Transcendance

Chapitre 11 : ENYA

4066 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/01/2024 12:06

À sa grande consternation, Enya ne réussit pas totalement à masquer sa surprise. Il devait y avoir erreur, elle avait mal entendu. Puis l’onde de choc balaya ses pensées et elle n’arriva plus à se raccrocher au moindre fil de rationalité.

Le reste des explications se déroula comme dans un rêve : Chris Grailingstream avait eu la brillante idée de vouloir retourner chez lui dans l’espoir que cela arrêterait la guerre, et Abigail Hadley approuvait. Évidemment... Il fallait être aveugle pour ne pas se rendre que la sœur de Luke avait un faible pour Chris, à la manière dont elle se tenait proche de lui et dont ses épaules étaient tendues.

 Enya se demanda alors pourquoi c’était à elle de prononcer l’argument que tout le monde aurait déjà dû évoquer:

— Chris, ton père sait ce que tu as fait, même si la version officielle est que nous t’avons enlevé et lavé le cerveau. Il te forcera à dire tout ce que tu as appris ici. Tu n’espères quand même pas le convaincre de renoncer à la guerre? Parce que c’est impossible! Il ne fera jamais la paix! Pas avant d’avoir fait main basse sur la Grande-Bretagne.

— Enya, souffla Hayden en lui pressant le poignet.

C’était un avertissement. De sa part, il signifiait quelque chose comme: « Je ne sais pas ce qui te prend, mais reste diplomatique. » Rebecca Dawson ne dit rien, se contentant d’écouter l’échange comme une simple spectatrice. Quant à Chris, il semblait ébranlé.

-    Tu oublies la Réserve, bredouilla-t-il. Et je ne suis pas un idiot. Je connais mon père mieux que toi. J’espérais qu’il avait au moins un peu d’honneur, mais je me suis trompé… Tout ce qu’il faut, c’est de la persuasion douée pour le forcer à arrêter la guerre. Certains de ses conseillers sont plus raisonnables, ils prendront le relais.

Incapable d’en entendre davantage, Enya inspira brusquement. Elle desserra machinalement les poings, qu’elle ne se souvenait pas avoir serrés. Pourquoi Rebecca Dawson n’intervenait-elle pas? Celle-ci devait bien voir que c’était de la folie. Chris profita de son avantage:

— Tu es contre à cause de ce qui est passé avec…

— Je ne veux pas en parler, dit-elle d’un ton si dur que Chris recula.

La chancelière ad interim prit enfin la parole, regardant Enya avec autorité:

— Vous refaites un débat qui a déjà eu lieu ici, entre ce jeune homme et moi. Je ne m’attends pas à ce que vous compreniez une situation dont vous n’avez ni les tenants, ni les aboutissants. Sachez simplement que nous sommes pied au mur et que nous devons jouer toutes nos cartes, quelles qu’elles soient. Nous n’avons plus le luxe d’hésiter.

— Mais pourquoi moi? contre-attaqua immédiatement Enya.

Elle sentit le poids du regard d’Hayden sur sa nuque, qui devait se poser exactement la même question.

— Vous connaissez bien les Grailingstream. Je m’étonne de votre question, on m’a loué votre intelligence et votre sens de la stratégie.

Enya fit un effort surhumain pour ne pas fusiller Chris du regard. Il avait bien sûr déballé son passé, elle aurait été idiote de penser qu’il ne le ferait pas.

— Gardez donc vos arguments, miss Stürner. Vous devriez être honorée de la confiance que vous accorde le gouvernement de transition.

Puis Rebecca Dawson récapitula le plan dont ils venaient manifestement de jeter les bases. L’idée était de localiser Spencer Grailingstream et d’arriver jusqu’à lui, avant d’appeler leur mystérieux sauveur Doué. Lorsque Enya demanda pourquoi on se fiait à elle, la chancelière ad interim prononça simplement le nom de Gavar. C’était un peu le mot magique : manifestement, se faire sonder l’esprit avec le Don garantissait que vous étiez digne de confiance.

Ce fut la dernière objection, parce qu’un brouhaha éclata, si sonore que tous le perçurent malgré la porte fermée.

Cela ne pouvait signifier qu’une chose.

Luke était arrivé.

Enya aurait pensé que les soldats qui gardaient l’entrée conduiraient discrètement le jeune homme jusqu’à Rebecca Dawson, mais celui-ci avait dû leur brûler la politesse. Alors que la présidente ad interim se précipitait dehors, quelques éclats de parole, plus distincts, leur parvinrent. Le nom d’Alexis Jones n’arrêtait pas de revenir - sûrement le prénom d’emprunt que Luke avait dû choisir. Pourvu qu’il ait pensé à s’imaginer un passé solide, histoire de rester crédible.

Alors qu’elle jouait des coudes pour atteindre un réfectoire surpeuplé, Enya aperçut enfin Luke derrière une forêt de têtes. Il avait gardé sa fausse apparence et semblait épuisé, mais loin de l’état d’abattement de tout à l’heure. Aucune trace de sang ou de blessure. Par contre, son air de surprise gênée indiquait qu’il ne semblait pas s’attendre à un tel accueil, et il jetait des coups d’œils dans tous les sens, au cas où il aurait pu disparaître dans un trou de souris. Les gens continuaient à affluer, puis quelqu’un commença à taper ses mains l’une contre l’autre et bientôt, toute la salle éclata en applaudissement et en vivats. Luke parut déconcerté, avant de grimacer un sourire incertain.

Il finit par être sauvé par Rebecca Dawson. La présidente ad interim ordonna à tout le monde de regagner son poste, et même s’il y eut quelques grommellements, les gens finirent par obéir. Luke fut escorté jusqu’à son bureau, tandis qu’un soldat ramenait Enya et Hayden dans la pièce où ils avaient dû patienter.

 

Évidemment, Hayden prit immédiatement la parole. Un flot de phrases submergèrent Enya, qui se retint de lever les yeux au ciel. Elle n’allait pas s’enfuir, même si l’idée de remettre les pieds aux États-Confédérés la hérissait. Reste qu’elle n’était pas stupide : au vu des bribes d’informations qu’elle avait rassemblées, la situation de la Grande-Bretagne avait effectivement l’air désespérée et elle ne pouvait pas l’abandonner à son sort. Croire que persuader Spencer Grailingstream résoudrait tout, comme un coup de baguette magique, était naïf, car le président devait bien s’attendre à ce genre de manœuvre. Mais il y avait peut-être une chance, une infime chance pour que la stratégie fonctionne ou déstabilise les rouages confédérés, et dans ce cas, la balance pencherait en faveur de la Grande-Bretagne.  Ça valait la peine d’essayer. 

Une éternité plus tard, un soldat arriva. Enya serra Hayden dans ses bras, qui resterait sur place afin d’aider les Britanniques grâce à son médaillon au pouvoir d’invisibilité, puis elle suivit le militaire, les yeux bandés.

Des échelons sous ses doigts. Un vent frais, qui fit voler ses longs cheveux bruns. Un sol mou. Aucune clarté aveuglante, juste du noir, ce qui indiquait que la nuit devait être tombée. Puis Enya sentit que quelqu’un la prenait par le coude pour guider. Quand on ôta son bandeau, elle s’aperçut qu’elle se trouvait dans une maisonnette en bois, face à face avec Luke/Alexis et cinq soldats.

Elle fit un signe au jeune homme pour savoir s’il allait bien, et il répondit d’un discret hochement de tête, avant de lancer aux autres:

— Vous allez accompagner Enya et Chris, c'est ça?

L’un d’eux le regarda d’un air hautain, mais ses paroles restèrent respectueuses:

— Ce sont les ordres. Vous ne vous imaginez quand même pas que la chancelière les enverrait seuls ?

C’était logique, Enya s’y attendait depuis qu’on lui avait annoncé sa mission. Elle savait d’expérience que protester ne servirait à rien, alors elle accepta le sac à dos qu’on lui tendait et en inspecta rapidement le contenu: il y avait des pistolets, des cordes, des grappins, une lampe de poche, de l’argent, un objet qui lui servirait à crocheter les serrures et à désactiver des alarmes. Puis elle repensa aux mots « la chancelière », ce qui supposait que le général Dave Russel, chef de l’armée britannique, ne savait rien de leur mission. Une information qui n’augurait rien de bon: à une période pareille, les pouvoirs politiques et militaires ne pouvaient pas être désunis, mais connaissant Rebecca Dawson, Enya se demanda quel genre de brute épaisse pouvait être le général.

Elle s’aperçut que Luke lui faisait un signe de la tête, pour lui parler à l’écart:

-    Je vais créer un lien entre nous, comme Silyen l’avait fait pour moi. Je saurai tout de suite s’il t’arrive quelque chose. En quelque sorte, je sentirai tes émotions, chuchota-t-il avec une assurance étonnante.

— Tu en as créé avec d’autres personnes? répondit Enya à voix tout aussi basse.

— Euh… Oui. Ma mère, Abi. Il y aura aussi Daisy.

— Alors, tu en as déjà assez. Tu vas avoir du mal à les gérer.

— Il vaut peut-être mieux que je vienne avec vous…

— Non, fit Enya, en essayant de ne pas montrer à quel point elle aurait aimé pouvoir répondre l’inverse. Sans toi, la Grande-Bretagne ne tiendra pas un jour de plus. Et il ne faut que pas les Confédérés sachent que tu existes. Pour le moment, ils pensent que plusieurs Doués nous aident, ce qui nous donne un avantage. Tu dois nous faire gagner du temps. (Elle désigna son sac à dos.) Et ne t’inquiète pas, on m’a donné quelques jouets intéressants.

— Fais quand même attention à toi.

Elle rit:

— Dire qu’il y a deux mois, tu m’accusais de vouloir t’étrangler ! Mais par contre, pour le lien, j’ai une idée…

Elle la souffla à l’oreille de Luke, qui acquiesça. Deux minutes plus tard, le tour était joué.

Chris arriva à son tour, les yeux bandés.

Dès qu’il aperçut Luke, le jeune homme demanda à lui parler. Etrange, songea Enya en regardant les deux garçons s’éloigner dans la forêt. Que pouvait bien vouloir Chris? Il ne connaissait pas particulièrement Luke…

Quand ils revinrent, leur expression était indéchiffrable. Puis tout alla très vite. Comme mus par un ordre invisible, tous les soldats partirent, excepté les deux qui les accompagneraient, Max et Nils. Luke posa ensuite trois doigts sur la tempe de Chris, comme s’il allait se pencher vers lui pour l’embrasser, impression encore confortée par ses paupières closes, mais Enya savait parfaitement ce qu’il était en train de faire: il sondait son esprit, à la recherche de leur lieu de destination.

Plusieurs secondes s’écoulèrent, mortellement silencieuses. Soudain, l’air parut vibrer, comme si la température était soudainement montée de dix degrés. Les yeux écarquillés, les soldats virent surgir une porte de nulle part. Ils furent encore plus impressionnés lorsqu’ils aperçurent de l’autre côté un buisson de roses, et au-delà, une demeure immaculée. Sa façade contrastait de manière féerique avec le gazon sombre, renvoyant la lueur des rares étoiles visibles dans le ciel.

Grâce aux explications de Chris, Luke réussit à déclencher à distance les capteurs infrarouges et les alarmes douées dont les jardins étaient truffés. Il enveloppa Enya, Chris, Max et Nils d’un voile d’invisibilité qui se dissiperait sur une simple impulsion douée. Puis Enya reporta son attention sur la porte et sur le fin maillage doré qui la barrait. Comme autrefois pour les Jardine à Kynestone, la barrière reconnut le sang Grailingstream et les laissa passer.

Ça y était, en un battement de cœur, ils venaient de changer de pays.

Tout ça pour se retrouver au cœur du territoire ennemi.

Au pied de la Maison-Blanche.

 

Alors que la porte se refermait, tous s’accroupirent. Une odeur de pelouse bien entretenue titilla les narines d’Enya, qui resserra les pans de son blouson noir en cuir autour d’elle. La température était légèrement plus fraîche à Washington que dans la campagne britannique.

Elle ferma les yeux et envoya sa conscience sonder les environs. Aucun danger dans l’immédiat, ce qui était étrange. Des tireurs d’élite et des gardes doués auraient dû être postés sur le toit, des employés de la sécurité auraient dû faire des rondes… Elle n’aimait pas ça. Son malaise s’accrut lorsque Chris, aussi silencieux qu’une ombre, courut en direction de l’annexe abritant une énorme piscine enterrée. À l’origine, l’édifice était à ciel ouvert, mais le service de sécurité de la Maison-Blanche avait obtenu qu’elle soit pourvue d’un toit et de murs. Depuis, un passage reliait directement le lieu au rez-de-chaussée de l’aile ouest.

- Hé! Prévenez-nous avant de courir comme ça, siffla un des deux soldats - Nils, à moins que ça ne soit Max ? – quand ils les rejoignirent.

Chris eut un drôle de regard.

Puis il sprinta jusqu’au parc, grimpa à un arbre, aussi agile qu’un écureuil. Non, mais qu’est-ce qu’il foutait! Nils (ou Max ?) poussa un juron étouffé et Enya faillit l’imiter. Heureusement, Chris revint aussi vite qu’il était parti. Sa main était serrée autour de quelque chose - une sorte de pierre précieuse.

— Désolé, lâcha-t-il. Fallait que je récupère ça.

Enya ravala tous ses questions et ses reproches bien sentis, consciente qu’ils devaient rester focalisés sur la mission. Elle laissa Chris l’aider à franchir la barrière douée qui protégeait l’annexe avant de poser un doigt sur ses lèvres. Elle tira alors un petit appareil de son sac à dos, le posa sur la porte, l’enclencha et attendit. Bingo. Les alarmes, de l’autre côté, s’éteignirent. La voie était libre.

À la vue de la piscine, Enya eut un choc. Les grandes fenêtres en verre blindé, le dallage qui courait le long des murs, éclairé par la lumière laiteuse de la lune, la projetèrent des années en arrière. Dire qu’elle s’était promis de ne jamais revenir là! La tristesse mêlée de colère perdurèrent, alors qu'elle s'efforçait de brutalement chasser ses souvenirs.

La Maison-Blanche restait cet immuable mélange de luxe et de confort arrogant, un symbole de la suprématie de la famille présidentielle sur le peuple confédéré. Des lustres pendaient à chaque plafond, de lourds rideaux encadraient chaque fenêtre et un ameublement boisé paradait dans chaque pièce. Tout était parfaitement rangé, à croire qu’il s’agissait d’un musée et non d’appartements privés.

  Le trajet fut facile, trop facile. Certes, tout comme Chris, Enya connaissait bien la demeure et savait où se situaient les caméras, les capteurs, et elle repérait les vigiles en projetant sa conscience, à la manière rawena, à chaque nouvelle salle qu’ils traversaient, mais… quelque chose clochait. Cependant, elle ne pouvait pas annuler la mission à cause d’une simple intuition.

Ils s’arrêtèrent dans une des cent trente chambres du bâtiment, après avoir passé un nouveau portail doué.

— Mon père dort dans la pièce d’à côté, souffla Chris en regardant nerveusement devant lui. Mais il devrait y avoir un garde, ce n’est pas normal.

Enya avait déjà envoyé sa conscience en reconnaissance.

— Il n’y a personne dans la chambre, voilà pourquoi.

Ils s’y rendirent avec mille précautions, pour se rendre compte qu’elle avait raison. Plus inquiétant, le lit était parfaitement fait et les penderies vides. Il n’y avait aucun objet personnel, comme si personne n’avait jamais dormi là. 

— Il est parti, murmura Chris.

  Ce fut exactement la même chose dans la chambre d’Axel Grailingstream, le frère de Chris. La seule différence étaient les posters et une bibliothèque bien fournie. Enya laissa son regard errer sur les rangées de coupes de rugby négligemment posées sur une étagère et sentit son cœur se serrer.

  Chris quitta alors la pièce d’un pas vif et, avant que quiconque ait pu l’en empêcher, il s’engouffra dans un couloir aux murs ornés de peintures navales.

— Qu’est-ce que tu fiches? siffla Enya en le rattrapant.

Sans lui répondre, Chris indiqua le capteur installé sur le montant de la porte d’en face.

— Il faut que tu désactives ça.

— Explique-moi d’abord pourquoi.

— Zachary dort dans cette chambre. C’était mon précepteur et il m’a quasiment élevé. Si quelqu’un sait où est mon père, c’est lui.

— Il va donner l’alerte! Tu es devenu un traître, Chris!

Le jeune homme avait le souffle court et parut sur le point de s’incliner, mais serra les poings :

— J’ai confiance en lui, il ne m’a jamais dénoncé, même quand j’ai fait les pires bêtises possibles.

— C’était il y a longtemps et il s’agissait de simples enfantillages, Chris.

Sauf que le jeune homme posa la main sur la poignée. Il allait délibérément les faire repérer, alors Enya n’eut pas le choix. Son appareil désactiva le capteur.

Un homme au visage jovial et aux cheveux gris dormait dans un grand lit, enroulé comme une chenille dans sa couverture. Redevenant visible, Chris se pencha à côté de lui, envoya une étincelle de Don pour le réveiller. Puis il dit très vite, en lui plaquant la main sur la bouche.

— M. Nicholson, c’est moi, Chris. N’ayez pas peur.

L’homme les regarda avec des yeux ronds. Puis il hocha lentement la tête. Alors, Chris enleva sa main:

— Par les étincelles du Don! Qu’est-ce que tu fabriques ici? Nous te croyions tous en Grande-Bretagne…

— Je vous expliquerai plus tard. Le temps presse. Savez-vous où est ma famille?

— Ta famille? répéta Zachary Nicholson.

Il se redressa, tâtonna sur sa table de nuit, poussant involontairement un cadre photo, et trouva l’interrupteur de sa lampe de chevet.

— Mon père et mon frère, insista Chris.

— Laisse-moi m’habiller et je t’expliquerai tout. Va au salon bleu, fit le vieil homme en chaussant des lunettes aux verres épais.

Toujours invisible, Enya avait tous les muscles tendus. Le ton du vieil homme était joyeux, rassurant, alors que son front dégoulinait de sueur. Elle ne pouvait pas voir ses mains, mais elle était sûre qu’elles tremblaient. Elle aurait voulu que Chris lui fasse cracher le morceau, tant qu’il en avait l’occasion, sauf que celui-ci, après une hésitation, sortit dans le couloir pour suivre les consignes.

— Nous devons partir. Maintenant, chuchota-t-elle. Quelque chose…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase. Elle sentit soudain une gigantesque quantité de Don qui avançait dans leur direction. Les gardes doués! Puis elle se traita d’idiote en revoyant Zachary Nicholson déplacer le cadre sur sa table de nuit. Ce simple geste devait avoir déclenché une alarme.

— Courez! cria-t-elle.

Un mur de vent faillit les percuter, mais Chris l’arrêta grâce à une violente bourrasque. Il s’élança derrière Enya, Max et Nils.

Un battement de cœur. Dix employés de la sécurité, manifestement Doués, étaient à leurs trousses. Deux battements de cœur. Leurs poursuivants décochèrent des sphères métalliques qui roulèrent dans le couloir. Trois battements de cœur. Les objets les encerclèrent et de minces rayons dorés en surgirent. Ceux-ci s’entrecroisèrent jusqu’à former un filet.

Chris réagit aussitôt. Ses bourrasques envoyèrent voltiger trois des sphères, et une brèche apparut dans le maillage doué. Il sauta à travers, Enya, Nils et le Max sur ses talons. Enya sentit alors des objets qui arrivaient à grande vitesse, déploya son bouclier juste à temps: une nuée de fléchettes rebondirent dessus.

Leurs poursuivants se figèrent: ils devaient avoir l’impression que la sphère bleue surgissait de nulle part, comme Enya était toujours invisible. Cette seconde de répit permit à la jeune fille de se repérer. Ils se trouvaient dans un des salons.

— Non! Pas par là! hurla Chris, alors qu’elle tournait à droite.

Mais il était trop tard pour reculer, d’autant plus qu’une escouade de garde arrivait par un autre couloir. Enya s’élança droit en avant. Le danger surgit sans crier gare, discret et insidieux. Le plafond coulissa, libérant une substance gluante et translucide, parcourue de zébrures de Don qui palpitait. La jeune fille eut juste le temps de réaliser que son bouclier n’était pas de taille, parce que cette chose allait les coller sur le sol comme une toile d’araignée. Nils cria, derrière eux, avant de se taire abruptement.

Enya s’apprêtait à propulser Chris le plus loin possible, espérant le mettre hors de portée, quand celui-ci arrêta de repousser le mur d’air créé par leurs assaillants. Tous deux furent soufflés à travers le couloir à la vitesse d’un boulet de canon et percutèrent une porte qui se brisa sous l’impact. Une alarme déchira aussitôt l’air. À moitié sonnée, Enya gémit et se força à se redresser, ignorant la douleur qui lui vrillait les côtes. Heureusement que son bouclier était toujours déployé, parce que sans lui, ça aurait été bien pire. Chris, à côté d’elle, semblait entier. Vite, se sortir de ce guêpier ! Mais comment? Prenant quelques précieuses secondes pour s’orienter à nouveau, elle s’aperçut que les fenêtres donnaient sur l’extérieur. Sans perdre plus de temps, elle matérialisa sa ceinture Rawena et dégaina un mince poignard bardé de gadgets. Activa une fonction. Les fenêtres étaient peut-être protégées par le Don, mais pas les murs.

Quelque chose parut soudain bizarre, une senteur, dans l’air. Du gaz! Leurs ennemis étaient en train de remplir la pièce de gaz, réalisa Enya - et son bouclier ne les protégerait pas. Sa main trembla, son poignard tomba, tandis que Chris luttait pour ne pas s’évanouir. La jeune fille serra les dents, ramassa sa lame, alors que des vertiges de plus en plus violents l’assaillaient. Allez. Poser le poignard dans le mur, l’enfoncer, tourner. Elle songea à Nils et Max, mais sa priorité était de sortir d’ici, avec Chris. Elle faillit défaillir quand le bout de mur découpé tomba de l’autre côté, sur le gazon, avec un bruit sourd. L’air frais lui fit du bien, mais n’était pas suffisant, elle avait déjà respiré trop de gaz. D’énormes papillons noirs dansèrent devant ses paupières tandis qu’elle saisissait Chris par la peau du cou, le projetait à travers l’ouverture. Puis les papillons devinrent si grands qu’ils remplirent tout son champ de vision. Les odeurs, la lumière, tout s’évanouit.





Note de l'autrice: J'ai aimé écrire la scène d'action et imaginer les armes douées confédérées. En ce qui concerne la Maison-Blanche, je me suis documentée grâce à la série.. House of Cards, si vous connaissez?^^ Quant à la raison pour laquelle Enya est aussi mal à l'aise... L'explication viendra ;) Petit teasing: dans le chapitre d'après, Luke fera une expérience merveilleuse.

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