BioShock Beyond – Tome 3 : Un océan de rêves

Chapitre 3 : La débâcle

3112 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/09/2021 11:58

Chapitre 3 : La débâcle

« D’après Maman, mon espèce de maladie est en fait une bénédiction : elle me rappelle sans cesse que je suis née uniquement pour promouvoir ses idéaux. Et aujourd’hui, elle essaie de me convaincre de prendre de l’ADAM, exactement comme le Dr Alexandre, qui en a perdu la raison ! Elle pense que mon état m’immunise contre les dégâts... La surface, c’est ma seule chance de liberté. Mais Maman a assassiné devant mes yeux la seule personne de là-haut que je connaissais… c’était Papa. Si seulement je pouvais trouver un moyen de le faire revenir à la vie… »

Eleanor Lamb


****


L’écho du crissement des pneus de la voiture résonna dans la petite allée sombre qui jouxtait le bar désormais en miettes. L’accélération fut brutale, particulièrement en ce qui me concernait – je n’avais encore jamais voyagé à l’arrière d’un pick-up. Mandy rallia le boulevard principal, en esquivant les projectiles des quelques chrosômes encore en vie, avant de réussir à quitter la ville. La police, avec les gyrophares allumés comme des lucioles surexcitées, croisa notre chemin à contre-sens, sans faire attention à nous, en dépit de nos nombreuses cicatrices et de nos mines affreuses. Une fois sorties de la grande ville portuaire, les routes se faisaient plus étroites, mais aussi plus longues, s’étendant à perte de vue, bordées d’un côté par des vastes étendues, et de l’autre par la mer dans toute son immensité. Le pick-up se dirigeait vers le nord, en direction de la France, longeant la côte. Rejoindre l’Hexagone semblait être la meilleure chose à faire. Mais Tenenbaum n’était pas de cet avis. Assise du côté passager, elle suppliait Mandy de l’écouter.

« Il faut absolument que l’on s’arrête avant la frontière, expliqua-t-elle, d’une voix emplie de tension qui faisait ressortir son accent germanique.

— Quoi ? s’écria Mandy. Non ! On doit passer la douane, si on veut échapper à ces hommes. »

Les images de l’attaque refirent brièvement surface dans ma mémoire. Ces hommes… pas de doute, il s’agissaient bien de chrosômes, venus tout droit de Rapture. Je reconnaissais leurs visages difformes qu’ils dissimulaient sous des couches de masques, de maquillages ou de bandages. Mais d’où sortaient-ils ?

« Faites-moi confiance, reprit-elle d’une voix plus calme et apaisée, j’ai une autre solution. Il y a un laboratoire secret qui m’appartient, non loin d’une station balnéaire. Personne ne pensera à nous trouver là-bas. Pas même ces porcs.

— Très bien ! concéda Mandy à contre-cœur. Mais je vais avoir besoin de vous pour m’indiquer la route. »

Eleanor et moi échangeâmes un regard circonspect. Nous ne savions pas vraiment où Tenenbaum voulait en venir. Posées à l’arrière du pick-up, nous nous mîmes donc à écouter le souffle du vent dans nos oreilles et les moteurs des voitures qui passaient dans l’autre sens. Elle semblait bien mal en point quelques minutes auparavant. Cependant, un coup d’œil en direction de son bras amoché me permit de constater avec un certain émerveillement que toutes ses cicatrices avaient disparues. Son bras était comme neuf. Eleanor perçut mon regard et me renvoya un sourire empathique.

« Il y a quelques avantages à demeurer une Grande-Sœur, m’expliqua-t-elle. Ça en fait partie.

— Tu la sens encore ? demandai-je en indiquant mon ventre pour lui faire comprendre de quoi je parlais.

— La limace de mer ? C’est un état… singulier, je dois dire. De temps à autre, je la sens bouger, comme si un bébé grandissait à l’intérieur de moi. Puis, lorsque je n’y fais plus attention, elle semble disparaître. Comme si j’étais une femme comme les autres.

— Et ton père ? Qu’est-ce qu’il en pense ? »

Le Sujet Delta était mort depuis très longtemps, maintenant. Pour autant, la perte de son corps pour la seconde fois n’avait pas signé la fin de sa vie. Eleanor m’avait expliqué comment elle avait récupéré les souvenirs de son père sur son propre corps et comment elle se les étaient injectés. Mais franchement, j’avais beaucoup de mal à saisir le principe. Elle disait que c’était une sorte de petite voix, à peine perceptible, une voix lointaine mais rassurante. Une sorte de Jiminy Cricket qui lui disait quoi faire lorsqu’elle était perdue. Cette fusion n’était rien de plus qu’un aboutissement, la poursuite de la relation qu’ils entretenaient lorsqu’ils étaient encore Petite Sœur et Protecteur. Le lien qui les unissait était presque unique à Rapture.

Pour ma part, je n’avais aucun souvenir de mon Papa, si ce n’est quelques songes persistants et quelques réminiscences fugaces. Ce que je savais en revanche de la bouche de Tenenbaum, c’est que le lien qui nous unissait n’était pas aussi fort que la connexion qu’entretenait Eleanor et Delta. Mon Papa était un Videur, un Protecteur d’une génération plus avancée. Entre temps, la technique avait progressé. Et avec le progrès, le lien qui unissait les Petites Sœurs aux Protecteurs avait changé. Certes, il restait essentiel, mais bien moins mortel que celui qui liait les Protecteurs de la Série Alpha à leurs Petites Sœurs. D’un côté, je jalousais Eleanor, qui n’avait jamais eu à se sentir seule, car elle avait toujours quelqu’un à ses côtés pour veiller sur elle, même dans les moments les plus difficiles. Mais d’un autre côté, je trouvais ma situation bien plus enviable à la sienne. Libérée de mes racines et de la limace qui grandissait dans mon corps, j’avais réussi à refaire ma vie. Enfin, jusqu’à ce qu’Elaine vienne tout gâcher.

« Je ne sais pas trop, me répondit Eleanor à propos de son père. Je crois qu’il ne sent pas ce que je ressens physiquement. Il n’est là que dans mon esprit.

— Non, je voulais parler de la situation dans laquelle on est, corrigeai-je.

— Oh ! Il est… Il est tout aussi perdu que nous, à vrai dire. Il sait qu’Elaine est dangereuse, et qu’elle fera tout pour ramener son père. Il me donne aussi des encouragements parfois. Il me dit qu’à nous deux, on a déjà eu affaire à un tyran tout aussi coriace. »

Malgré les paroles réconfortantes qu’elle me confiait, l’étincelle d’espoir qui se lisait jusqu’alors sur son visage sembla s’envoler en prononçant ces mots. Ce tyran n’était nul autre que sa mère, Sofia. Après la mort de Ryan et Fontaine, c’est elle qui avait pris le contrôle de Rapture et avait tenté de faire de sa fille un instrument à la gloire de son idéologie collectiviste. Eleanor avait résisté et ramené le Sujet Delta d’entre les morts. Aujourd’hui, son père adoptif et sa mère n’étaient plus de ce monde.

« Et il a raison », approuvai-je, tentant de m’en convaincre moi-même. Je posai ma main sur la sienne, dans l’espoir de la réconforter. « On va y arriver. Ensemble. »

Cette fille renvoyait l’image d’une femme forte et sûre d’elle, qui voulait suivre les pas de son père et faire le bien autour d’elle. Elle avait déjà sauvé les Petites Sœurs enlevées par sa mère, en 1968, et voulait sauver tous ceux qu’elle pourrait sauver. Mais le fardeau qu’elle s’était condamner à porter n’était pas aussi léger qu’elle voulait bien le prétendre. Si ses cicatrices n’avaient aucune chance face à son pouvoir, les fêlures qui craquelaient son cœur ressemblaient plutôt à d’immenses crevasses indélébiles.

Soudain, le pick-up fit une dangereuse embardée sur la droite. Eleanor et moi nous accrochâmes au bord de la benne, persuadées que nous allions avoir un accident. Mais au dernier moment, il réussit à revenir sur la route. Cependant, il ne cessait de perdre de la vitesse. Alors que notre cœur faisait toujours des bonds dans notre poitrine, nous nous penchâmes près de la vitre pour voir ce qui se clochait du côté de notre conductrice.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Eleanor.

— Mandy s’est évanouie, annonça Tenenbaum d’un ton étrangement neutre pour la situation.

— De quoi ? criai-je, horrifiée.

— Elle a dû recevoir un sacré coup sur la tête, constata Tenenbaum.

— Arrêtez-vous Brigid, lui intima Eleanor, je vais prendre le volant. »

Lorsqu’elle s’était aperçue que Mandy piquait du nez, la scientifique allemande s’était précipitée sur le volant pour reprendre les commandes. En passant ses jambes au-dessus du levier de vitesse, elle avait été capable d’atteindre la pédale de frein. D’un geste assuré, elle dirigea alors le véhicule sur le bas-côté.

 

*

*            *

Après avoir allongé Mandy à l’arrière du pick-up, en la calant parmi les outils et les tissus qui y étaient entreposés, Eleanor prit le volant, tandis que Brigid et moi nous nous installâmes à côté d’elle. Il était grand temps de rejoindre le labo dont la scientifique avait parlé. La nuit était tombée, et la route n’en paraissait que plus longue et redondante.

« A votre avis, m’enquis-je, d’où est-ce qu’il sortaient, tous ces chrosômes ?

— Cela peut vouloir dire deux choses, dit Tenenbaum. Soit il s’agit de survivants qui ont regagné la surface, ce dont je doute fort, soit cela signifie qu’Elaine a réussi à ramener Fontaine et toute sa troupe de cirque avec lui.

— C’est bien ce que je pensais, avouai-je.

— Alors, on arrive trop tard ? demanda Eleanor, avec une touche de déception au creux de la voix.

— Selon moi, rien n’est joué d’avance, décida Tenenbaum. Elaine et les autres sont sûrement en train de préparer un plan plus concret. Si j’étais à sa place, je passerais des heures avec Fontaine, à essayer de m’intéresser à l’homme derrière la légende. Une bien triste légende, si vous voulez mon avis. »

J’avais toujours du mal à comprendre comment Brigid avait pu s’amouracher d’un homme comme Fontaine. L’avait-elle vraiment aimé ? Ou était-ce simplement un moyen de… libérer la pression ? Après tout, Tenenbaum était autrefois une scientifique de renommée publique, à qui l’on demandait d’accomplir des merveilles encore et encore, sans lui laisser le droit à l’échec. Toujours est-il que cette relation n’avait vraiment fait de bien à personne, en définitive. Elaine était une jeune fille en manque d’amour, qui n’avait jamais connu que la solitude, alors que Tenenbaum s’était forcée à revenir à Rapture pour sauver les nouvelles Petites Sœurs et à…

« Les Petites Sœurs ! m’exclamai-je à haute-voix, tandis que je repensais aux doux visages que j’avais aperçu dans le journal, la veille.

— Quoi, les Petites Sœurs ? s’étonna Tenenbaum.

— J’ai lu un article dans le journal l’autre jour, racontai-je. Il disait que plusieurs jeunes filles avaient été enlevées aux Etats-Unis tout récemment. Je… Je suis persuadée qu’Elaine continue votre œuvre, Brigid. »

Pendant que j’expliquais ce que j’avais lu, réalisant du même coup que j’aurais dû les en informer beaucoup plus tôt, Tenenbaum porta lentement la main à la bouche avec des yeux aussi ronds que la pleine-lune.

— Oh non ! se lamenta-t-elle, avant de durcir son expression. Scheisse ! Elle est allée trop loin, cette fois ! ». En dépit de son âge avancé, elle n’avait pas perdu la verve qui la caractérisait. Elle se mit à tapoter ses doigts contre le tableau de bord. « Il faut absolument qu’on l’arrête et vite !

— Si seulement on savait où elle se trouve », lâcha Eleanor.

Par un jeu de regard, elle désigna explicitement Mandy, qui était toujours dans les vapes.

« Je ne pense pas qu’elle ait quelque chose à voir dans ces disparitions, analysai-je, sceptique.

— Non, admit Eleanor, mais je pense qu’elle en sait bien plus qu’elle ne veut bien le dire. Avec tous ses informateurs, elle doit être au courant du moindre battement d’aile d’une mouche à l’autre bout du monde.

— Il ne nous reste plus qu’à la soigner, conclut Tenenbaum. C’est la seule chose que l’on puisse faire pour le moment, je crois. Espérons simplement que les pistes qu’elle daigne nous confier sont correctes. »

 

*

*            *

Le sommeil s’empara de moi à mi-chemin. A l’affût du moindre signe de faiblesse de ma part, ce fut l’occasion pour mon esprit de ressasser les inlassables cauchemars qui me hantaient souvent lorsque je me glissai au creux de mon lit. Des cauchemars que seul Derek avait le don de me faire oublier.

Cette fois pourtant, dans ce cauchemar, quelque chose était différent.

J’étais à Rapture, et j’étais encore une petite fille. Une Petite Sœur. Comme dans tous mes rêves, je voyais Rapture dans son absolue beauté sous l’effet du conditionnement mental. Les murs drapés de blanc, les statues de Protecteurs étincelantes, les jouets qui jonchaient le sol, la lumière du soleil qui filtrait à travers l’eau et le verre, réchauffant mon cœur et mon corps. Je marchais seule, me repérant à l’odeur que laissaient les anges dans leur sillage. Mon Papa n’était pas là. Dans mes rêves, il n’était jamais là pour me sortir du mauvais pas.

Soudain, quelqu’un me saisit fermement par l’épaule. Dans tous les rêves que je faisais, Jack m’attrapait toujours. Mais là, ce n’était pas Jack. Je ne savais pas comment je pouvais en être sûre, mais j’en étais certaine. Lentement, je me retournai pour découvrir le visage de celui ou celle qui allait me tuer. Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque je reconnus le visage d’Eleanor Lamb. Néanmoins, elle avait un aspect bien différent de celui que je lui connaissais : enveloppée dans une nuisette blanche en satin, elle ressemblait à un fantôme.

Cette impression était renforcée par le fait que ses pieds n’étaient pas posés au sol. Elle flottait, faisant danser le bas de sa robe au gré de sa lévitation. De ce fait, elle me dominait littéralement et je devais lever la tête à m’en tordre le cou pour la regarder droit dans les yeux. Ses yeux. Ses yeux étaient d’un blanc absolu, sans une once de l’iris céruléen qui y logeait habituellement. Ses cheveux coupés court lévitaient également, ballant en suivant les mouvements de son cou et de sa tête, remuant et s’agitant sans cesse, comme les serpents sur la tête de Méduse. Malgré l’horreur qui s’empara de moi, je ne bougeai pas. Comme lors de mes rencontres avec Jack au cœur de mes cauchemars, je ne levai pas le moindre petit doigt. Pire encore, j’étais comme fascinée par cette fille, qui ne semblait pas me vouloir le moindre mal.

« Sarah… »

Sa voix spectrale et envoûtante était d’une beauté morbide, irrésistible. Si je ne la connaissais pas, j’aurais pu la prendre pour celle d’une sirène.

« Tu dois mettre un terme à tous ces évènements. Tu dois tout arrêter avant que les Utopiens ne pénètrent dans ton monde. Détruis la machine. Détruis-les toutes.

Comment ? demandai-je avec ma voix d’adulte, à l’opposé complet du corps dans lequel je me trouvais. Cela ne parut cependant pas me gêner, tant que j’étais dans le rêve, en tout cas.

Tu auras de l’aide. Quelqu’un approche. Ce n’est plus une enfant. C’est une femme. Elle saura comment m’arrêter, comment nous arrêter.

Nous ?

La Famille de Rapture, qui chante mon nom en chœur, unie dans mon sang et mon corps pour créer le Nouvel Utopien. Sarah, tu dois y mettre un… »

« Eh ! Réveille-toi. »

Je repris conscience dans un sursaut, les yeux mi-clos. La voix qui venait de me tirer de mon sommeil résonnait encore à mes oreilles dans un doux écho. C’était la même que celle que j’avais entendu en rêve. Derrière le voile flou qui occulta ma vue durant quelques secondes, je vis Eleanor assise à côté de moi, l’air préoccupée. Il me fallut battre plusieurs fois des paupières pour recouvrer entièrement la vue, cependant que mes yeux me piquaient encore.

« Où… où on est ? demandai-je, embrouillée, en me frottant les yeux. »

Le froid s’était insinué en moi au cours de ma sieste, si bien que je ne pus réprimer un claquement de dent tandis que je me frottai les bras avec les mains dans l’espoir de me réchauffer. La température extérieure avait beaucoup diminué. A travers la vitre pleine de buée de la voiture, je distinguai les premiers rayons du soleil. Nous avions roulé toute la nuit.

« On est arrivées, expliqua calmement Eleanor. Tenenbaum et moi, on a déplacé Mandy à l’intérieur. Elle va mieux. Tenenbaum s’est mise à la soigner et a préféré te laisser dormir. Et puis, j’ai vu que tu parlais en dormant. Tu disais des choses bizarres, incompréhensibles… Alors, je me suis dit qu’il valait mieux te réveiller.

— J’ai fait un rêve étrange, révélai-je à Eleanor, toujours secouée par ce que j’avais vu en songe.

— Quel genre de rêve ?

— Est-ce que tu crois aux rêves prémonitoires ? »

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