Les neiges sanglantes de Meltomène

Chapitre 7 : C7 : Koschei, au son des mandibules

Chapitre final

5776 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 07:33

CHAPITRE VII : Karma express

KOSCHEI

Il avait fait irruption en courant dans le bureau de Mercator, forçant le barrage du secrétariat, exigeant d'être reçu en audience immédiatement car il détenait des informations de la plus haute importance…

Lorsqu'il y fut, il déclara sans préambule qu'il venait de voir le Directeur Costopovitch lancer quelque chose sur la jeune amie du magicien Archim Boldo et que celle-ci s'était évanouie dans les airs sous ses yeux. Le Maire, qui avait blêmi, l'avertit que c'étaient là des accusations très graves et que sa parole ne pourrait pas suffire. Il souligna que le Directeur était un membre éminent de la communauté, dont les ambitions étaient connues de tous, et qu'on ne pouvait pas se permettre de lancer des accusations qui ne soient pas étayées…

Koschei laissa remonter sa peur et sa frustration pour produire quelques larmes dont il espérait qu'elles soient convaincantes. Somme toute, c'était vrai qu'il avait peur et qu'il était frustré. Il expliqua qu'il avait des preuves mais qu'elles ne le montraient pas lui-même sous un jour très brillant et qu'il hésitait à les produire pour cette raison.

Un homme, qu'il n'avait pas vu en raison du très haut dossier du fauteuil où il était assis, se leva lentement et le toisa. C'était donc le Docteur. En le voyant, Koschei arrêta instantanément de verser ses larmes de crocodile.

― Je vous avais dit, qu'il voulait l'éliminer ! s'exclama-t-il. Est-ce que je ne vous l'avais pas dit ?

Le Docteur serra les mâchoires et jeta un coup d'œil au Maire, comme pour confirmer quelque chose de la conversation qu'ils venaient probablement d'avoir.

― Vous l'avez dit, en effet. Mais cela ne constitue pas un élément tangible susceptible d'aiguiller les recherches. Que lui aurait-il jeté selon vous ?

― J'étais loin. Je sortais de la cantine… Je n'ai pas très bien vu, il a fait un mouvement avec la main comme s'il lui lançait quelque chose. Le temps que j'arrive, la jeune femme avait disparu et Costopovitch avait déguerpi.

― Si c'est un simple mauvais sort, on aura du mal à le coincer ! grimaça Mercator en se levant. Venez, je vous accompagne au poste de Police pour qu'ils puissent prendre votre déposition.

.°.

Une fois au poste, Koschei leur servit son meilleur discours – le plus plausible en tous cas – tout en ayant soin de ne pas édulcorer son rôle plus que discutable dans l'affaire. Il évita de parler trop précisément d'Achernar.

Le fruit de ses efforts ne se fit pas attendre : on le boucla immédiatement en cellule.

Il s'y attendait. On lui avait dit que c'était pour sa propre sécurité mais il n'y croyait pas beaucoup. Dans une aussi petite communauté, et sous une ludocratie par-dessus le marché, le Directeur du casino était à peu près l'équivalent du Collecteur Général des impôts et pas du tout le patron d'un établissement de loisirs… Il avait le bras plus long que la moyenne des gens. Et s'il voulait, il pouvait soudoyer des gardes : soit pour venir le tabasser directement, soit pour qu'ils ferment les yeux alors qu'un regrettable accident lui arrivait dans sa cellule isolée…

Dès qu'il fut enfermé, Koschei se sentit rapidement assez mal. Il avait les mains moites et des vertiges. Et en plus, le début de l'une de ses affreuses migraines commençait à se manifester. S'il ne prenait pas de médicaments maintenant, il était bon pour une grosse crise sous peu.

Par précaution, il s'assit sur la paillasse étroite qui devrait lui servir de lit. Son cœur se mit à battre violemment et il sentit le sang rugir dans les veines de ses tempes. La douleur le fit sombrer dans l'inconscience. Il eut pourtant l'impression d'entendre une voix l'apostropher.

― Bougre d'imbécile ! disait-elle comme si elle était très loin. Qui t'a demandé d'avaler du sang de Reaper ?

.°.

LE DOCTEUR

Le chef de la Police en avait référé au Municipe quand un dispositif inconnu, trouvé dans les affaires du prévenu Wu Tsi, s'était mis à sonner plusieurs fois. Il lui avait expliqué que ses services n'étaient pas assez compétents pour analyser l'objet et qu'il devait le faire parvenir au chef-lieu de canton ou carrément à la capitale, pour tâcher de savoir ce que c'était. Assez naturellement, le Premier Municipe avait accepté, mais non sans demander au préalable que son ami, appelé pour faire la lumière sur ces meurtres, y jette un coup d'œil. A la surprise de tous, dans le commissariat, le Docteur ouvrit en deux l'objet et appuya sur un bouton avant de le porter à son oreille.

― Koschei ? fit une voix qui lui sembla légèrement familière.

― Il n'est pas disponible, puis-je prendre un message ?

La communication coupa instantanément. Et les trois policiers du poste entourèrent le Docteur en lui demandant de leur remontrer comment il avait fait, expliquant que l'objet avait sonné plusieurs fois sans qu'ils ne sachent quoi faire. Le Docteur s'exécuta volontiers. A cette époque, les vétustes « téléphones » n'existaient plus depuis longtemps sur Terre.

.°.

Clara n'était nulle part.Il était retourné jusqu'au Tardis pour en avoir les cœurs nets mais il n'y avait véritablement aucune trace d'elle dans les environs. C'était très agaçant.Mais peut-être parce qu'il avait cru la perdre un peu trop souvent depuis qu'ils étaient là, ne pouvait-il s'empêcher de mettre en suspens le moment où il allait devoir faire face à cette réalité-là. Il voulait croire pour l'instant qu'elle n'était pas morte, ayant déjà brûlé pas mal de cartouches de chagrin quand il avait découvert le grand trou gravitationnel dans sa chambre de l'auberge.

Il préféra d'abord rendre une petite visite au Chinois qui moisissait maintenant dans sa geôle depuis plusieurs heures. Peut-être arriverait-il à en tirer quelque chose ? L'avantage des menteurs, c'était qu'ils se reconnaissaient facilement entre eux. Celui-là cachait des trucs pas clairs du tout.

Trucs que Clara avait eu l'obligeance de lui pointer la nuit dernière, lorsqu'elle le prenait, à tort, pour un Seigneur du Temps… C'était assez fascinant (il devait le reconnaître) de la voir échafauder des théories bancales et parvenir à tirer à tout bout de champ des conclusions s'avérant étonnamment justes… à partir d'observations totalement erronées ! Elle avait un vrai don pour ça qui ne laissait pas de le choquer, de le déstabiliser et de l'émerveiller… secrètement. Comme personne ne faisait attention à lui, sa bouche s'étira d'un bref sourire de fierté et de satisfaction à cette pensée.

Pourtant en arrivant en vue du poste de Police, il ne pouvait s'empêcher de ruminer les ombres à ce tableau enchanteur. Les allusions qu'elle avait faites la nuit dernière, comme quoi elle aurait fait « des changements » dans sa vie, en laissant entendre sans équivoque qu'elle voyait un autre homme. Certes, techniquement, il n'était pas un homme. Mais le pincement jaloux n'en était pas moins là. Le fait était que, même s'il n'avait pas eu assez de courage pour faire la lumière sur ce point, il devait admettre que ça ne lui plaisait pas. Mais sans doute fallait-il comprendre qu'il payait là triplement son revirement d'attitude… Jack l'avait accueilli plus que fraîchement sur Velquesh, River avait essayé de lui faire croire (sans grand succès) qu'elle l'avait oublié pour un nouvel amant… Maintenant, était-ce au tour de Clara de lui rappeler que personne, à part lui, ne voulait vivre sans amour ?

Sans même qu'il soit question de sentiments de cette nature, il savait pertinemment qu'il s'était montré assez froidement égoïste avec elle depuis la régénération, indépendamment de tout le bien qu'il pensait d'elle. Parce qu'il ne voulait pas du jeu de la séduction entre eux, il en avait profité pour se comporter comme si elle lui était totalement acquise… Prenant tout ce qu'elle pouvait lui donner sans faire le moindre effort pour lui complaire ni être gentil… Au début, il avait cru qu'elle ne lui en voulait pas pour ça et il s'était senti grisé par une relation qui lui semblait si facile, si rapide, si légère et si parfaite... Après tout, n'était-elle pas toujours là, les yeux pétillants quand il ouvrait la porte du Tardis pour lui proposer un nouveau voyage ?

En revenant la chercher cette fois, il avait été heureux et impatient car il arrivait presque à croire que la Fille Impossible avait fini par grandir au point de devenir quelque chose qui ressemblait beaucoup à la compagne idéale…Et puis quatre semaines s'écoulaient… Non, pas quatre semaines! Quatre mois… Mais pour la différence que ça faisait, franchement !… Bref, quatre minuscules petits mois s'écoulaient, et voilà que soudain pendant qu'il avait eu le dos tourné, elle lui annonçait que quelqu'un d'autre en avait profité pour s'immiscer insidieusement dans sa vie. Et lui donner – vraisemblablement sans rechigner – le genre d'attentions dont une toute jeune femme comme elle avait probablement besoin…

Au-delà de ses bravades, il se disait amèrement qu'il n'était plus assez sûr de son charisme pour croire vraiment qu'il allait avoir une chance de conserver une place dans son emploi du temps serré d'institutrice. Une fois que son terrien au cerveau déficient aurait commencé à faire main basse sur tous ses moments libres et à se comporter en propriétaire parce qu'il lui donnait la… tendresse à laquelle elle était pourtant en droit d'aspirer, combien pèseraient alors pour elle les merveilles de l'espace et les folles aventures en compagnie d'un vieux fou excentrique et revêche ?

Ouvrant la porte du poste de Police, il chassa ces pensées désagréables.

Il obtint sans difficulté de pouvoir rendre une visite au prisonnier grâce au papier psychique : ça, il s'y attendait. Mais il dut reconnaître qu'il fut assez surpris de le trouver gisant tout verdâtre sur le sol de sa cellule en arrivant sur les lieux.Les effectifs étant réduits, il n'y avait pas de garde. En fait de mariner dans sa cellule, l'autre faux magicien était plutôt inconscient et mourant.

.°.

KOSCHEI ET LE DOCTEUR

« Tu n'es pas aussi débile que je croyais finalement » fit une voix dans sa tête.

Koschei ouvrit les yeux brusquement et réalisa avec stupeur – et bientôt une certaine forme de joie inespérée – qu'il se trouvait dans le Tardis. A l'infirmerie. Cette fois, plus moyen de douter. Le vieux grincheux était forcément le Docteur. Qui avait survécu. A douze régénérations !

― Pardon ? demanda-t-il. Qu'avez-vous dit ?

Le Docteur posa des yeux étonnés sur lui.

― Vous êtes télépathe ?

― Non. Pourquoi ?

Après tout, c'était vrai. En tant qu'humain, il ne l'était pas. Le fait qu'Achernar avait semblait-il quelque fois le moyen de s'adresser à lui directement pour de courtes conversations, n'avait sans doute rien à voir avec ça. Il essaya de se redresser un peu dans le lit.

― Qu'est-ce qui m'est arrivé ? J'étais dans ma cellule et je me suis senti pris d'un vertige… Je me suis évanoui ?

― Pendant un bon moment, confirma le Docteur en arrivant près de lui. Vos analyses sanguines ne sont pas excellentes et me laissent un peu perplexe.

― Je suis sûr qu'ils n'ont même pas d'hôpital décent dans ce trou paumé, maugréa-t-il. Je mérite pourtant mieux qu'un vieux rebouteux bizarre que mes analyses laissent « perplexe »…

― Le vieux rebouteux bizarre a sauvé votre carcasse subclaquante aujourd'hui, rétorqua l'autre. Un peu de gratitude ne pourrait pas faire de mal à votre cas désespéré. Car techniquement, vous êtes toujours en prison, même si c'est ici. J'ai simplement ordre de vous remettre sur pied et de vous ramener sitôt que vous irez mieux. Vous parlez, vous êtes conscient, vous vous montrez méprisant : vous allez mieux !... On va y aller.

― Rien ne presse…

― Pour vous sans doute, mais pas pour moi. J'ai des choses urgentes à faire. Et maintenant que Costopovitch et vous êtes aux mains de la Justice, j'ai hâte de partir d'ici.

― Ne me laissez pas avec eux ! Je suis une victime dans cette affaire… On m'a obligé à faire… ce que j'ai dû faire.

― J'en suis persuadé. Mais ça ne veut pas dire que vous êtes innocent de tout.

Le Docteur l'incita à se lever du lit de l'infirmerie et passa des menottes à ses poignets. Elles étaient roses et rembourrées, ce que Koschei regarda d'un air soupçonneux. Il y avait fort à parier qu'elle devait servir à tout autre chose, dans un tout autre contexte d'habitude… Mais il n'arrivait pas tellement à voir le vieux hibou sous ce jour-là.

― Gardez-moi ici, je vous promets que je ne chercherai pas à m'échapper.

― Non, répondit le Docteur.

― Pourquoi ça ? s'étonna-t-il.

Le Docteur le poussa vers la sortie, une main ferme serrée autour de son bras.

― Parce que c'est précisément ce que vous voulez. Et je ne tiens pas forcément à ce que vous mettiez vos plans à exécution. Quels qu'ils soient.

― Je crois seulement que vous pouvez peut-être me protéger et m'aider. Vous êtes un homme bon. Vous aimez aider les gens. Ça tombe bien car j'ai grand besoin d'aide !

― Je n'en suis pas sûr, répondit le Docteur avec un sourire glacial. Votre ami, qui vous appelle toutes les deux heures, a bien été capable de vous maintenir en vie depuis des semaines, alors que vos organes sont dans un très sale état. Vous devriez être mort. D'ailleurs, si je voulais être très précis, je devrais dire que vous êtes mort.

― Vous me permettrez d'en douter ! fit Koschei goguenard. Même si j'étais aussi mal en point que vous le dites, je serais en bien trop bonne santé pour un mort. Et ce n'est pas mon ami, ajouta-t-il comme à regret. Il ne se comporte pas comme tel, en tous cas.

― Je me fiche de qui il est, comme des ennuis qu'il vous fait. Vous avez tué cinq personnes !

― Non une seule. C'est Costopovitch qui a tué les trois autres, protesta-t-il.

― Les quatre autres, ma jeune amie est morte aussi ! corrigea le Docteur avec un regard féroce.

Koschei sourit en le regardant dans les yeux. Il ne croyait pas à ce qu'il disait. Ce diable d'homme avait l'air d'avoir déjà deviné la vérité. Ou alors il n'aimait pas du tout sa jeune maîtresse car il n'avait pas réellement l'air dévasté par le chagrin…

― Personne n'a tué votre jeune amie, le contredit-il en détachant les syllabes. Elle a juste été… déplacée.

― Que voulez-vous dire ?

― Rien d'autre. Car vous avez l'air très pressé de me ramener en prison…

Le Docteur considéra froidement celui qui le faisait face. Ses paupières légèrement bridées mais à peine, sa bouche fine, son faux bouc de poils bruns et surtout la brillance de ses yeux noirs.

― Vous avez trente secondes pour dire quelque chose d'utile à votre défense, l'avertit le gallifréen.

― Il m'en faut moins encore que ça…

― Ne me poussez pas à bout, Wu Tsi.

D'un coup de tête, il désigna un coin de la salle de commandes du Tardis.

― Je vois un tableau noir couvert de chiffres là-bas… Vous aimez les équations, n'est-ce pas ? Que dites-vous de celle-ci ? Sang de Reaper plus Pierre de Livingstone égalent toucher de l'Ange Pleureur…

― Quoi ? Non, ne soyez pas ridic…

Le visage du Docteur s'était figé. Pour Koschei, c'était très agréable de suivre le long de ses rides la progression rapide des calculs sommaires mais suffisants qui étaient en train de se faire dans la tête de son vis-à-vis… Le Docteur le regardait avec incrédulité. Et bien d'autres émotions qui semblaient s'étager du vague malaise à la colère.

Il finit par éclater, levant un index qu'il appuya d'un coup puissant sur la poitrine de Koschei, presque dans un geste de pure provocation pour le faire reculer.

Vous êtes en train de me dire… que vous êtes assez malin pour avoir bricolé tout seul et de zéro une souche alternative d'Ange Pleureur ? Mais pour l'amour de Rassilon ! Pourquoi êtes-vous allé faire quelque chose d'aussi stupide et aussi dangereux ?! Vous êtes malade ?

Dans le sourire bref et presque hésitant que Koschei lui adressa, le Docteur eut l'air de reconnaître enfin quelque chose. Un autre rictus en coin qui lui était très familier. Le sourire d'un homme fou, bien plus fou que lui-même. Et une expression presque amusée qui flottait sur son visage, traduisant précisément quelque chose comme : « Est-ce que je t'ai manqué » ?

Le Docteur clignait des yeux en silence en le regardant d'un air terrible. Et terriblement indéchiffrable aussi, malheureusement.Il devait être en train de se repasser les conversations qu'ils avaient eues précédemment… Par exemple, quand il l'avait surpris avec Clara à la serrer de près dans un couloir et qu'à sa question « ami ou ennemi ? », quand il avait répondu très à propos « un peu les deux »…

Il savait maintenant à n'en pas douter. Même si aucun son ne sortait de sa gorge… ce dont Koschei lui savait infiniment gré. En effet, il n'était pas sûr des moyens dont Achernar pouvait disposer pour l'épier et il jouait depuis le début un double jeu particulièrement risqué.

― J'avais différents problèmes et j'ai tenté d'y apporter une solution concise et polyvalente. J'ai fait ce que j'ai pu avec les moyens du bord pour m'offrir une solution de téléportation temporelle et je crois que j'ai fait preuve d'une certaine… créativité, compte tenu des circonstances, tu ne crois pas ? demanda-t-il en abandonnant son masque et le vouvoiement.

― Vous êtes humain. Vous ne devriez pas posséder les connaissances nécessaires pour mettre en place seul tout ceci. Vous ne devriez même pas être capable de pouvoir élaborer ce genre de plan…

Koschei soupira et haussant les épaules face à cette rebuffade, il en revint au vouvoiement distant.

― Bien, je crois qu'on a largement dépassé les trente secondes que vous m'aviez allouées, non ?

A ce moment, Koschei sut en scrutant le Docteur, qu'il triomphait. Le dernier Seigneur du Temps ne le laisserait pas croupir en prison, sachant qui il avait été pour lui et qu'il disposait d'informations cruciales, sachant qu'il venait de lui avouer que sa compagne était peut-être perdue à une époque reculée mais sauve, et sachant qu'il allait être seul et vulnérable pendant quelques temps – ce qu'il détestait copieusement. Il le prendrait avec lui, simplement parce que sa haine et son ressentiment l'aideraient à rester sur le qui-vive. Et il pouvait compter sur lui, car il avait vraiment de quoi l'aider dans ce sens…

Koschei se mit à rire à la pensée saugrenue qu'il allait devenir, de fait, le nouveau « compagnon » du Docteur… Dire qu'il avait préféré mourir la dernière fois que ça lui avait été proposé !… Quelle chienne de vie, si quand on croyait pouvoir faire des choix définitifs, ils finissaient par être effacés d'un simple trait de plume…

― Comment faut-il vous appeler maintenant ? demanda-t-il d'un air à la fois résigné et hautain. Toujours… Maître ?

Le Chinois secoua la tête en signe de dénégation.

― Non. C'est un nom de Seigneur du Temps mégalomane, ça. Je vais changer. Je vais m'appeler… un nom en –ine pour faire couleur locale. Raspoutine ? Non mieux, l'Empereur Palpatine !... Ok, fit-il en voyant l'œillade courroucée du Docteur. Je plaisantais… Vu le médiocre statut dont j'ai hérité, je pense que Koschei suffira amplement.

― Non pas ce nom là… s'emporta un peu le Docteur.

― Si, justement. Tu voulais bien m'aider quand j'avais ce nom-là !... Hein Thêta Sigma ? C'est en ton honneur mon nom de scène « T. Si ».

― Arrête. Je pourrais me montrer violent.

Koschei leva ses poignets entravés par les menottes sexy abandonnées par River.

― Tu as l'intention de me les enlever avant ou pas ? répondit-il avec un sourire équivoque calibré pour le mettre bien mal à l'aise.

Le Docteur s'avança vers lui et approcha son visage du sien. Une expression fugace très inattendue flasha sur ses traits – que Koschei ne lui avait jamais vue avant, en tous cas pas avec une telle intensité.

― Tu sais quoi ? répondit le Docteur d'une voix sourde. Je vais prendre le temps d'y réfléchir pendant quelques semaines, en me mettant au vert. Et demander qu'on te les laisse. Je parie que les autres prisonniers vont les adorer sur toi !

Koschei eut un sourire incrédule, pendant qu'il le traînait vers la sortie.

― Tu as appris à blaguer à ce que je vois, fit-il d'un ton qu'il trouva regrettablement et pitoyablement inquiet.

Le Docteur le fixa de ses yeux bleu-vert et répondit avec un humour froid qui sonnait pourtant comme une vraie menace :

― Oh, mais tu n'as pas la moindre idée du boute-en-train que je suis devenu !

.°.

— Docteur !

Le Seigneur du Temps n'écouta rien et le reconduisit en offrant le visage même de l'inflexibilité. Il s'assura que le prévenu était bien replacé en détention en regardant les barreaux de sa prison se refermer sur lui.

— On se reverra bientôt ! fanfaronna Koschei. Je serai sorti d'ici beaucoup plus vite que tu ne le crois. Et je te retrouverai.

— Non, tu ne me retrouveras pas. Personne ne peut me retrouver comme ça. Même ceux qui le voudraient ne me croisent parfois qu'une seule fois dans leur vie…

— Tu as des faiblesses. Toi et moi les connaissons bien et avec elles, il est facile de t'avoir.

Le Docteur eut un rictus en coin. Incidemment, il tourna la tête de côté vers son épaule et vit Katep Helt qui venait de s'y poser comme en indéfectible renfort moral. Puis il conclut :

— Et bien grâce à toi, je n'en ai plus ! Tu t'es supérieurement débrouillé pour me séparer de celle que tu appelles « ma faiblesse ». Et tu ignores totalement où ta stupidité l'a envoyée. D'une certaine façon, elle est en sécurité. Comment feras-tu pression maintenant, gros malin ?

Koschei se tut en pensant qu'Achernar le lui dirait certainement. Il laissa le Docteur tourner les talons vers la sortie de la prison, sans doute pour regagner le Tardis et disparaître dans la nature… Lorsqu'il fut près de la porte qui menait aux cellules, il l'entendit cependant dire en se tournant à peine :

— Ne soit pas trop long, mon ami.

Se méprenant sur le sens de la phrase, le cœur de celui qui fut le Maître se mit à battre follement. Il était comme ça le Docteur, il parlait, il parlait mais n'aurait pas de mal à une mouche…

— Je le savais ! Tu es incapable de me laisser croupir ici…

Le Docteur franchit la porte sans se retourner.L'énorme scarabée talmèque s'envola droit vers le prisonnier pour passer entre les barreaux et ce dernier comprit alors immédiatement son erreur, quand l'insecte se posa en hauteur et entama le bourdonnement intense caractéristique qui annonçait le commencement de sa période de ponte.

— Docteur ! se mit à crier Koschei. Tu ne peux pas faire ça !

Katep Helt se positionna en surplomb près de la petite ouverture grillagée qui servait de vasistas et pondit plusieurs œufs mous dont la coquille translucide se solidifia presque aussitôt. Il regarda ses œufs avec la satisfaction du professionnel accomplissant son chef d'œuvre, puis leur dit solennellement adieu et bonne chance en volant circulairement deux fois au-dessus d'eux, avant de ressortir par la première ouverture venue. Il n'était pas inquiet pour eux, certain que la chair dépérissante de la créature verticale leur offrirait toute la nourriture dont ils avaient besoin pour devenir grands et forts !

Car Katep Helt, était un scarabée charognard.Il n'existait plus beaucoup de scarabées talmèques dans tous l'univers, mais voyager avec le grand vertical qui savait communiquer lui avait permis de trouver une femelle. Après leur minute d'amour, celle-ci lui avait confié les œufs à couver, comme il convenait, et il les avait gardé longtemps, très longtemps sous sa carapace à une température optimale pour qu'ils ne se développent pas avant le moment où les conditions idéales permettraient aux petits de survivre… C'est-à-dire lorsqu'ils auraient une charogne suffisante pour tous.

— Docteur ! s'étrangla Koschei

Il se souvenait fort bien que le Seigneur du Temps lui avait dit qu'il était « déjà mort » et ce que ça allait impliquer à court terme pour lui.

.°.

ACHERNAR

Le Chinois s'était jeté malgré lui à genoux quand il avait entendu un atroce bruit de verre brisé quelques instants après. L'éclosion des œufs de scarabées talmèques venait d'avoir lieu. Ce phénomène était notoirement connu comme étant l'un des plus admirables mystères de la Nature. Horrifié, le condamné vit les petits scarabées commencer à descendre de la paroi par dizaines…

— Achernar ! Pitié ! supplia-t-il. Ils vont me dévorer vivant !

« Qu'importe ? Je te ressusciterai. Ce corps n'était qu'une solution temporaire… ».

— J'ai fait tout ce que tu as voulu !

Les lumières du couloir de la prison se mirent à vaciller et quand elles se rétablirent, Koschei aperçut une silhouette extrêmement familière qui venait d'y apparaître comme tombée de nulle part. Une haute silhouette, revêtue d'un costume marron rayé et arborant une coupe de cheveux déplaisamment cool, savamment sculptée au gel.

— Je sais, acquiesça l'homme aux tâches de rousseur, en souriant d'un air cruel.

— Toi ? s'étrangla Koschei pendant que les scarabées remontaient le long de ses jambes.

— Moi ! répondit-il en le fixant de ses yeux vides dévorés d'un noir d'encre. Enfin presque.

Koschei se secoua et essaya de se débarrasser des scarabées en se débattant comme un beau diable. Il se jeta contre les barreaux.

— Docteur ?

— Non, je te l'ai dit, je suis Achernar. Je suis le fruit de tes œuvres… Et c'est en partie grâce à ce que tu m'as fait subir à répétition sur le Valiant que j'ai été… suscité. Le mal engendre le mal, et la souffrance n'engendre que la souffrance. Bienvenue dans ta leçon de karma express… Alors, heureux ?

Koschei hurla pendant que les scarabées lui grignotaient les mollets jusqu'à l'os dans un affreux son de mandibules frénétiques.

— Tu as mal, on dirait ?

Mais le Chinois ne pouvait déjà plus répondre car des bébés scarabées voraces s'étaient engouffrés dans sa bouche et venaient de paralyser sa langue et sa gorge. Le Valeyard contempla la scène sans aucune émotion apparente, mais eut à la fin un petit hochement de tête quand les scarabées se dispersèrent après en avoir fini avec les os, dont ils appréciaient vivement le calcium. Il mit les mains dans ses poches et se pencha pour examiner le sol avec une moue impressionnée. Il ne restait rien du tout.

— Tu vois, tu n'es pas le seul à aimer les solutions propres, ingénieuses et élégantes…

Il se retourna et prit nonchalamment le même chemin que l'avait fait le Docteur quelques instants plus tôt.Dehors, le Tardis avait déjà commencé sa dématérialisation et la cabine bleue ne fut très vite plus qu'un flash fantôme sur la rétine du Valeyard. La bise recommença à souffler en se chargeant de flocons et on n'entendit bientôt plus que le cri des Reapers abattus agonisant dans la neige.

.°.

FIN

Si vous êtes inquiet pour Clara, lisez La petite voleuse de cookies

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