieur le Comte et son épouse m'ont bien accueillie, avouai-je alors. Lady Mary désire votre présence.

- Et vous? demanda-t-il alors.

- Moi? m'étonnai-je.

- Oui, cette hargne et ces joues si roses, fit-il avec amusement en tendant la main. Je parie qu'en cet instant vos sens sont parfaitement éveillés...

- Vicomte, c'est inconvenant, dis-je en reculant.

- Que diriez vous que je poursuive ce que je faisais avec la marquise mais avec vous? me proposait il comme si cela était normal.

- Grand Dieu, non, dis-je choquée.

- Une telle réaction..., fit-il avec un sourire diabolique. Serait-ce la première fois que vous voyiez cela? Cela deviendra-t-il un moment que vous reverrez quand vous vous adonnerez au plaisir seule dans votre chambre ?

- Vicomte... Cela devient parfaitement gênant, dis-je un peu froidement.

- Une jeune fille à l'éducation si stricte, elles deviennent si appétissantes quand elles découvrent les plaisirs charnels, fit-il en me fixant et s'approchant.

- Lord Sebastian, Lady Mary vous demande... Je risque des ennuis, tentai-je alors en dernier recours.

- Bon... Vous n'êtes pas dans de bonnes conditions, nous verrons cela une prochaine fois et vous savez déjà où est ma chambre, fit alors Lord Sebastian en se dirigeant vers l'escalier.

- Je me dois de refuser Lord Sebastian mais je vous remercie de descendre..., dis-je quand même.

- Et vous? demanda-t-il en me voyant fixée à l'étage.

- Je vais m'assurer que personne ne sache, dis-je en regardant vers la chambre.

- Attentionnée avec cela... Mais quel âge avez-vous ?

- Je... Je vais très prochainement vers ma seizième année, dis-je alors surprise. Dans deux semaines.

- L'âge où elles sont les plus fraîches... Si vous désirez être éveillée comme offrande, demandez moi, fit-il en riant et descendant les marches.

Si j'avais eu quelque chose à lui jeter, et surtout si j'en avais le droit, je l'aurais fait. J'étais en colère contre lui, il risquait réellement de nuire aux Hayworth avec ses comportements indécents et outrageux. Je devais m'arranger pour que personne ne sache et donc je filai dans cette chambre pour m'en assurer, comme si ma journée n'avait pas déjà été assez remplie...



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