La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé
Chapitre 11 : Force et honneur.
L'Alliance arrivait par la même route qu'avait empruntée la Horde pour atteindre le Mont Rochenoire. Le bruit de sabots qu'émettaient les chevaux montés par des cavaliers était à présent familier. Il évoquait l'affrontement.
Au sommet du pont qui menait à l'entrée principale du Pic, Orgrim Marteau-du-destin se tenait droit et fier, vêtu de son armure de guerre noire et brandissant le marteau-du-destin. Face à lui, le long de la vallée, la Horde, qui comprenait plusieurs clans orcs, des ogres, des trolls, ainsi que des chevaliers de la mort. Tous prêts à se battre pour l'amour du massacre, mais aussi pour leur survie.
Le discours de leur chef avait fait mouche, et chacun se sentait ragaillardi et bouillonnait d'en découdre, car, ils n'allaient pas attendre sagement dans les entrailles du Pic que les humains ne les attaquent, ils allaient eux-mêmes attaquer, et ainsi les déstabiliser. Puis, sentant son peuple si exalté par la bataille à venir, Orgrim brandit à nouveau le marteau-du-destin et poussa son cri de guerre. La Horde en délire approuva son Chef de guerre, et tous lancèrent des Lok'tar Ogar d'allégresse.
Ils étaient prêts.
Orgrim ferma les yeux quelques secondes. Son plan de ne pas se retrancher au Pic et attendre les renforts restait hasardeux et risqué. Il misait le tout pour le tout sur la férocité des siens, mais avait également autre chose en tête. Pour affaiblir les soldats humains, il lui fallait décapiter leur commandant. Et ainsi anéantir leur volonté. C'était sa seule chance de vaincre.
Avant de s'avancer en tête des lignes et précéder son armée pour lancer l'assaut, Orgrim jeta un coup d’œil en arrière, et dévisagea Keera, qui se tenait sur la corniche supérieure et le fixait. Il serra le poing et l'abattit sur son torse tout en lui faisant face. Il la saluait avec espoir. Elle répondit en appuyant sa main ouverte contre son cœur, le regard inquiet.
Puis, il se lança à la tête de son armée qui chargea les troupes de l'Alliance si brutalement que les soldats humains, qui campaient aux portes des Steppes Ardentes, n'eurent pas tous le temps de revêtir leur armure ou attraper leur arme. Beaucoup périrent sous l'effet de surprise, d'autant qu'Orgrim, qui se tenait en première ligne, était un orc immense à l'offensive violente et implacable. Certains humains prirent la fuite à son approche, le reconnaissant par sa taille, mais surtout grâce à son armure noire à présent aussi légendaire qu'elle ne l'était sur Draenor. Son aisance à utiliser le marteau-du-destin ainsi que les figures martiales qu'il accomplissait relevaient de l'art, et constituaient un obstacle redoutable pour tout soldat qui s'en approchait.
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Keera observait depuis son perchoir. Elle n'avait encore jamais eu l'occasion de voir Orgrim combattre. Il se démarquait indéniablement des autres orcs, qui semblaient se démener comme des diables, alors qu'Orgrim était davantage dans la maîtrise. Cependant, tous combattaient avec cette même hargne et une violence inouïe. Lorsqu'elle avait entendu parler de cette Horde et de la brutalité extrême avec laquelle elle attaquait, elle l'avait cru. Mais en réalité, elle ne s'était pas imaginé combien le voir pouvait être effrayant.
Tout à coup, Orgrim se figea, et semblait avancer vers un humain très grand lui aussi qui marchait également dans sa direction. L'humain avait le crâne dégarni, une armure de plaque complète et rutilante, une épée, ainsi qu'un énorme bouclier. Elle ne l'avait jamais rencontré, mais il devait s'agir du Seigneur Anduin Lothar, le commandant des armées de l'Alliance. Nul doute que le combat allait être impressionnant.
Tous deux engagèrent alors le combat, et les belligérants autour commencèrent à s'éloigner, d'instinct, comme par respect. Les deux adversaires se valaient, bien qu'un écart se dessina rapidement. Le seigneur Lothar était certes talentueux, et présentait de grandes qualités martiales. Cependant, Orgrim marquait la différence par son agilité, sa célérité, et la violence de ses coups. Néanmoins, chaque fois que le commandant entaillait son compagnon à coup d'épée, Keera retenait son souffle. Cet affrontement était insoutenable à regarder, et Keera aurait voulu détourner le regard à plusieurs reprises. Mais il était si envoûtant, épique et démesuré. Ce combat deviendrait une légende.
Pour la première fois depuis quelques jours, la princesse reprit espoir. Tout à coup, elle réalisa qu'elle souhaitait que la Horde remporte la bataille. Elle ressentit alors une sorte de culpabilité, et même une confusion. Elle était partagée entre sa loyauté envers les siens, et l'affection grandissante qu'elle éprouvait pour Orgrim. De l'amour ?
Soudain, un silence étrange la sortit de ses pensées. Plus bas, au milieu de la mêlée, les combats avaient cessé quelques secondes. Affolée, Keera cherchait Orgrim du regard, et vit l'orc debout, essoufflé et gravement blessé, et le seigneur Lothar, à ses pieds, le visage écrabouillé.
C'est alors qu'Orgrim déclara que leur chef était tombé, et que la conquête d'Azeroth par les orcs n'était qu'une question de temps.
Les combats reprirent, tandis qu'un jeune guerrier s'était avancé vers Lothar, faisant face à Marteau-du-destin. Le jeune homme ramassa l'épée brisée du commandant et, tout à coup, une lumière blanche l'entoura, aveuglant tous les combattants alentour.
Keera n'était pas certaine de ce qu'elle voyait, mais elle crut le voir s'avancer vers Orgrim qui vacillait à cause de ses nombreuses blessures. L'humain leva l'épée brisée de Lothar au-dessus de la tête du Chef de guerre, et Keera cessa de respirer. Cependant, il ne l'abattit pas de taille mais bien en biais, avec le plat de l'arme, et assomma l'orc déjà à genou, et à présent vaincu.
Après un discours pour ranimer la flamme des soldats de l'Alliance, le jeune guerrier se lança à l'assaut, et Keera vit plusieurs orcs s'enfuir.
Elle vit aussi des humains entourer Orgrim de lourdes chaînes lorsqu'une main énorme la tira par le bras. C'était Bazol. Mais Keera résista :
- Laisse-moi ! Je ne peux pas le laisser ! hurla-t-elle en se débattant.
- Tu portes l'avenir de la Horde. Un jour, ton enfant pourrait nous mener et nous sauver, insista Bazol. Et je ne faillerai jamais au Chef de guerre.
Keera comprit le sens de ces mots : elle devait elle aussi prendre ses responsabilités et donner naissance à l'héritier du chef des orcs.
Bazol la rassura :
- Ils le font prisonnier, ils ne le tueront pas.
Elle pivota alors pour essayer d'apercevoir Orgrim à nouveau, et se laissa entraîner par l'orc qui l'emmenait à l'intérieur du Pic, abattue et vidée de son énergie.
La Horde était vaincue.
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Les jours passèrent, et les royaumes humains qui composaient l'Alliance firent le bilan de cette guerre.
Bien plus redoutable que la Première Guerre, elle avait néanmoins permis aux nations nobles de se rallier sous une bannière unique et d'affronter ensemble le danger, à une exception près.
La trahison du roi d'Alterac avait été découverte par le roi Thoras Trollemort, qui en avait informé les autres rois de l'Alliance. Pire encore, son accord passé avec le chef des orcs s'était soldé par un mariage légal entre l'orc et l'une des filles de Perenolde, la princesse Keera. Le prêtre Lorcan avait tout avoué, et un journal appartenant à la princesse avait été retrouvé durant la fouille du camp orc aux pieds d'Alterac, qui corroborait cette version.
Cependant, l’existence de ce journal était trop compromettante pour que Trollemort le rende public. Seuls les rois des autres nations avaient été mis au courant, car les confidences de la jeune princesse demeuraient fort troublantes. Outre des révélations sur une vision plutôt avantageuse de certains orcs, elle y avait inscrit une preuve qu'elle aurait pu éprouver de l'admiration, voire une certaine tendresse pour le Chef de guerre.
Suite à ces découvertes, des recherches avaient été entreprises pour retrouver la princesse. Or, pensant qu'elle pourrait être retenue prisonnière au Pic Rochenoire, une fouille avait débuté, mais les guerriers s'étaient vite retrouvés face aux nains Sombrefer et à leurs élémentaires de feu. Aucun d'entre eux n'y survécut.
Le Chef de guerre Orgrim Marteau-du-destin avait été placé en détention à Fossoyeuse, la prison située sous Lordaeron. À présent sous la responsabilité du roi Terenas, il avait été « dûment » interrogé. Et, malgré les nombreuses tortures infligées, l'orc avait sombré dans un mutisme intense. Cependant, à chaque fois que la princesse avait été mentionnée, l'orc avait vicieusement élargit sa gueule, comme pour sourire. Ce que les humains prirent pour un aveu, et en avaient conclu qu'elle avait dû être éliminée d'une façon ou d'une autre.
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Un conseil d’État s'était réuni à l'occasion de ce bilan, et comptait le roi Terenas Menethil de Lordaeron, le roi Thoras Trollemort de Stromgarde, l'Amiral suprême Daelin Portvaillant de Kul'Tiras, ainsi que le paladin Uther le Porteur de Lumière. Le roi de Gilnéas, Genn Grisetête, était pris par d'autres engagements militaires, et ne tarderait pas à rejoindre les autres monarques dans les jours à venir.
Dans la salle des cartes du royaume de Lordaeron, les dirigeants évoquaient un sujet pour le moins épineux :
- Il mériterait qu'on l'enferme dans la même cellule que Marteau-du-destin, proposa sérieusement le roi de Stromgrade.
- Alterac a été placé sous loi martiale, et Perenolde étant roi, bien qu'en détention, il ne peut prétendre à la peine de mort, réfléchit Terenas qui ignora la suggestion de son voisin.
- Bien, ma proposition est donc envisageable, insista Trollemort.
- Ils méritent tous les deux la peine de mort, suggéra Portvaillant.
Les conséquences de cette guerre pesaient encore sur les consciences, et l'Amiral Daelin Portvaillant y avait perdu son fils aîné, Derek. Il ne pouvait accepter que l'on épargne le monstre qui en était à l'origine, ni le traître qui lui avait permis d'avancer plus vite sur la capitale.
Les autres monarques ne pouvaient le blâmer pour cela. Cependant, il fallait garder la tête froide, et c'était également pour cela qu'Uther avait été convié.
- Seigneur Uther, pouvons-nous avoir votre opinion, l'interrogea Terenas.
- Mes seigneurs, se permit Uther, l'air solennel. Je ne suis pas un politicien, ni un monarque. J'ai combattu ces bêtes, et vu les horreurs dont elles sont capables. Mais ma religion exclut la vengeance, car qui sommes-nous pour juger ?
Cette phrase lui valut quelques regards noirs, mais les monarques écoutaient attentivement. Uther n'était certes pas l'un des leurs, mais il avait tout leur respect, et sa foi en la Lumière était inébranlable. Il représentait la justice.
- Tant qu'une personne est en vie, elle peut se repentir, continua Uther.
- Vous voulez dire que nous devrions faire du chef orc un de vos convertis, et de Perenolde un paladin de la Lumière ? se moqua Trollemort.
- Cessez cela, gronda Terenas, le regard dur.
- Je respecte le choix de Turalyon de n'avoir pas abattu le Chef de guerre, reprit Uther calmement. Et le reste de la Horde qui s'est rendu est enfermé dans des camps d'internement. Nous avons anéanti ceux qui résistaient et refusaient de se rendre. Je ne conçois pas de fin plus miséricordieuse.
- En effet, soutint Trollemort. Peut-être trop miséricordieuse.
- Il suffit ! coupa à nouveau Terenas. Nous n'étions pas là, nous avons laissé le commandement des armées au seigneur Lothar, en qui nous avions toute confiance. À sa mort, le paladin Turalyon a fait le choix d'épargner la bête qui l'avait occis, car ce fut une victoire honorable, un duel mémorable, et que nous valons mieux que ces orcs.
Le roi de Lordaeron ne pouvait en effet pas être contredit sur ce point. Il était parfois plus humain de laisser la vie, voire même plus difficile que de la prendre. Ils n'étaient pas des bêtes, et devaient prouver par leurs actes la différence notoire entre leurs deux races.
L'autre sujet épineux demeurait.
- Et concernant la jeune princesse d'Alterac que Perenolde a mariée à ce monstre, poursuivit Portvaillant. Elle reste introuvable. Se pourrait-il qu'il l'ait cachée ?
- Qui cela, Perenolde ? questionna Trollemort.
- Pas Perenolde, mais Marteau-du-destin, continua Portvaillant qui, de toute évidence, ne renonçait pas.
- Et pourquoi l'aurait-il cachée, par la Lumière ? jura Trollemort.
Terenas leva la main en direction des deux autres dirigeants. Il comprenait où Portvaillant voulait en venir :
- Vous voulez parler du contenu du journal retrouvé ? interrogea Terenas, l'air suspicieux.
- C'est bien cela, confirma Portvaillant. Et si ces deux-là s'étaient réellement rapprochés, au point que peut-être...
L'Amiral hésitait.
- Et si leur héritier convoitait un jour le trône d'Alterac, est-ce bien cela ? demanda Terenas.
- Par la Lumière, que nous importe la gamine ? s'emporta Trollemort. Quand bien même elle aurait un rejeton, il reste le prince Aliden. Même sous surveillance, il est l'héritier légitime.
- C'est vrai, opina Portvaillant. Mais il aurait tout de même mieux valu la retrouver.
- D'autant qu'il me semble me souvenir que vous la connaissez, renchérit Terenas en direction de Trollemort. Cela ne vous fait donc rien qu'elle ait subi autant de préjudices ?
Trollemort se renfrogna légèrement.
- Je ne l'ai rencontrée que deux ou trois fois, admit le roi de Stromgarde. On ne peut pas dire que je la connaisse.
Terenas réfléchit.
- Quelle que soit la situation, cette enfant a subi une injustice, et, qui sait, bien d'autres choses. Je veux que tout soit fait pour la retrouver, ordonna Terenas. Mais que les recherches restent confidentielles. Ceci demeurera un secret d'état.
Les autres rois se turent. Devant leur hésitation, il conclut :
- Nous lui devons bien cela, il me semble.