BioShock Beyond – Tome 3 : Un océan de rêves

Chapitre 6 : Un héritage

3344 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/09/2021 11:44

Chapitre 6 : Un héritage

« Suchong… Si je suis sûre d’une chose, c’est celle-ci : vous avez le pouvoir de devenir un autre homme. Qu’est-ce que Ryan peut encore nous prendre, quand nous avons déjà tout sacrifié au nom de la découverte ? Les Petites Sœurs sont des enfants, et oui, elles oublieront. Mais pas nous… Le souvenir de nos actes ne s’effacera que lorsque les lumières commenceront à s’éteindre. »

Brigid Tenenbaum


****


C’était une tombe comme les autres. Une simple pierre tombale artisanale au-dessus d’un monticule de terre. Une pierre qui s’élevait parmi les montagnes, devant un panorama éternel. Mais sa vision me donnait un goût amer : une enfance déchue, une amie disparue, une souffrance qui me déchirait de l’intérieur, sans répit. J’avais perdu une mère, j’avais perdu une sœur, j’avais perdu l’espoir.

La tête baissée, les épaules courbées, un edelweiss à la main, je tentais de repousser au plus loin le moment où je devrais lui dire adieu et mettre les voiles vers la suite de notre périple. Les yeux rougis par la tristesse, je ne pouvais me résoudre à quitter une partie de ma vie sans un ultime hommage. Mais les mots me manquaient en cet instant. La boule au fond de ma gorge ne voulait pas s’en aller. Elle avait pris racine en moi et m’empêchait de parler, de crier.

Sans que j’y prête attention, Eleanor se glissa derrière moi et posa sa main sur mon épaule. Rassurante, réconfortante, mon amie se plaça à côté de moi, à la recherche des mots justes pour soigner ma peine.

« Tu dois la laisser partir, chuchota Eleanor.

— Je… Je ne peux pas, réussis-je à articuler.

— Il le faut. Je sais ce qu’elle représentait pour toi. Je sais qu’elle comptait beaucoup à tes yeux. Moi aussi, je l’aimais. C’était une femme formidable, une femme forte et courageuse, une amie loyale. Rien ne pourra jamais la remplacer. »

C’est là qu’elle se trompait. La machine. La machine pouvait la ramener à la vie. Nous pouvions tout recommencer et continuer nos vies comme si de rien n’était. Mais ce ne serait jamais vraiment elle, pas vrai ? De surcroît, la présence de son double venu d’une autre dimension, d’une étrangère, ne ferait que raviver la douleur qui m’habitait. Non, je devais honorer ses dernières volontés. Je devais me battre pour détruire cette machine et arrêter la folie d’Elaine et de Mandy, c’est tout ce qui importait. C’est ce qu’elle aurait voulu.

Je jetai un regard en direction des pics, surplombés par un ciel grisâtre et pluvieux, qui semblait pleurer, lui aussi. Le soleil du matin en deuil se cachait derrière les nuages épais. Je posai les yeux sur la sépulture improvisée que les hommes du refuge avaient aidé à préparer pour elle. Ce n’était sûrement pas ce qu’elle aurait voulu, mais nous n’avions pas trop le choix. Les hommes d’Éric et Mandy étaient peut-être encore à notre recherche.

Mandy. Je n’arrivais toujours pas à le croire. Tout était de sa faute. Elle avait décidé de nous trahir, sans nous laisser une chance. Désormais, elle avait choisi de mourir. Par ma main, ou par celle d’un autre, elle périrait. Une promesse. Voilà ce que je laissai sur la tombe de Tenenbaum. La promesse de venger celle qui avait tout donné pour me sauver. Même si je devais assimiler tout l’ADAM du monde, je retrouverai Mandy et je ferai en sorte qu’elle subisse le même sort que la femme qu’elle avait lâchement poignardé dans le dos.

Les dents serrées à cause de la peine et de la colère qui avaient pris possession de moi et que je tentais de contenir, je déposai délicatement la fleur que je tenais entre les mains sur la pierre et tournai les talons. Eleanor, surprise par l’expression sur mon visage, me rattrapa.

« Où vas-tu ?

— Je vais tuer Mandy.

— Oula ! Et comment tu comptes t’y prendre ?

— Je vais prendre tout l’ADAM qu’il reste dans ses abris et je vais m’en servir pour faire souffrir cette folle. »

Eleanor se posta devant moi et m’arrêta avec force, en posant la main sur mon épaule.

« Tu entends ce que tu dis ? Ne deviens pas comme eux, je t’en prie.

— C’est le seul moyen. Il faut combattre le feu par le feu. Et je ne suis pas encore assez forte.

— Qu’est-ce qui te fais dire ça ? »

Je tournai la tête et posai mon regard une dernière fois sur la pierre esseulée qui trônait au milieu des herbes et des fleurs.

« Je n’ai pas réussi à la sauver.

— Brigid n’est pas morte par ta faute. Tu n’es pas faible, tu es simplement perdue. Tu ne dois pas trouver ta force dans l’ADAM, parce que la force, tu l’as déjà en toi. »

Je me rends compte qu’Eleanor cherchait simplement à m’aider, en ces instants terribles. Mais la réponse que je lui assénai était à la hauteur de la détresse qui m’empoisonnait.

« C’est facile pour toi de dire ça ! Nous avons des ennemis aux quatre coins du globe. Mandy, Éric, Elaine, Fontaine, nous n’avons nulle part où nous cacher. Je ne veux pas de tes beaux discours, Eleanor ! Je veux que tu m’aides à trouver nos ennemis avant qu’ils ne nous trouvent. J’en ai assez de vivre dans la peur. Je veux que tout ça se termine, tu comprends ? »

D’un geste aussi sec que mon cœur, je poussai Eleanor hors de mon chemin et rentrai à l’intérieur du refuge, sans même saluer les hommes qui s’y trouvaient, avant de me placer sur la plate-forme pour rallier l’abri espagnol. Trop de pensées se bousculaient dans ma tête, je devais prendre un instant pour réfléchir.

 

*

*            *

La force, tu l’as déjà en toi.

Les paroles d’Eleanor ne cessaient de se répéter en boucle dans ma tête, comme une chanson qui trottinait dans mon esprit, tandis que j’observais le liquide rouge luminescent qui bouillonnait dans son erlenmeyer, assise sur l’une des chaises du laboratoire. Je savais que la colère qui brûlait en moi me ferait faire un faux-pas. Mais je devais aussi me rendre à l’évidence : nos solutions s’épuisaient de jour en jour. Chaque minute qui passait était une occasion de plus pour nos adversaires de réduire notre univers à néant. Alors que j’avais l’impression d’être dans une impasse, je finis par me dire qu’Eleanor avait peut-être raison, que la solution résidait peut-être en moi sans que je le sache.

Au cours de ma méditation mélancolique, la plate-forme s’activa derrière moi. Je jetai un coup d’œil pour être sûre de ne pas avoir de mauvaises surprises. Il s’agissait bien d’Eleanor. Elle passa sa main dans ses longs cheveux noirs qui lui arrivaient jusqu’aux épaules, muette et sur la réserve. Sans m’attarder plus longtemps, je reportai mon attention sur le liquide, en me rapprochant de la paillasse. C’est fou à quel point le moindre détail pouvait devenir hypnotique. C’est aussi à ce moment que je me rendis compte que le liquide avait une odeur, un léger fumet à peine perceptible, comme un désodorisant pour voiture qui aurait perdu toute sa saveur. Une senteur que je ne connaissais que trop bien : l’odeur des fêtes foraines. Je ne pus réprimer un petit gloussement, lorsque je saisis à quel point le conditionnement mental que l’on m’avait infligé étant enfant était toujours là, au fond de moi, comme une vieille cicatrice qui ne guérissait pas.

« Ecoute, commença Eleanor. Je ne veux pas me battre avec toi. Si tu veux prendre tout ça et l’utiliser sur toi, pas de problème. Je veux juste que tu comprennes que ce n’est pas ce qu’elle aurait souhaité, c’est tout.

— Je sais. Mais ce n’est pas simple de voir ceux que l’on aime périr devant nos yeux un par un. Je ne veux pas que ça recommence. Si Derek et Jack venaient à… Je crois que je n’y survivrais pas.

— C’est pour ça qu’on doit se serrer les coudes et faire les bons choix. Tenenbaum savait trouver les mots justes pour nous pousser à faire de notre mieux. A dire vrai, elle savait beaucoup plus de choses que nous en général. Parfois, elle savait même plus de choses sur nous que nous-même. »

Soudain, en respirant une nouvelle fois l’odeur qui émanait de ces récipients en verre, une idée traversa mon esprit. Elle avait fait beaucoup de chemin et avait mûri pendant un bon bout de temps. C’était comme si je venais de résoudre un puzzle. Tous les éléments se mettaient en place : la force en moi, l’odeur, Tenenbaum. Il y avait quelque chose à creuser. Avec les sourcils froncés et le front plissé, je me tournai vers Eleanor, avant que mes traits ne se détendent d’un coup et que mon visage ne s’illumine devant l’évidence.

« Tu as raison ! m’exclamai-je.

— Ah bon ?

— Oui ! Tu as raison depuis le début ! »

Je ne voulais pas perdre de temps car je voulais vérifier si ma théorie était correcte. Et le seul moyen de le savoir, depuis que Brigid nous avait quitté, était de demander à son assistant. Je me levai d’un bond, en faisant pratiquement tomber ma chaise et me dirigeai vers l’interface du Penseur. L’écran était déjà allumé et montrait encore une image du noyau.

« Penseur ? appelai-je.

— Oui, madame Weavers ?

— Montre-moi les dernières recherches du Dr Tenenbaum.

— Je crains que ces données ne soient classées…

— Dois-je te rappeler que le Dr Tenenbaum n’est… plus des nôtres ?

— Tout à fait, madame. Pardonnez cet excès de prudence. »

La machine produisit un bruit de pale de ventilateur, avant que des éléments ne s’affichent à l’écran.

« Dernière actualisation des recherches : il y a un jour. »

Brigid a dû terminer ses recherches avant de me rejoindre au refuge, pensai-je.

« Sujet des dernières recherches : conditionnement mental sur les individus de référence taxinomique suivante : Petites Sœurs. »

 Evidemment ! Elle avait une piste. Et à mon tour, j’allais la suivre. J’avais seulement mis beaucoup plus de temps à comprendre le sens de tout cela.

« Penseur, peux-tu imprimer le contenu de ses dernières recherches ?

— Bien-sûr, madame. »

En quelques minutes, nous nous retrouvâmes avec deux piles de plusieurs dizaines de papiers entassés sur la table. Eleanor me regarda avec des grands yeux ronds.

« Je ne sais pas ce que tu espères trouver là-dedans, mais j’espère que ça vaut le coup.

— Si je ne me trompe pas, c’est le cas.

— Tu pourrais m’expliquer ?

— Je pense que je peux réactiver le conditionnement mental qui réside en moi, au fond de ma mémoire, pour être capable de sentir l’ADAM à des kilomètres à la ronde.

— En quoi cela va nous aider ?

— Après son départ de Rapture, Elaine a pris avec elle le sous-marin qui comportait les échantillons d’ADAM que Stan a récolté. Si on ajoute ça au fait qu’elle a ramené des chrosômes, ce qui a dû gonfler ses stocks, Elaine doit être assise sur un beau tas d’ADAM à l’heure où je te parle. »

Tout à coup, je vis dans le regard d’Eleanor la même illumination qui m’avait traversée quelques minutes auparavant.

« Ce qui veut dire que si on trouve l’ADAM, on trouve sa planque.

— Exactement !

— C’est une idée de génie !

— Je crois que sur ce coup, tu peux te féliciter. C’est toi qui m’a rappelé que j’avais quelque chose en plus. Quelque chose que je pouvais utiliser à bon escient.

— Oh, tu sais, si je peux aider.

— Bon, ne perdons pas de temps. Toi, tu prends cette pile, et moi l’autre. »

Et c’est ainsi que nous nous mîmes à éplucher les tonnes de documents à notre portée. Pendant plusieurs heures, nous réunîmes tous les éléments à imbriquer pour résoudre le problème qui se posait à nous. Il nous fallut reprendre les bases du concept posées par le Dr Suchong. Puis, nous dûmes nous attarder sur les recherches effectuées par Brigid après son retour de Rapture en 1968. Si elle avait réussi à soigner Charles de sa maladie de l’ADAM grâce à une recombinaison cellulaire calculée par le Penseur, il y avait sûrement un moyen de modifier cette formule pour réactiver une partie de ce conditionnement par le biais de l’ADAM et pour l’amplifier, sans pour autant redevenir aussi docile qu’une Petite Sœur. Le conditionnement que nous avions subi était d’ordre psychologique, mais la génétique était une voie qui menait à des chemins très divers. Il existait forcément une manière de modifier le conditionnement grâce aux merveilles de l’ADAM.  

Pour cela, le Penseur nous fut d’une grande utilité : il nous expliqua les subtilités qui allaient au-delà de notre compréhension. Car après tout, nous étions loin d’être aussi qualifiées que Brigid. Il fut même capable de citer les paroles de Brigid les plus utiles, lorsqu’elle enregistrait encore ses journaux audios au cœur de ses laboratoires. Cela me suffisait amplement. Je crois que je n’aurais pas supporté d’entendre sa voix à nouveau, pas après l’avoir perdu si peu de temps avant. Mais je savais qu’elle m’encourageait. Peu importe là où elle se trouvait, elle était toujours avec nous. Toutes ces recherches éparpillées sur la table étaient son héritage et nous avions le devoir de lui faire honneur.

Vers la fin de l’après-midi, le Penseur put enfin synthétiser une solution mélangée à une dose d’ADAM qui devait m’aider à retrouver mes sens de Petite Sœur. Evidemment, nous avions pris en compte les risques d’effets secondaires. Mais les aléas faisaient partie du jeu.

Eleanor sortit la solution du vortex du Penseur, et me la présenta comme si elle tenait le Graal.

« Voilà, dit-elle. Le moment de vérité est arrivé.

— Oui. Soit mes sens de Petite Sœur vont s’affûter…

— Soit tu vas redevenir aussi libre qu’un hamster dans une boîte. »

Je la fusillai du regard.

« Merci pour tous ces encouragements, Eleanor. »

Je serrai la seringue dans ma main droite. D’un mouvement mal assuré, je positionnai l’aiguille au niveau de mon bras gauche. Je jetai un regard vers Eleanor, qui serrait les dents en me voyant faire. Je pris une énorme inspiration et enfonçai l’aiguille dans mon bras. Une légère douleur éclata au niveau de la pointe de la seringue. Lorsque je poussai le piston et que je vis le liquide orange disparaître, un frisson me parcourut l’échine. Je retirai la seringue, en reprenant enfin mon souffle.

« Alors ? » me demanda Eleanor.

Avant de procéder à l’expérience, je pensais que j’allais avoir tellement de choses à dire. Mais je ne ressentais rien. Rien de plus, rien de moins. Je haussai les épaules.

Puis, quelque chose me frappa. Je n’avais pas l’air plus forte ou plus puissante. Pourtant, je voyais la pièce différemment. Ou plutôt je sentais la pièce différemment. Le parfum de pop-corn et de barbe à papa embaumait littéralement le laboratoire. Mais ce n’était plus seulement une question d’odeur. Je pouvais voir l’arôme voyager à travers la pièce, comme un chemin qui me menait directement au reste d’ADAM encore sur les paillasses. Je savais au fond de moi où trouver l’ADAM, désormais.

Comme au bon vieux temps.

 

*

*            *

En un sens, il était difficile de décrire la sensation que j’éprouvais à Eleanor. Un peu comme elle avait du mal à retranscrire ce que cela faisait d’entendre la voix de son père dans sa tête. Bien entendu, elle fut autrefois une Petite Sœur comme les autres, déambulant dans Rapture aux côtés de ce cher Sujet Delta. Mais depuis que sa mère avait anéanti le contrôle mental de Suchong sur son corps, elle avait perdu petit à petit cette habileté. Elle avait les capacités d’une Grande Sœur, mais sans les contraintes qui allaient de pair. Et c’est cela qui faisait sa force.

Pourtant, lorsque je tentai de lui expliquer, elle hocha simplement la tête. Peut-être se souvenait-elle seulement du sentiment que l’on éprouvait.

En revanche, un autre problème se posait désormais à nous. Nous avions réussi, certes : je pouvais sentir l’ADAM, mais cette capacité n’était pas un atout ultime. Je n’avais pas la possibilité de savoir où se trouvait l’ADAM sur le globe, à chaque instant. Il nous fallait quelque chose de plus puissant. Cependant, Eleanor refusa que je m’injecte une dose plus importante, en me faisant comprendre que cela pourrait entraîner des conséquences plus graves sur mon métabolisme. Elle avait raison, bien-sûr, mais je ne voyais pas d’autre choix possible.

Nous cherchâmes une alternative pendant une bonne dizaine de minutes, durant lesquelles Eleanor semblait ailleurs, pendant que j’évoquais les remèdes qui s’offraient à nous. Elle avait le regard dans le vide, comme absorbée par le sujet. Soudain, elle cligna des yeux, claqua des doigts et me fixa d’un œil résolu.

« Je crois que j’ai la solution, lâcha-t-elle.

— Tu en es sûre ? 

— Enfin, ce n’est pas moi qui l’ai trouvée, c’est mon père.

— Vas-y, je t’écoute.

— Nous devons retrouver les autres Petites Sœurs et leur fournir la même solution que tu viens de t’injecter. Et grâce aux laboratoires de Brigid, nous pourrions surveiller plusieurs parties du monde au même moment. »

A l’écoute de sa proposition, je me frottai le crâne. Pour être honnête, ce n’était pas une si mauvaise idée. Mais cela supposait de convaincre nos anciennes amies de rejoindre notre aventure, ce qui n’était pas gagné d’avance. Cette idée induisait aussi un autre problème : il fallait toutes les retrouver, dans chaque endroit du monde où elles se trouvaient.

Mais lorsque je soumis ce problème à l’évaluation d’Eleanor, alors même que je pensais la décevoir, je fus bouche-bée de voir un large sourire se dessiner sur son visage.

« Pour ça aussi, j’ai une solution ».

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