Derkomai's Mask

Chapitre 20 : Les marguerites se dispersent dans le vent

6934 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/05/2024 17:19

Je... c'était une mélasse infâme, il fallait se débattre, sinon... encore une fois...

Je... je suis... Ils étaient éparpillés, ils cristallisaient à la surface de cette boue épaisse et grasse. Il fallait les trouver, les ramasser, sans ordre précis, mais ils devaient être réunis. Encore... ils s'échappaient... encore une fois... disparaître.

Je suis... Y avait-il eu un jour quelque chose au-delà de ce marais. Quelque chose qui valait la peine de ramper dans cette fange. Non, décidément il n'y avait aucune raison de faire tout cela alors autant se laisser porter par ces eaux noires et ne plus s'inquiéter. Mais les fils dorés continuaient de briller à la surface et cette fille aux yeux bleus ne pouvait s'empêcher de les regarder. Ils ordonnaient. Elle le ferait, elle continuerait de traîner dans l'eau putride, sans raison, sans chercher la raison. Ils ordonnaient, depuis le début, ils ordonnaient. J'obéissais.

Combien de fois s'était-elle noyée en poursuivant ces fils dorés. Et ils continuaient de flotter, se détachant de la boue, refusant qu'elle les saisisse bien qu'ils ne cessent jamais de l'appeler. Et les flots qui grondaient, eux qui étaient habituellement si calmes. La surface visqueuse tremblait, se rétractait, cherchant à s'échapper. L'or approcha, virevolta autour d'elle. Elle pouvait les toucher.

L'eau noire se fendit. De ses profondeurs en sortit quelque chose qu'elle avait oublié. Le monstre aux dents acérés et aux yeux rouges se jeta sur elle et mordit... me mordit. Moi ! C'était moi ! Ça avait toujours été moi ! Ma forme, je m'en souvenais et maintenant je devais assumer ce corps souffrant. Mon épaule brûlait, mes poumons hurlaient, mon ventre se tordait. Maintenant, je regrettais le calme de ces eaux noires. Je souhaitais qu'elles reviennent, qu'elles dissolvent à nouveau ce corps insupportable. Maintenant laissez-moi... Laissez-la... laissez cette fille se reposer... laissez-la abandonner !

Abandonner ? Je... Reptincel... je devais tout faire pour qu'il puisse... Il voulait gagner, je devais être capable de le faire gagner et pour cela... Il pouvait compter sur moi ! Je ferais tout ! Je ferais tout pour...

Des petits points dorés éclataient devant mes yeux. Les miettes d'un rêve se promenaient sur mes paupières closes. Les souvenirs revenaient, ils m’inondaient et je me demandais comment j'avais pu ne serait-ce qu'un instant les oublier. Je devais tenir, je ne devais pas lâcher, le temps que Reptincel l'emporte et ainsi... ainsi je ne le décevrai pas.

Mes yeux étaient désormais grands ouverts, mais ce n'était pas le ciel que je voyais, ni même les écailles bleues du pokémon requin. Un plafond, un simple plafond fait de planches collées les unes aux autres. Avait-il déjà couvert le sommet du Mont Chimnée au moment où j'avais fermé les yeux ? Et les écailles de Sharpedo, celles qui entouraient ma main droite, avaient-elles toujours été aussi chaudes ? Un haut le cœur monta, il acidifia mon esprit pour me rappeler que... Il ne devrait pas y avoir de plafond, les écailles devraient être froides et... Mes mains étaient vides, mes bras ne tenaient rien. J'avais perdu conscience, je n'avais pas pu tenir et... mes pokémons ? Où étaient mes pokémons ?

Frénétiques, mes doigts remuèrent, les petites articulations craquaient, les muscles se tendaient et se détendaient, comme s'ils avaient oublié comment ils devaient se coordonner. Et puis mon bras bougea, se détacha des écailles rugueuses, lutta contre la pesanteur qui voulait l'écraser à terre et attrapa le rebord de la couverture qui m'emprisonnait. Les doigts restèrent crispés sur l'objet, surpris par cette surface rêche et cette chaleur. Mais il n'y avait pas de temps à perdre et je repoussai la couverture, prête à me lever, à marcher, à les retrouver et... Elle était revenue sur moi. Ce n'était pas possible, elle ne pouvait pas bouger toute seule ! A moins qu'un esprit ne l'habite, un spectre qui jamais ne laissait repartir ses victimes une fois capturées.

Un grognement près de mon oreille et l'impression que la couverture vivante se mouvait contre moi, se resserrait pour m'empêcher de bouger. Je restais ainsi un moment, n'osant plus toucher l'étrange objet, me demandant à quel genre de monstre j'avais à faire. Je retenais mon souffle, sentant ma nuque craquer au fur et à mesure que je tournais la tête et puis... Orange. La tête orange d'un reptile, suffisamment proche pour que je sente son souffle chaud. Il dormait avec son aile posée sur moi et son flanc se soulevait doucement. Un dracaufeu ? Que pouvait bien faire un dracaufeu ici ?

- Oh ! Tu es enfin réveillée.

Voix inconnue. Un ennemi ? Où était-il ? Mon cœur battait si fort qu'il me faisait mal, mes oreilles sifflaient, mes yeux parcouraient la pièce à toute vitesse au fur et à mesure que je tournais la tête vers l'origine du son. Livres, canapé, chaises, table et enfin ce vieil homme. Le pinceau qu'il serrait dans sa main ruisselait d'encre, prêt à attaquer le papier, implorant son maître de porter le coup fatal. Mais la main restait figée dans les airs, refusant de terminer son action, jusqu'à ce que finalement le vieillard repose son arme sans que l'encre n'ait été versée.

- Comment tu te sens ?

J'avais crispé ma mâchoire à la première syllabe qu'il avait prononcée, fermé les yeux quand sa langue avait claqué le premier mot et gémit au moment où il avait terminé sa phrase. Le vieil homme n'avait rien dit ensuite, comprenant qu'il me fallait un peu de temps pour que je me souvienne que les sons possédaient un sens.

- Tu es calmée maintenant ?

Je fis un signe timide de tête en guise de réponse et cela sembla le contenter. Il prit ses lunettes entre ses doigts, souffla sur les verres avant de les essuyer du revers de sa chemise.

- Je suis le grand-père d'Adriane. Elle m'a demandé de veiller sur toi pendant qu'elle s'occupait de la ville.

- Mes...

Je m'arrêtai, surprise par ma propre voix. Son timbre éraillé ressemblait à celui d'une vieille machine grippée. Je faisais une nouvelle tentative, mais les mots raclaient le fond de ma gorge, heurtaient ma langue et mes lèvres, impossibles à comprendre. Pas le choix. De ma main libre, je dessinais dans les airs quelques formes, mimant ce que je ne pouvais prononcer. Je n'étais pas douée pour ça et en cet instant, je croyais deviner ce que ressentait habituellement Reptincel. Le vieil homme fronçait les sourcils, concentré à décrypter mes mouvements.

- De l'eau ? A manger ? Attends, attends, pas si vite. Un oreiller ?

Il faisait la liste de tout ce qu'il lui passait par la tête, essayant d'imaginer ce que je pouvais dire sans chercher un seul instant à me comprendre. C'était si frustrant.

- Po... é... on.

Laborieux, haché, mais cette fois j'avais espoir qu'il comprenne. Pendant que je toussais, l'homme avait pincé son menton entre ses deux doigts, plongé dans une intense réflexion. Je commençais vraiment à perdre courage lorsqu'il s'exclama :

- Oh ! Oui, bien sûr. Tes autres pokémons vont bien, quant à ce dracaufeu… Sache que ce n’est pas le mien, ni celui de ma petite fille, m’annonça-t-il.

Alors ça signifiait… Non, ce n’était pas possible, pas aussi vite. Je tournai à nouveau la tête en direction du pokémon endormi à mes côtés. Était-ce vraiment... mon Reptincel ? Mais comment aurait-il pu évoluer si vite... Que lui avait-il fait ? A quel point cet homme l’avait-il blessé pour le forcer à évoluer ! Si seulement… si seulement j’avais été à la hauteur.

J’approchai ma main de son visage et le touchai délicatement. J’avais peur qu’il se réveille, peur de l’avoir déçu. Il ouvrit les yeux, me fixa longuement avec ses fines prunelles.

- Dra ?

Ces iris bruns qui me rappelaient un certain dresseur... Alors c'était vraiment toi. J'avais retiré ma main, comme si je m'attendais à ce qu'il la morde s'il la remarquait. Il remua, ses petits crocs blancs qui dépassaient de sa gueule fermée s'approchèrent et... C'était chaud. Il avait collé sa joue contre la mienne.

- Cauuu, soupira-t-il doucement.

Une bonne odeur de feu de bois, ma respiration s'apaisait. L'aile palpitait, mon cœur ralentissait, ses écailles frémissaient, ma peau se réchauffait, la flamme crépitait, mes sens s'anesthésiaient. Bercée, la douleur se calmait, griffant de temps en temps, se débattant face à cette chaleur qui l'engourdissait.

Il s'écarta.

La douleur se réveilla, heureuse d'être sortie de sa léthargie, elle fêta cela en arrachant mon épaule déchirant au passage mon bras jusqu'à l'extrémité des ongles. Maigre gargouillement, larmes que je ne pouvais retenir et lui qui me regardait, qui comprenait. Ne pars pas.

Égoïste. Je souhaitais qu'il oublie, qu'il me pardonne, qu'il m'offre à nouveau une chance. Égoïste. J'aspirais à ce qu'il oublie ces hématomes qui parcouraient son corps, qu'il ignore les bandages ensanglantés qui raccommodaient sa peau.

- Centre... où est le...

Rattraper les choses à défaut de n'avoir pas pu les empêcher. L'espoir qu'il m'accorderait à nouveau sa confiance une fois les plaies disparues, sans cicatrice, sans aucune cicatrice. Mais le soupir fatigué de l'homme devait mettre fin à mon rêve.

- Pour l'instant le centre pokémon n'est toujours pas capable d'assurer les soins habituels. On est obligé de faire avec ce qu'on a.

Ne pars pas. Mon regard effrayé ne quittait plus le reptile orange, sachant pertinemment qu'il disparaîtrait tôt ou tard. Ne pars pas.

- Qu'est-ce que... Ne t'agite pas comme ça !

J'avais roulé sur le côté, cherchant un coin de table ou tout autre chose pour m'aider à me relever. Appuyée sur mon épaule blessée, mes jambes gigotaient, elles ne s'attendaient pas à ce que je les tire si vite de leur repos. Mais il fallait bouger, Sacha disait toujours que l'important c'était d'avancer, de ne pas rester sans rien faire. Tu pouvais m'accorder quelques secondes Dracaufeu ? Le temps que je me lève, que j'aille chercher un peu de désinfectant pour te soigner. Je les ferai disparaître, toutes tes blessures, je les ferai disparaître.

- Serena, Serena tu vas te blesser, déblatéra le vieil homme.

Il essayait de me retenir de ses bras atrophiés et il y arrivait. Son visage balafré par les années trop longues, ses cheveux grisonnants, le corps émacié, mais il pouvait sans peine me retenir. Et lui regardait, il voyait... il voyait quelle dresseuse il avait suivi jusque-là. Ne pars pas.

- Dracau... marmonna le pokémon.

Il était revenu. Son aile à nouveau posée sur moi, ses yeux ternes et fatigués peinant à me regarder. Il n'était pas parti, il n'avait pas demandé à ce que je le relâche. Il s'était juste couché là, sans un mot de réconfort, sans un grognement de colère, sans un regard de mépris. Il s'était couché là et je m'étais prise à espérer. Il s'était couché là et je me disais que ce que j'avais fait au volcan, que ma détermination à ce moment... C'était la bonne décision.


***


« Sais-tu quel jour nous sommes ? »

L’une des premières questions qu’on m’avait posé à mon réveil. J’avais cru le savoir, j’avais répondu, je m’étais trompée. J’étais restée sans bouger, écoutant le grand-père d’Adriane me parler de ce qu’il s’était passé, de tous ces jours écoulés…

- Fais la pince avec ton pouce et ton index.

Ramener mes bras vers moi, écarter les doigts, relever ou fléchir le poignet, je m’étais à peine réveillée que le médecin s’était mis en tête de me faire toute une série d’exercices. Je n’avais même pas eu le temps de me changer, me retrouvant face à cet homme seulement vêtue d’une vieille chemise blanche qui commençait à tirer sur les tons jaunes.

- Il faut aussi que tu le fasses avec ta main gauche, me rappela le soignant.

J’avais compris ! C’était juste… elle mettait plus de temps que la droite à bouger, mais j’allais y arriver. L’homme attendait, jetant des coups d’œil discrets à la montre qui cerclait son poignet. Je ne pouvais pas lui en vouloir, même moi je trouvais cette lenteur exaspérante.

- Bien. Maintenant résiste-moi.

Il se garda bien de répéter un « résiste ». J’y avais mis toutes mes forces, toutes mes pensées pour que les doigts gardent leur position, mais il m’avait vaincu sans difficulté. Je baissai la tête, j’en avais assez de tout ça.

- Est-ce que tu sens différemment quand je touche ?

Est-ce qu'il voulait parler de la sensation d'avoir le bras pris dans du coton ou du fait que je sentais à peine la pression de ses doigts.

- Oui.

- Tu peux me le décrire.

Je le faisais, sans vraiment savoir en quoi cela allait l'aider. Pendant que je lui expliquais, je ne pouvais m’empêcher de regarder Dracaufeu allongé juste à côté. Il n’avait pas bougé, pas réagi, il s’était contenté de regarder, assistant à mes échecs.

- Il va te falloir une bonne rééducation, dit-il semblant se parler à lui-même. Je t’avoue que les communications ne marchent toujours pas et que si on veut contacter l’hôpital de Lavandia on va devoir directement envoyer un habitant ou un pokémon… Enfin, on devrait vite trouver une solution pour te transférer maintenant que ces maudits Aqua sont partis.

Il s’arrêta quelques instants. Je devinais qu’il passait au crible les différentes possibilités qu’il avait me concernant. Mais ces histoires de transport ne m’intéressaient pas vraiment, moi ce que je voulais savoir c’était… Le médecin hocha la tête avant de reprendre :

- On peut aussi trouver quelqu’un du coin pour directement t’y emmener, ça devrait pouvoir se faire vu que tu es stable.

- Mon épaule ? fut la seule chose que je trouvais à répondre.

Depuis mon réveil, ce gros pansement blanc cachait ma blessure, et j'espérais ne jamais la voir d'ici à ce qu'elle ait complètement guérie.

- Je connais un chirurgien qui fait du bon travail. D’ici un an, tu pourras aller le voir et il devrait réussir à atténuer les marques.

- Les marques ?

Je le vis réfléchir, comme cherchant la meilleure façon de m'annoncer quelque chose que je ne voulais pas entendre. Finalement il abandonna, plongea ses yeux dans les miens et avec l’assurance d'un homme qui en avait vu d'autres m'annonça :

- Tu sais entre la brûlure et la plaie en elle-même... On pourra améliorer les choses, mais il n'y aura pas de miracles.

Mon cœur se serra. Je ne pensais pas que ce serait si dur à entendre, que j'aurais autant envie de pleurer. Le pansement pesait lourd sur mon épaule, se moquant de moi, me rappelant qu'un jour il faudrait l'enlever, qu'un jour il faudrait regarder. Une cicatrice… est-ce que mes vêtements suffiraient à la cacher ?

Mon pokémon avait toujours son attention rivée sur moi. Je fermai les yeux, espérant que cela fasse fuir les larmes avant qu'il ne les remarque.

- C’est juste une cicatrice, ce n’est pas grave, réussis-je à dire d’une voix faible.

Il se releva et je me rendais soudain compte à quel point il avait grandi. Il arrivait à peine à ma cuisse quand il était Reptincel et maintenant il devait facilement me dépasser d’une ou deux têtes. Il ne disait rien, mais l’air autour de moi était devenu plus chaud et j’avais l’impression d’être écrasée par son regard. De la colère… il était en colère contre moi ? Pourquoi !?

- D-Dracaufeu ? paniquai-je.

Il pencha son long cou vers moi, la lueur dans son regard me faisait trembler. Est-ce que j’avais fait quelque chose de mal ? Je baissai la tête avec l’intime conviction qu’il était sur le point de me crier dessus.

Il ne le fit pas. Il soupira, retourna s'allonger, cette fois enroulant son cou autour de son corps et ferma les yeux. Est-ce qu’il l’avait senti ? Est-ce qu’il avait senti mes tremblements juste à l’idée de garder une cicatrice. Ma peur… pour si peu…

- Je peux toujours...

- Dra, grogna-t-il d'ennui.

« Tu me fatigues Serena, tu me fatigues vraiment. » C'était peut-être la première fois que je comprenais... que j'entendais aussi nettement ce qu'il voulait me dire.

- Vous avez parlé de rééducation... Combien de temps ?

- Quelques mois sans doute.

- Je suis obligée d'y aller ?

- Eh bien... tu as besoin d’entraînements dirigés et spécialisés si tu veux pleinement récupérer et...

- Ça ne peut pas se faire seul ?

- Je ne peux pas te l'assurer, je dirais même que ce serait une perte de chance.

- Mais c'est possible.

- Je te le déconseille. Ensuite libre à toi d'écouter mon avis, je ne t'oblige à rien.

Dans quelques temps, mes pokémons seraient remis et il ne resterait que moi à soigner, il n'y aurait que moi qui les ralentirait alors que les concours s’enchaîneraient. Et Dracaufeu s'ennuierait, se demandant pourquoi il devrait rester sans rien faire, pourquoi il devait m'attendre.

- Tu as entendu Dracaufeu ? Je vais vite me remettre, on va reprendre les concours et tu pourras te battre et... et... tu gagneras, je t'aiderai à gagner.

Il ne répondit pas, seule sa flamme se mit à luire d'un bleu pâle avant de retrouver ses teintes habituelles. Que voulais-tu que je fasse ? Que pouvais-je faire pour te convaincre que je pouvais être ta dresseuse ?

- Je ne te décevrai pas.

Cette fois il leva la tête, ses écailles étaient devenues plus foncées. Ses flammes pouvaient faire fondre la pierre, ses griffes lacérer la chair et sa queue briser les os. Une créature que je ne contrôlais que par ce ridicule objet qu'on nommait pokéball. Une bête qui ne se laisserait plus très longtemps dominée par ce système, peut-être même s'en était-il déjà affranchi.

- Il... Il n'a pas l'air de bonne humeur.

Le médecin avait sifflé ces mots. Il fixait le monstre qui s'approchait de nous, sa jambe prise d'un tremblement nerveux.

- Sa pokéball ? Est-ce que tu as sa pokéball ?

Il semblait fiévreux avec son visage rouge et les grosses gouttes de sueur qui perlaient sur son front.

- Rappelle-le ! Rappelle-le maintenant ! hurla-t-il.

Il s'était levé, il avait reculé, ses yeux exorbités. Et je comprenais mieux sa terreur quand le monstre se plaça face à moi, sa gueule emplie de flamme.

- Bon sang rappelle-le !

Des flammes qu'il dirigeait vers moi.

- Il va vraiment...

La haine dans ses yeux.

- Rappelle...

Les cris du docteur avaient cessé. Le reptile était passé à côté de moi sans s'arrêter et maintenant il faisait face à la porte, sa main posée sur la poignée. Regarde-moi. Il l'ouvrit. Ne pars pas. Il la claqua.

- Ne me laisse pas.


***


Les jours passaient doucement à Vermilava. Joëlle passait régulièrement voir comment se portaient mes amis, me promettant que son centre serait rapidement remis en état pour achever les soins. Une fois fait, il serait sans doute trop tard pour que nous puissions participer au premier concours prévu, mais nous étions encore dans les temps pour celui d'Autéquia.

- Nympha ? m’appela mon pokémon sur mes genoux.

Elle toucha de son ruban mon épaule. Je lui caressai la tête en retour, espérant qu’elle me croirait si je lui disais que ce n’était pas grave.

- Pha… murmura mon amie.

Je suivais son regard, mes habits trainaient toujours dans un coin. Pour l’instant je n’avais pas pu les remettre, trop de raccommodage à faire et avec ma main… ça prendrait du temps.

La porte d’entrée claqua, nous faisant toutes les deux sursauter. Adriane était de retour et Nymphali se cachait déjà sous la chaise, ses oreilles basses, ses rubans repliés contre elle. Elle dormait peu ces derniers temps, relevant les oreilles et gémissant dès qu'elle entendait du bruit, ne serait-ce qu'une goutte d'eau tombant d'un robinet mal fermé. Pour qu'elle se repose, j'avais été obligée de la garder dans sa pokéball et même ainsi, j'étais persuadée qu'elle continuait de se réveiller, hurlant de terreur engluée dans ses cauchemars.

Des mauvais rêves, ces choses qui avaient toujours hanté les nuits tels des fantominus souhaitant faire quelques mauvais coups. Dérangeants, mais jamais bien méchants, connaissant parfaitement la limite qu'ils ne devaient jamais franchir.

Alors pourquoi se tenait-il devant moi ? L'énorme pendentif qui claquait contre son torse, ses yeux ombrés par le bandeau bleu et le sourire d'un homme qui allait bientôt trouver satisfaction au moment où les mâchoires énormes du monstre se fermeraient. Un cauchemar, un mauvais rêve, un gaz qui ne pouvait me blesser. Mais les crocs luisaient sous la lumière de l'ampoule, reflétaient les couvertures des livres et assise sur ma chaise, je cherchais la limite, je m'attendais à ce qu'il s'écrase dessus.

Je me voyais hurler, je voyais mon visage se distordre et les crocs qui déchiraient mon épaule, s'imprimaient dedans, me promettant que plus jamais ils ne disparaîtraient.

- Serena ? Serena tu m'écoutes ?

La porte du frigo ouverte jetait sa lumière sur le reste de la cuisine, séparée du salon uniquement par une table bar en bois massif. Adriane me dévisageait, son visage brillant sous la lueur pâle.

- Nymphali a fait un cauchemar, articulai-je la gorge sèche.

- C'est vrai que j'ai entendu du bruit cette nuit, réfléchit-t-elle en se saisissant d'une cannette. Enfin, comme je te le disais, ces imbéciles de la Team Aqua...

Cette nuit ? C'est vrai que les cauchemars n'apparaissaient que la nuit, que quand on dormait… quand on dormait… La championne claqua la porte, terrifiant un peu plus Nymphali. J'aurais voulu la rassurer, la prendre dans mes bras et lui dire que tout irait bien. Mais je n'arrivais pas à bouger, mon corps figé, ma respiration arrêtée.

- Tu es vraiment pâle, remarqua la fille aux cheveux rouges.

L'appareil blanc tanguait légèrement, encore sous le choc de la violence de sa propriétaire. Le micro-onde subissait à son tour l'humeur de la championne, manquant de peu de voir sa porte arrachée.

- Elle a peur, dis-je faiblement.

Adriane ne m'entendit pas, observant avec attention son plat qui tournait dans le four. Je sentis le ruban de Nymphali presser contre mon poignet. Elle ne sortirait pas de sa cachette, pas avec tout ce bruit. Moi-même, j'aurais déjà fui cette pièce si les grondements de l’appareil ne m'avaient pas clouée à ma chaise.

- Arthur, il en avait pas assez, il fallait qu'il remonte sa petite équipe et qu'il vienne dans ma ville, sur notre volcan, pour faire ses magouilles.

Le micro-onde sonna la fin de la cuisson avec un « ding » timide. Comme si l’objet craignait que la championne ne le touche à nouveau.

- Et ils sont repartis sans s'inquiéter. Tu sais ce qui me tue le plus dans tout ça ? C'est que grand-père leur a sagement obéi et a convaincu les autres d'en faire de même.

- Il voulait éviter les blessés, osai-je timidement.

Adriane s'était assise sur l’énorme table, ses jambes croisées pendaient dans le vide alors qu'elle dominait le salon du regard. Elle ouvrit l'opercule de son plat, me laissant voir trois baies Tamato dessinées. « Saveur extra-piquante », le genre que même un type feu aurait du mal à avaler. Elle prit la première bouchée, pinça les lèvres, son visage devint rouge.

- Non Serena. Mon grand-père malgré son âge est fort et s'il l'avait voulu, s'il s'était battu, tous les habitants l'auraient suivi et les sbires n'auraient pas fait les fiers.

- Mais même toi tu as perdu...

Je déglutissais, j'ignorais si le visage écarlate d'Adriane était lié au plat qui brulait son palais ou si...

- Ce n’était pas une défaite ! hurla-t-elle.

Elle avait renversé son repas. La sauce rouge coulait sur le bois et je sentais bien que j'avais perdu une occasion de me taire. La dresseuse se laissa glisser de son perchoir, se saisissant d'une éponge pour essuyer les tâches gluantes.

- Je suis la championne d'arène de Vermilava. J'ai un rôle, des responsabilités. Tu comprends ? Les gens de cette ville me font confiance, ils croient en moi tout comme les dresseurs que j'affronte chaque jour croient en ma force, en la valeur de mon badge. Mais j'ai été obligée de plier l'échine face à eux et toi... Toi qu'est-ce que tu as fait au juste ? A part me laisser un dracaufeu même pas fichu de se battre. Un dracaufeu qui leur a obéi sagement, oubliant sa fierté.

- Il était blessé !

- Il était faible ! Et même lui s'en est rendu compte, même lui a dû comprendre à ce moment à quel point te suivre dans les concours l'avait...

Adriane grinça des dents. La table était propre maintenant, elle l'était depuis un bon moment en réalité.

- Qu'est-ce que tu fais ici au juste ? Alors que ton pokémon est dehors en train de se démener pour apprendre à voler.

- Il... Je ne peux pas le suivre.

- Tu ne peux pas ou il ne veut pas ?

Je baissai la tête. Depuis qu'il maîtrisait à peu près ses ailes, il n'hésitait pas à s'éloigner, passant des journées entières dans les airs. Et j'avais beau l'attendre, même après que l'heure ait largement dépassé minuit, il ne rentrait pas.

La porte s'ouvrit, mes yeux s'écarquillèrent en même temps que mes lèvres formaient un « o » de surprise. Il était là, même s'il ne me regarda pas une seule fois en se dirigeant vers les placards de la cuisine. Adriane s'approcha sans hésitation du type feu et entama la discussion. Le reptile émettait quelques grognements, mais ne la repoussait pas. Peut-être même appréciait-il...

- Tu as faim ? Je peux essayer de te préparer à manger, même si ça risque de prendre un peu plus de temps que d’habitude, proposai-je avec un sourire crispé tout en regardant mon bras.

La porte du placard claqua presque aussi fort que si Adriane s’était servie. Mon pokémon quitta la pièce, une boite de nourriture pokémon à la main. Les croquettes qu'il ne touchait jamais d'habitude, au point que j'avais dû trouver et cuisiner des recettes rien que pour lui. Il ne les aimait pas, il ne les avait jamais aimées et pourtant... alors que je lui avais dit que je pouvais à nouveau préparer à manger...

- Serena, confie-moi Dracaufeu.

Un cri de stupeur s'étrangla dans ma gorge. Je fixais Adriane, persuadée d'avoir mal entendu.

- Je vais l’entraîner et lui redonner confiance en sa force. Ensuite tu pourras le reprendre si tu veux, si il le veut.

- Non... tremblai-je. Il est juste fatigué, il lui faut du temps, mais il ne veut pas...

A quel point étais-je prête à mentir ? A quel point étais-je prête à oublier ce serment que j'avais fait à Vergazon ? Mais je ne pouvais pas, je ne pouvais juste pas l'accepter.

- Je suis rentré !

Un vieil homme enjoué avait franchi la porte, son sac en plastique sans doute rempli de pinceaux et de pots d'encre.

- Allons, allons, faire des têtes pareilles à votre âge, réservez ça pour votre vieillesse.

- Il y a des choses sérieuses grand-père, même à notre âge, rétorqua Adriane.

- Allons bon. J'aimerais bien savoir ce que c'est. Encore tes histoires d'envoyer ces pauvres gens des sources thermales et des restaurants faire une guéguerre contre les méchants de la Team Aqua.

Elle lui jeta un regard noir, ses mains crispées sur le haut de son pantalon.

- Dracaufeu ne mange pas.

- Je l'ai vu passer avec une boîte de nourriture à l'instant, nargua monsieur Moore en posant son sac.

- Oui et il va la jeter au bout d'une bouchée, comme toutes les précédentes.

Je restais bouche bée face à cette révélation et le vieil homme s'était tourné vers moi, me demandant silencieusement si c'était la vérité. Mais je ne savais pas, je n'avais même pas imaginé qu'il puisse faire ça.

- Tu ne l'avais même pas remarqué, n'est-ce pas ? me défia la championne.

- Adriane... grinça le grand-père.

- Quoi ? Tu préférerais que je ne dise rien ? Je te rappelle que c'est toi qui m'as appris qu'un dracaufeu ça maigrit sans qu'on s'en aperçoive. Il aurait sans doute continué quelques mois avant qu'elle ne comprenne.

- Et bien sûr, tu as attendu que je sois là pour le lui dire.

- Un dracaufeu ce n'est pas un pokémon à la portée de n'importe qui ! Ils ont besoin d'une discipline, de combats, de vrais combats. C'est nécessaire, c'est pour ça que la Vallée Dracaurifique existe, c'est pour ça qu'une dresseuse de concours ne pourra jamais...

Adriane s'arrêta net, le visage figé dans une expression de pure stupeur alors qu'elle observait la main de son grand-père, la main aussi rouge que sa joue.

- Et tu te prétends championne d'arène.

- Je...

Monsieur Moore ferma les yeux, refusant d'en entendre plus. Il s'avança vers moi et s'inclina.

- Au nom de l'arène de Vermilava, je tiens à te présenter mes excuses.

- Grand-père !

- Tais-toi. Tu vas encore nous couvrir de honte.

La championne ouvrit la bouche avant de la refermer. Elle marmonna un bref mot d'excuse, détournant la tête sans pour autant la baisser.

- Vous... vous croyez que Dracaufeu est malade ? balbutiai-je.

Monsieur Moore se tourna vers sa petite fille, lui intimant d'un signe de tête de répondre. Le haut et la gauche, Adriane fixait le coin du mur.

- Adriane, tonna monsieur Moore.

Elle s'obstinait dans son silence. Je m'obstinais à demander :

- Si... Si je cuisine, est-ce que vous pensez qu'il remangera.

Sans cesser de regarder ce coin de mur, ses yeux à la dérive, elle répondit :

- Je ne sais pas.

***


C'était une belle cuisine. La hotte soufflait avec ardeur, les placards et tiroirs noirs s'alignaient parfaitement, l'évier rutilait de son bel acier brillant.

- Non !

Mon cri n'avait pas suffi à l'arrêter. Le bol avait profité de la faiblesse de ma main pour s'échapper et répandre son contenu sur le sol. Je les regardais, ces doigts maladroits qui me picotaient à nouveau. Un à un, je les fléchissais, les serrais le plus fort que je pouvais au point d'utiliser mon autre main pour les forcer à rester dans cette position. Ça suffisait, maintenant ça suffisait.

- Rou, roussil.

Elle s'était déjà munie de quoi nettoyer, mais je l'arrêtais.

- Je vais m'en occuper ! Ce n'est pas à toi de...

- Rou ! me coupa-t-elle avant de s'agenouiller.

Cela faisait depuis plusieurs heures qu'elle m'aidait. Elle réparait mes erreurs, assistait mon bras défaillant, sans se plaindre, sans m'en vouloir. Sa fourrure était sale, depuis que je m'étais réveillée je n'avais pas pris le temps de la nettoyer.

- Pande pandes ?

Pandespiègle était revenu de la réserve en compagnie de Posipi, tous les deux les bras chargés de sucre, de farine et de lait. Non pas que la cuisine en manquait, mais... il y avait eu d'autres ratés.

- Rou, silrou, soupira la renarde.

Le panda posa sa cargaison au sol. En temps normal, il aurait facilement sauté sur le plan de travail, mais je savais qu'il ne le ferait pas, il ne pouvait plus le faire.

- Pandes ? me demanda-t-il.

Il fixait avec attention mes mains couvertes de petits pansements. Roussil m'avait interdit de toucher à un couteau au bout de la sixième fois.

- Je l'ai juste fait tomber.

- Piègle.

Il avait instinctivement touché le bord de ses lunettes. Elles seraient sans doute plus simples à réparer que... ma bouche se tordit en discernant le bandage qui entourait son genou.

- Le centre pokémon ne tardera pas à rouvrir.

Il haussa les épaules avant de mettre ses mains derrière sa tête, faisant comme si de rien n'était.

- Piègle pandes, demanda-t-il à Posipi.

Le pokémon acquiesça timidement, sautant sur la table pour récupérer les différents paquets que Pandespiègle lui envoyait. Il s’accommodait de ce nouveau duo, pas le choix puisque son frère préférait rester dans sa pokéball.

Le bol brillait, une ombre s'étendait dessus, prenant la forme d'un pokémon aux crocs aiguisés, la mâchoire grande ouverte, prêt à sortir de la limite...

- Posi ! m'appela le pokémon, me faisant signe que tout était prêt pour un nouvel essai.

- Pardon de vous imposer ça.

La soirée était bien avancée quand enfin la pâte à choux fut mise au four. Il faudrait encore la décorer, mettre divers agréments... Je fixai la pendule, j'avais le temps, j'avais encore beaucoup de temps avant qu'il ne revienne. S'il revenait.

- Posi...

Il devrait se reposer. Surtout avec ses plaies qui mettaient du temps à se fermer... ses bras en particulier, à chaque fois que je le voyais, les bandes blanches étaient teintées de sang.

- Pandes ! Piègle !

Depuis qu'il avait évolué tout était si...

- SIL !

Les profiteroles ! J’ouvrai à toute vitesse le four, mais une fumée noire s’en échappa me faisant tousser. Comment avaient-elles pu brûler si vite ? Je regardai le thermostat... trop chaud, beaucoup trop chaud pour le mélange. Mais c'était trop tard, tout était gâché, tout était à refaire.

Et voilà que l'alarme incendie se mettait à brailler, son nez titillé par l'odeur âcre. J'entendais qu'on s'approchait, et les bruits de pas crispaient mes muscles. Au pire ce serait Adriane, au pire... Mais n'y avait-il pas un autre bruit qui l'accompagnait ? Comme le cliquetis d'un pendentif trop gros qui battait le rythme des pas de son possesseur.

- Serena, tout va bien !?

Monsieur Moore regardait tout autour à la recherche de ce qu'il s'était passé.

- Ça a brûlé, hoquetai-je.

L'appareil continuait de crier et Moore ne me lâchait pas du regard.

- Il n'y avait que ça ? me demanda-t-il.

J'acquiesçai, ne sachant plus où me mettre face à tout le dérangement que je provoquais. Le vieil homme récupéra une chaise sous son bras et la plaça sous l'appareil.

- Je vais le faire ! m'écriai-je ne voulant pas causer plus d'ennuis.

- Serena, est-ce que tu as dormi récemment ?

- J'ai... je me suis déjà suffisamment reposée.

Monsieur Moore grimpa sur la chaise et fit cesser les hurlements stridents.

- Je pense que ton corps n'est pas tout à fait d'accord avec toi, dit-il.

Je ne compris pas tout de suite ce qu'il voulait dire, jusqu'au moment où il me tendit une boîte de mouchoirs. J'étais en larme, mon nez coulait et des sanglots s'étranglaient dans ma gorge.

- Va t’asseoir un peu.

Je l'écoutais, pressais le mouchoir sur mes joues et mes yeux gonflés. A quel moment avais-je craqué ? Mes autres pokémons m'entouraient, Roussil passait une main réconfortante dans mon dos.

Monsieur Moore avait raison. Je voulais dormir, je voulais fermer les yeux, arrêter de penser. Mais les cauchemars, ce n'était pas juste des cauchemars. Si vifs, si précis, si réels, ils ne me laissaient aucun répit. Le bruit qu'Adriane entendait durant la nuit, ce bruit... c'était mes hurlements au moment où le monstre plantait ses crocs dans mon épaule !

- C’était pour Dracaufeu tout ça ?

- Je dois les jeter.

- Est-ce que tu penses qu'Adriane a raison ?

Je fixai le mouchoir blanc froissé dans ma main. Dracaufeu ne me parlait plus, ne me regardait plus, ne m'écoutait plus. Ça n'avait pas suffi, me sacrifier n'avait pas suffi à gagner son estime et...

- Je ne sais pas, murmurai-je.

- Vraiment ? Pas la moindre idée ?

- Il me déteste... avouai-je enfin.

Le grand-père passa sa main dans ses cheveux épais, les boucles grises s'emmêlaient autour de ses doigts.

- Pour un pokémon censé te détester, je le trouvais particulièrement inquiet quand il attendait à ton chevet que tu te réveilles, remarqua-t-il d'un air détaché.

Je relevais vivement la tête, mais monsieur Moore se dirigeait déjà vers la porte.

- Dracaufeu a besoin de reprendre des forces, je compte sur toi, finit-il avec un clin d’œil.

Pendant que j'étais inconsciente... Dracaufeu... il avait veillé sur moi ?


***


Il était tard, tout le monde dormait déjà et les profiteroles avaient refroidi depuis un moment maintenant. La porte s'ouvrit. Les pas lourds du monstre de feu résonnaient jusque dans le salon, je soufflai un grand coup, hésitante à l’idée de me retrouver seule avec lui.

- Dra ? me regarda-t-il surpris.

- Je t’ai préparé des profiteroles, expliquai-je.

Il regarda les pâtisseries sur la table avant de faire une étrange grimace et de refuser. Prévisible... mais les paroles du vieil homme me revinrent en mémoire. Peut-être n'était-ce pas de ma faute, peut-être était-il vraiment malade. Je me levai de ma chaise et posai le dos de ma main contre sa joue. Refuser des friandises... Il devait forcément avoir de la fièvre. Mais le pokémon se recula vivement, gardant son regard rivé au sol. Ma mâchoire se crispa, je me demandais pourquoi je continuais de m'entêter, mais...

- Dracaufeu, tu sais que si quelque chose ne va pas tu peux...

- Cau, m’interrompit-il sèchement.

- Je m’inquiète juste pour toi !

Je reculai alors qu’il relevait soudain la tête, une lueur de colère dans son regard. Sa flamme crépitait, ses tons rouges me semblaient bien inquiétants tout d’un coup.

- Pourquoi tu réagis comme ça ?

Mes doigts effleurèrent le ruban à mon poignet. Ce ruban que je n’avais pu laisser au milieu des autres affaires déchirées, mon ruban… J’étais la seule à l’avoir remarqué, à discerner que son beau bleu brillant s’était affadi. J’aurais pu en vouloir à Adriane, j’aurais pu lui en vouloir de ne pas y avoir fait plus attention. J’aurais pu... Mais le soin pour faire disparaître les plis, cette attention à correctement le ranger, c’était comme si elle connaissait sa valeur, comme si elle avait deviné son importance. Oui, au milieu du reste de mes vêtements en désordre, c’était la seule chose auquel elle avait veillé.

Ce ruban, ce ruban que Sacha m’avait offert, il m’avait toujours donné du courage et aujourd’hui encore j’espérais… Dracaufeu détourna la tête. Dracaufeu ne me répondit pas. Dracaufeu… ce bout d’étoffe qui serrait mon poignet… Ma main retomba.

Les profiteroles colorées que j’avais mis tant de temps à préparer n’avaient pas bougé de la table. Je m’écroulai sur la chaise, ma tête pesait une tonne et cette discussion, cette maudite discussion me revenait encore une fois en mémoire. Cette promesse que je lui avais faite juste après notre victoire à Vergazon…

- Laisse-moi encore une chance, chuchotai-je. Une dernière chance.

Ses épaules frissonnèrent, ses écailles se ternirent et la lueur de sa flamme faiblit. Je croyais qu’il allait continuer de se murer dans le silence, mais à la place il baissa sa tête vers moi et plongea son regard dans le mien.

- Dra, répondit-il enfin.

Je crispai mes mains alors qu'il quittait la pièce sans avoir touché aux profiteroles. Il avait accepté, il m'accordait une nouvelle chance et... Je posai ma main sur mon épaule, me remémorant la douleur. Ce n'était rien, ce n'était pas grave, ce n'était pas quelque chose que je regrettais.

Je ne te décevrai pas.

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