Magic in Words

Chapitre 1 : Il était (encore) une fois

6670 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/08/2022 09:37

Chapitre Premier

Il était (encore) une fois



New York, la Grosse Pomme ou encore La Ville qui ne dort jamais, restait et restera à jamais reconnaissable à son dédale de rues perpendiculaires. Ville extrêmement diversifiée par sa population ou ses cultures diverses, elle restait pourtant le symbole de la tristesse du béton et d'une population qui avançait dans la vie sans jamais s'arrêter. Ses immenses rues et sa circulation aussi encombrées que les vaisseaux sanguins du corps humain poussaient sa population à choisir souvent des moyens de locomotion diversifiés. Beaucoup avaient pour préférence l'une des nombreuses lignes de métro, d'autres pour des motos ou encore certain, pour les trotinettes, électriques ou non.

Au beau milieu de Brooklyn, un vélo serpentait nerveusement et avec vitesse au milieu de ses monstres de métal qui ne pouvaient s'exprimer que par des crachats sonores émis par leurs klaxons. Le jeune homme posté sur ce véhicule à deux roues, pas forcément très récent mais toujours très bien entretenu, vérifia la sangle gauche de son sac à dos qui reposait sur ses épaules. Il en profita également pour rejeter ce qui semblait être une guêpe de sa veste en cuir qui lui collait la peau du bras. Il dut également lever la main gauche de son guidon pour aller frotter avec empressement son front et ainsi empêcher une énième perle de sueur de se glisser dans ses yeux. L'été était chaud et ce mois d'août était sans doute un des plus chaud qu'il avait pu connaître en seize ans d'existence. Le jeune homme eut un excellent réflexe et pressa avec force les freins de son vélo, surélevant par la même occasion la roue arrière et stoppant celle à l'avant à quelques centimètres d'une grosse berline.

- Lâche ton téléphone connard!!! hurla alors le jeune livreur.

Le fameux chauffeur de la berline ne sembla pas pour autant l'entendre et continua son trajet, tel un rouage immuable, un des millions de rouages faisant tourner la ville la plus peuplée des États-Unis. Le jeune homme se contenta de soupirer et se dirigea vers le trottoir pour vérifier son vélo.

- Si j'avais reçu un dollar à chaque fois qu'un connard de chauffard avait failli me renverser, on aurait plus aucune dette, s'exclama le jeune homme.

Ce jeune homme de seize ans, personnage principal de cette étrange histoire, s'appelait Connor Georges Binder et était un pur produit du vingt-et-unième siècle. Plus souvent les yeux rivés sur un écran que sur le monde réel, un casque majoritairement présent au sein de ses organes auditifs et une fâcheuse tendance à râler pour tout et pour rien, Connor avait cependant une certaine différence avec les jeunes de son âge. Il avait en effet une énorme passion pour les livres qu'il avait hérité de sa famille maternelle et principalement de sa mère Mina Binder, une femme de trente-six ans qui n'avait jamais réellement quitté Brooklyn non plus. Cette passion, Connor et sa mère la tenaient simplement du seul bien de valeur qu'ils possédaient : une librairie ancienne. Ce bien qui se léguait de génération en génération au sein de sa famille ne brillait cependant plus vraiment au firmament. Il y avait déjà belle lurette que les gens n'achetaient plus leurs livres que dans des grandes surfaces ou chez les géants du net et appréciaient leurs livraisons en vingt-quatre heures. La famille Binder ne voyait plus entrer que quelques clients par semaines, d'irréductibles lecteurs qui aimaient cette odeur si particulière du papier jaunissant et des reliures en cuir. Magic Books, la fameuse librairie, avait pourtant un magnifique choix de livres anciens et de secondes mains même si ils s'étaient modernisés malgré tout pour vendre tous les bestsellers récents. Mais ces mêmes livres anciens, ils n'attiraient plus les foules et désormais, ils étaient devenus le loisir de Connor. Il fallait bien reconnaître que voir entrer un ou deux clients par jour, dont la moitié étaient des touristes qui avaient à peine entendu parler de cette institution datant de la fondation de New York par les colons; cela laissait un sacré temps libre pour arpenter les rayonnages et se plonger dans les aventures aussi incroyables que prenantes que certains grands noms tels Lovecraft, Stocker, Doyle ou Christie s'étaient quand même épuisés à écrire. Sachant que par dessus le marché, Connor avait réussi à se faire virer de son lycée deux mois avant la fin de l'année scolaire pour absentéisme aggravé lui avait laissé encore plus de temps sous la surveillance de sa mère improvisée maton. Désormais, ses seules sorties encore autorisées étaient les livraisons aux clients âgés, parfois tout aussi rares que les autres pourtant.

- Bon elle habite où ? marmonna alors Connor en sortant son téléphone pour vérifier l'adresse.

Déplaçant agilement ses doigts sur l'écran plutôt joliment fissuré d'un smartphone assez daté avec une vitesse qui indiquait bien que ce fleuron de technologie moderne pourrait lui être greffé à la main, Connor retrouva l'adresse plus vite qu'un enfant laçant ses chaussures. Il remonta sur son vélo et d'un coup de pied, il était reparti dans ses déplacements erratiques entre les véhicules. Il n'était guère compliqué de se déplacer dans la ville qui ne dort jamais, encore moins quand on en est natif, grâce aux rues quadrillées. Il suffisait en général de suivre les chiffres. Enfin arrivé à destination, Connor descendit de son engin sans même avoir pris le temps terminant ainsi son mouvement grâce à l'élan. Aussi rapidement, il y attacha un antivol, plus que nécessaire malheureusement. Laisser un vélo sans protection même si cela ne durait que dix minutes, c'était bien le meilleur moyen de se retrouver à acheter un ticket de métro. Il enleva le sac à dos de ses épaules pour le tenir à la main et se dirigea vers la porte d'un bâtiment comme New York en comptait des dizaines de milliers et chercha un nom sur l'interphone, celui de sa cliente.

- Madame Nesbitt... Nesbitt... Ha, fit-il avant d'appuyer sur le bouton et de patienter. Je me sens vieillir...

Il patienta dix minutes, avec autant de patience qu'une sauterelle surexcitée par la migration et commença à s'énerver. Sa mère avait tendance à lui répéter que leurs clients fidèles qui désiraient ces livraisons étaient âgés et lents, il avait quand même l'impression que c'était assez interminable. Il en profita pour détacher son casque et l'enlever, laissant apparaître ses cheveux ébouriffés et longs de quelques centimètres. Il passa sa main dans ses filaments capillaires marrons foncés qui ne juraient nullement avec ses yeux noisettes et se rendit compte à quel point il était trempé de sueur.

- Beurk..., marmonna Connor avant d'essuyer sa main sur son jean noir.

- Oui ? fit une petite voix dont le timbre évoquait clairement l'âge avancé de sa détentrice.

- Madame Nesbitt... C'est Connor, fit-il en réponse sachant pertinemment que la dame savait qui il était.

- Ho le petit Connor, répondit la cliente confirmant les pensées de Connor. Je t'ouvre, quatrième étage troisième porte mais l'ascenseur est en panne.

- Pas de problème, affirma malgré tout le jeune déjà habitué.

Un ascenseur en panne à New York, c'était comme des fruits et légumes chez un primeur: parfaitement normal. Il entra dans l'immeuble de rapport, parfaitement typique des années quarante et grimpa les marches quatre à quatre pour aller plus vite. Il arriva rapidement au quatrième étage, haletant un peu quand même ; le tout avant de s'engouffrer dans le couloir. La dame âgée, aux cheveux gris souris si typique de ces gens à l'âge avancé, lui souriait de ses magnifiques dents qui ne laissaient aucun doute sur le fait qu'il s'agissait d'un dentier.

- Bonjour Connor, entre donc, lui fit la dame d'un certain âge.

Connor sourit, sachant que comme tous les clients de son âge, elle aimait être aux petits soins pour lui et sa mère depuis la mort de son grand-père d'un cancer du pancréas deux ans plus tôt, maladie du siècle ayant également emporté sa grand-mère deux années avant son époux. Le seul léger et petit défaut de ces fameux clients : ils oubliaient qu'il était un adolescent et agissaient comme avec un enfant.

- Vas donc dans la cuisine, tu veux un verre de lait avec un cookie ? lui demanda la dame.

- Vous n'auriez pas une citronnade ? demanda rapidement Connor préférant cela.

- Si... Faite maison, lui répondit la dame en ouvrant un de ses placards de cuisine sans doute encore plus âgés qu'elle.

Posant son sac à dos sur la table, il en sortit rapidement un livre emballé dans un papier Kraft au logo de la librairie, un gros livre brillant de mille feux. Il s'empressa de déballer le livre et put ainsi poser l'édition ancienne du journal d'Anne Frank et un livre de compte bien plus récent permettant de lire une petite histoire chaque soir à un enfant. Il entendit alors une musique issue d'un film en prise de vue réelle par le grand studio au logo de souris aux grandes oreilles.

- C'est Something Else, fit-il en reconnaissant la voix caractéristique de l'actrice britanique incarnant Belle à l'écran.

- Ma petite fille est dans le salon, si tu veux la connaître, fit la dame en tenant un verre.

Connor la fixa attentivement et comprit qu'il ne s'agissait nullement d'une proposition mais presque d'un ordre. Il ne soupira pas et reprit les livres pour aller au salon. Il y découvrit alors, sans grande surprise, une petite fille dans une robe dorée de princesse qui fixait le téléviseur et l'actrice en pleine chanson. Il haussa rapidement les yeux au ciel, consterné comme à chaque fois par ces nouvelles versions qui n'avaient pas grand chose de plus que les dessins animés plus anciens. Au moins les effets spéciaux valaient le coup.

- C'est Emma, fit la grand-mère sortant de sa contemplation consternée.

- Oui, j'avais reconnu, avoua Connor en s'asseyant avant de comprendre que la petite fille portait en réalité le même prénom, assez courant il faut bien avouer. Ho d'accord... C'est pour elle les histoires je suppose.

- Tu supposes bien, fit la grand-mère en lui tendant enfin son verre à qui il fit grand honneur.

- Merci... Tu aimes les contes? demanda Connor à la petite Emma.

- Oui! Surtout les princesses ! répondit la petite du haut de ses sept ans environ.

- Je vois..., marmonna Connor sachant qu'entre ces films et les histoires originelles bien moins joyeuses, beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts.

- Elle est mignonne ma petite princesse, fit la grand-mère attendrie.

- Bien sûr, répondit Connor par politesse mais s'en foutant plutôt royalement.

- Ho oui... Je te dois combien ? demanda-t-elle.

Connor sortit sa mémoire secondaire de sa poche et fouilla dans le téléphone pour annoncer la douloureuse.

- Dix-sept pour les contes et vingt-trois cinquante pour Anne Frank, ce qui fait quarante dollars cinquante, annonça le jeune homme à la cliente.

- Cela les vaut, fit alors la cliente en sortant deux billets de vingt et un de cinq. Garde le reste.

- Merci Madame, fit-il en plaçant l'argent dans la poche de sa veste.

- Comment va ta maman ? demanda rapidement la cliente cherchant à discuter avec quelqu'un de plus mature que sa petite fille.

- Elle s'arrache les cheveux en lisant ses livres de comptes, avoua Connor.

- C'est de plus en plus dur... Je me rappelle que de mon temps on avait un café pour cinquante centimes... Et pour cinq on avait...

Connor écouta d'une oreille distraite, évitant d'interrompre une longue litanie sur le thème du "c'était mieux avant" pas forcément fausse. Il se souvint alors de ses courses dans les allées de la librairie quand il suivait son grand-père alors qu'il avait le même âge que la petite fille de sa cliente. À l'époque, il fallait courir pour servir les clients qui s'y connaissaient et qui étaient nombreux. Une si belle époque qui lui manquait. Aussi loin que sa mémoire était capable de lui revenir, ils avaient toujours été quatre. Son père, ou plutôt son géniteur, n'avait été qu'un connard de passage incapable de prendre ses responsabilités. Il ne pensait même pas avoir déjà interrogé sa mère sur son donneur de sperme comme il l'appelait si souvent. Il s'en foutait mais alors royalement, ce n'était pas comme Larry. Larry avait été son beau-père pendant quatre ans, de ses huit à douze précisément lui apprenant même à jouer de la guitare et de la batterie, Larry étant professeur d musique. Malheureusement, comme bien des histoires d'amour, elle s'était terminée tout simplement. Depuis, même si sa mère avait eu des aventures, elle ne lui avait plus présenté d'hommes. Et maintenant, ils n'étaient plus que deux, avec une librairie qui sombrait aussi sûrement que le Titanic.

- Mais fini de parler de moi, fit enfin la dame. Ta mère t'a trouvé un lycée ?

- Hein? sursauta soudainement Connor. Comment vous...

- Tout se sait à Brooklyn, avoua la dame avec un sourire digne d'un agent de la Central Intelligence Agency.

- Ben il va falloir aller plus loin, répondit Connor dans un soupir.

Pour une étrange raison qu'il ne comprenait qu'à moitié, le principal de son établissement s'était assuré que l'absentéisme compulsif de Connor ne se reproduise dans aucun lycée de Brooklyn. Sa mère en voulait clairement à ce principal d'avoir fait de son fils un délinquant, du moins en réputation et ce dernier n'avait pas intérêt à se présenter devant Mina Binder. Il existait cependant une raison qui restait totalement inconnue de Mina Binder et qui devait cependant être la véritable raison de l'exclusion de Connor. En effet, le Principal l'avait trouvé chez lui. Connor n'y était nullement entré par effraction évidemment, il se trouvait dans la chambre de la fille du principal et plus précisément dans le lit, le tout dans une tenue qui confirmait qu'ils n'étaient pas en train de jouer au Scrabble. Fin d'une histoire sentimentale de deux mois et d'une scolarité normale. Information que Connor conserverait sans doute secrète jusqu'à son lit de mort.

- Je vais devoir vous laisser, Maman va m'attendre, annonça Connor. N'hésitez pas à commander à nouveau chez Magic Books.

- Évidemment, ce commerce je le connais depuis si longtemps... Il a toujours été là et j'y resterai fidèle... C'est pas comme internet... Invention du diable ! annonça la clientèle prête à brûler les serveurs sur un bûcher.

- Ça a du bon quand même... Bon film et bonne lecture, fit Connor en sortant de l'appartement.

Il était plutôt pressé de rentrer, il avait envie de se poser et de casser la croûte. Il se dépêcha donc de se baisser pour détacher l'antivol quand une ombre se porta sur lui par dessus son épaule.

- Connor? appela une douce voix féminine.

Ce dernier se retourna surpris et tomba nez à nez avec Cassandra, la fameuse fille du principal. Cette dernière était étonnamment bien habillée dans une jolie robe noire qui lui rappelait leurs nombreux rendez-vous.

- Cassandra? s'étonna le jeune homme. Tout va bien? ajouta-t-il en regardant partout.

- Il gare la voiture, fit-elle mal à l'aise. Il ne t'a pas vu.

Elle parlait évidemment de son père et cela Connor le savait. Son père pourrait sortir la torche et la fourche pour chasser Connor qui avait osé dévergonder sa fille. Ce catholique pratiquant aux idées d'un autre âge ignorait que dans les deux, cela avait été Connor l'inexperimenté et que sa fille avait certains dons qu'elle avait déjà dû pratiquer. Naturellement, il n'était pas du genre à le signifier au père de celle-ci de la même manière qu'il ne s'était jamais venté d'avoir des relations sexuelles avec elle.

- Connor...

- Laisse tomber, j'avais bien compris que te revoir était un peu mort, avoua le jeune homme.

- Je savais pas qu'il allait faire ça, s'excusa presque Cassandra.

- Il tient à toi c'est tout, je trouverai un autre lycée, confirma Connor malgré tout. Par contre t'es canon...

- Merci, fit-elle malgré tout touchée par le compliment. Des invitations pour un vernissage... Et une rencontre avec une famille de notre église.

- Il te cherche un nouveau mec qui croît à la virginité le grand soir? demanda Connor toujours très amusé.

- Mouais... Si il savait hein? fit elle tristement. Pourquoi tu lui as rien dit?

- Il pouvait déjà pas me blairer avant alors... Autant que l'on t'évite l'école de jeunes filles prudes, ajouta Connor avec un clin d'œil.

- C'était bien le temps que ça a duré... Non? demanda-t-elle.

- T'hésites? Ça me vaut le bagne avec ma mère alors... J'espère que c'était bien aussi pour toi... Dommage pour le club de quiz, lança Connor à son ex.

C'était bien là-bas que tout avait commencé entre eux. Le club de quiz et ses tournois nationaux. Connor excellait dans cette discipline même si il ne faisait en général aucun effort en cours se contentant de la note moyenne.

- Ce n'est pas que pour le club que c'est nul, même si dès l'année prochaine on représentera l'état. J'aimais bien être avec toi... T'étais pas pressant, précisa Cassandra.

- Gaffe voilà le vieil orgre, fit alors Connor en enfilant son casque.

- Fais gaffe à vélo, tu m'as toujours faite flipper..., précisa Cassandra avant de l'embrasser sur la joue.

- Dévergonde le, lança enfin Connor pour conclure sa conversation avant de partir.

Il la regarda simplement en s'éloignant, elle était toujours aussi canon. C'était bien dommage pour lui. Depuis, il aimerait bien une nouvelle copine mais malheureusement, dans la librairie, la moyenne d'âge était beaucoup plus âgée. Rejoindre la librairie fut assez rapide et, après avoir attaché soigneusement son vélo, il pénétra dans ce bâtiment semblant sortir tout droit d'Harry Potter. L'odeur de vieux livres le saisit, le transportant dans ses souvenirs. Il regarda vers le comptoir en bois ancien sublime et ouvragé où était stationnée sa mère visiblement en plein cauchemar. Il s'approche du comptoir et déposa l'argent des trois livraisons à sa mère pour un total d'environ cent-cinquante dollars.

- Ça va M'man? demanda Connor inquiet.

- Facture du couvreur, fit simplement sa mère en posant une lettre.

- La fuite devait être réparée, précisa Connor en enlevant sa veste pour la déposer sur une chaise.

- T'avais l'impression que c'était un gouffre financier à l'époque de tes grands-parents ? demanda sa mère en posant sa calculatrice.

- Bah... Sans doute vu l'âge des murs... Tu te souviens pas le désamiantage ? demanda Connor en se souvenant de cette action qui a avait eu lieu au moins dix ans plus tôt.

- Si c'est vrai..., marmonna doucement sa mère. Je crois que tu ne pourras pas avoir d'argent de poche ce mois-ci, s'excusa sa mère doucement.

- Ça tombe bien, je suis privé de sortie, avoua Connor avec un sourire mesquin.

- Faute à qui? fit sa mère en posant une assiette entre eux. Burrito.

- Cool! lança l'accro de service à la finger food. Je t'aime.

Sa mère tourna la tête alors qu'il croquait avec grand appétit dans le burrito laissant de la sauce fromagère marquer la comissure de ses lèvres. Elle le fixa en plissant les yeux et il la sentit bizarre.

- Quoi? fit-il en avalant difficilement.

- Rassure moi... Le "je t'aime" c'était pour moi ou le burrito? demanda sa mère en riant de sa propre blague.

- Devine... Alors ça sent mauvais ? fit alors le fils unique en fixant le carnet de compte.

- Encore plus de dépenses que de rentrée d'argent... Pas assez de commandes sur notre site non plus, fit sa mère sur un ton dépressif. Ce ne sont franchement pas des comptes de fée, tenta Mina avec humour.

- Ok... À rayer de la liste, grommela Connor en mangeant une autre bouchée.

- Liste? Quelle liste? demanda sa mère stupéfaite en mangeant deux ou trois nachos qu'elle avait dû acheter avec le burrito de son fils.

- Celle de reconversion, on oublie le stand-up, fit son fils avec mesquinerie.

Sa mère lui lança un stylo bille à la tête et il l'esquiva sans mal avant d'aller le ramasser. Il s'apprêtait à le déposer sur le comptoir quand il remarqua quelques prospectus de lycées privés. Il regarda sa mère choqué.

- On a pas les moyens, lança Connor à sa mère.

- Je ferai un crédit... Une hypothèque sans doute, ajouta sa mère en regardant le bâtiment.

- Je peux trouver un boulot, tant pis pour le lycée, proposa son fils assez désireux de conserver le bâtiment.

- Sûrement pas! s'offusqua sa mère. J'ai envoyé plein de mails pour essayer de savoir si il est possible d'avoir une bourse... J'attends des réponses.

- Comme tu veux, précisa Connor en essuyant ses mains.

- Cette fois, pas d'absentéisme, précisa sa mère.

- Ho ça va... J'avais la moyenne, précisa Connor.

- Alors que tu as les capacités pour faire mieux, ce qui aurait clairement été plus simple pour obtenir une bourse, le club de quiz ne fait pas tout, s'énerva sa mère.

- Je sais..., répondit Connor en haussant les yeux au ciel. Bon j'ai bien mangé... Je fais quoi?

- Si tu peux continuer l'encodage des livres anciens, t'es plus à l'aise avec une tablette, précisa sa mère. Et mets tes lunettes pour lire.

Connor soupira en avançant vers le fond du magasin, juste à côté de la porte de la réserve. C'était un petit bureau qui servait à encoder toutes les informations sur les livres plus anciens que vendait la librairie. La plupart ne possédant en effet pas de code barre, il fallait bien enregistrer l'intégralité des informations si ils espéraient vendre ces livres anciens au bon prix, assez cher forcément. Il détestait mettre ses lunettes même si elle n'était pas grande, il trouvait que cela lui donnait un air à Ebenezer Scrooge, le vieux radin aigri du conte de Noël de Charles Dickens. Il soupira en s'installant avant de commencer son travail de fourmi. C'était long, chiant et poussiéreux surtout mais toujours agréable de trouver une édition originale d'oeuvres anciennes, comme ce vieil exemplaire de l'Abbaye de Northanger par Jane Austen, un roman datant de dix-huit cent dix-huit. Soudain, son téléphone lui notifia ,d'un son caractéristique de machine à sous, qu'il avait reçu un message. Il le sortit rapidement de sa poche et l'alluma.

- [ Salut... Je te dérange ? ] lui demandai Cassandra.

- [ Non. Ça va? ] lui envoya Connor en réponse avant de patienter.

- [ Je me fais chier... Et le mec est un gros nul ] lui assura Cassandra.

- [ Je te plains. Désolé ] répondit Connor.

- [ Tu me manques en fait... Surtout tes massages. T'es sûr que tu ne veux pas que je dise la vérité à mon père ? ] lui demanda encore une fois Cassandra.

- [ Inutile. Et puis tu trouveras un mec bien. ] précisa Connor.

- [ T'es avec quelqu'un ? Une fille je veux dire. ] lui demanda Cassandra avec ce qui semblait être une touche de jalousie.

- [ T'as oublié que je sais pas draguer ? ] lui demanda Connor très amusé.

- [ T'avais même pas compris ce que je voulais dire par réviser. Lol ] ajouta Cassandra.

- [ Je l'ai vite découvert. Pas plus mal. ] précisa Connor avec un emoji faisant un clin d'œil.

- [ Merde mon père me cherche... Faut garder le contact ok? Bye. ] conclut alors Cassandra visiblement pressée.

- Bon... Retour à l'encodage, marmonna Connor perdu dans ses pensées.

Il trouvait quand même cela flatteur que Cassandra désire visiblement remettre le couvert et sans doute repasser de bons moments sous la couette. Malheureusement, ce n'était clairement plus le moment de reprendre des risques. Connor pensait en effet que le père de sa charmante dulcinée devait encore avoir des contacts et il lui semblait avoir déjà assez payé le prix. Il regarda le gros tas de livres anciens et prit le suivant avec énormément de délicatesse avant d'encoder cet exemplaire des Mille et Une Nuits édité au dix-neuvième siècle. Cela ne le dérangeait pas de faire cela, c'était même très loin d'être une punition ou même une corvée. Depuis tout petit il rêvait en effet de rependre ce commerce, avec sa mère pour commencer comme à cet instant là avant de se lancer lui-même. Il avait déjà conseillé à sa mère de déroger aux traditions en créant un gros présentoir de livres contenant ce qui marchait énormément. Figuraient donc en tête de gondole les derniers romans ayant ou inspiré ou étant inspiré des séries Netflix, les romans pseudo-érotiques tels Fifty Shade of Grey ou encore les fameux Twisted Tales censé changer des dessins animés inspirés des contes. Cela leur valait quelques situations absurdes comme ce fameux client qui avait débarqué choqué d'apprendre que l'on avait écrit un roman sur Le Jeu de La Dame sans même savoir que ce roman était bien plus vieux. Souvent, les gens ignoraient que le monde de l'audiovisuel n'inventait pas grand chose et qu'il préférait piocher dans l'univers de la littérature. Tant de magnifiques œuvres transformées en autant de bons films que de gros nanars. Connor releva soudainement le tintement du carillon de l'entrée et prêta, comme à chaque fois, une oreille attentive pour aider le client au besoin même si il savait que sa mère cauchemardait en cet instant sur ses comptes, accrochée au comptoir comme à une bouée pour éviter de sombrer sous les dettes.

- Bonsoir Mademoiselle, bienvenue, fit la voix de sa mère au loin.

- Bonsoir à vous Madame, fit alors une voix non seulement douce mais surtout jeune.

C'était suffisamment rare pour perturber la concentration de Connor et de le distraire de sa tâche actuelle. Il releva doucement la tête pour essayer d'observer la cliente avec une si belle voix. Il se tordait même en arrière pour essayer de la discerner mais d'aussi loin, il ne pouvait voir que les cheveux de la femme, des cheveux noirs ondulés ornés de quelques mèches rouges.

" Elle doit être jeune pour avoir de telles mèches" pensa rapidement Connor en sauvegardant sa base de données sur la tablette. Il se redressa carrément pour voir ce qu'il se passait.

- Vous cherchez quelque chose de particulier ? demanda soudain sa mère à la jeune femme qui n'avait pas bougé.

- Oui, je ne veux pas vous déranger mais je cherche une édition assez ancienne, précisa la jeune fille.

Connor était aux anges, littéralement même. Qu'une fille de son âge ou à peine plus âgée connaisse la valeur de ce genre de choses lui plaisait et comme tout bon adolescent, les hormones bouillonaient évidemment. Il quitta rapidement son petit espace de travail et avança vers le comptoir d'accueil.

- Nous avons un bon choix. Vous avez une préférence ? demanda alors sa mère.

- Je vais m'en occuper, lança Connor qui avait traversé le magasin plus vite que jamais et essayait de se donner un air intéressant.

- Mon fils connait le magasin comme sa poche, assura sa mère à la jeune fille non sans jeter un coup d'œil on ne peut plus suspicieux à son fils.

Ce fut alors l'instant que choisit la jeune fille pour se retourner et offrir son minois à la contemplation de Connor. Elle était clairement jeune, ils ne devaient pas avoir plus d'un an d'écart selon Connor. Mais cela n'empêchait nullement de remarquer que la jeune fille avait un physique des plus avenants : de grands yeux verts soulignés par un doux traits d'eye liner, une peau blanche et peu bronzée dont les joues étaient ponctuée d'un peu de maquillage mais surtout un rouge à lèvres rouge vif et intense. Même sa tenue, un chemisier noir et un pantalon gris rayé se terminant par des chaussures à talons aiguilles rouges lui donnait un air mature mais également un port altier digne d'une mannequin.

- B... Bonjour, fit Connor perdant clairement ses moyens.

- Bonjour, fit la jeune fille pas le moins décontenancée. Je cherche une édition ancienne des contes de Charles Perrault.

- Nous avons ça, fit alors Connor plus qu'heureux de la satisfaire. Si vous voulez me suivre.

- Je vous remercie, fit-elle sur un ton distingué et ayant cependant des relents de snobisme.

Connor venait clairement de cerner qu'ils n'appartenaient pas au même monde mais cela n'allait pas l'empêcher d'être serviable comme avec n'importe quel autre représentant de la clientèle si importante.

- Je préfère vous prévenir, ces éditions coûtent cependant bien plus cher, fit poliment Connor en se retournant.

- L'argent n'est pas un problème, précisa la jeune fille.

" Ça, je l'aurais deviné tout seul" pensa alors Connor en marchant. Il la guida dans les travées de rayonnage du magasin, convaincu qu'elle le suivait grâce au cliquetis des talons. Il arrivait déjà au bon endroit mais voulu jouer au bon commerçant.

- Il est assez rare qu'un client de votre âge soit intéressé par des éditions anciennes, fit poliment Connor en souriant à la jeune fille.

- C'est pour un cadeau, fit poliment la jeune fille en souriant. Pour ma grand-mère qui a une grande collection, ajouta-t-elle en replaçant ses cheveux.

Connor arriva enfin au bon endroit et l'indiqua à la jeune fille. Cette dernière se hissa sur la pointe des pieds, se cambrant légèrement et offrant à Connor une vue qu'il préféra éviter d'observer.

- Vous avez un très bon choix, comme indiqué sur votre site, fit la jeune fille.

- Merci mais les ventes sont rares, précisa Connor.

- Je comprends, fit cette dernière en attrapant un premier exemplaire. Les gens ignorent la valeur de ces histoires... Si différentes.

- Ils connaissent les versions grand public, précisa alors Connor avec un sourire.

- Dire que ces histoires sont si tristes à l'origine, précisa en retour sa cliente.

- Mon grand-père disait toujours que les contes modernes faisaient rêver et les contes originels réfléchir, ils donnaient également l'envie de protéger ces personnages, fit alors Connor.

- Je comprends, il y a tellement d'histoires tristes, je... Kof... Kof..., s'interrompit la jeune fille prise d'une quinte de toux.

- Navré pour la poussière, précisa Connor mal à l'aise.

- C'est... Kof... Kof... de l'histoire... Kof... Kof, avait dû mal à articuler la cliente.

- Vous voulez de l'eau? s'inquiéta enfin Connor avant de voir la jeune fille hocher la tête de manière positive. J'arrive.

Connor se hata plutôt deux fois qu'une de rejoindre le comptoir et sauta par dessus le battant pour rejoindre leur kitchenette du commerce, leur logement étant au-dessus et trop loin.

- Ça va ? s'étonna sa mère qui prenait un thé.

- Elle s'étouffe avec la poussière, précisa Connor en prenant une bouteille.

- Un peu précieuse, marmonna sa mère.

- Ouais mais elle veut acheter un bouquin qui vaut du pognon, précisa Connor avant de repartir.

Il se dépêcha de faire le chemin inverse, courant presque dans les travées avec sa bouteille à la main. Il l'entendait encore tousser quand il arriva près d'elle. Elle était même pliée en deux, cela aurait pû être inquiétant. Il lui tendit doucement la bouteille et elle eut un regard reconnaissant en la prenant. Elle avait la peau douce et cela, Connor s'en rendit compte quand leurs doigts se sont effleurés lors de l'échange de la bouteille. Elle le regarda légèrement mal à l'aise et elle ouvrit la bouteille pour boire.

- Merci, fit-elle une fois la gorge rafraîchie.

- Le magasin est ancien, répondit Connor mal à l'aise.

- Ce n'est pas grave, lui assura la jeune fille avec un regard doux capable de le faire craquer. Alors mon Charles Perrault ?

- Oui, bien sûr, répondit Connor avec un sursaut. Nous avons une édition originale et en francais des Histoires ou contes du temps passé de la fin du dix-septième siècle.

- Ho cela plairait énormément à Nana... Ma grand-mère, précisa la jeune fille. Elle est comme qui dirait fanatique.

- À ce point ? s'étonna Connor.

- Principalement du Petit Chaperon Rouge même si cette version est extrêmement triste, avoua la jeune fille pensive voir attristée.

- Elle et la grand-mère meurent dévorées le loup, fin de l'histoire, marmonna Connor.

- Malheureusement, confirma la jeune fille. Je suis très tentée par cet ouvrage.

- Vous ne demandez pas le prix? s'étonna Connor.

- Quel est-il ? demanda enfin la jeune fille.

- Cette édition est à cinq mille dollars, c'est l'ouvrage le plus cher du magasin. C'est pour ça que l'accès se fait accompagné et que la zone ressemble à une réserve, expliqua Connor.

- Cinq mille... Parfait je le prends, avoua la jeune fille sans franchement réfléchir à la dépense.

Connor voulut alors demander si elle avait de quoi payer mais le regard supérieur de la jeune fille évoquait clairement que cela ne devait pas poser de problème. Il la guida vers le comptoir et sa mère qui découvrit avec des yeux ronds l'achat.

- Vous... Vous désirez un emballage cadeau ? demanda la mère de Connor stupéfaite.

- Ce n'est pas nécessaire, juste le sac de la librairie, répondit la jeune fille poliment.

- Oui... D'accord, ajouta Mina toujours sous le choc.

La porte de la librairie s'ouvrit et Connor détacha son regard de la jeune fille pour observer le nouveau venu. Il s'agissait d'un homme vêtu d'un costume complet extrêmement sobre. Il s'approcha rapidement de la jeune fille et s'adressa à elle.

- Mademoiselle Redding? l'interpella l'homme.

- Qu'y a-t-il encore Herbert? demanda la jeune fille avec une profonde lassitude.

- Monsieur Votre Père m'a demandé de vous signifier qu'il vous attend au restaurant, il l'a intégralement réservé, expliqua alors ce qui était un employé.

- Je lui avais dit que j'avais quelque chose d'important à faire, de très important, grommela la jeune fille. Veuillez excuser cet empressement, précisa la jeune fille à Connor et sa mère.

- Je me dépêche, précisa Mina.

Connor observait cet étonnant spectacle légèrement intrigué par ce nom de famille. Il l'avait déjà entendu quelque part.

- Je n'ai pas pensé à vous demander si vous acceptiez les chèques, réalisa la jeune fille en sortant un chéquier de son sac à main au logo de marque de luxe.

- Pour un tel montant, aucun soucis, assura Mina.

Connor vit la jeune fille tendre le sac à son employé qui en prit grand soin avant de s'attabler au comptoir et de remplir son chèque avec un stylo en or.

- Il est encaissable immédiatement, soyez en assurée, précisa la cliente visiblement richissime.

- Merci à vous et au plaisir de vous revoir chez nous, précisa Mina.

Connor regarda donc la jeune fille s'éloigner avec son employé et chauffeur. Ce dernier lui tint alors la porte et elle jeta un dernier regard de ses yeux verts en arrière avant de sortir du commerce.

- J'arrive pas à y croire, marmonna Mina en fixant le chèque. Ça va rembourser pas mal de factures...

- C'était surréaliste... Mais cette fille..., murmura Connor.

- Rêve pas mon grand, on ne mélange pas les torchons et les serviettes..., fit sa mère en souriant.

- Ha ha... T'es tordante... Je peux voir le chèque ? demanda Connor en s'approchant.

- Il n'est pas à son nom et il n'y a pas ses coordonnées, c'est un chèque à en tête, cela doit être une héritière. Tu pourras pas récupérer son adresse, précisa Mina en riant.

- Je m'en fous, fit Connor avec empressement. Nom de dieu !!!

Il avait enfin compris d'où il connaissait le nom de la jeune fille. La société n'était autre que la société Red Hood.

- C'est Red Hood... C'est la fille de Victor Redding, marmonna Connor en fixant la porte.

- Je suis censée connaître ? demanda Mina.

- Mais M'man! Red Hood? Non? Ils ont détrôné Amazon dans les services de livraisons à domicile. Avant ils ne livraient que des produits alimentaires, une petite fabrique de confitures... Depuis ils sont associés avec des centaines de petits indépendants pour fournir leurs produits... Leur chiffre d'affaires se compte en milliards bordel... Victor Redding est aussi riche qu'Elon Musk... Et philanthrope en plus... T'as mis la carte dans le sac? l'interrogea rapidement Connor.

- Oui bien sûr... Mais pourquoi ? demanda Mina.

- Imagine qu'elle est satisfaite, ils pourraient nous proposer un contrat. On pourrait vendre à l'international !!! s'excita Connor. Imagine qu'ils reviennent !

- Ils ou... Elle? demanda sa mère mesquine.

- M'man! Je pense pas qu'à ça... Pas tout le temps! s'énerva Connor. C'est peut-être le moyen de sortir de la merde!

- Ce qui ne résout pas ton problème de lycée, précisa Mina.

- C'est tout ce qui te préoccupe ? demanda Connor consterné.

- Pour l'instant oui, c'est l'avenir de mon fils... Arrête de tirer des plans sur la comète, lui rappela sa mère.

- J'arrive pas à y croire... Tes trop terre à terre pour quelqu'un qui vend des livres qui poussent l'imaginaire à son paroxysme, marmonna Connor en retournant bosser.

Il était surtout consterné du manque d'ambition maternelle. Il était convaincu que cette rencontre pourrait bouleverser leurs vies et il avait raison même si il ne le savait pas encore. Ce que le jeune homme ignorait cependant également, c'était bien que ce bouleversement serait plus que particulier mais cela, la suite lui fera découvrir.


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