Premier sang

Chapitre 1 : Premier sang

Chapitre final

5607 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/05/2024 22:45


Xerath – Langue de vipère

Debout devant un livre ouvert sur un pupitre, Xerath psalmodiait des paroles dans une langue ancienne. Au creux de sa main crépitait une boule d’énergie bleutée.

Bien que le prince héritier Azir le considère comme son ami et qu’il le laisse jouir d’une certaine liberté d’action, il n’en demeurait pas moins un esclave aux yeux de tous et sa tenue en témoignait : une simple tunique couleur crème qui contrastait avec sa peau tannée par le soleil. Même s’il passait désormais le plus clair de son temps en intérieur, le nez dans des livres, avalant le savoir.

Après avoir écumé la Grande Bibliothèque de Nasus, il s’était tourné vers des bibliothèques oubliées ou interdites qui s’étaient révélées bien plus instructives. Il y avait appris des langues mortes et une maîtrise des arcanes. Il débutait encore dans sa pratique mais il s’entraînait chaque jour à plier les choses à sa volonté. Et il avait une cible toute trouvée pour son prochain apprentissage : Inaya.

Le fait qu’un esclave tel que lui puisse avoir la moindre importance auprès du prince héritier faisait jaser la cour. Les rumeurs allaient bon train, et les médisances et autres diffamations sur le prince mal aimé circulaient comme des traînées de poudre. Qu’ils soient maudits. Azir était leur futur empereur, ils lui devaient le respect.

En tant qu’ami, Xerath soutenait Azir de tout son cœur, en tant que bras droit, il lui était dévoué, déterminé à le faire monter sur le trône, place qui lui revenait de droit. Et en tant qu’esclave, il donnait toute son âme dans le seul moyen qui lui permettrait un jour d’être affranchi.

Toutes les rumeurs proférées à l’encontre d’Azir et Xerath trouvaient leur source chez Inaya, cette langue de vipère. Il allait la faire taire.

Dans une langue oubliée, il formula une malédiction funeste à son encontre durant une heure entière. Il renouvela l’opération chaque matin jusqu’au jour où, au court d’un repas qu’ils partageaient tous les deux, Azir lui apprit la mort d’Inaya. Xerath ne frémit pas le moins du monde à cette annonce. Le seul sentiment qui l’emplit à ce moment-là fut la satisfaction d’apprendre que ses sortilèges avaient fonctionné.

– Personne ne sait ce qui lui est arrivé, expliqua Azir. Elle était jeune et en bonne santé. Elle ne porte aucune marque d’agression. Sa mort est un mystère mais j’ai mon avis sur la question. Inaya était une vipère, sans doute s’est-elle mordue la langue et empoisonnée elle-même.

– Le sort fait bien les choses, répondit Xerath en restant évasif.

Il n’avait pas fait part de ses activités à Azir. Il assurait ses arrières dans l’ombre. Mais Azir n’était pas idiot. Il lui répondit d’un regard entendu.

– En effet.

Enhardi par l’approbation tacite de son ami et par la réussite de son entreprise, Xerath n’en fut que plus déterminé. Il s’en prendrait à tous ceux qui se mettraient en travers de leur chemin.



Karthus – La vie après la mort

Karthus baissa les yeux pour admirer encore une fois sa nouvelle apparence. Ses membres n’étaient plus que des os recouverts d’une peau grisâtre, dépourvus de la moindre trace de chair. Il était devenu si léger que ses pieds flottaient à quelques centimètres du sol.

Ce que les Îles obscures lui avaient offert dépassait de loin ses plus folles espérances. Une existence au-delà de la vie et de la mort. Une vie libérée des contraintes de la chair et de la fragilité de la mortalité. Une mort qui conservait ses sens et ses capacités de vivant. Un parfait équilibre. Et l’éternité devant lui pour en profiter.

Il se devait de partager cette révélation au plus grand nombre. C’était ce pour quoi il était venu au monde. Sans perdre un instant de plus, il se dirigea vers la côte rocailleuse où il avait atterri. Devant lui s’étendait l’immensité de l’océan d’encre où se reflétaient les éclats d’argent de la lune. Il s’y avança, et tout comme il avait flotté au-dessus du sol, il lévitait maintenant au-dessus des vagues. Le pêcheur qui l’avait mené jusqu’ici ne devait pas avoir eu le temps d’aller bien loin, il pourrait le rattraper aisément. Ce fut le cas. Il retrouva son bateau au milieu des vagues. Les traits du pêcheur se déformèrent quand il aperçu le spectre qui le pourchassait. Il tomba aussitôt à genoux, mains jointes.

– Ne me faites pas de mal, gémit-il. Laissez-moi en paix, je vous en prie.

Karthus le regarda comme s’il venait de dire la pire des inepties.

– Te faire du mal ? Bien sûr que non. Je vais te libérer.

Il tendit ses doigts noueux et une boule d’énergie verdâtre apparut au niveau du cœur du pêcheur. Celui-ci y porta ses mains par réflexe. Karthus ouvrit le trou béant qui lui servait de bouche et, de sa voix gutturale, il entonna un chant. Un chant funèbre pour la paix de l’âme. Il referma le poing, le cœur du vivant cessa de battre et son corps retomba lourdement sur le pont de son navire. Son âme elle, simple forme éthérée, s’éleva doucement de son ancienne enveloppe mortelle. Il était libre. Libéré de ses souffrances, libéré de ses dettes et contraintes matérielles, libéré de ses besoins les plus basiques et primaires, libéré des effets du rhum qui imbibait ses veines, et du désir même qu’il avait de s’en anesthésier. Comme Karthus, il découvrait les joies de la non-mort.

Ceci fait, Karthus reprit sa route par-delà l’océan. Le pêcheur n’était que le premier. Il en avait encore tant d’autre à libérer.



Singed – Transmutation

Singed appuya sur le piston de sa seringue pour en faire sortir les bulles d’air et s’approcha de l’homme allongé sur sa table de travail. Ses cheveux étaient sales et mal taillés et une épaisse barbe lui mangeait le visage. Singed lui avait retiré son haut pour plus de commodité, et avait attaché solidement ses chevilles et poignets. Pour l’instant les substances dont il avait sans aucun doute abusé l’avaient plongé dans un profond état d’inconscience, mais il n’allait pas tarder à se réveiller et alors ses liens ne seraient pas de trop. Singed savait que ses traitements pouvaient être difficile à supporter. Il repéra une veine bien marquée sur le bras de son cobaye, y inséra son aiguille et y déversa son produit.

L’effet se fit immédiatement sentir. L’homme ouvrit les yeux en hurlant et son corps s’arqua, tentant vainement de se défaire de ses entraves.

– Endure la douleur, dit Singed. Supporte la. Elle sert un grand dessein.

Il n’avait pas pour habitude de parler à ses cobayes, s’étant toujours contenté jusque là de rats ou autres bestioles qu’il pouvait trouver dans les tréfonds de Zaun. Mais ce jour-là, il était tombé sur ce drogué inconscient et y avait vu une opportunité intéressante. S’il avait pu faire de précieuses découvertes sur ses cobayes animaux, le corps humain leur était largement supérieur et d’autant plus passionnant.

Singed sortit un calepin et nota consciencieusement les symptômes qu’il observait. Une contraction des muscles. Une écume qui s’échappait de sa bouche. Des yeux injectés de sang. Et une puissante douleur, à en juger par les hurlements qu’il poussait sans discontinuer. Singed le laissait faire. Son laboratoire se trouvait dans un coin suffisamment isolé pour que cela n’attire l’attention de personne, et les cris étaient une réaction de l’organisme comme une autre, à prendre tout autant en considération pour ses observations.

Le fait, malgré ses nombreuses recherches et connaissances, de toujours faire face à l’incertitude de la réaction d’un corps vivant à une substance le fascinait. Ces imbéciles de l’académie de Piltover ne juraient que par la magie et l’Hextech, alors que la seule véritable création digne d’intérêt était la vie en elle-même.

Pourtant, malgré son incroyable complexité, le corps humain demeurait faible et limité. Et cela, Singed ne pouvait le concevoir. Il savait qu’il pouvait trouver le moyen de dépasser ces limites, pour réveiller la vie à son plein potentiel.

Les soubresauts de son cobaye commencèrent à se faire moins violents et ses cris se muèrent en râles d’agonie. Sa tête bascula sur le côté, une larme s’échappa du coin de son œil et il rendit son dernier souffle.

Singed nota « décès » sur son calepin en bas de la page. Son organisme n’avait pas été assez résistant pour supporter la transmutation que lui offrait Singed. Il n’avait plus qu’à se débarrasser de ce qui était devenue de la chair inerte sans intérêt. Et à trouver un nouveau cobaye.



Graves – Pourboire

La nuit tombait sur Bilgewater mais l’agitation perpétuelle de cette ville ne s’atténuait pas pour autant. L’activité grouillante des quais se reportait sur les tavernes où les ivrognes se noyaient dans l’alcool pendant des heures. Des chants émis par des voix éméchées s'élevaient des constructions de bois et, de temps à autre, des coups de feu de règlement de compte résonnaient dans les quartiers.

Ce n’était que bien après le coucher du soleil que les lumières de la ville s'éteignaient finalement et qu’un calme éphémère s’abattait sur Bilgewater. Dans peu de temps, les marins les plus matinaux se mettraient au travail et l’activité reprendrait de plus belle.

En attendant, la ville était endormie tout comme ses habitants. A quelques exceptions près, dont le jeune Graves qui avait été embauché pour assurer la surveillance d’un des entrepôts des quais. Ce n’était pas un job palpitant, loin de là. Il passait le plus clair de son temps à s’ennuyer ferme et à lutter contre le sommeil, mais il appréciait de découvrir cette nouvelle facette de sa ville. Et ça payait. Ça payait mal, mais c’était déjà ça.

Il était en train de tuer le temps en pensant à la façon dont il dépenserait son salaire, quand un mouvement furtif attira son attention. Il plissa les yeux. Même si sa vision s’était acclimatée à l’obscurité, les ombres qui recouvraient les quais se ressemblaient toutes. En alerte, Graves se focalisa sur son audition. Outre le clapotis des vaguelettes et le couinement du bois qui travaille, il perçut un bruit. Un bruit qu’il connaissait on ne peut mieux. Le claquement de la sécurité d’un revolver. Graves plongea à couvert et la balle qui lui était destiné frôla le haut de son crâne.

Dissimulé derrière une grosse caisse, Graves haletait. L’adrénaline s’emparait de lui, aiguisant ses sens, poussant le fonctionnement de son cerveau au maximum. Son cœur tambourinait, pulsant son sang dans ses membres. Et un sourire s’affichait sur ses lèvres.

Il faisait face à une menace mortelle, mais il ne se sentait jamais aussi vivant que lorsqu’il était en danger. Cet état décuplait ses capacités. C’était grisant. Comme lorsqu’il se faisait prendre la main dans le sac en train de voler et qu’il devait fuir pour sa vie. Sauf que cette fois, il ne pouvait pas fuir. Son salaire en dépendait.

Il arracha une grenade fumigène de sa ceinture, en retira la goupille et la lança. Vingt mètres sur sa droite. Il avait exactement quatre seconde avant que la fumée ne se dissipe. Sans même s’assurer que cela avait fonctionné, Graves arma son fusil, sortit de sa cachette et pointa son arme vers l’écran de fumée qui commençait tout juste à s’éclaircir. Graves aperçut son adversaire avant même que celui-ci n’ait eu le temps de comprendre ce qu’il se passait.

Graves s’entraînait à tirer depuis qu’il avait six ans. Il savait viser. Il appuya sur la gâchette et sa balle atteignit sa cible en plein cœur.

Il poussa un long soupir tandis que son rythme cardiaque revenait à la normale.

Il porta sa main à la réserve de cigare qu’il avait piqué à un marchand shurimien deux jours plus tôt. Il en avait grillé un, par curiosité, sans vraiment apprécier l’expérience, ni en comprendre l’intérêt. Pourtant, dans l’immédiat, alors que l’adrénaline refluait, il ressentait l’inexplicable et impétueux besoin de fumer. Il alluma un cigare et en aspira une grande bouffée de fumée qui envahit ses poumons.

Il s’approcha alors de sa victime. Ses yeux et sa bouche demeuraient ouverts, et le sang qui se déversait de sa plaie se répandait autour de son corps et imbibait les lattes de bois du quai. Graves se pencha pour fouiller ses poches et y trouva quatre serpents d’argent. Son pourboire.



Sivir – Le prix du sang

Le jour se levait à peine et le campement était silencieux. Tandis que les autres occupants étaient encore plongés en plein sommeil, Sivir s'attelait déjà à la corvée de pluches. En tant que plus jeune et plus récente recrue, c’était à elle que revenaient beaucoup des tâches ingrates, dont elle se chargeait sans se plaindre. Tout plutôt que de retourner survivre de petit larcins, la faim au ventre.

La cheffe de la troupe de mercenaire, Iha Ziharo, tout aussi matinale, sortit de sa tente. Comme tout le monde à Shurima, elle portait des vêtements légers et souples qui laissaient voir ses muscles bien taillés. Ses courts cheveux noirs encadraient un visage aux traits sévères qui présageaient de son autorité naturelle.

Elle se dirigea droit vers sa jeune recrue et lui brandit un coutelas recourbé.

– Tu as dit que tu savais te battre. Tu vas avoir l’occasion de me le prouver.

Le regard de Sivir ne pouvait se détacher de l’arme que sa cheffe lui tendait. Elle s’en saisit.

– Nous avons du travail, expliqua Ziharo.

Puis elle scanda ses ordres à travers tout le campement endormi. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tous les mercenaires étaient prêts et rassemblés face à leur cheffe.

– Une bande de bandits sévit sur la route de l’ouest. Leur activité nuit aux intérêts financiers de certaines personnes qui ont les moyens de s’offrir nos services. Notre travail est de les débarrasser de ce problème.

Ziharo poursuivit en expliquant leur plan d’action et en donnant ses consignes. Elle avait repéré le lieu où leur cible agissait, et avait estimé leur force. Les mercenaires avaient l’avantage du nombre et de la surprise. Un groupe ferait office de leurre en voyageant sur la route grimé en marchands, tandis qu’un autre se dissimulerait pour les prendre à revers. Sivir était assignée à ce deuxième groupe.

Elle faisait jouer entre ses mains la lame qui reflétait la lumière du soleil. Elle n’avait pas menti, elle savait se battre. La survie des orphelins livrés à eux-mêmes était rude et elle avait souvent dû jouer de ses poings pour s’assurer d’avoir de quoi manger. C’était en revanche la première fois que ces coups allaient être prolongés par une arme létale. Elle observa encore une fois le coutelas puis le rangea à sa ceinture et prit part aux préparatifs de la mission comme ordonnés par Ziharo. Au moins, cela la libérait de ses corvées habituelles.


Tapie derrière une dune sableuse, Sivir attendait le signal au côté de ses camarades : Ziharo et dix mercenaires. Ils se tenaient là, silencieux comme des ombres, impassibles, chacun munis de poignards, cimeterres ou de lances. Ils affichaient une tranquille détermination qui fit resserrer la prise de Sivir sur son arme. Mercenaire n’était qu’un moyen de gagner sa vie, un travail comme un autre. Le soleil haut dans le ciel brûlait leur peau hâlée sans qu’ils ne s’en préoccupent, jusqu’au moment où un long sifflement leur parvint.

Ils s’élancèrent et rejoignirent rapidement le lieu où les bandits avaient pris d’assaut l’autre groupe de mercenaires. Avant que les bandits n’aient eu le temps de comprendre ce qu’il se passait, ils se retrouvèrent encerclés, et les affrontements débutèrent.

Sivir avait suivi le mouvement et, alors que résonnait le bruit de fer qui s’entrechoque autour d’elle, elle se mit en travers du passage de l’un des bandits. Son vis-à-vis était un jeune homme athlétique qui la dépassait d’une tête en hauteur. Il la prit de vitesse en se jetant sur elle, sabre en avant. Sivir eut tout juste le temps de parer le coup, mais son adversaire entamait une lutte de puissance brute qui rapprochait peu à peu sa lame de son visage. Sivir avait beau résister de toute ses forces , elle n’avait aucune chance. Elle fit alors un pas de côté pour se défaire de son emprise et se replaça. Le jeune homme lança une nouvelle offensive. Cette fois, Sivir était prête. Elle esquiva le coup en glissant sous la lame et frappa. Son arme transperça la jambe de son opposant qui hurla en tombant à genou. Emportée par son élan, Sivir ne lui laissa pas le temps de faire quoi que ce soit d’autre, et se redressa en faisant filer sa lame sur son cou. Le cri s’arrêta net et le corps du jeune homme retomba, face contre sable.

Sivir se remit aussitôt en garde et jeta un regard autour d’elle. L’affrontement était déjà terminé. Les autres mercenaires en avaient fini avec leur vis-à-vis, et les corps sans vie des bandits parsemaient le sol. L’une des mercenaires avait le bras en sang, mais aucune perte ne semblait à déplorer.

Sivir baissa les yeux vers ses mains écarlates et en lâcha son arme qui tomba dans le sable. Elle détacha son regard de ses mains pour le poser sur sa victime. Il était à peine plus âgé qu’elle. Comment se nommait-il ? Elle ne le saurait jamais. Qu’est-ce qui l’avait poussé à entreprendre une vie de banditisme ? Sans doute la même raison qu’elle. La même raison que tout le monde. Avoir de quoi manger. Avoir de quoi vivre. Il en était mort. Etait-ce le destin qui l’attendait elle aussi ?

Elle ramassa son arme.

Il ne tenait qu’à elle que ça ne soit pas le cas. Ce monde n’avait pas assez de place pour tous. Elle devrait faire en sorte d’être assez forte pour conserver la sienne.



Miss Fortune – Mort ou vif

Sarah remercia le pêcheur qui l’avait pris au bord de son embarcation et descendit du pont. Le claquement sec de ses talons résonnait sur le bois du quai.

Bilgewater. La ville du vice.

Un ivrogne qui vidait une bouteille de rhum à même le goulot alors qu’il n’était même pas passé midi lui lança une remarque graveleuse. La jeunesse et la frêle corpulence de Sarah la faisait passer pour une proie facile. Elle ne prit pas la peine de contredire l’image que son apparence donnait d’elle et poursuivit sa route sans accorder d’importance à cet individu. Elle avait mieux à faire.

Non loin du port, elle trouva une place dallée au centre de laquelle trônait un panneau d’affichage. Son regard fut irrémédiablement attiré par le nom qui figurait tout en haut de la liste, et devint aussi froid et dur que de la glace. Gangplank. Sans même qu’elle n’en ait conscience, ses mains allèrent trouver ses deux pistolets sculptés et ses doigts se crispèrent sur leur crosse. Les traits de son visage se durcirent. Sarah s’obligea à relâcher ses armes.

Son heure viendrait un jour. Mais ce n’était pas le moment. Elle reporta son attention sur les autres avis de recherche. Le panneau, pourtant imposant, disparaissait sous la quantité d’annonce qu’il affichait. A croire que la moitié des habitants de la ville avaient une prime sur leur tête, accusés de piraterie, meurtre, vol ou escroquerie. Rien d’autre que des prétextes. Aucune loi n’interdisait ces activités par ici. En réalité, la somme attitrée à chacun d’entre eux témoignait simplement du nombre d’ennemis qu’ils s’étaient fait.

Parmi le tas, Sarah repéra un portrait familier : un homme brun avec une cicatrice sur le front. La chance était avec elle. A moins que ce ne soit la loi des probabilités. La somme offerte en contrepartie était dérisoire mais il fallait bien commencer par quelque part. Sarah tourna les talons et rebroussa chemin jusqu’aux quais.

L’ivrogne s’y trouvait toujours et son visage se fendit d’un sourire grivois en voyant Sarah s’approcher. Une cicatrice barrait son front sous ses cheveux sombres. Il allait ouvrir la bouche, sans doute pour une nouvelle remarque déplacée sur le physique de Sarah, mais elle ne lui en laissa pas le temps. Elle enclencha le mécanisme de son revolver, riva ses yeux dans ceux de sa cible et tira. La détonation retentit. La balle, gravée d’un petit cœur, transperça l’homme de part en part au niveau de la poitrine et le sang éclaboussa le quai. Le regard de Sarah ne cilla pas quand la vie quitta les yeux de sa victime.

Elle replaça une de ses mèches flamboyantes qui lui retombait devant le visage. Une ordure de moins dans cette ville.

Et une menace de plus.

Le plus facile était fait. Le plus difficile était maintenant de traîner son cadavre jusqu’aux responsables des avis de recherche.



Quinn – Ange gardien

Quinn se fondait comme une ombre silencieuse dans les sous-bois. Elle se mouvait avec souplesse et aisance dans cet enchevêtrement végétal sans qu’aucune brindille ne craque sous ses pas. Son arbalète à répétition était accrochée dans son dos et elle portait l’armure légère des chevaliers-éclaireurs de Demacia. Une armure qui faisait sa fierté, et elle savait que Caleb, d’où il se trouvait, l’était lui aussi. Elle réalisait leur rêve à tous les deux. Pour tous les deux.

Elle venait tout juste d’achever sa formation et avait reçu sa première affectation : prendre part à la mission d’escorte d’une expédition diplomatique dans le sud-est du pays, au pied des montagnes d’argent. Une région éloignée de la capitale où la sécurité n’était pas garantie. Les menaces pouvaient leur tomber dessus à tout moment et éviter les embuscades était précisément le rôle de Quinn. Grâce à une éclaircie dans la canopée, elle aperçu un à-pic rocheux qui surplombait le secteur. Une bonne grimpette mais un point de vue idéal. Quinn s’y dirigea et entama l’ascension, alternant des pentes raides qui lui permettaient néanmoins d’avancer sur ses deux pieds, et des passages où elle n’avait d’autre choix que d’escalader. Elle parvint rapidement au sommet et arrivée là, elle sourit face au spectacle qui s'offrait à elle. Dans l'immensité bleue du ciel, la majestueuse silhouette de Valor fendait les airs, surplombant tous les environs.

Quinn décrocha son regard de son fidèle rapace pour le reporter à ses pieds. Une pousse de mousse y était arrachée. Elle s’accroupit et posa sa main sur la roche. Froide. Alors que tout autour les lézards profitaient des roches chauffées par le soleil de l’après-midi. Quelqu’un s’était tenu là il y a un instant à peine. Depuis ce point, la progression des compagnons de Quinn était visible en contrebas. Qui que soit la personne qui s’était tenue là, elle détenait cette information. Le cerveau de Quinn tournait à vile allure et deux choix se dégagèrent de la situation : retourner au plus vite avertir les siens qu’une embuscade les attendait sur le chemin, ou intercepter cette personne avant qu’elle ne délivre son message. Le temps jouait contre elle, elle ne pouvait se permettre d’hésiter plus longtemps.

Quinn se jeta dans le vide depuis le promontoire.

– Valor, à moi !

Alors que le sol se rapprochait à une vitesse vertigineuse, deux puissantes serres la saisirent dans le dos et stoppèrent sa chute. L’aigle plana sur quelques mètres avant de la relâcher au dessus du sol. Quinn atterrit en une roulage, adressa un remerciement silencieux du regard à Valor qui reprit son envol, puis elle s’élança à la poursuite de sa cible.

Vive et agile, elle filait entre les arbres, esquivant des amas de ronces et de fougères, se faufilant entre les racines apparentes et les branches basses. Entre deux troncs, elle aperçut alors l’éclaireuse adverse qui elle ne l’avait pas remarquée et poursuivait sa route vers son camp. Elle portait des vêtements carmins sous des pièces d’armures noires. Ce n’était pas de l’équipement que l’on trouvait à Demacia. Quinn ralentit sa course pour calquer son rythme sur celui de son adversaire et tira son arbalète de son dos. Il fallait attendre le bon moment. Elle la suivit ainsi sur plusieurs mètres, maintenant la distance entre elles sans se faire repérer, jusqu’au moment où le cri strident d’un rapace résonna dans le ciel.

Ce cri attira l’attention de l’éclaireuse adverse qui s’immobilisa un court instant. Quinn ne laissa pas passer sa chance. Elle porta son arbalète à son visage, visa et actionna le mécanisme de son arme. Le carreau fila à travers les branchages et trouva sa cible. Sa victime émit un affreux gémissement gutturale alors que le projectile se plantait dans sa gorge.

Quinn baissa son arme et s’autorisa une seconde de répit, le temps de reprendre son souffle, emballé par sa course et par ce qu’elle venait d’accomplir. Puis elle sortit de sa cachette et s’approcha de sa victime. Elle réprima un haut-le-cœur devant la vision du cadavre qui se vidait de son sang. Elle avait fait ce qu’elle devait faire. Pour le bien de sa mission. Pour Demacia.

Un bruissement dans le feuillage l’avertit de l’arrivée de Valor. Quinn tendit le bras mécaniquement et l’aigle vint se percher dessus. Son ange gardien. Comme toujours, il assurait ses arrières. Alors qu’elle poursuivait l’éclaireuse, elle s’était dangereusement rapprochée de l’emplacement de ses adversaires. Elle pouvait donc maintenant les localiser et avertir le reste de son expédition. Elle tira sa victime pour la dissimuler grossièrement dans un buisson, recouvrit la tache de sang et, alors que Valor reprenait de la hauteur, elle reprit sa course en sens inverse.



Akali – Equilibre

Le sang baignait le sol du petit village jonché de cadavres. Des civils pour la plupart et quelques corps d'assaillants qui prouvaient que les villageois avaient tenté de se défendre. En vain. Akali était arrivée trop tard. Les Noxiens avaient déjà foulé ces terres et ils continuaient leur invasion vers l’est. 

Les arbres-maisons calcinés lançaient leur plainte d’agonie. C’était au nom de la protection de l’équilibre que Shen et l’Ordre Kinkou refusaient d’intervenir dans ce conflit ? Quel équilibre y avait-il là-dedans ? Ce n’était rien d’autre qu’un massacre. 

Akali refusait de rester sans rien faire, elle protégerait Ionia, à sa manière. La vie des Ioniens méritait d'être défendue, même s’il fallait donner la mort pour cela.

Elle jeta un nouveau regard sur les corps. Ils n’avaient épargné personne. Elle songea un instant à prendre le temps d’honorer les morts, de leur offrir une sépulture, d’aider leur âme dans le monde spirituel, mais repoussa vite l'idée. Des vies pouvaient être sauvées, elle n’avait plus un instant à perdre. Elle rajusta son masque de tissu sur son nez et se dirigea vers l’est. 

Elle retrouva la trace de l'unité noxienne sans aucune difficulté. La nature souffrait dans leur sillage, les arbres coupés suintaient encore de sève fraîche. Akali récitait des mantras sur son chemin, tentant d’apaiser au mieux les souffrances infligées. 

La tombée de la nuit permit à la jeune femme de rattraper ses cibles. Les Noxiens avaient monté un campement provisoire. 

Dissimulée dans l’ombre, Akali analysa la situation. Une soldate en armure noire montait la garde à quelque pas d’elle sans l’avoir remarquée. Un feu où brûlaient les arbres coupés sur leur passage repoussait les ténèbres au centre du campement. Trois tentes longues l’entouraient, chacune pouvant accueillir une vingtaine de soldats. Akali ne pouvait pas décemment s’en prendre à une unité entière à elle seule. Mais elle pouvait frapper avec précision. Une dernière tente se trouvait dans le campement, nettement plus petite que les autres. Sa cible. 

La sentinelle proche d’Akali réprima un bâillement avant de s’adosser contre un arbre et de se laisser glisser au sol. Les Ioniens étaient un peuple pacifique, dépourvu de gouvernement centralisé et d’organisation militaire. Il était évident que pour l’empire expansionniste qu'était Noxus, Ionia ne représentait pas plus de menace qu’un chaton, et le peu de résistance qu’ils avaient rencontré jusque là ne les confortait que d’avantage dans ce sentiment. Pourtant même un chaton a des griffes. Akali sortit un de ses kunai et le serra dans son poing. 

La noxienne de garde s’était assoupie et Akali se faufila dans le campement. A la faveur de la nuit, elle esquiva le regard de quelques soldats qui veillaient plus tard que les autres et rejoignit la tente de commandement. La générale noxienne ne dormait pas non plus. Le dos tourné à l’entrée, penchée sur une carte, elle n’entendit pas Akali se glisser dans sa tente. Elle était nettement plus grande qu’Akali et presque deux fois plus large. Cela n’impressionna pas la jeune ionienne. Elle était plus embêtée par l’épaisse armure que portait sa cible et qui protégeait sa colonne vertébrale. Sa nuque dégagée était trop haute pour qu’elle puisse l’atteindre aisément.

Elle allait devoir trouver un autre angle d’approche. Parfaitement maîtresse d’elle-même Akali contrôlait sa respiration, la rendant aussi silencieuse, lente et apaisée que lors de ses interminables séances de méditations. Son cœur, véritable métronome, ne s’emballait pas non plus. Prenant garde à la vision périphérique de la noxienne, Akali se courba, se faisant toute petite et, un pas silencieux après l’autre, elle s’approcha. La générale ne remarqua finalement sa présence que lorsqu’elle fut à moins d’un mètre d’elle. Trop tard.

Alors que la noxienne se retournait, Akali était déjà à son contact et elle se releva d’un coup, plantant son arme dans sa gorge. La noxienne afficha durant une seconde une expression de stupeur et de souffrance mêlée. Ses cordes vocales tranchées l’empêchèrent de pousser le moindre râle d’agonie et, lorsqu’Akali retira la lame de la chair, elle bascula. Akali la retint pour accompagner sa chute sans un bruit.

Sa tâche était accomplie. Ce n’était qu’une seule envahisseuse de moins, mais cela devrait les désorganiser et permettre de gagner du temps pour la résistance ionienne qui s’organisait. Elle ressortit du campement comme elle était entrée et ce ne fut que bien éloignée qu’elle s’autorisa enfin à souffler.

Elle était poisseuse du sang qui avait éclaboussé son visage. Elle contempla ses paumes. Elle avait donné la mort, ses mains étaient tâchées de sang. Mais pas plus que sa victime. Et pas plus que ceux qui laissaient faire.

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