Tombés du ciel

Chapitre 10 : Resto-basket !

3319 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/05/2017 15:59

[Si tu étais sur le bateau au chapitre précédent, tu ne dois pas lire ceci !]


***


Une fois les différents groupes réunis au Thym et Romarin, vous discutez de vos trouvailles lors de la matinée. Comme la veille, les hommes parlent fort et se chamaillent gentiment en buvant de l’alcool tandis que les filles incarnent les observatrices de cette faune, riant de temps à autre à une boutade de l’un ou aux remarques de l’autre, sirotant du thé au détriment de leur vessie. Globalement, excepté Law qui ne discute avec personne d’autre que Luffy – enfin, quand ce dernier daigne l’écouter, tout le monde s’entend bien.

Tu prends quelques instants pour t’imprégner du décor qui t’entoure. La pièce centrale est l’hôte d’une scène en demi-cercle aux dimensions exagérées, encadrée par des rideaux de velours teintés de rose. Un étage doté de tables privées aux balustrades dorées se profile au-dessus de vos têtes, te faisant penser aux opéras du vieux Londres. Les différentes salles sont éclairées par des lustres en cristal d’excellente facture qui réfractent la lumière en des millions de phosphènes multicolores, dansant et tournoyant sur les murs. Curieuse, tu lèves les yeux pour apercevoir les personnes assises aux tables VIP, en te demandant quel est le genre de ceux qui réservent en haut. Des femmes en robes de cocktail principalement, pour la plupart portant des étoles luxurieuses et aux bras desquelles les chers maris désuets mais sûrement très riches pavanent et se gaussent. Un frisson te parcourt : il ne te viendrait jamais à l’esprit d’entreprendre une relation de couple avec une personne âgée, même bercée au doux son des pièces d’or à sa ceinture. Néanmoins, tu n’es pas tant choquée par ces amourettes que par la mixité des classes sociales présentes ce midi. Même s’ils ne partagent pas leurs assiettes, les gens aisés et les prolétaires se réunissent au même endroit pour manger. Tu te demandes si les prix des repas grossissent en fonction de l’étage lorsqu’un larsen insupportable ramène le silence dans l’audience.


Puis, le spectacle est annoncé au micro par une jeune femme aux allures de barde et le rideau s’ouvre sur une représentation peu fidèle de Luffy, incarné par un bonhomme grassouillet boudiné dans son costume. Il prend la parole et commence à raconter en alexandrins comment l’homme qui a défié la Marine pour libérer son frère, l’a finalement perdu. En face de toi, le vrai Monkey D. Luffy fulmine et s’impatiente, visiblement irrité par les propos supposés humoristiques de son clone. Des serveurs apportent votre repas, s’attardant à vous toiser suspicieusement avant de tourner les talons, dissuadés par les armes qui traînent sur les banquettes. Tu restes attentive à ce qui se joue sur la scène car d’autres acteurs apparaissent maintenant depuis les coulisses mais les réprobations du capitaine au chapeau de paille te distraient. Puisqu’il ne peut s’empêcher de pester à propos de sa propre histoire, tu en déduis que ce que raconte la pièce doit être un vaste tissu d’inepties et t’en désintéresses bien assez vite afin d’écouter ce qu’il a à redire. Tu en soutireras certainement plus d’informations que de cette logorrhée destinée aux badauds.


De ce que tu en comprends, l’histoire raconte une guerre entre la Marine et plusieurs groupements de pirates qui aurait éclatée suite à l’annonce de l’exécution d’un certain Ace, frère du futur Roi des Pirates et fils caché de l’ancien, Gold Roger, dont tu as déjà entendu parler à ton arrivée. Luffy commente bruyamment, empreint de frustration, vous attirant peu à peu les regards en biais des tablées voisines. Tu en profites pour jeter un œil discret aux visages qui se tournent ; qui sait, peut-être y trouveras-tu celui de ton propre frère ? Mais la luminosité qui a considérablement baissé ne plaide pas en ta faveur. Focalisée sur cette pensée qui te hante, tu ne fais plus attention à ce qui se trame autour de toi. Tu ne sais pas combien de temps tu y passes, mais tu analyses chacune des têtes que tu entrevois, si bien que tu sursautes lorsqu’intervient finalement Luffy, remonté à bloc :


« Ça s’est pas passé comme ça ! Tout ça, c’est que des conneries ! »


Interpelés par la force de l’interjection, les acteurs et les spectateurs se tournent d’un même mouvement vers votre table et les visages se décomposent progressivement tandis que tous découvrent l’identité de l’intervenant. Le vrai Luffy au Chapeau de Paille, en chair et en os, s’est maintenant levé et s’avance face à l’assemblée. Les rôles viennent de s’inverser précipitamment : votre table est devenue la scène et vous les acteurs. Quelques secondes s’écoulent sans qu’on entende le moindre bruit. Puis un murmure s’élève à travers la salle, celui de plusieurs dizaines de bouches qui chuchotent aux oreilles dressées de leur voisin de table. La tension est palpable. Quelques nombreux clients se pressent vers la sortie, mus par une frayeur incontrôlable, et sortent du restaurant. Tu présumes que les locaux doivent avoir des antécédents avec les pirates, d’où leur envie de les tourner en ridicule dans une pièce de théâtre.

Luffy frappe de son poing élastique contre le mur et lance à l’attention de ceux qui restent :


« Après tout ce que la Marine n’a pas fait pour vous, vous arrivez encore à croire ce qu’ils vous racontent ?! »


Personne ne cherche à se rebiffer et honnêtement, tu les comprends un peu quand de son corps s’élève une vapeur blanche presque opaque. Tu frissonnes, tu aimerais bien que vous vous empressiez de sortir avant que les problèmes ne viennent pendre à votre nez, ce qui d’un côté est déjà pratiquement inévitable. Tout proche de vous, tu entends un imprudent dire à un autre :


« De toute manière, Ace aux poings ardents mérite bien ce qui lui est arrivé… c’était qu’un connard de pirate ! »


Tu pries intérieurement que Luffy n’ait pas entendu mais déjà ce dernier s’est rué sur lui et l’attrape maintenant fermement par le col alors que Nami et Usopp tentent de le dissuader. En dépit de leurs efforts, le poing rougeoyant fend l’air et le pauvre type se retrouve projeté en l’air sous les yeux terrifiés des spectateurs. Il s’écrase au pied de la scène dont des planches volent en éclats, inerte. Tu ne sais pas vraiment où focaliser ton attention. Il y a quelques minutes à peine, tu ne pensais pas que la situation puisse dégénérer à ce point.

Au même moment, en provenance de la porte d’entrée, un coup de feu retentit et une balle vient s’enfoncer dans l’épaule de Luffy. Tu sursautes et cries de panique, imitée par beaucoup d’autres, mais la balle ressort aussitôt comme propulsée par l’élasticité de sa peau pour aller se loger dans le plafond. Si tu étais déjà troublée par la tournure des événements, cette action te fait tourner de l’œil mais tu ne peux te permettre de craquer. Pas en cet instant décisif. L’impact provoque une panique et un déchaînement de masse autour de vous. Les aristocrates des étages supérieurs s’égosillent. Un groupe d’hommes armés bloque à présent l’unique entrée – supposément la Marine à en juger par leurs uniformes blanc et bleu ainsi que leurs insignes, dont quelques soldats vous mettent en joue, déférant de basiques sommations militaires. C’est un cauchemar, depuis que tu es avec ces pirates tu n’as de cesse d’aller de surprise en surprises sauf que cette fois-ci, ce n’est pas le genre de surprise que tu aurais voulu expérimenter. On ne t’avait jamais pointée avec une arme avant et tu dois avouer que c’est pour une fois exactement comme dans tes pensées : très intimidant. Assez pour te contraindre à rester sur place sans même battre des cils. Que faire ? Tu n’as pas le temps de réfléchir bien longtemps car déjà, Zoro vous a « créé » une sortie dans l’angle du mur où vous étiez acculés et tes compagnons de voyage s’y engouffrent, t’y traînant de force. Tout va tellement vite que tu as du mal à suivre, perdue entre peur et confusion. Robin te tire par le poignet en t’encourageant à ne pas t’arrêter et surtout, ne pas regarder derrière. C’est ce que tu étais justement en train de faire et ce que tu vois ne te plaît pas : à vos trousses se sont immédiatement lancés les Marines, furieux d’avoir laissé s’échapper des fugitifs déjà recherchés ainsi qu’une poignée de civils armés de fourches, de faux et autres armes de fortune. Ils ont l’air vraiment, vraiment très fâchés. Tu frémis en appliquant les conseils de ta partenaire : droit devant à toute vitesse ! Tu n’as pas réellement envie de tenir compagnie à vos hargneux poursuivants, ni de causer de souci à l’équipage. Tu n’as d’autre choix que de courir.


Le cœur battant la chamade, tu sens tes jambes qui commencent à te lâcher. Vos assaillants n’en démordent pas et le chemin te paraît d’un coup beaucoup plus long et fastidieux qu’à l’aller. « Ils sont tenaces ! » penses-tu tout haut dans ta course effrénée. De temps en temps, Luffy, Sanji et Zoro se retournent pour tenter de leur mettre des bâtons dans les roues mais rien n’y fait, ils sont trop nombreux et les Marines forment une muraille qui protège les habitants. Ce qui, d’après toi, n’est pas plus mal. Il ne faudrait pas qu’ils soient blessés par votre faute. Tu te demandes si les pirates, aussi malfamés soient-ils, ont un genre de code d’honneur qui défend de faire du mal à la population ? Bien que la réponse soit évidente à tes yeux, tu remarques chez l’équipage du Chapeau de Paille une sorte de retenue dans la puissance de leurs attaques. Tu ne les as jamais vus se battre auparavant, cependant il t’avait été suggéré par leur imposante présence qu’ils pouvaient être bien plus dangereux que ça… après tout ils t’ont sauvé la vie une fois, pourquoi voudraient-ils en prendre d’innocentes ? Ca se tient. Alors ils font partie des « gentils », comme qui dirait. Plus ou moins.

Vous arrivez enfin à sortir des ruelles et vous retrouvez sur le sentier de terre que vous avez emprunté à l’aller. Tu sens la pente douce tirer de plus en plus sur tes mollets douloureux. Quelle idée d’avoir voulu sortir te dégourdir les jambes en dépit de tes blessures encore fraîches ! Si tu avais su, tu serais restée sur le bateau à attendre sagement leur retour. Vous n’êtes à présent plus qu’à deux ou trois centaines de mètres mais tu es à bout de souffle. Entre la panique des balles qui sifflent au-dessus de ta tête et le sprint, ton cœur est sur le point d’exploser.


Alors que le navire est pratiquement à portée, tu entends entre les coups de feu l’un de tes camarades hurler quelque chose. Entre le vacarme environnant et la précipitation, tu as du mal à comprendre et jette des coups d’œil inquiets autour de toi. Law agrippe donc ton épaule pendant que les autres se resserrent, et Luffy entoure tout le monde de ses bras extensibles… quelque chose se prépare. Tu ne sais pas quoi, mais ça ne risque pas d’être un long fleuve tranquille.


« Room ! entends-tu, tout près de ton oreille. »


En un éclair, une bulle d’un bleu électrique vous englobe et s’étend jusqu’au navire. De nouveau, Trafalgar Law annonce :


« Shambles ! »


Rien n’a de sens pour toi dans ce qu’il dit. Tu peux traduire mais pas anticiper ce à quoi ça fait référence. Soudain, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, vous êtes happés par l’espace-temps. L’instant d’après, tu tombes à genoux sur la pelouse du Sunny dans l’incompréhension la plus totale… tu n’avais rien vu venir. D’ailleurs, tu n’as rien vu du tout ; tout ce que tu en soutires est une nausée et un trouble grandissants. Fébrile, tu te redresses et Trafalgar te tend la main. Tu l’attrapes volontiers, déséquilibrée par la manœuvre d’urgence de l’embarcation. C’est lui, ce doit être lui qui est à l’origine de ce qui vient de se passer ! D’abord il y a eu cette bulle bleue qui a grandi tout autour de vous après qu’il ait parlé et ensuite, il a recommencé et vous vous êtes tous retrouvés là… l’entre-deux t’échappe complètement, c’est à n’y rien comprendre ! À peine debout, Franky hurle quelque chose qui sonne comme « coude beurre » et le navire s’ébranle. Law, qui te maintenait déjà debout, te conseille de t’accrocher. Sans réfléchir, tu agrippes son bras juste avant que l’improbable ne se produise : une détonation retentit et c’est comme au décollage d’un avion. Le navire s’est envolé brusquement, créant derrière lui une vague immense. Avec la force de la propulsion, tu sens tout à coup tes organes remonter – ou descendre, tu ne sais pas trop, souvenir vestige des manèges à sensation. Tu resserres ton étreinte autour du bras de cet homme qui t’effraie encore malgré tout, lui-même étant cramponné à la rambarde. Le vent fouette ton visage et tu te sens un peu comme un chien à la fenêtre d’une voiture. Lui fait partie de ces personnes qui réussissent à garder leur calme et leur sérieux en toutes circonstances. Pas toi. Tu pousses un long cri de détresse solitaire déformé par les turbulences. Les autres, contrairement à toi, ont plutôt l’air de s’amuser. Puis, le navire se stabilise et plane sur de longs mètres. Tu en profites pour jeter un œil timide à la mer à travers les barreaux, quelques mètres plus bas : mieux vaut ne pas tomber !

Toujours agrippée aux vêtements de Law, peu rassurée par votre nouvelle situation, tu regardes prudemment autour de toi. Luffy se trouve sur le mât, plus guilleret que jamais, poussant des cris de joie et s’extasiant de la vue. La plupart de ses amis ont eux aussi le sourire, hormis Usopp et Chopper à qui le voyage profite autant qu’à toi, c’est-à-dire : pas du tout ! Comment les autres peuvent-ils rire dans un moment si critique ? Il y a deux minutes vous étiez pourchassés par des hommes et des femmes armés jusqu’aux dents et à présent, vous volez dans les airs à bord d’un bateau et ce depuis un bon bout de temps. Ou bien ne sont-ce que quelques secondes qui te paraissent une éternité ? Quoi qu’il en soit, tu te demandes bien grâce à quel sortilège tout ceci devient possible. Puis, petit à petit, la vitesse décline considérablement jusqu’à ce que tout soit presque immobile. Tu ne saisis pas bien tout ce qui est en train de se dérouler mais quelque part, ça a quelque chose d’enchanteur.


Tu ne tardes pas à comprendre cependant car déjà la descente s’amorce ; la pesanteur opère et le charme invraisemblable de l’événement s’estompe. Le navire, qui avait pris de la hauteur, entame sa lente et inéluctable chute. Tu te colles un peu plus à Law, appréhendant la suite. Il fait de même avec la rambarde, ne s’occupant pas plus de toi. Ton estomac remonte tant qu’il te semble être dans ton œsophage, rendant ton souffle court. Pendant tes quelques secondes d’apesanteur tu revis l’horreur de ton arrivée en ce monde, haletante, mais ce n’est pas tant la chute qui t’inquiète… c’est l’atterrissage. Le souvenir de l’éclair traversant ton corps au contact de l’eau. La sensation d’être à l’étroit dans ta propre peau, incapable du moindre mouvement, privée d’oxygène. Tu ne veux pas revivre ça tout de suite. Pas du tout même, si possible. Tu as maintenant l’impression d’être dans un ascenseur qui dévale les étages d’un building à pleine vitesse, si bien que tes pieds se détachent du sol, te donnant l'impression de flotter au-dessus du pont. Bien assez pour te faire pâlir d’angoisse. Alors que tu fermes les yeux pour ne pas avoir à être la spectatrice de la perte de tes deux jambes, une main ferme vient enserrer tes épaules et t’évite de t’envoler. L’impact à l’arrivée te secoue plus encore qu’au décollage et déplace des trombes d’eau, fendant la mer en deux.

Vous voilà enfin hors de portée ! Le retour de bâton est rude : sans pouvoir retenir ta bile davantage tu te précipites vers la rambarde, abandonnant toute prise, et ton estomac rend à la mer tout ce qu’il lui a pris la veille. Il faut rendre à César ce qui est à César. Tu te retournes en titubant et t’excuse gauchement auprès de Law, qui sourit d’un air persifleur.


Une fois le choc passé, tout le monde se rassemble auprès du mât et ceux qui étaient restés à quai vous assaillent de questions. Vous vous empressez de leur raconter comment, au beau milieu du repas, Luffy a explosé de rage et a frappé un loubard si fort au visage qu’il a été propulsé sur le devant de la scène. Comment la Marine a rapidement débarqué et la manière des moins conventionnelles dont vous avez fui. Usopp se targue même d’avoir été fier tout du long, alors que tu te souviens clairement l’avoir entendu se déchirer les cordes vocales pendant la course poursuite. Son audace te tire un sourire. Quelques membres de l’équipage se sont déjà éloignés pour jeter un œil à la carte de votre prochaine destination : Sneak Peek, une île secrète du gouvernement sur laquelle seraient menées de troubles expériences et où tu as de moins en moins envie de mettre les pieds… même si à première vue, il y a encore du chemin à parcourir avant d’y arriver. En effet, quelques îles vous séparent toujours de votre but et il semblerait que vous allez passer les prochains jours en mer…



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