La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1

Chapitre 2 : C'est parti pour les ennuis !

4617 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/08/2022 12:00

Raeni sursauta lorsque la porte claqua. Elle s’était pourtant retournée pour voir l’Ahal partir, mais sa fureur et la menace de se faire couper la langue l’avaient rendue nerveuse. 

           Une fois le silence revenu sur la petite pièce, elle reporta son attention sur le directeur. En cet instant, l’homme lui inspirait une profonde admiration : malgré ses frasques quotidiennes et tous les problèmes qu’elle avait pu apporter à l’orphelinat, il avait pris sa défense sans hésiter face à Vanador. Elle admirait son courage et se sentit presque honteuse de lui avoir causé tant de soucis. Elle s’en voulait même presque de l’avoir accusé, à de multiples reprises, de ne jamais montrer d’affection à ses pensionnaires. Il venait de lui prouver que même lui s’était attaché à eux. Elle se jura de limiter ses bêtises, à l’avenir. 

           Pourtant, le regard qu’il lui lança ne présageait rien de bon. Les éclairs furieux dans ses iris, qu’elle ne cessait de surveiller avec inquiétude depuis qu’elle était entrée dans son bureau, en disaient long sur sa pensée. Aussi, lorsqu’il laissa échapper un énième soupir avant de la fixer à nouveau, elle frissonna. 

— J’espère que tu es fière de toi, Raeni. 

La jeune femme pinça les lèvres. Déjà, la peur laissait la place à un profond dégoût pour cet alfombre qui se croyait tant supérieur à eux. 

— Je n’allais quand même pas le laisser prendre la défense de Khassendrah ! se défendit-elle. 

— Ta dernière remarque n’était pas nécessaire. 

Malgré sa propre colère, elle admirait le calme dont il faisait preuve. Elle sentait sa frustration, certes, mais sa voix restait posée. Il en fallait beaucoup pour le faire sortir de ses gonds. Jusqu’à présent, ce n’était jamais arrivé, du moins à sa connaissance. Il semblait toutefois au bord de l’explosion. 

— Je n’ai fait qu’énoncer la vérité, affirma-t-elle. Khassendrah lui a retourné le cerveau, à ce type ! 

— Parle autrement de l’Ahal, siffla-t-il. 

A ses regards inquiets autour d’eux, elle devina qu’il craignait que le mage n’ait laissé des pièges magiques capables de les écouter. Cette pensée la fit frémir. De peur, mais aussi de dégoût.

Son tuteur s’éloigna d’elle pour commencer à faire les cent pas devant son bureau. En d’autres circonstances, Raeni l’aurait trouvé amusant, avec ses épais sourcils roux froncés et ses cheveux en bataille. Cependant, pour une fois, la gravité de la situation l’empêchait de se moquer. D’ordinaire, le directeur était un homme calme, posé, qui préférait discuter avec ses pensionnaires plutôt que de les punir. Ou, s’il y était contraint, leur trouver une tâche qui leur permette de prendre la pleine mesure de leur bêtise, sans pour autant les mutiler. Le voir ainsi agité ne rassurait pas Raeni.

— Quelle galère… grommela-t-il. D’abord ce vol, et maintenant ça… 

— C’est Khassendrah la coupable, tenta-t-elle une nouvelle fois. Ayrik…

— Ton Ayrik est condamné, à cause de tes paroles ! s’exclama-t-il, furieux. 

Il s’approcha d’elle, pour mieux la fixer dans les yeux. Un étrange malaise envahit la jeune femme. 

— Si tu t’étais montrée plus délicate dans tes propos, j’aurais pu négocier avec l’Ahal pour lui épargner une punition trop violente, reprit-il. Mais ton interruption m’a non seulement forcé à me dresser contre lui, mais, en plus, tu lui as montré que tu étais tout, sauf saine d’esprit. 

— Parce que, pour vous, c’est être sain d’esprit que d’accepter de se faire insulter ? 

— Il y avait d’autres manières de le lui faire comprendre ! L’insulter en retour, ce n’était vraiment pas malin ! 

Il s’arrêta d’un coup, soupçonneux.

— D’ailleurs, comment peux-tu affirmer que Khassendrah a pu… 

— Tout le monde en ville sait que Khassendrah sait se servir de son corps pour obtenir ce qu’elle veut, le coupa-t-elle, ses iris plongés dans les siens. 

— Raeni… 

Elle sentit ses joues s’enflammer. Même si elle s’efforçait de paraître sûre d’elle, confiante, elle savait qu’il commençait à soupçonner quelque chose.

— Tu étais déjà au courant, pour ce vol, l’accusa-t-il.

— Non, se défendit-elle. 

Son cœur avait accéléré. Elle s’efforça de réfréner son inquiétude pour se donner l’air le plus honnête possible. L’elfe de feu, par chance, se laissa avoir. Son visage sembla se détendre quelque peu, avant qu’un nouveau pli ne vienne barrer son front. 

— Si tu t’en sors avec une simple punition pour manque de respect, c’est mieux que si tu avais menti à l’Ahal. Mais cela ne retire rien au fait que je doive gérer cette histoire de vol… et te couvrir pour ta prestation merveilleuse, désormais. 

— En quoi ça vous inquiète ? demanda-t-elle, soulagée qu’il l’ait crue. Vous l’avez dit vous-même, il n’a aucun pouvoir ici, à Khaëlentis. 

— Tu te trompes lourdement, jeune fille, laissa tomber l’adulte avec un regard sombre. Il n’a aucun pouvoir juridique, mais il reste puissant et beau parleur. Il lui suffit de te trouver une implication quelconque dans le vol et tu seras condamnée à vie. Et puisque tu lui as bien prouvé à quel point tu es attachée à Ayrik, il ne devrait avoir aucun problème pour t’accuser de complicité ou que sais-je encore. 

— Je continue à dire que Khassendrah lui a retourné le cerveau, s’entêta-t-elle. Il n’a aucune raison de vouloir m’inculper, sinon. Je défends Ayrik, et après ? Ce n’est quand même pas ma faute s’il se laisse manipuler par la pire garce de la ville ! 

— Attention à ce que tu dis, la menaça-t-il. N’oublie pas que, aux yeux de cet Ahal, tu n’es qu’une gamine, orpheline de surcroît. Née de l’union d’une elfe de feu et d’un alfombre. Pour lui, ton existence est aussi condamnable que celle d’Ayrik. 

Raeni repoussa l’un de ses mèches de cheveux, venue troubler son champ de vision. Une colère sourde et froide commençait à monter en elle. 

— Comment peut-il penser une chose pareille ? siffla-t-elle. Ayrik est le petit garçon le plus adorable du monde ! 

— Parce qu’il est humain, lâcha simplement le directeur. Faible, comme tous ceux de son peuple. 

Son regard, pensif, dévia vers la fenêtre. 

— Corrompu par l’Originel Noir, acheva-t-il dans un murmure. 

— Les alfombres sont mille fois plus corrompus que lui, grogna-t-elle. 

L’adulte reporta son attention sur elle. Un sourire amusé étira ses lèvres. 

— Faelor, corrompu ? s’amusa-t-il. 

— Faelor est différent, s’exclama-t-elle. Lui, il ne se moque pas de Thaëlya parce qu’elle a la peau décolorée. Il ne va pas harceler les plus petits pour leur voler leur goûter et s’amuser à leur faire peur. Il ne m’a jamais regardée comme une erreur de la nature à cause du sang mêlé qui, d’après vous, me vaut si peu de considération de la part de Vanador. 

— Ahal Vanador, la corrigea-t-il d’un air pincé. Tu veux vraiment te faire arracher la langue ? 

— Vous ne le feriez pas, affirma-t-elle, la tête haute. Vous venez de prendre ma défense pour m’éviter ce supplice. 

Un soupir échappa à l’elfe de feu, qui leva les yeux au ciel. 

— Je ne pourrai pas te protéger à chaque fois, Raeni. Plus tu t’enfonces, plus il me sera difficile de plaider en ta faveur si l’Ahal vient à t’accuser de complicité ou du vol lui-même. 

— Il n’aurait aucune raison de le faire, si ? 

— Tout le monde en ville sait que tu t’autoproclames protectrice de ce petit garçon. Tu aurais très bien pu organiser le vol, l’aider à s’introduire dans la chambre de l’Ahal, ou même aider Ayrik à disparaître afin que personne ne retrouve sa trace. 

Le cœur de Raeni accéléra sa cadence. 

— Comment ça ? s’étonna-t-elle. 

Le directeur lui jeta un regard étrange, comme s’il hésitait à la croire son ignorance – feinte, bien entendu. A son expression, elle sut qu’il allait la tester, dans l’espoir d’obtenir une information de sa part. 

— Tu ne le savais pas ? Ayrik n’était pas dans sa chambre, lorsque le bijou a été retrouvé. Il semblerait qu’il ait disparu. En fuite, ou caché dans un obscur recoin de la ville. 

L’hybride secoua la tête. 

— Ça ne lui ressemble pas, déclara-t-elle. Il est trop craintif pour sortir de l’orphelinat à la noct-heure. 

— Peut-être quelqu’un l’accompagne-t-il, suggéra l’adulte. J’ai cru comprendre que tu avais des amis, en ville, qui auraient pu l’aider à échapper à la garde. 

— Je vous ai déjà dit que je n’avais rien à voir avec ce vol, s’agaça-t-elle. Et ensuite, s’il avait vraiment commis ce crime, pourquoi aurait-il laissé le bijou dans ses affaires au lieu de l’emporter avec lui ? Ce serait stupide. 

— Manque de temps pour le récupérer ? suggéra-t-il. 

— Je pense surtout que quelqu’un l’a placé là pour le faire accuser. Après tout, ce ne serait pas la première fois. 

Une moue légère déforma les traits de son interlocuteur. A sa mine fatiguée, elle sut qu’elle devrait déployer ses meilleurs arguments pour l’amener à la croire, et ce, sans perdre son calme. Chose compliquée pour elle, puisque la vie de son protégé reposait entre ses mains. 

— Vous l’avez dit vous-même, insista-t-elle, Ayrik est humain. Il fait partie de ce peuple contre lequel nous, les althëliens, étions en guerre il n’y a pas si longtemps. C’est facile de le faire accuser, dès lors qu’on connaît l’aversion des thalëni pour eux. Et en plus, il est tout petit, incapable de se défendre, frêle comme tout, et guère très apprécié justement à cause de ses origines. Il n’y a pas à réfléchir beaucoup pour comprendre qu’il est sans doute victime de quelqu’un d’autre, quelqu’un de bien plus audacieux, réfléchi et retors, qui n’hésitera pas à l’inculper pour protéger sa propre peau et pouvoir continuer à agir en toute impunité. 

Le silence accueillit sa tirade. Le visage de l’adulte s’était fermé, tandis qu’il plongeait dans ses pensées pour réfléchir. Il se détourna d’elle de quelques pas, pour se replacer devant son bureau. Ses iris enflammés se perdirent dans les esquisses fantomatiques de la pièce sur la fenêtre. Raeni gardait les yeux rivés sur lui, la respiration haletante, le cœur palpitant d’inquiétude. Elle l’avait touché, elle le sentait. Sa réflexion suffisait à lui faire comprendre qu’elle avait capté son attention avec ses mots. A présent, elle espérait qu’il suive son raisonnement. 

Il contourna le meuble de bois massif à pas lents, puis s’assit sur la chaise. Ses coudes se posèrent sur le plan de travail. A la lueur vacillante des bougies, il parut à la jeune femme plus vieux, plus fatigué qu’elle ne l’avait jamais vu. Le front posé contre son poing, le regard figé sur les veines du bois, il semblait voûté, fragile. Raeni frémit. Elle voyait bien qu’il se tracassait pour cette histoire, que ses explications faisaient son chemin dans son esprit. Elle aurait aimé savoir à quoi il pensait. Peut-être repensait-il aux détails de la découverte du bijou, qui lui avaient sans doute été confiés, mais qu’elle ignorait. Elle ne pouvait qu’attendre qu’il se décide à lui adresser la parole. 

Le silence les enveloppa de longues minutes. Enfin, il releva la tête vers elle. 

— Si ce que tu avances est vrai, déclara-t-il, la personne qui a commis ce vol est bien plus douée et dangereuse que ce que nous imaginions. Elle serait capable de tromper la vigilance d’un Ahal… 

— Et d’utiliser ses croyances pour l’induire en erreur, acheva-t-elle. 

Le directeur garda le silence quelques secondes. La jeune femme surprit une lueur d’inquiétude dans ses iris de feu. Non, pas d’inquiétude. De peur. 

— Si une telle personne peut entrer et sortir de l’orphelinat à volonté, vous êtes tous en danger, souffla-t-il d’une voix blanche. 

— Je crois que cette personne est pensionnaire ici, avoua-t-elle avec hésitation. 

Les traits de l’adulte se détendirent. Un profond soupir lui échappa. 

— Si tu me reparles encore de Khassendrah… commença-t-il, agacé. 

— Monsieur, implora-t-elle, je vous en prie, écoutez-moi ! Je sais, cette accusation peut ressembler à un règlement de comptes entre nous, mais c’est faux. Khassendrah est une véritable manipulatrice, qui sait comment s’y prendre pour obtenir ce qu’elle veut. Vous savez aussi bien que moi qu’elle aime séduire les hommes pour qu’ils lui accordent leurs faveurs. Et vous devez savoir aussi qu’elle a des contacts, en ville, dans les bas-quartiers. Des gens peu fréquentables, qu’elle achète soit par ses ‘faveurs’, soit par des menaces. 

L’homme se massa l’arête du nez avec un nouveau soupir. Raeni sentit son cœur s’affoler. Elle avait perdu son attention.

— Même si je me suis déjà demandé si je n’allais pas l’envoyer à Torfrirta pour qu’elle y soit dans son élément, déclara-t-il, je doute qu’elle ait l’audace de jouer avec un Ahal. D’accord, on m’a déjà rapporté ses tentatives de séduction sur des gardes, ainsi que ses relations avec certains voyous, dont d’anciens pensionnaires de Valmaëlën. Cela ne m’étonne guère qu’elle continue de leur parler alors qu’elle s’entendait déjà bien avec eux lorsqu’ils étaient encore ici. 

— Mais vous savez aussi qu’elle a tendance à convoiter tout ce que les autres possèdent, pour peu qu’il s’agisse d’objets brillants ou dotés d’une certaine valeur. Je vous rappelle la fois où elle avait réussi à piquer la bague de Shaërah ? Ou le jour où le capitaine de la garde en personne l’a ramenée, après qu’elle lui avait dérobé un collier ? Ce ne serait pas la première fois qu’elle vole quelque chose. 

Il se tut à nouveau, les sourcils froncés. Raeni sentit, non sans fierté, qu’elle avait de nouveau fait mouche. Elle savait que le comportement de ses protégés lui tenait à cœur, et que chacune de leurs incartades à la loi lui laissaient d’amères déceptions. Elle ne prenait aucun plaisir à lui rappeler ainsi à quel point Khassendrah se montrait parfois – souvent – dissidente, mais il s’agissait d’une nécessité. Pour lui faire comprendre qu’il se trompait. 

— Soit, lâcha-t-il enfin. Admettons que ta camarade soit la réelle coupable. Pourquoi, alors, aurait-elle fait accuser Ayrik ? Pourquoi pas toi, ou Faelor ? 

— Parce qu’Ayrik est une cible facile, répondit-elle sans hésiter. Moi, je sais me défendre. Pas lui. Dès que quelqu'un l’embête, il a tellement peur qu’il n’ose jamais rien dire. Face à un Ahal en colère, qui le hait par sa nature, ce serait pire. Il n’oserait même pas protester ni même couiner. Et en plus, c’est beaucoup plus facile d’accuser un enfant détesté par presque toute la ville qu’une adolescente comme moi, suivie et admirée par de nombreux gamins. 

Elle ne disait pas cela par fierté. Elle se contentait d’exposer les faits. Dès son arrivée à l’orphelinat, quatre ans plus tôt, elle avait su conquérir le cœur de ses camarades grâce à sa franchise et à son désir de protéger les plus faibles. Beaucoup, elle le savait, la voyaient comme une sœur, une aile sous laquelle se réfugier en cas de souci, une conseillère capable de les éclairer en cas de doute. 

Sa rivalité avec Khassendrah n’avait fait que lui attirer la sympathie de ceux qu’elle martyrisait et terrorisait, soit une bonne partie des gamins. Elle savait qu’aucun d’eux n’hésiterait, en retour, à la défendre face à Vanador et à ses sbires si elle se faisait accuser du vol. Pour Ayrik, les plus influençables n’oseraient intervenir. Mais pour elle, même ceux qui rechignaient à accepter l’enfant se soulèveraient pour plaider en sa faveur. 

Le directeur esquissa un léger sourire. Il le savait, tout cela. Il connaissait la flamme inextinguible qui l’animait et la poussait à tout faire pour venir en aide à ses camarades, et, de manière plus générale, à ceux qui le lui demandaient. Plus qu’une guerre ouverte entre deux rivales, la discorde entre Raeni et Khassendrah représentait pour de nombreux citoyens un autre conflit. Celui entre une jeune alfombre déterminée à marcher dans les traces des thalëni et une hybride libre, qui refusait de se soumettre à la petite tyran en herbe. 

— Tu pourrais aller si loin, Raeni, murmura-t-il, pensif. Si seulement tu étais moins turbulente… 

La jeune femme fronça les sourcils. Sa remarque l’étonnait. Non pas sur sa tendance naturelle à chercher les ennuis, mais sur ses capacités. Depuis qu’elle était arrivée à Valmaëlën, le directeur ne faisait que la reprendre sur son comportement. Jamais encore il ne l’avait encouragée ou même félicitée pour ses agissements. Elle ne comprenait pas trop où il voulait en venir. 

           L’adulte ne lui laissa cependant pas le temps de le questionner. Déjà, il reprenait une expression neutre, plus inquiète. Il vrilla de nouveau son regard sur l’hybride debout en face de lui. 

— Ton raisonnement se tient, admit-il. Malgré tout, il me faudrait davantage de preuves de ce que tu avances. Même si tu m’as déjà prouvé que Khassendrah sait jouer avec les autres pour obtenir ce qu’elle veut, je continue à croire qu’elle est innocente, pour cette fois. Il me semble assez improbable qu’elle ait réussi à s’introduire dans sa chambre pour y déposer le pendentif. D’ailleurs, pourquoi aurait-il disparu, s’il n’est pas coupable ? 

— Khassendrah l’a peut-être fait enfermer quelque part, suggéra-t-elle avec un haussement d’épaules. Elle l’a déjà séquestré pendant plusieurs heures dans un placard infesté d’araignées luminescentes. Je suis sûre qu’elle a très bien pu recommencer pour mieux le faire passer pour coupable. 

Ses iris de feu restèrent rivés sur elle. Elle se tortilla un peu, mal à l’aise. Elle savait qu’Ayrik ne se trouvait pas entre les mains de sa rivale, bien au contraire. Seulement, elle ne pouvait pas le dire à l’elfe de feu. Il risquait de tirer des conclusions erronées de cette information. Elle releva donc la tête et s’efforça de paraître inquiète. 

— Je pense qu’il ne doit pas être loin, affirma-t-elle. Dans un recoin obscur des caves, peut-être dissimulé dans les ruines d’une maison, quelque part dans les ruelles voisines. Elle connaît plein de cachettes, j’en suis persuadée. Et avec l’aide des voyous de la ville, elle ne manque pas de ressources pour faire disparaître quelqu’un ou quelque chose pour une durée indéterminée. Réfléchissez : en plus d’accuser Ayrik du vol, elle pourrait très bien essayer de s’attirer une nouvelle fois les faveurs de Vanador en… 

— De l’Ahal Vanador, Raeni. 

— Si vous voulez. Elle pourrait très bien essayer de s’attirer ses faveurs en faisant semblant d’avoir réussi à remettre la main dessus, ou en lui indiquant l’air de rien la cachette où elle l’a fait enfermer. Il n’aurait alors plus qu’à le cueillir et remercier celle qui a su le renseigner. 

Le directeur garda le silence un instant, les yeux écarquillés. 

— C’est ce que tu aurais fait ? s’étonna-t-il, sidéré par son argumentaire très complet. 

Elle secoua la tête. 

— Je n’aurais jamais été piquer un truc à un Ahal, je ne suis pas folle. Cependant, je connais Khassendrah et je commence à savoir comment elle réfléchit. Même si elle est encore capable de me surprendre, je pense ne pas me tromper sur ce qu’elle aurait fait pour se débarrasser d’Ayrik et dissimuler sa propre culpabilité. 

Le directeur baissa une nouvelle fois les yeux, sans répondre. Ses pupilles suivirent les lignes naturelles dessinées dans le bois, tandis que ses doigts pianotaient avec nervosité sur le rebord du bureau. Il était à nouveau plongé dans ses pensées, à méditer les mots de sa protégée. 

— Ça me paraît tout de même un peu gros, soupira-t-il au bout d’un moment. Pourquoi aurait-elle fait accuser Ayrik au lieu de dissimuler la broche, si elle en possède les moyens ? Il doit être plus simple de cacher un objet, surtout si petit, qu’un gamin. 

— Elle connaît bien les thalëni, affirma Raeni. Elle a dû se douter que Vanador… 

— Ahal Vanador. Si je me répète encore une fois à ce sujet, je te colle au nettoyage du réfectoire tous les soirs pendant une semaine. 

— Pour un titre oublié ? s’insurgea-t-elle. 

Le regard qu’il lui lança la dissuada de protester davantage. Non pas que la perspective d’une corvée de ménage lui fasse peur – elle se serait arrangée pour s’esquiver sans y aller. Non, c’était sa crédibilité et l’avenir d’Ayrik qu’elle essayait de protéger. Car s’il s’énervait maintenant et la renvoyait dans sa chambre, elle ne pourrait plus défendre le petit humain. 

— Bref, se faire voler un bijou, ça doit représenter pour lui un affront qui nécessite de retourner la ville entière pour le retrouver et punir le coupable. Donc, elle risquait de se faire prendre et de le payer très cher. C’était donc plus judicieux, pour elle, de faire accuser Ayrik, un bouc émissaire de choix puisque Van… l’Ahal ne va sans doute pas se poser davantage de questions, désormais. Sauf si je m’en mêle et que je lui prouve qu’il a tort. 

Un soupir profond échappa au directeur. Raeni lui jeta un regard inquiet. Ses yeux croisèrent ceux, remplis de regrets, de son tuteur. 

— Je crains qu’il ne soit déjà trop tard, Raeni. Même si ton argumentaire est convainquant, il nous manque des preuves. 

— Elles doivent pouvoir se trouver ! s’exclama-t-elle. Khassendrah est peut-être la pire des manipulatrices, mais les gardes sont plus influents encore qu’elle. Il leur suffirait d’interroger de potentiels témoins pour les faire parler, j’en suis sûre. Ses complices doivent bien savoir ce qu’elle a fait ! Ils ont même dû l’aider à récupérer le bijou pendant qu’elle endormait l’attention de Van… de l’Ahal avec ses charmes ! 

— Non mais tu te rends compte de ce que tu dis ? s’indigna-t-il. Tu as déjà oublié ses menaces de tout à l’heure ? C’est l’un des plus éminents membres de la société thalëni ! L’accuser de fricoter avec une orpheline, qui plus est élevée par un autre peuple, ne t’amènera certainement pas à te faire écouter ! Au contraire, il va te faire tuer plus vite, si tu continues comme ça… 

— D’accord, j’ai fait une erreur, tout à l’heure, admit-elle sans pour autant baisser le regard. Mais, à moins que vous n’ayez prévu de répéter notre conversation à l’Ahal, il n’a aucun moyen de savoir ce que je vous ai dit. Et puis, ce n’est pas de ma faute si c’est la vérité !

— Il a peut-être des espions ou un sort qui lui permettrait de nous écouter ! s’exclama-t-il, effrayé. 

— S’il venait à faire ça, il serait en infraction aux yeux de la loi, argua-t-elle sans se démonter. Et il se ferait renvoyer chez lui sur le champ, à moins qu’il ne paye une amende. 

— Et il est sans doute assez riche pour annuler son procès et te faire tuer en prime. C’est vraiment ce que tu souhaites, Raeni ? Tu ne seras d’aucun secours à Ayrik, si tu agis de la sorte. 

La jeune femme baissa le regard et se mordit la lèvre. Elle ne voulait pas laisser l’enfant seul, pas face à un monde aussi cruel. Il ne tiendrait pas plus de quelques mois sans son aide. Deux ans, avec un peu de chance, si Faelor et Avëlëa reprenaient sa protection. Mais ni l’un ni l’autre n’étaient aussi charismatiques qu’elle. Aucun ne réussirait à maintenir la cohésion dans leur petite bande comme elle le faisait. 

— Je déteste cet Ahal, siffla-t-elle dans un murmure. 

— Je ne l’apprécie pas plus, avoua l’adulte. 

Il sembla hésiter un instant, puis poursuivit : 

— Cependant, tu as raison sur un point : il écoute Khassendrah. C’est sa parole contre la tienne, Raeni. Celle d’une alfombre qui n’aspire qu’à rejoindre les thalëni contre celle d’une hybride qui a déjà fait preuve d’un certain manque de respect à l’égard de l’Ahal. 

— Donc ? demanda-t-elle, anxieuse. 

— Donc, même si je réussis à appuyer tes dires et à les suggérer à l’Ahal, il y a de fortes chances pour que sa décision soit prise.  

— Et ? 

— Il veut qu’Ayrik soit puni, à la manière de n’importe quel criminel. C’est-à-dire emprisonné à vie, après qu’on lui ait tranché les mains. 


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