La Reine des Neiges et le Roi des Morts

Chapitre 1 : La Reine des Neiges et le Roi des Morts

Chapitre final

6283 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/01/2021 17:53

    Les cris de terreur résonnent dans les rues, mêlés à la délicate musique des râles d’agonie. J’absorbe avec délectation les âmes de ceux qui ont le malheur de se trouver sur ma route, ravie de voir ma lame se couvrir de leur sang. Pour moi, une bataille a toujours ressemblé à la table d’un prestigieux restaurant étoilé. Il faut faire confiance au chef pour qu’il nous serve ses meilleures spécialités, sans savoir par quel plat on finira par se repaître. En l’occurrence, la bataille d’aujourd’hui me fait l’effet d’un banquet somptueux qui semble ne jamais vouloir cesser. Je suis sur le point d’exploser de satiété et de me pâmer de délice. 

L'apéritif et les hors-d'œuvre ont été quelques soldats et défenseurs. Nous attaquons à présent le plat de résistance avec les femmes et les civils, réfugiés derrière les murailles à  présent effondrées de la forteresse d’Arendelle. Quant au dessert, surprise de la maison. Mais j’avoue que je serais déçue si l’on me sert moins que les âmes de la famille régnante du royaume.

—  On fait une bonne équipe, non ? demandai-je à mon maître. 

Pas de réponse. Je soupire de lassitude. Il n’a jamais été très doué pour comprendre la langue des épées… Cela ne l’empêche toutefois pas de me manier avec aisance, et de faire des ravages. Ces gens devraient s’estimer heureux : c’est un véritable privilège que de voir aspirer son âme par Deuillegivre, la célèbre lame runique. C’est à dire moi, en toute modestie. 

Les rues s’emplissent de cadavres que des adeptes du Culte des Damnés chargent sur des chariots à viande pour les relever plus tard. Les maisons brûlent, forcent les habitants terrorisés à sortir dans le froid glacial créé de toute évidence par la magie. J’aime ce climat, il me rappelle le Norfendre. Arthas semble apprécier aussi l’instant présent, à en juger par la poigne tranquille qu’il serre sur ma garde. Je le sens détendu, ravi. Ses chevaliers de la mort lui obéissent au doigt et à l'œil, les nécromanciens raniment les morts par dizaines, l’adversaire n’offre que peu de résistance. J’aperçois, sur les flots du port, des navires qui tentent de fuir tandis que des wyrm de givre squelettiques les survolent. Leur souffle glacial gèle les flots, immobilisant les vaisseaux dans la baie et changeant les marins en vulgaires blocs de glace. Un ricanement m’échappe. Quelle bande d’idiots. Cet espoir insensé contre toute certitude, voilà bien la faille de la condition mortelle.

Nous arrivons devant les murs du château. Je frétille d’impatience à l’idée de pouvoir, enfin, découvrir le goût des âmes royales. Mais le couic-couic, le bla-bla d’abord : 

— Que le seigneur de ce royaume déchu s’avance, déclare la voix décharnée de notre roi-liche. Qu’il prête allégeance et se jette à genoux devant mes pieds et justice lui sera rendue.

Je frémis d’impatience. J’espère de toutes mes forces qu’il refuse ces conditions. Il y a toujours plus d’âme à dévorer lorsqu’ils refusent les conditions. C’est alors qu’un chevalier de la mort s’approche. Comment s’appelle-t-il, déjà, celui-là ? Aucune importance... l’information qu’il est venu transmettre ne m'intéresse guère. Moi, j’attend la réponse du roi. L’air de rien, nous n’en sommes qu’à peine au fromage. J’écoute tout de même distraitement ce que le messager est venu dire, le temps que le souverain ne se montre au rempart de son donjon.

— Votre Seigneurie, rapporte-t-il donc, l’ennemi nous prend à revers. Ils disposent d’une puissante magie qui met nos troupes en échec.

— Qui donc est le commandant à la tête de l’aile qui a subi cette contre-attaque ? 

—  Le Prince Valanar, Seigneur.

— Je lui signifierai mon courroux le moment venu… Morts-vivants ! Répondez à l’appel de votre maître. Montrons à ces insectes pathétiques quelle est la véritable puissance du Fléau, et le pouvoir du Roi-Liche.

    Il n’a pas besoin d’en dire plus. La terre tremble lorsque Sindragosa se pose, et notre seigneur grimpe sur son dos pour chercher l’origine de cette magie inattendue. Ce contretemps me ravit autant qu’il m’ennuie. J’espère au moins que leurs mages pourront me repaître, à défaut de pouvoir me régaler avec des âmes royales. 

    La dragonne décolle, la ville rétrécit alors que nous prenons de l’altitude. Il ne nous faut pas longtemps pour repérer le flanc enfoncé. Une épaisse tempête de neige nous surprend alors que nous le survolons en cercle. Sindragosa pousse un hurlement perçant, comme si ce cri pouvait fendre le blizzard. Son inutilité est consternante. Cet  événement n’a rien de naturel, c’est évident. Impassible, les yeux du Roi Liche balaient le sol à la recherche de l’origine de cette anomalie. J’essaye moi aussi de distinguer quelque chose, sans rien voir d’autre qu’une  épaisse purée de pois. Impossible d’évaluer les pertes de nos troupes au sol. 

Mon maître remarque soudain quelque chose, car d’une simple pensée, il fait rouler Sindragosa sur le côté pour la faire  plonger en un piqué vertigineux à travers les tourbillons de flocons. La vitesse est grisante, l’air gelé siffle sur ma lame aiguisée dont la pointe fend les cieux.

L'extase qui m’envahit est de courte durée.Sindragosa hurle de fureur et de douleur lorsqu’un choc violent la frappe de plein fouet et se répercute jusqu’au cœur de mes alliages. La main du Roi-Liche me lâche, le vide s’ouvre devant moi. Mes runes luisent d’horreur un bref instant juste avant que je ne m’écrase dans la neige. Je me plante dans la poudreuse, droite et fière comme je l’ai toujours été. Je n’en dirais pas autant de notre dragonne, qui s’écrase un peu plus loin avec un rugissement de douleur. J’ai presque mal pour elle. 

Mais moi c’est pire, je me retrouve seule. La panique commence à m’envahir, je cherche mon maître autour de moi. Je ne vois rien à plus de cinq mètres, le vent qui hurle recouvre le moindre bruit. Et si je restais là pour l'éternité ? Du calme, Deuillegivre, du calme… Il faut garder ton sang-froid. Tu n’es pas une vulgaire rapière, mais une arme runique forgée en Ombreterre dotée d’une puissance incommensurable. “Le maître voit ce que voit l’épée”. Et l’inverse est vrai également…

Le Roi-Liche avance à pas lents dans la neige. Comme il est étrange de marcher avec ses jambes, d’écarter les bourrasques avec ses bras… J’aperçois soudain un éclat de glace acéré jaillir depuis la tourmente. J’ai envie de lui hurler de faire attention, mais mon maître l’a repéré également. Il s’écarte de justesse, la pointe vient frôler les plis de son manteau. Sa voix métallique interpelle l’auteur de cet odieux attentat. 

— Je ne t’accorderai pas la grâce d’une mort rapide. Ton âme souffrira entre mes mains une éternité de tourments inimaginables. Et lorsque j’en aurai fini avec toi, ce misérable royaume ne sera plus qu’une terre stérile et désolée.


Son adversaire ne répond pas. Par ses yeux, je scrute l’épais rideau de neige dans l’espoir d’apercevoir ce mage qui pense pouvoir lutter contre le Roi-Liche. J’ai tout juste le temps de repérer un nouveau pic de glace. Mon maître l’esquive d’un simple pas sur le côté. D’autres projectiles se succèdent, tous en provenance de la même direction. De plus en plus rapprochés, ils ne lui laissent plus le temps d’esquiver. Quelques-uns s’écrasent contre son épaisse armure sans le blesser, à mon grand soulagement. Nous pensons en même temps que l’adversaire ne doit pas être un grand stratège, pour rester sur place. 

Mon maître, agacé par cette résistance qui a mis une partie de son armée en déroute, crée alors entre ses doigts un lasso d’ombre avec lequel il fouette un point précis de la tempête.Un cri étouffé nous révèle l’insolent étranglé, soulevé par la gorge. Satisfait, il s’approche de sa victime, bien déterminé à lui faire payer pour son affront. 

    En quelques pas, il rejoint la silhouette frêle qui flotte au-dessus du sol. Une femme, à la longue chevelure blond platine attachée en une  tresse épaisse qui pend dans son dos. Une longue robe légère couvre son corps tremblant. Comme j’aimerais goûter son âme à cet instant, comme je regrette de ne pas être entre les mains de mon maître… La terreur qui se lit sur ses traits alors qu’il s’approche d’elle doit le ravir autant qu’elle me met en appétit. Je distingue désormais ses yeux bleus écarquillés, son visage décoloré par la peur. Elle tente d’un geste désespéré de se libérer, mais elle ne peut rien faire. Elle est à la merci du Roi-Liche. 

Un hurlement rauque retentit dans le vent. Le seigneur se retourne, trop tard pour esquiver le violent coup venu par derrière. Une montagne de glace vivante l’attaque, le jette au sol. Le Roi-Liche se relève mais déjà la créature charge de nouveau, le percute de plein fouet. Le choc a fait perdre le contrôle du sort retenant la jeune femme prisonnière. Elle est tombée à genoux dans la neige, haletant pour reprendre son souffle. Le golem de glace ne laisse aucun répit à mon maître. Un violent revers du bras l’éjecte dans les airs comme une poupée de chiffon pour atterrir près de… eh bien, près de moi. Je sent ses pupilles gelées se poser sur moi à travers les fentes du Heaume de la Domination. Ses doigts se posent sur ma poignée et m’arrachent à mon socle de glace. Les runes à ma surface vibrent d'excitation. Nous voilà réunis. 

Surgissant du blizzard, le golem déboule dans un nouvel élan implacable. Mon maître l’attendait. Ma pointe lui empale l’abdomen et d’un mouvement du bras, le Roi-Liche fait voyager ma lame à travers son torse, son hideux visage jusqu’à ressortir au sommet du crâne, dans une déluge d’esquilles de glace brisées. Pouah ! Si coriace qu’elle soit, cette chose n’a pas d’âme ! Rien que de la glace animée par magie, comme c’est décevant… Et je reste sur ma faim. La créature titube, tombe au sol, s’effondre et se fracasse en un millier d’éclats.

    Derrière lui, sa créatrice approche. Sa gorge pâle est rougie par le sort qui l’étranglait. Elle sera délicieuse, j’en suis convaincue. C’est quand ce genre de surprise du chef se présente à nous sur un plateau d’argent que l'on ne regrette pas d'avoir été forgée. Le Roi-Liche fait quelques pas dans sa direction. D’un geste de la main, elle fait jaillir du sol des pics de glace qui l’emprisonnent. Mon maître se sert de moi d’un geste négligent pour s’en libérer.

— Ton peuple sera condamné à la non-mort. Le souverain de ce royaume sera un pantin sans volonté au service de la mienne et tu vivras assez longtemps pour admirer ce spectacle, je te l’assure personnellement. 

— Je suis la souveraine de ce royaume, réplique la jeune fermme d’une voix mal assurée, et vous ne toucherez pas davantage à mon peuple. 

— Alors c’est ta reddition que je suis venu chercher. 

— Nous ne nous rendons pas. Qui que vous soyez, allez-vous en. 

Les paroles sont braves, mais l’odeur de la peur est palpable. La jeune fille se bat bien, mais semble fragile psychologiquement. Mon maître l’a senti, car il lui parle à nouveau. Il me peine de l’avouer mais parfois, les mots peuvent être une arme aussi terrible que l’épée… Enfin, jamais totalement tout de même, mais presque. 


— Tu es puissante. Tu ferais une championne de choix au service du Fléau. Pour régner à mes côtés et conduire ce monde vers un nouvel âge de discorde. Rejoins-moi, reine d’Arendelle. Le seul salut de ton peuple réside dans la soumission au pouvoir du Roi-Liche. 

    La jeune femme a un mouvement de recul. Ses yeux s’agrandissent d’horreur, et sa voix n’est qu’un filet à peine audible lorsqu’elle décline son offre : 

— Non. Je ne me soumettrai jamais. 

    Pour appuyer ses paroles, elle tend les mains vers le Roi-Liche. Ses pieds sont aussitôt pris dans un bloc de glace sorti du sol dans une tentative de le tenir prisonnier. Sans doute pense-t-elle pouvoir ainsi le maîtriser. Quelle erreur, petite, quelle erreur… 

— Tous finissent par se soumettre un jour, répond-il en me mettant à nouveau à profit pour la tâche ingrate consistant à briser la glace. Contemple à présent ce qu’est le pouvoir véritable.

Le Roi-Liche me dresse haut dans le ciel. Je devine alors ce qu’il attend de moi. Rassemblant les énergies impies dont mon métal est imprégné, j’insuffle la bénédiction de non-mort dans les cadavres ensevelis sous la neige. A peine réanimé, le contrôle mental du Heaume de Domination les soumet au plus haut privilège dont un être puisse rêver : une éternité de servitude sous le joug du Fléau.

Citoyens d’Arendelle jusqu’à voilà quelques heures, les goules décérébrées se ruent aussitôt sur leur ancienne reine à l’instant où le Roi-Liche leur en donne l’ordre. Son visage aussi blanc que la neige autour de nous me réjouit au plus haut point. C’est souvent l’effet produit par ce petit tour de magie. Simple, mais efficace la plupart du temps pour semer la terreur et provoquer la reddition de nos ennemis. 

Cependant, ça ne suffit pas pour la briser. Ses mains tendues projettent des filaments magiques qui frappent les mort-vivants de plein fouet. Ils se figent aussitôt en de resplendissantes statues de givre. Impressionnant, je dois bien l’avouer. Sublime. Mais un regrettable gâchis de belles goules toute neuves. 

La petite reine recule de quelques pas alors que mon maître s’approche à nouveau d’elle. Ses yeux de la couleur d’un lac gelé s’écarquillent de la terreur que nous lui inspirons. Quel courage, quelle ténacité… et quelle puissance ! J’en viens à me demander si elle serait vraiment l’élue, celle digne de devenir la championne du Roi-Liche. 

J’observe leur duel avec intérêt. Elle ne semble guère décidée à mourir maintenant, en dépit des injonctions de mon maître. Sa volonté est admirable, assez exceptionnelle même pour une mortelle. Malgré la peur qui émane d’elle, elle me fait penser à Coursevent, cette elfe qui nous avait posé tant de problèmes lorsque nous avions marché sur le Puits de Soleil.

 Autour d’elle, la neige tourbillonne et s’élève pour former des bonhommes de neige grimaçants, qui se jettent aussitôt sur nous. 

— Laissez mon royaume en paix ! lance-t-elle en même temps, d’une voix tremblante. 

— Tu as reçu le don prodigieux d’une magie extraordinaire, répond mon maître sans plus s’inquiéter. Et, pourtant, à quoi t'a-t-il servi jusqu’à présent ? Fabriquer une poignée de serviteurs issus de jeux d’enfants, faire tomber la neige ? Quelle déception. Quel manque d’imagination.

Il s’avance sans se soucier de ces nouvelles invocations. Qu’a-t-il donc en tête ? Elles approchent… Et lui de marcher de son pas lent et sûr, auréolé d’une tempête givrée. Aucun doute, il respire la puissance, la majesté. Seulement, nous sommes cernés. Les monstres vont frapper… Bien sûr, je fais confiance au Roi-Liche, mais il serait peut-être temps de penser à frapper. L’anxiété me parcourt, que ne puis-je remuer de moi-même… Ce serait stupide qu’il meure tué par des bonhommes de neige ! Tout grimaçants soient-ils, ce ne sont que des bonhommes de neige, des créations enfantines ! Ah, j’entends déjà les rires des gens qui l’apprendraient, tiens. La mort du Roi-Liche, le seigneur de la Couronne de Glace, tué par une carotte gelée plantée dans l'œil ! Maître, faites quelque chose. Je ne pourrai souffrir une telle humiliation.

Je pousse un soupir de soulagement lorsqu’une silhouette ailée tombe du ciel et, de sa lance, bloque le coup porté à notre Seigneur par la créature la plus proche. Il était temps. Je comprends mieux ce qu’attendait le Roi-Liche. Ses fidèles valkyrs, qui arrivaient ! Une dizaine de guerrières ailées, sa garde rapprochée, qui entame la bataille contre les monstres de neige de la petite reine. Qu’elles sont belles à virevolter dans le blizzard, au gré des tourbillons de flocons, à frapper et esquiver, vives comme l’éclair et insaisissables comme le vent. Rien à voir avec ces immondes choses grimaçantes, d’une laideur qui pourrait presque peur même à la plus courageuse des armes. Moi, en l’occurrence.

Leur combat laisse au Roi-Liche le loisir de s’approcher de sa victime, implacable et inéluctable. Elle recule toujours, pas à pas, en écho à ceux que mon maître fait vers elle. Je sens que nous avons bientôt gagné, le désespoir commence à poindre dans ses iris bleutés. Ses mouvements sont de plus en plus paniqués, ses pieds qui s’emmêlent dans sa longue cape la font trébucher. Même à terre, son regard ne nous quitte pas. Elle continue de reculer, en rampant.

— Tu crois que moi, mes pouvoirs m'effraient ? Tu es la reine d’un royaume misérable alors que tu as les moyens de recouvrir ce monde d’un hiver éternel. J’ai le contrôle sur la mort et je ne la crains pas. Regarde quelle fureur s’est déchaînée sur ton royaume et imagine ce que tu pourrais faire toi si tu l’osais : façonner la réalité à ton image. 

 Dans un élan de courage, elle tend une dernière fois ses mains vers nous. Qu’elle est embêtante… la glace forme une prison épaisse autour du Roi-Liche, un glaçon dense qui l’empêche de bouger et donc de se servir de moi pour se libérer. La petite reine en profite pour essayer de s’enfuir sur le dos d’un cheval de glace qu’elle vient de faire apparaître. Quelle idiote ! Elle ne fait qu’attiser le courroux du Roi-Liche. Et le mien. Jamais elle ne pourra s’échapper… Je sens que mon maître s’agace, mais qu’il est aussi satisfait. Il l’évalue, elle et ses capacités. Les mortels qui osent se mettre sur son chemin finissent toujours mal, mais un châtiment exceptionnel attend ceux qui réussissent à mettre ses nerfs à vif. Future championne ou pas, j’espère que ce sera aussi le cas ici. Je déteste perdre mon temps avec ce genre de numéros. Je suis tout de même l’épée du Roi-Liche, non ? S’il est humilié, alors moi aussi. Je suis une épée runique, pas un braquemart  rouillé ! Qu’elle fasse preuve de révérence ! 

J’entends un battement d’aile au-dessus de nos têtes et une immense silhouette squelettique nous dépasse. Un hurlement de rage couvre le tumulte du vent. Sindragosa est de retour, et elle n’est pas ravie d’avoir été mise au tapis. La jeune reine a disparu, cachée dans le blizzard. Mais les échos qui nous parviennent indiquent que la dragonne l’a retrouvée. Le Roi-Liche rassemble sa magie impie pour briser la gangue qui nous retient de son aura mortifère. Un concert de glace fracassée et de rugissements résonne, entrecoupé par le tonnerre du souffle gelé que vomit la dragonne. Je ricane. Notre chère Sindragosa a dû lui faire payer son affront de tout à l’heure, et celui-ci par la même occasion. 

Et puis la tempête perd peu à peu en intensité. Les flocons virevoltants se posent mollement sur la couche de neige, les gémissements du vent se changent en murmures. L’accalmie nous révèle le champ de bataille sous sa couche immaculée, ainsi que la jeune reine étendue sous les griffes de Sindragosa. Son souffle lent soulève à peine sa poitrine. Ses yeux fixent le vide. L’étincelle de vie a disparu en elle, soufflée par la défaite. Un éclair de peur illumine ses iris lorsqu'elle sent la présence glaciale du maître qui s’approche d’elle. J’en suis ravie. 

Le Roi-Liche se campe devant elle et contemple son corps brisé de toute sa hauteur. Ma pointe me démange, je devine qu’il brûle également de me planter en travers de sa gorge. Au lieu de quoi, il me soulève et, d’une saccade, me plante dans la neige à côté d’elle. La pauvre enfant sursaute, son regard traduit sa peur. Je me délecte de son expression, de la pâleur de ses traits, des supplications muettes que je peux y lire. Le Roi-Liche contemple le ciel redevenu bleu, la neige immaculée. 

— Viens. Ensemble, la tempête gelée dont nous couvrirons le monde ne cessera jamais.

La jeune souveraine secoue la tête. Qu’elle est têtue ! Pire que cette fichue Coursevent. Elle ne se rend pourtant pas compte de la chance qu’elle a : jamais mon maître n’a proposé à Sylvanas de devenir sa championne. En plus, ce n’est pas un choix que l’on peut se permettre de refuser. Si elle ne le devient pas de sa propre volonté, le Roi-Liche en fera sa servante contre son gré. Ça, ça me plairait bien. 

— J’ai déjà causé trop de torts à Arendelle, souffle-t-elle sans le regarder. Je ne vous rejoindrai pas. 

Le Roi-Liche ne répond rien. Il garde les bras croisés sur sa poitrine. Moi, je suis là, plantée dans le sol non loin de la main de la jeune reine vaincue. Si elle en avait la force de caractère, elle s'emparerait de moi, me revendiquerait  pour venger son peuple, détruire son bourreau… Et devenir une nouvelle Reine-Liche. Je le sais et le maître le sait également. C'est un test, dont je suis curieuse de voir l’issue. Je ne pense pas qu’elle oserait mais si tel était le cas, ce serait un dénouement particulièrement savoureux. Oh, je serais bien un peu triste de terminer ainsi une longue collaboration avec le Roi-Liche actuel, mais que voulez-vous... Le travail, c’est le travail. Je dois accomplir les tâches pour lesquelles j’ai été forgée. 

Comme je m’y attendais, elle ne bouge pas. Pas pour m’attraper, en tout cas. Devant le silence de mon maître, elle finit par relever les yeux vers lui. Des larmes cristallines coulent sur ses joues. 

— Qu’est-ce que vous attendez, exactement ? demande-t-elle d’une voix brisée. 

— Que tu fasses ton choix. 

Elle baisse à nouveau les yeux sur ses mains. Au bout de ses doigts, de minuscules filaments de glace se forment. D’un bleu vif, puis d’un violet léger, ils s’élancent à la surface de la neige autour d’elle. Le sol gèle, de minuscules flocons viennent se déposer sur ses cheveux. Ses larmes gouttent en silence, et se transforment en minuscules perles glacées lorsqu’elles entrent en contact avec le sol. Je me demande à quoi elle peut bien penser. 

— Vous avez détruit mon royaume, souffle-t-elle au bout d’un moment. Pourquoi ? Pourquoi tout détruire comme vous l’avez fait ? Arendelle peinait déjà à s’en sortir à cause de… de moi…

Sa voix s’estompe sur ses derniers mots. Elle serre le poing, détourne le regard pour fixer la neige sous elle. Elle semble triste, résignée. 

— Pour reconstruire un monde nouveau, forgé à mon image. Un monde de glace et de non-mort. Un monde où  le pouvoir n’a nul besoin d’être bridé. 

— Comment ça ? 

— Sois ma championne. De reine d’une contrée misérable, je t’offrirai le règne sur la vie et la mort. Nul autre membre du Fléau que moi ne prévaudrait sur ton autorité. Tes pouvoirs se déchaîneront contre mes ennemis. Qui irait contester l’utilisation que tu en fais, à part moi ? Tu exprimeras tes pleines aptitudes, elles-mêmes décuplées par la puissance infinie du Roi-Liche.  

La petite reine garde les yeux baissés un moment, puis les relève vers moi. Je remarque la lueur d’espoir qui brille dans ses iris alors qu’ils détaillent ma lame. Un instant, je me demande si elle oserait se servir de moi contre mon maître. Son regard se porte ensuite vers lui quelques secondes avant de se baisser à nouveau sur ses mains. 

— Cache tes pouvoirs, n’en parle pas, se murmure-t-elle pour elle-même. 

— Pas d’états d’âme, pas de tourments. Le Trône de Glace, pour l'éternité.

Le Roi-Liche tend la main vers elle. Elle semble hésiter un peu, mais finit par glisser timidement ses doigts entre les siens. 

— A genoux, championne, lui ordonne-t-il, et prête au Roi-Liche ton serment d’allégeance. 

— Elsa. Je m'appelle Elsa.

Elle s’exécute aussitôt. Le Roi-Liche a un sourire satisfait. 

C’est sans un mot que ses doigts attrapent ma poignée de cuir et me tirent hors de la neige. Les yeux de la petite reine s’écarquillent de peur et de surprise. Pendant un instant  hors du temps, ma lame flotte entre le maître et sa championne. Je n’ai que le temps de penser qu’enfin, le dessert est là, avant qu’il ne me plonge dans ses entrailles. Ma magie déchire son âme tendre et fragile, mes runes s’imprègnent de son essence. Quelle extase, quel moment de grâce. De mon existence, peu de victimes m’ont offert une expérience aussi totale. Le sang carmin sur ma lame exhale comme une odeur de victoire, avant que ma froideur ne le change en glace. 

Le pâle éclat de son âme tournoie un moment le long de ma pointe, le temps que les runes l’aspirent. Elle s’en va rejoindre mes précédentes en son sein. Mais n’y reste guère longtemps. Le Roi-Liche me dresse par dessus le cadavre blanc et libère l’esprit qui s’en va rejoindre son receptacle brisée. Ses yeux s’ouvrent sur deux flammes bleues, les  flammes gelées qui brillent dans les pupilles des serviteurs de la non-mort. 


*************************************



    Arendelle avait, par miracle, réussi à renaître de ses cendres. Le château, épargné le temps de reformer une armée d’invasion, trône au-dessus d’une ville nouvellement reconstruite. Répit temporaire ; le Fléau est de retour, plus fort que jamais. Arendelle sera rasée, ses habitants réduits à la servitude. Le maître me tient d’une poigne ferme, tandis qu’il chevauche auprès de sa championne, dont les pouvoirs se sont accrus en une année à peine à ses côtés. La tempête de neige hurle et gèle les vivants sur place à son passage. Une armure de saronite couvre son corps, et une somptueuse couronne de glace orne son front gelé. Elsa, la reine des neiges, revient en son royaume pour revendiquer son trône… et en chasser sa sœur, l’usurpatrice qui l’occupe depuis son départ. 


D’un geste de la main,  le Roi-Liche ordonne à un sous-fifre de transmettre l’ordre de tirer aux engins de siège. Les squelettes libèrent les cales retenant les cordes et un déluge de bombes et de pierres s’écrase sur les pauvres portes du château. L’avant-garde du Fléau se précipite à l’intérieur dès que la brèche est ouverte. Les escadrons de chevaliers de la mort s’envolent de la Nécropole qui flotte au-dessus des tours en flammes et posent leurs griffons squelettiques sur les remparts, d’où ils pourfendent les défenseurs horrifiés. 


Ce n’est que lorsque le silence est retombé que le Roi et la Reine-Liche entrent à leur tour dans les salles en ruines. Je contemple de sa main la mort et la destruction qui règnent à l’intérieur et les profanations auxquelles se livrent les plus insignifiants serviteurs du Fléau. C’est beau à en pleurer. 

Conformément aux ordres, la reine et son consort ont été gardés vivants. Nous les trouvons effondrés dans la salle du trône, sous la garde des plus puissants lieutenants du Roi-Liche. Le regard de la nouvelle reine croise celui, glacé, de son aînée lorsqu’elle s’avance d’un pas assuré vers elle. La championne a l’air bien plus royale que sa cadette, bien plus noble, aussi. Une vraie souveraine, et non une gamine trop jeune pour régner. Elles sont comme le feu et la glace : l’une royale, l’autre ravagée par le désespoir. L’une froide et impassible, l’autre pleurant à chaudes larmes. L’une rousse flamboyante, l’autre couleur de givre. 

— A genoux devant le Roi-Liche et sa Championne, siffle la voix de l’un de leurs gardiens lorsque nous nous approchons d’eux. 

— Jamais, crache le consort. 

    Mauvaise réponse. D’un coup dans le dos, il est forcé de s’incliner devant notre maître et sa compagne. Un sourire fugace passe sur les lèvres de celle-ci. 

— Est-ce là une façon d’accueillir votre reine ? demande-t-elle d’une voix aussi froide que l’air ambiant.

— Vous n’êtes plus reine, rétorque l’homme face à elle. 

Un nouveau coup le rappelle à l’ordre, mais le mal est fait. Les sourcils d’Elsa se froncent. Le Roi-Liche, glisse doucement sa main libre autour de sa taille d’un geste doux, le temps de la serrer un court instant contre lui. Il s’avance ensuite d’un pas menaçant vers lui. 

— Stupide mortel, gronde-t-il. Des paroles bien braves, de la bouche d’un vaincu. Une simple expression de ma volonté suffirait à te faire souffrir pour l’éternité. 

Elsa apaise le maître d’un geste de la main. Elle s’approche lentement de l’impertinent. De la glace se forme sous chacun de ses pas. D’un geste lent, elle lui prend le menton et lui soulève la tête pour qu’il la regarde dans ses yeux.

— Kristoff… Nulle reine d’Arendelle digne de ce nom n’a sa place aux côtés d’un roturier tel que toi…

    Et sur ses paroles, un pic de glace jaillit du sol et empale l’homme sur toute sa longueur. Il meurt en silence, alors qu’un hurlement scandalisé échappe à Anna. 

— Ne t’inquiète pas, chère sœur. Tu pourras continuer à t’amuser avec lui, s’il te sied. 

D’un geste de la main, elle ramène le cadavre à la vie. Kristoff ouvre les yeux, un gargouillis stupide s’échappe de sa gorge occultée par le glaçon, ses yeux devenus bleus roulent de manière incohérente. Visiblement, lui transpercer le cerveau avec une stalagmite ne l’a pas rendu plus intelligent, même dans la non-mort… Elsa ne se préoccupe plus guère de lui et le laisse ainsi, dans ses efforts maladroits et pathétiques pour s’extraire de son pal.

— Qu’est-ce qu’il a fait de toi… souffle la rouquine. 

—  Sa reine, plus puissante et terrible que jamais. Qui ne craint pas ses pouvoirs, n’a nul besoin de se cacher. Qui a vaincu la peur et la mort. 

Le Roi-Liche me retourne pour me prendre par la lame et tend la poignée en direction de sa championne. Ses doigts délicats se referment dessus. Elle me soulève pourtant sans effort et mon métal vibre dans l’air d’un son cristallin. L’usurpatrice  regarde  son aînée d’un air terrorisé. Je me délecte de cette vision alors que ma pointe s’approche lentement de sa poitrine. 

— Que vos yeux se ferment, ma sœur, tandis que les miens s’ouvrent. 

Mon tranchant déchire la chair et l’âme. Un hoquet de douleur plus tard, la question litigieuse  de la succession d’Arendelle est réglée. Et je me sens repue de ce nouvel esprit à ajouter à ma collection. 

Une fois son trône récupéré, la jeune reine reste un instant à contempler le cadavre à ses pieds. Je sens qu’elle doit repenser aux moments heureux qu’elles ont pu connaître, toutes les deux. Mon maître doit le sentir aussi, car il s’approche de sa reine et la prend à nouveau par la taille, doucement. Sa main puissante se referme sur ma poignée, tandis que sa voix emplit l’air d’un ton doux : 

— Tu as fait ce qu’il fallait, assure-t-il à sa championne. Nous la ramènerons en Chevalier de la Mort, si tu veux. Je doute que tu connaîtras plus fidèle serviteur qu’elle. 

Elsa lève les yeux vers lui. D’un geste délicat, il replace une mèche de cheveux derrière son oreille. Un sourire apparaît sur les lèvres de sa compagne. Sa main fine s’approche du visage de mon maître, esquisse un geste pour lui retirer son heaume. Il l’en empêche avec douceur, mais fermeté. 

— Allons contempler notre nouveau royaume, lui propose-t-il plutôt. 

Elle hoche la tête. D’une secousse franche, le Roi-Liche me plante dans le sol de pierre givrée, puis glisse son bras autour de la taille d’Elsa. Ils s’approchent du balcon, ensemble, majestueux et royaux. Face à la pâle lueur du jour, je la vois se blottir contre mon maître. C’est très mignon, mais… et moi ? Je ne vais quand même pas rester seule ici pendant que tout le monde fête la victoire, non ? Ohé, il  y a quelqu’un ? Sortez-moi de là !

    Bon. Pas de panique, Deuillegivre. Il finira bien par revenir te chercher. Ou quelqu’un me verra et ira le prévenir qu’il m’a oubliée.… Au moins, tu es à l’abri dans la salle du trône. Ce n’est pas si mal, autant en profiter pour faire une petite sieste tranquille, histoire de digérer. Oui, ce n’est vraiment pas si mal.

    Alors que je commence à m’assoupir, une petite voix me réveille en sursaut : 

— Oh, la jolie épée ! Bonjour, toi ! Tu veux bien me faire un câlin ? 

    Je remarque un petit bonhomme de neige qui se tient face à moi, avec une stupide carotte à la place du nez et de grands yeux larmoyants posés sur moi. Qu’est ce que c’est que ce truc ? Ouste! ! Allez, du vent ! Manant…

    Il s’approche de moi.

— Ooooh…. la jolie épée ! s'exclame-t-il. Toute seule, abandonnée... Ce n’est vraiment pas gentil d’avoir fait ça… Ne t’inquiète pas, je suis là maintenant. Je vais m’occuper de toi, et on sera amis pour la vie ! 

Ses bras m’enlacent pour un gros câlin. Je voudrais fuir, mais je suis plantée ici. Je pousse un hurlement, que personne n’entend. A part le bonhomme de neige… 

— Là, là.. ne pleure plus, Olaf est là… Dis, comment tu t’appelles ?

Maître, au secours ! Si elle commence ainsi, l'éternité risque d’être très longue ! 





Laisser un commentaire ?