La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 22 : L'art de la manipulation

2331 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/02/2024 19:42

Chapitre 22 : Un retour aux sources.



Cela faisait quelques mois qu'Orgrim et Keera s'étaient établis dans la ferme abandonnée de Thondroril. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, ils menaient une vie paisible, loin des guerres et des conflits.

Ils prirent rapidement des habitudes, Orgrim allant chasser alentour, tandis que Keera prospectait les contrées à proximité, le plus souvent à dos de griffon, qu'elle avait nommé Vent-gris, passant plus inaperçue qu'un orc. Elle avait trouvé plusieurs armes, des vêtements et tissus, ainsi que des matériaux lui permettant de les améliorer.


  • J'aimerais tant installer une forge, là juste ici, montra-t-elle du doigt la base du moulin en ruine.
  • J'aimerais que tu puisses, mais il te faudrait plus de pierres pour l'installer, et des outils, affirma l'orc.
  • Je trouverai, lui assura la princesse, occupée à trier ses dernières trouvailles. J'ai repéré quelques gisements de fer dans les environs.
  • Mff, une princesse qui vole des paysans pour vivre dans le secret avec un orc, tu pourrais être l'héroïne de ces histoires que les humains racontent dans les livres, s'amusa-t-il tout en dépeçant un sanglier.
  • Je ne suis pas une princesse, pas vraiment, rectifia Keera. Je ne connais même pas les détails de mon adoption, avoua-t-elle.
  • Et tu te souviens de quelque chose avant qu'ils ne te trouvent ? questionna Orgrim, curieux d'en savoir plus.
  • Pas vraiment, répondit Keera tout en essayant de s'en souvenir, le regard vague pointé vers le ciel. Je n'ai que quelques souvenirs de ma rencontre avec les soldats d'Alterac, et de mon arrivée au château.
  • Hum, marmonna Orgrim. Je me demande ce qu'est devenu ton père, après que l'autre roi humain ait envahi sa montagne.
  • Il a dû être arrêté pour traîtrise, déclara Keera sans plus d'émotions. En revanche, c'est pour mes sœurs que je m'inquiète ! Il ne t'avait rien dit, mais Neva était promise au Duc Zverenhoff, un homme très pieux et dont les richesses avaient appâté mon père.
  • « Pieux » ? répéta Orgrim.
  • Oui, croyant, religieux, et terriblement ennuyeux, ajouta-t-elle. Mais je pense que ma sœur aurait trouvé le bonheur avec cet homme. Il l'aurait bien traitée.
  • Mieux que je ne l'aurais fait ! assura Orgrim qui n'avais jamais regretté un seul instant son choix.
  • À l'époque, je me souviens avoir pensé la même chose, avoua Keera, s'asseyant près d'Orgrim qui s'était installé sur une bûche de bois. Je me disais qu'il valait mieux que ce soit moi qui parte avec toi plutôt qu'une de mes sœurs qui seraient trop fragiles pour une telle vie.


Orgrim observa sa compagne. Il la fixait, tandis qu'il espérait qu'elle comprendrait ce que son regard plissé signifiait. Face à son incrédulité, il dût s'expliquer :

  • Leur fragilité n'était pas la seule raison de mon choix, avoua Orgrim, détournant le regard, les joues très légèrement rosées.


Keera tenta de le dévisager, l'air surpris.

  • Tes sœurs avaient l'air gentil, mais leur visage n'était pas, enfin...


Keera le fixait toujours, un sourire aux lèvres. Elle le laissait se débrouiller à chercher ses mots et, plus que tout, avec la gêne qui lui montait au visage.

  • Enfin tu as compris, finit-il, le regard toujours fuyant.


Touchée par tant de pudeur, dans sa déclaration à mi-teinte, mais également dans son souhait de ne pas insulter ses sœurs, la princesse enroula son bras autour du sien, et se blottit. Si tout pouvait être aussi simple, une conversation innocente, le bruit de la rivière baignée de lumière les jours ensoleillés, les feuilles mortes tombant des arbres à la basse saison, une étreinte tendre et sincère.


Qui pouvait désirer autre chose ?


W


Depuis Strahnbrande, le seigneur Aliden Perenolde organisait les actions du Syndicat. Il avait récemment chargé le Baron Vardus de rassembler le plus de combattants possible pour engager une offensive contre Stromgarde. Il était en effet judicieux de frapper maintenant que les armées de Trollemort avaient été disséminées ci et là durant la Seconde Guerre.


Quelque peu éreinté par sa journée, Aliden fit appeler la jeune Donna, une paysanne rencontrée près de la ferme des Solliden, dont il appréciait la « disponibilité ». Retranché dans ses appartements, il entreprit de se dévêtir lorsque la porte s'ouvrit. La jeune fille entra à pas lents tandis que le seigneur s'assit dans son fauteuil aux coussins de velours, près de la cheminée, et posa ses pieds sur le repose-pied juste devant lui.


  • Retire-les, ordonna-t-il à Donna en donnant un coup de tête pour désigner ses bottes.


La fille s'avança, puis se pencha vers les jambes du seigneur pour le déchausser. Il l'observait, lorsqu'il aperçut un bijou sortir de sa chemise déboutonnée au col, comme elle savait qu'il appréciait.

  • Attends, dit-il en se redressant pour attraper le bijou. D'où sors-tu un tel bijou ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.


Donna se redressa également, et regarda ses pieds. Devant son silence, Aliden arracha le pendentif pour l'examiner. Ce geste brusque lui fit presque perdre son équilibre.

La chaîne, tout comme le médaillon, était d'or, et il était impossible que la jeune fille en possède un de cette qualité. Il examina le médaillon, le retourna, et reconnu le motif gravé : un oiseau déployant ses ailes, l’emblème d'Alterac. Furibond, le seigneur se leva et se pencha sur Donna qui s'était éloignée d'un pas en levant ses maigres bras pour se protéger.


  • Où as-tu volé ce médaillon ? Crois-tu que ces portraits soient ceux de ta famille galeuse ? s'offusqua-t-il en ouvrant le médaillon, tandis qu'un bout de papier tomba dans sa main.


Le seigneur Perenolde fixa la fille, puis ouvrit le billet qui avait été glissé dans le médaillon. Il lut :


Veuillez pardonner ma fâcheuse tendance à insister, mon seigneur, mais je ne puis fermer les yeux sur l'importance de la mission qui m'incombe.

Je ne puis non plus fermer les yeux sur les agissements du Syndicat qui, comme vous en avez sûrement entendu parler, font l'objet d'une enquête des plus sérieuses.

C'est pourquoi je vous attendrais au premier soir de la basse saison, près de la ferme des Solliden.

H.Walmor


Les mains tremblantes de rage, le regard du seigneur passa de la missive à son amante, agenouillée sur le sol et sanglotant, sentant sa dernière heure arriver. Comment osait-il ? Exercer un tel chantage sur un seigneur, un tel individu, de basse naissance qui plus est !

Cette situation lui était intolérable. Il savait Walmor enclin à de telles méthodes, il savait aussi qu'il devait avoir ses espions au sein du Syndicat. De surcroît, il connaissait ses liens avec Jorach Ravenholdt, son ennemi juré, dont l'organisation était bien plus puissante et dangereuse que la sienne, comprenant des assassins des plus redoutables.


Il n'avait pas le choix, il devait honorer cette rencontre. Et cette péronnelle allait savoir ce qu'il en coûte de le trahir, pensa-t-il, foudroyant littéralement du regard la pauvre enfant qui avait eu le malheur de croiser un jour leur route.


W


À cette époque de l'année, les Clairières de Tirisfal étaient particulièrement sinistres. Les arbres dépouillés de leur feuillage accentuaient cette ambiance inquiétante qui se prêtait parfaitement à l'atmosphère des festivités de la Sanssaint.

Une silhouette encapuchonnée attendait le général Walmor à l'orée de la forêt, face à la ferme des Solliden. Juché sur son palefroi, se tenant droit et digne, le seigneur Perenolde éperonna son cheval pour rejoindre son complice de fortune qui lui faisait signe.


  • Je suis heureux de vous rencontrer en ces lieux hasardeux, mon seigneur, s'inclina légèrement Walmor.
  • Épargnez-moi vos sarcasmes, s'offusqua Aliden Perenolde, s'évertuant à conserver sa dignité. Dites-moi ce que vous voulez et allez-vous-en !
  • Pardonnez mon insistance, mon seigneur, reprit Walmor, mais il s'agit là d'un point épineux de mon enquête, et il s'avère que vous détenez quelques informations le concernant.
  • Venez-en aux faits, et vite ! ordonna Aliden.
  • Bien, il apparaît que certains documents concernant l'un des membres de votre famille aient pu, comment dire, disparaître, annonça Walmor, le ton mystérieux. Et donc, je me tourne vers vous pour solliciter toutes les informations à votre disposition à propos de la princesse Keera.
  • Keera ? répéta Aliden, ébahi. Que voulez-vous savoir sur elle ?
  • Quelques points en fait, rien de bien méchant, poursuivit Walmor, le ton faussement condescendant. Les raisons pour lesquelles votre père s'est enquit de son éducation avec grande hâte, par exemple, m'échappent quelque peu, voyez-vous.


Le seigneur Aliden perdait patience. Quel intérêt pouvait bien avoir ce genre d'information. Après tout, elle avait disparu. À moins que...

  • Seriez-vous sur les traces de ma demi-sœur ? Parce que si tel est le cas, n'êtes-vous pas tenu d'en informer le roi Terenas qui, selon mes renseignements, la recherche activement, se risqua Aliden.
  • Une telle preuve de loyauté m'émeut, vraiment, mon seigneur, se moqua Walmor. Et ne croyez pas qu'ainsi je vous dévoile mes plans sans en avoir l'air, car, je vous prie de croire que je pèse chacun de mes mots, assura-t-il. Et si je vous croyais du côté du roi Terenas, ce dont je doute fortement, pensez-vous réellement que je vous livrerais une telle information ?
  • N'insultez pas mon intelligence, racaille ! s'écria Aliden, sorti de ses gonds. Je ne saurais tolérer vos railleries plus longtemps !
  • Ne vous méprenez pas, mon seigneur, le rassura Walmor, je ne souhaite qu'obtenir les renseignements pour lesquels je me suis déplacé.


Aliden réfléchit. Il ne détenait pas toutes les informations sur Keera, mais connaissait les motivations de son père à la garder près de lui et ce qu'il avait entrepris. Ce que Walmor semblait déjà soupçonner.


  • Tout ce que je peux vous dire, c'est que mon père, comme nous autres, avait bien perçu sa force surhumaine, même pour une fillette, et ses facilités à manier les armes. Il a cru pouvoir exercer un contrôle sur elle, certainement à des fins militaires. Je ne sais rien d'autre, conclut le seigneur sur un ton ferme.
  • Bien, mais où a-t-elle été trouvée ? D'où vient-elle ? Sait-on qui étaient ses parents ? interrogea le général, sans grande conviction.
  • Je sais que les recherches qui ont été menées n'ont conduit nulle part, assura le prince. Nous avons conclu qu'il s'agissait d'une demi-elfe aux dons innés pour le combat, et qui avait dû être abandonnée à cause de son sang mêlé.
  • Et votre père l'a laissé partir avec le chef des orcs aussi facilement, sans même essayer de l'en cacher ? l'interpella Walmor, très peu convaincu.
  • Mon père avait essayé de le convaincre de choisir une de mes autres sœurs, mais par peur, il n'a pas osé insister, s'indigna-t-il, dissimulant à peine le dégoût que Walmor crut discerner dans sa moue.
  • Je vois, réfléchit le général. Je ne vous cache pas que ma curiosité n'est pas exactement assouvie, continua-t-il.
  • Vos menaces à peine voilées m'importent peu, à qui croyez-vous avoir affaire ?
  • À quelqu'un qui ne peut se permettre de négocier, si tant est que sa sécurité lui importe encore, dit-il en brandissant devant lui un parchemin rédigé et signé de la main de sa maîtresse, la jeune Donna. Croyez-vous que vos affaires répugnantes avec les nobles de Lordaeron me soient inconnues ? Esclavage, commerce d'être humain, vol, atteintes aux biens du royaume, et dites-vous bien que les preuves que je détiens vous accorderaient un aller simple pour Fossoyeuse, à vous et à toute votre clique, lui promit Walmor.


Si Aliden avait pu utiliser les éclairs qui traversaient ses yeux furieux pour tuer Walmor, nul doute que le général se trouverait foudroyé sur place. Il ne lui avouerait jamais, mais c'était un fait que la réputation de l'homme n'était pas usurpée.


À présent résigné, et surtout dos au mur, Aliden pouvait donner la dernière piste dont il disposait :

  • Je vous donne une dernière information concernant cette affaire, la dernière dont je dispose, et vous disparaîtrez de ma vue ! imposa le jeune seigneur.
  • Je vous écoute, se languit Walmor.
  • Keera était très proche du général Hath, l'un de nos commandants.
  • Oui je connais le général Hath, coupa Walmor.
  • Je crois savoir qu'il avait poursuivi les recherches sur les origines de ma sœur, continua Aliden. Je n'en sais pas plus.


Walmor le croyait. Il ne sentait aucun attachement particulier entre Aliden et sa demi-sœur, donc aucune raison de lui cacher d'autres précisions sur son compte.

Walmor reprit :

  • Je vous crois, et je n'abuserai pas plus de votre temps si précieux, ironisa-t-il.


Sans plus de convenance, le seigneur Perenolde talonna son cheval lorsque Walmor lui fit signe :

  • Pardonnez-moi, j'avais une dernière question, s'excusa presque le général. Comment se porte la jeune Donna ? demanda-t-il si sournoisement que le jeune Perenolde crût que son cœur allait sortir de sa poitrine tant son rythme cardiaque s'accéléra et que son sang lui montait à la tête.


Le regard noir, les yeux exorbités, le seigneur gratifia Walmor d'un « peuh ! » et s'éloigna, suivi du regard par Walmor, encore peu satisfait des renseignements qu'il avait pu glaner.


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