La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 3 : Une autre vie

2232 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/01/2024 17:08

Chapitre 3 : Une autre vie.


Le prêtre Lorcan n'aurait jamais imaginé un seul instant procéder à une telle cérémonie de mariage de tout son ministère. Les unions mixtes pouvaient exister, bien sûr, mais la composition ce celle-ci présageait tous les malheurs. Et c'était sans compter le visage fermé de la mariée dont le physique élancé et gracieux contrastait immanquablement avec l'aspect sauvage et bestial du futur époux.


Il lui fallut d'ailleurs reformuler certains prêches pour que l'orc comprenne bien ses devoirs, dans l'hypothèse qu'il les respecterait. Il dût également abroger une ou deux parties de la cérémonie qui invitaient les futurs époux à s’approcher l'un de l'autre, voire à se toucher. Le roi l'avait expressément ordonné en amont, de peur que la princesse ne crache au visage de l'orc à son approche. Il n'était pas nécessaire d'en rajouter, compte tenu des événements. Ce que le roi justifia par le fait que la Horde devait se mettre en route rapidement.


Le moment fatidique approchait, et Keera dût faire ses adieux à ses sœurs, qui ne manquèrent pas de la rassurer et de l'embrasser avec tendresse. Pourtant peu encline à la cajolerie, Keera apprécia ces derniers moments qui ne se représenteraient plus jamais.

  • Prends soin de toi, mon ange, affirma Neva, tout en caressant les mèches rebelles de sa cadette.
  • Il n'y a vraiment que toi pour me voir ainsi, répondit Keera affectueusement.


Orla tenait les mains de Keera, les yeux embrumés par les larmes.


De son côté, Orgrim donnait ses ordres pour le départ qui était imminent. Il respecta néanmoins le temps des adieux de son épouse qui finit par le rejoindre, l'air résigné. Elle n'eut guère le temps de se familiariser avec l'idée d'être l'épouse du Chef de guerre orc, étant donné le caractère urgent de la situation. Car il ne fallait pas l'oublier, c'était la guerre. Une guerre qu'elle avait d'ores et déjà perdue. Car sa vie se résumerait à présent à un carnage sans fin, brutal et insignifiant. Et cet orc qui la dévisageait sans honte, de ses yeux gris plissés et vicieux, était celui avec qui elle devrait dorénavant partager sa vie.

La princesse se reprit, car il lui était inadmissible de penser qu'il pouvait lire dans ses pensées. Elle ne le tolérerait pas.


Orgrim s'avança alors vers elle et dit sans détour :

  • Nous partons.


Il se retourna et s'avança vers la porte qui menait vers l'extérieur. Elle comprit qu'il fallait le suivre.

Une fois devant le château, les guerriers orcs montaient déjà leurs grands loups noirs. Orgrim se dirigea vers le sien, un immense loup au pelage sombre qu'il chevaucha avec aisance. Un écuyer apparu, tenant la bride d'un cheval intégralement noir lui aussi. Keera s'avança et attrapa la bride pour guider son cheval vers le Chef de guerre qui l'attendait à son côté.


L'orc à sa droite et plus en retrait (personne ne devait dépasser le Chef de guerre) tenait une carte qui indiquait le chemin promis par le roi Perenolde. La Horde s'était rassemblée sur l'antécime du col, prête à suivre.


Orgrim attendit que Keera soit à sa hauteur et fit face à la Horde qui attendait en contrebas.

  • En avant ! cria-t-il à leur encontre.


Et la Horde se mit en mouvement.


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Les montagnes d'Alterac furent en effet un vrai défi. En particulier une brèche très étroite en aval de la montagne qui obligea la troupe de guerre à ralentir drastiquement pour limiter les pertes. Sans la carte qui indiquait un sentier attenant moins pentu et dangereux, la route vers Lordaeron aurait pris une semaine de plus.


Le climat devenait plus clément à mesure que la Horde approchait des terres de Lordaeron, si bien que la chasse reprit, tandis que le camp était monté à la base du col montagneux menant à Alterac.

Il faudrait au reste de la troupe de guerre encore quelques temps pour atteindre le camp et se rassembler dans sa totalité.

Orgrim attendait d'ailleurs des nouvelles des clans stationnés à Quel'Thalas qui auraient déjà dû se mettre en route pour les rejoindre. Le roi Perenolde ayant promis d'assurer leurs arrières après leur départ de la vallée d'Alterac, il pouvait permettre à ses troupes de souffler quelques jours, afin de se préparer au siège qui s'annonçait. Il sera temps ensuite d'envoyer des troupes d'éclaireurs en reconnaissance des contrées environnantes afin de recueillir des informations utiles à l'avancée de la Horde.


La lisière forestière choisie pour le camp donnait sur un lac, ce qui permit aux guerriers comme à leurs montures de s'abreuver et de faire des réserves d'eau.

Keera se tenait au bord du lac, et caressait nonchalamment la crinière de Tempête, son cheval, qui étanchait sa soif. Cette traversée des montagnes lui avait semblé durer une éternité, si bien qu'elle avait l'impression de s'être presque accoutumée à l'odeur musquée que dégageaient les loups géants que montaient les orcs. En revanche, l'odeur de sueur des orcs, macérée sous leur armure pendant des jours la rebutait. Quelle bonne idée avaient-ils de se baigner dans le lac. Keera remarqua d'ailleurs que mâles et femelles se baignaient ensemble, complètement nus et visiblement sans aucune gêne. Au point qu'un peu plus loin, elle pouvait apercevoir un couple copuler sur l'herbe, sans que cela ne perturbe les autres. Une bande de sauvages, voilà ce qu'ils étaient.


C'était d'ailleurs heureux qu'elle n'eût pas encore à partager sa tente avec le Chef de guerre, bénies soient les routes étroites et presque impraticables des montagnes d'Alterac. Car les tentes déployées pour la nuit étaient si petites qu'elles ne pouvaient abriter plus d'une personne.

En revanche, la clairière dans laquelle les orcs montaient le camp offrait une vaste étendue de verdure, et les tentes que l'on y dressait étaient bien plus grandes.


Orgrim l'observait de loin. Qu'allait donc-t-il faire de cette femelle si hostile qu'à chaque fois qu'il tentait de l'approcher, elle le foudroyait littéralement du regard. Non pas qu'il cherchait particulièrement sa compagnie, mais il faudrait bien trouver un terrain d'entente, car, bien que respecté par toute la Horde, il ne tolérerait pas que sa propre compagne l'humilie et le rejette, et qu'il puisse être l'objet de railleries. De plus, il vit au loin deux péons monter la tente de Chef de guerre. Ils allaient devoir évidemment la partager.


Il vit également deux orcs un peu plus loin lorgner sur sa compagne. Ils riaient comme deux gamins, et Orgrim comprit que Keera les avait également remarqués. Il les appela donc :

  • Dal'Rend, Maim ! hurla-t-il, ce qui les fit sursauter.


Les deux frères étaient les fils du précédent Chef de guerre Main-noire, et à présent les chefs du clan Rictus de Noirdent. Pour autant qu'il avait pu en juger, ces deux-là ne lui pardonneraient jamais d'avoir tué leur père. Et pourtant, ils obéissaient sans broncher, tous gamins insupportables qu'ils étaient, par crainte. Ils attendaient sûrement le jour où Marteau-du-destin s'affaiblirait, ils pourraient alors le défier, À l'appel de leur chef, ils s'avancèrent sans se précipiter.


  • Oui chef ? commença Rend.
  • Au lieu de bailler aux corneilles, aidez les grunts à rassembler le bois des arbres qu'ils ont coupé ! ordonna Orgrim sans ménagement.


Les deux orcs s’exécutèrent.


Il ne pouvait décemment pas protéger son épouse publiquement alors qu'elle l'ignorait. Cela aurait été une preuve de faiblesse. De plus, les femelles orques savaient se défendre par elles-mêmes. Keera devra faire ses preuves et prouver sa force, bien que pour le moment, les orcs semblaient la laisser tranquille, car ils la croyaient faible, mais surtout par respect pour leur Chef de guerre.

Keera observait la scène de loin, et croisa le regard d'Orgrim qui tourna alors les talons et s'éloigna.


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À la nuit tombée, le camp était monté. Les sangliers et les daims qui venaient d'être tués avaient été dépecés et disposés au-dessus des feux de camp dont le jus faisait crépiter le feu. Et, comme de coutume, les orcs s'y installèrent.

Ces moments d'accalmie, réunis autour d'un bon feu, rappelait les temps anciens, où chacun allait de sa boutade, de sa chanson, ou bien du récit de ses exploits. Cette époque n'était pourtant pas si lointaine, mais les temps avaient tellement changé qu'elle paraissait dater de temps immémoriaux. L'humeur générale était quelque peu morose, car la traversée du pic montagneux avait été éreintante, et il fallait se préparer pour une attaque imminente.


Assis aux côtés de ses seconds, Orgrim Marteau-du-destin reçut des nouvelles de l'un de ses messagers tandis qu'il ajouta une bûche de bois dans le feu.

  • Chef de guerre, nous avons localisé quatre campements le long des collines de l'autre côté de la clairière, fit l'orc messager.
  • Des campements militaires ? demanda le Chef de guerre.
  • Sûrement que non, répondit le messager. Les hommes qui en sortent ont des robes de sorcier, et pas d'armure.


Orgrim se pinçait le menton et joua avec sa courte barbe. Les démonistes de Gul'dan auraient été fort utiles pour éliminer ces sorciers humains, et surtout les ogres-mage à deux têtes qu'il avait créés à l'aide de la pierre runique trouvée aux abords des forêts elfiques, au nord. D'après ses espions, la ville magique appelée Dalaran était très proche. Ces campements devaient lui appartenir. Il fallait donc s'en occuper.

Orgrim se décida :


  • Bien, prends un morceau de ce gibier et reprends la route. Que les grunts qui y sont stationnés restent en alerte et continuent de les surveiller.
  • Oui, chef, opina l'orc qui entreprit de se choisir un morceau de viande.


Maudit Gul'dan ! Pourquoi n'avait-il encore aucune nouvelle de son départ des terres elfes ?


Non loin de là, la princesse Keera mangeait seule dans son coin, adossée contre un tonneau contenant des haches.


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Il était tard, et chacun regagna sa tente ou son poste de garde. Donnant ses derniers ordres de la journée à ses guerriers, Orgrim chercha sa compagne du regard, et, lorsqu'il la vit, il lui envoya un signe de tête, l'incitant à le suivre. Une fois sous la tente, Keera remarqua que ses effets personnels avaient été détachés de son cheval et apportés. Elle s'attela donc à se changer pour la nuit. Orgrim, qui n'avait que son épaulière de cuir rehaussée d'une patte d'ours qu'il avait terrassé au Morasses Noires, ainsi que son pantalon de cuir, fut vite prêt. Avant de s'allonger sur l'épaisse couche de peaux qui servait de lit, il se tourna vers la princesse qui commença à peigner sa longue chevelure noire.


Après un moment, Orgrim s'impatienta :

  • Combien de coups de cette brosse vas-tu donner à ta crinière ?


Keera le fixa, et répondit :

  • Autant qu'il le faut pour l'entretenir. Et elle est longue.


Dans un léger grognement, Orgrim s'assit sur la couche. Une fois qu'elle eut fini, Keera noua ses cheveux en tresse, et se tourna vers l'orc, qui attendait qu'elle s'installe à ses côtés. Ses yeux plissés dénotaient de son impatience, et, bien que Keera redoutait ce moment, elle se dirigea vers la place qu'il lui avait laissée près de lui.

Sans un regard, elle s'assied doucement, tel un condamné attendant son heure, puis s'allongea sur le dos, remontant une des peaux jusque son torse. Orgrim s'allongea à son tour.


Après quelques minutes qui leur parurent interminables, il brisa le silence :

  • A l'aube, je pars au nord avec une petite troupe de guerriers, dit-il, le regard fixe. Il faut dormir.


Il se tourna alors sur le côté. Keera fit de même, soulagée qu'il ne chercha pas à la toucher. Elle ignorait combien Orgrim aurait détesté la soumettre par la force. Il ne la trouvait pas repoussante, loin de là, mais il méprisait au plus haut point le manque d'honneur. Et forcer une femelle à s'accoupler n'était pas digne d'un orc. En tout cas, de l'idée qu'il se faisait de l'honneur, contrairement à beaucoup de ses pairs.


En effet, depuis leur corruption par le sang démoniaque, massacrer des enfants, ou encore exécuter un ennemi à terre et désarmé ne semblait plus les contrarier. Il avait également appris que Gul'dan avait organisé des accouplements forcés entre des orcs et des femelles draeneï avant de passer le portail pour se rendre sur Azeroth. Ce genre d'expérimentation malsaine et immorale avait heureusement pris fin quand il en avait eu fini avec le Conseil des Ombres, en se débarrassant personnellement de ses démonistes. Un moment de pur plaisir ce massacre à coup de marteau-du-destin, et le souvenir qu'il avait de la face terrorisée de ces mages noirs à son entrée en plein conseil. Il s'en délectait encore.


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