La mort est une fin heureuse

Chapitre 26 : Le portrait d'Ulick Gamp

5673 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/05/2024 21:43

Harry, Mars 2024.

 

— Monsieur Potter, je suis sincèrement désolé, mais vous ne pouvez pas entrer ! s’écria le jeune guérisseur.

— Comment ça, je ne peux pas entrer ? gronda Harry. Poussez-vous !

— Monsieur Potter, elle a reçu pas moins de huit sortilèges de stupéfixion en plein fouet, elle est sur le point de mourir, elle a besoin de toute l’attention des guérisseurs, et…

— Justement, je dois vite poser mes questions avant de perdre mon unique suspect ! s’écria Harry.

— Monsieur Potter, j’entends bien, mais ça n’est pas poss…

— Laisse-le entrer, Gravin, intervint un guérisseur plus âgé, de toute façon on ne peut plus rien faire, elle va mourir d’une minute à l’autre.

        Le jeune dénommé Gravin acquiesça, et se poussa de l’entrée de la petite salle. Les trois autres guérisseurs qui y étaient semblaient avoir abandonné l’idée de sauver leur patiente. C’était trop tard. Harry se précipita vers le lit d’hôpital, et se pencha au-dessus d’elle.

        Karen Dickett semblait déjà morte. Rien dans son apparence ne semblait indiquer qu’elle avait encore un seul souffle de vie en elle, si ce n’était le très léger mouvement de ses pupilles quand elle regarda Harry droit dans les yeux. Même sur le seuil de la mort, elle lui lança un regard de défi, un regard assassin.

        Harry repéra près du lit d’hôpital dans lequel elle était installée, le masque rouge et noir qu’on lui avait retiré. Il dut se retenir de toutes ses forces pour ne pas céder à ses pulsions de vengeance, pour ne pas la gifler. Il tremblait de tout son corps, et sa mâchoire était tellement crispée qu’il se faisait mal aux dents. Il sentit les veines de son front gonfler. Il ne parvint pas à formuler de phrase complète.

— Pourquoi ? murmura-t-il simplement.

        Karen Dickett ne cilla pas. Elle ne sembla pas du tout impressionnée par la colère monstrueuse de Harry. Lentement, très lentement, comme si c’était la tâche la plus laborieuse du monde, elle ouvrit la bouche, et souffla avec grande peine :

— C… Cr… Cranston…

        Elle désignait son défunt frère. Harry ne comprit pas le rapport.

— Quoi, Cranston ? Quoi ?

        Mais il ne reçut pas de réponse. Le regard de Karen Dickett se vida, et un guérisseur vint annoncer à Harry que c’était terminé. Elle était morte.

        Harry hurla de rage donna de toutes ses forces un coup de poing dans le mur d’à côté, et sentit la moitié de ses phalanges se briser au passage. La douleur fut éblouissante et réconfortante. Il songea à donner un deuxième coup dans le mur avec son autre main, mais sentit le regard choqué de tous les guérisseurs qui étaient restés dans la salle avec lui. Aucun d’eux n’osa bouger, aucun d’eux n’osa prononcer le moindre mot. Sa main droite commença à trembler.

— Je vous laisse faire le reste de votre travail, indiqua Harry d’un ton beaucoup plus calme qu’il n’aurait espéré avant de sortir en trombe de la salle.

        Il parcourut quelques couloirs, et arriva rapidement dans l’autre salle. La première salle où il était arrivé, à peine cinq minutes plus tôt. La salle où il avait découvert que son ami avait été assassiné.

        Minerva était là. Elle avait le regard sombre, et se tenait debout, silencieuse comme un chat, les bras croisés, adossée contre le mur du fond. Quand Harry entra, elle lui lança un regard interrogateur, mais Harry lui répondit par la négative d’un signe de tête. Elle soupira. Il vit alors son regard se poser sur sa main droite, mais il ne lui laissa pas le temps de lui demander ce qui s’était passé, et s’avança vers le lit.

        Neville avait l’air paisible. Curieusement, un sourire était dessiné sur son visage blanc et immobile. Il avait l’air heureux, entouré de son épouse Hannah, et de ses deux enfants. Ces derniers étaient assis près de lui, collés les uns contre les autres. Frank avait la tête posée contre l’épaule de sa grande sœur, qui pleurait silencieusement. Hannah tenait la main de Neville, et serrait en même temps ses deux enfants contre elle.

        Harry s’avança près d’eux pour regarder son ami. La vue de son corps inerte lui était tellement insupportable qu’il aurait aimé donner une bonne centaine d’autres coups de poing, de pied, de tête, dans un mur pour que la douleur lui fasse penser à autre chose. Il ne se souvint pas avoir jamais ressenti un tel mélange de colère, de chagrin, d’incompréhension, de peine. Il allait probablement exploser d’une minute à l’autre.

        C’était Minerva qui l’avait appelé sur son miroir. Elle lui avait simplement dit que Neville avait été attaqué, et qu’il était transporté de toute urgence à Ste Mangouste. Mais le temps qu’il n’y arrive, c’était déjà trop tard. Personne n’avait rien pu faire pour lui, il était mort quasiment sur le coup. Un poignard dans la poitrine. Dans le cœur. Et dans le cœur de tous ses proches.

        Harry ne pouvait pas s’empêcher de réfléchir à toute allure pour trouver une raison rationnelle à ce meurtre. Neville et Karen Dickett ne s’étaient jamais adressés la parole. Il n’y avait aucune raison. Les derniers mots de Karen avaient été le prénom de son frère. Harry reprit donc de ce point.

        Cranston Dickett avait été tué, presque cinq ans auparavant. Il avait été le tout premier d’une série d’une vingtaine de meurtres entièrement irrésolus. D’après le rapport d’Owen, à qui il avait donné la charge de ces affaires, tous avaient un lien plus ou moins proche avec le monde moldu. Dans le cas de Cranston Dickett, c’était sa sœur Karen. Evidemment, Karen était en colère que le bureau des Aurors ne trouvent pas l’assassin de son frère. Elle le lui avait fait savoir de très nombreuses fois. Elle n’avait pas été la seule.

        Le masque rouge et noir qu’elle portait était le même que celui que portait cet homme, Jack Toren, qu’il avait arrêté presque trois ans plus tôt pour le meurtre de Sabrina Erskine. D’après la description d’Ernest Butternut, qui avait défendu la maison d’Erskine cette nuit-là, il y avait une seule femme parmi le groupe d’assaillants. Cette femme était-elle Karen Dickett ? Il partit du principe que oui.

        Ce groupe d’assaillants avait agi car ils avaient reconnu des sorciers, et vu qu’Erskine, une personnalité politique moldue, abritait chez elle des sorciers. Jack Toren l’avait appelée une traîtresse. Ce groupe agissait donc par haine envers les sorciers. Harry s’était longtemps douté que la principale raison de cette haine de la part de Jack Toren était le fait de ne pas avoir résolu le meurtre de sa femme. Mais il ne s’était jamais douté que les proches de ces meurtres irrésolus se soient regroupés ainsi. Et, visiblement, la découverte du masque de Karen Dickett semblait aller dans ce sens. Au moins, il connaissait les noms d’autres membres potentiels de ce groupe, les proches des autres victimes. Mais cela ne l’aiderait pas dans le cas de Neville, car cette fois-ci, Karen avait agi seule.

        Karen était donc en colère contre Harry, contre le bureau des Aurors, très probablement contre le monde sorcier tout entier. Il fut raisonnable d’imaginer qu’elle ait donc cherché à se venger. Mais pourquoi Neville ? Et la réponse lui vint toute seule.

        A peine trois mois plus tôt, ils avaient tous été convoqués dans le bureau de Minerva. Cette dernière avait donc levé le sortilège repousse-moldu pour faire venir Karen. En fait, comme Karen était la responsable légale de son neveu Pravin, qui était élève à Poudlard, Harry n’était même pas sûr que le repousse-moldu s’applique pour elle. Il faudrait qu’il demande à Minerva. Par ailleurs, Karen avait bien vu Harry et Neville ensemble dans le bureau, et en avait probablement déduit qu’ils étaient amis. Ainsi, quand Karen était revenue à Pré-au-Lard et avait vu Neville, elle avait peut-être jugé que son meurtre serait une vengeance adéquate. C’était la seule explication potable que Harry put trouver.

        En résumé, si Neville était dans son lit de mort ce jour-là, c’était parce que Harry n’avait pas été assez compétent pour résoudre une simple affaire de meurtre. C’était de sa faute. Sa faute à lui.

        Il baissa la tête tandis que plusieurs larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Peu à peu, la peine prit le dessus sur la colère, et il se laissa emporter dans son chagrin. Il fut très agréablement surpris quand une main plus petite que la sienne, à la peau chaude et douce, saisit la sienne. Il ne l’avait pas entendue entrer. Il se retourna, et s’effondra dans les bras de Ginny, qui elle aussi avait déjà des larmes qui coulaient.

        Ron et Hermione, tous les deux les yeux rougis, se dirigèrent vers Hannah pour l’étreindre. Luna contourna le lit, s’assit à côté de Neville, et lui caressa doucement les cheveux en chantant une petite chanson. Sa voix ne tremblait pas, mais elle était indéniablement pleine de tristesse.

        Ainsi, tous les huit, Hannah, Frank, Alice, Minerva, Ron, Hermione, Ginny et lui, restèrent debout autour du lit, à écouter Luna chanter pour leur ami, tandis qu’ils pleuraient à chaudes larmes.

 

*       *       *

 

        Le temps était très pluvieux. Harry était debout sous les cordes qui tombaient depuis une bonne demi-heure, mais il avait été trempé jusqu’aux os dès les quinze premières secondes. Il était resté debout, sans prendre la peine de se mettre sous un parapluie, sans prendre la peine de jeter un simple Impervius. Il méritait cette pluie.

        Ginny, à sa gauche, était également trempée, mais ne s’en préoccupait pas plus que lui. Les gouttes de pluie se confondaient avec les larmes qui coulaient le long de son visage. A sa droite, Ron et Hermione étaient protégés par un ingénieux sortilège de parapluie invisible qu’avait lancé Hermione. Où était-ce réellement un parapluie rendu invisible ? Tous leurs cinq enfants étaient présents, devant eux, mais Harry ne voyait pas leur visage. Dean et Seamus partageaient le même parapluie, et se tenaient la main en silence, en regardant dans le vide, l’air morose. Luna et Rolf étaient un peu plus loin, et avaient la tête l’une contre l’autre.

Dans la foule, Harry repéra d’innombrables têtes familières qu’il n’avait pas vues depuis longtemps. Ernie et Susan. Terry. Parvati. Lee et Padma. Cho. Lavande. Michael. Justin. Anthony. Dennis. Winky. Mondingus. Evidemment, tous les collègues de Neville étaient présents, toute la famille Weasley au grand complet, même Dominique qui avait fait le déplacement depuis la Tanzanie. Quelques amis des enfants de Neville, également, notamment Evelyn accompagnée de Mr Butternut. Il y avait énormément de monde. De toute évidence, Hannah était très touchée. Il pleurait en silence, tout devant, en compagnie de ses deux enfants.

Tous faisaient face à un grand trou qui avait été creusé dans la terre, au milieu d’un joli cimetière sorcier. Le grand cercueil de bois de cerisier était posé à côté.

Quand le mage eut terminé son discours, ce fut au tour de Ron d’aller dire quelques mots en honneur de leur ami. Il s’avança lentement, et se plaça debout près du cercueil. Il attendit une dizaine de seconde, et prit une immense respiration.

— Quand je suis arrivé à Poudlard, il y a trente-trois ans, j’avais la pression. J’avais peur. Je n’étais pas particulièrement doué en magie, loin de là, et j’angoissais à l’idée que mes camarades aient une longueur d’avance sur moi. Et puis, j’ai rencontré Neville.

        Il marqua une pause, laissant plusieurs personnes, notamment Hannah, esquisser un sourire attendri.

— Nous nous sommes tous dit la même chose. Que fait-il à Gryffondor ? Voire même, que fait-il à Poudlard ? Pourtant… Pourtant, il nous a prouvé encore, et encore, et encore, à quel point nous avions tous besoin de lui. Lors de notre première année, il a défendu son honneur en s’attaquant à mains nues à Vincent Crabbe et Gregory Goyle. Evidemment, il est allé à l’infirmerie, mais son honneur était sauf.

        Il y eut quelques rires.

— Lors de notre deuxième année, il a partagé son gris-gris le plus puissant avec ses camarades de dortoir, durant les attaques du basilic. Cela n’aurait pas fonctionné, mais lui n’en savait rien.

« Lors de notre troisième année, il a essayé de capturer un Mangemort. Bon, il l’a fait en perdant un parchemin rempli de mots de passes et en laissant rentrer un tueur fou dans le dortoir, mais tout de même ! »

        Les rires étaient de plus en plus forts. Ron soupira et sourit.

— Lors de notre quatrième année, il a pris le thé et donné des conseils de botanique au plus fidèle serviteur de Lord Voldemort. Même si personne ne savait que c’était lui. Oui, Neville a fait beaucoup de grandes choses contre son gré. Mais il en a fait d’inimaginablement plus grandes de son plein gré. 

« Lors de notre cinquième année, Neville a infiltré le département des Mystères en compagnie de cinq adolescents, s’est battu contre près d’une vingtaine de Mangemorts aux côtés de l’Ordre du Phénix, pour aller à la rescousse de quelqu’un qu’il croyait être un ennemi. Sans poser de questions. Simplement parce qu’on avait besoin de lui.

« Lors de sa sixième année, il a été l’un des deux seuls membres de l’Armée de Dumbledore à répondre à l’appel, à surveiller l’entrée de la Salle-sur-Demande, par où sont entrés plusieurs Mangemorts, avant de participer à la bataille de la tour d’astronomie.

« Lors de l’Année des Ténèbres, il a mené la résistance de Poudlard contre les Carrows. Il a reformé l’Armée de Dumbledore, maîtrisé la Salle-sur-Demande, motivé les troupes après même que ses deux acolytes Ginny et Luna soient parties. Il a été l’unique raison pour laquelle la bataille de Poudlard a pu être le terme de la guerre. Sans Neville Londubat, Lord Voldemort aurait gagné.

« Alors oui, Neville était un véritable héros. Et oui, il était plus Gryffondor que n’importe lequel d’entre nous. Mais il était avant tout notre ami. Un ami sur lequel on a toujours pu compter, avec lequel on a toujours su s’amuser. Je ne le savais pas encore quand j’étais élève, mais avec le temps, j’ai réalisé la chance que j’avais de l’avoir dans ma vie. D’avoir la bonté de son cœur, la force de sa joie de vivre, la sagesse de son esprit. Tout le monde devrait avoir un Neville Londubat dans sa vie. Ce ne sont pas les simples héros qui rendent le monde beau, ce sont les êtres exceptionnels, les Nevilles Londubats. Les amis au cœur pur. Les pères aimants et valorisants. Les fils attendris. Les petits-fils attentionnés. Les hommes parfaits dans leurs imperfections.

« Neville, il me faudra plus d’années que je n’en dispose pour réussir à t’exprimer ma gratitude. Merci pour l’influence que tu as eue sur le monde, mais surtout, merci infiniment pour l’influence que tu as eue sur moi. Je t’aime, mon ami ! »

        Un tonnerre d’applaudissements se mêla au son de la pluie. Hannah pleurait à chaudes larmes, et se jeta dans les bras de Ron pour le remercier. Ron lui rendit son étreinte, puis rejoignit Hermione, Ginny et Harry. Son discours avait été incroyablement réconfortant. Harry n’avait pas retenu ses pleurs, et serrait son épouse très fort dans ses bras. Albus, dont Neville était le parrain, rejoignit Hannah et ses enfants, puis petit-à-petit commença l’enterrement. La tombe était très bien choisie, se dit Harry. Elle était placée entre deux magnifiques tombes fleuries, l’une indiquant « Frank & Alice Londubat », l’autre indiquant « Augusta Londubat ». Pour celle de Neville, Hannah avait longuement réfléchi avec Harry et Ron sur ce qui allait être écrit. Après mûre réflexion, ils avaient choisi ces mots :

Neville Londubat

30 juillet 1980 – 3 mars 2024

Il faut du courage pour affronter ses ennemis, mais il en faut encore plus pour affronter ses amis.

 

*       *       *

 

        L’état de choc de Harry à cause du meurtre soudain d’un de ses amis les plus proches ne se dilua pas avec le temps. Au contraire, la douleur ne fit qu’augmenter, encore et encore, si bien que Harry passait de mauvaises journées à penser à Neville, et de mauvaises nuits à faire des cauchemars. Quand Albus et Lily débarquèrent pour les vacances de Pâques, la maison était toujours remplie de cette terrible atmosphère de deuil.

        Mais même si cela ne le réjouissait pas le moins du monde, Harry y trouva un côté positif. En effet, ils avaient désormais de nombreuses pistes sur les membres potentiels de ce groupe de moldus tueurs, que les Aurors commençaient à appeler « Malleus Maleficarum », comme l’avait hurlé Jack Toren à répétition lors de son incarcération. Il leur suffisait de voir quelles étaient les victimes de cette série de meurtres mystérieux qu’ils n’avaient pas résolus, et de chercher parmi leurs proches.

        Avec une vingtaine de meurtres, ils avaient près d’une centaine de suspects moldus potentiels. Malheureusement, afin de mener efficacement une enquête de cette envergure côté moldu, il fallait bien aller du côté moldu. Pour aller côté moldu, si on ne voulait pas enquêter dans le vide sans avancer, il fallait utiliser les bases de données et les moyens de la police moldue. Pour cela, il fallait que le ministre de la Magie, Adrian Ackerley, passe le bonjour au Premier Ministre Moldu.

        Ainsi, Harry monta un dossier en compagnie d’Hermione, qui était directrice du département de la justice magique, et donc, techniquement, sa patronne, et au milieu du mois d’avril, ils se retrouvèrent dans le bureau du ministre Ackerley, prêts à passer côté moldu pour honorer leur rendez-vous.

        Adrian Ackerley avait succédé à Kingsley Shacklebolt en 2013, après que ce dernier avait souhaité enfin prendre sa retraite. Il avait la cinquantaine, et Harry ne l’aimait pas beaucoup. Il reconnaissait volontiers ses indéniables dons à agréger les communautés, à se faire apprécier. C’était « un homme charmant », mais un politique redoutable, et Harry trouvait qu’il était difficile de travailler avec lui, car il privilégiait rarement l’humain dans ses actions et ses choix.

        Evidemment, en tant que directeur du bureau des Aurors, mais surtout en tant que sorcier le plus célèbre et apprécié du monde, Adrian Ackerley avait souhaité avoir Harry dans son entourage. Quel ministre digne de ce nom voudrait se mettre à dos le Survivant ? C’était pourquoi, même si Harry ne l’appréciait pas, et même s’il était persuadé qu’Adrian Ackerley ne l’appréciait pas non plus, ils étaient considérés comme proches au sein du ministère.

— Bien, fit Adrian d’un ton neutre. En temps normal, ce serait une affaire que vous auriez traité sans moi. D’ailleurs, vous l’auriez traité seul, au bureau des Aurors, comme vous savez si bien le faire. Malheureusement, je suis le seul à être habilité à me rendre à Downing Street, alors je dois vous accompagner.

— Ce ne sera pas long, ne t’en fais pas, assura Hermione. Nous avons monté un dossier en fer de gobelin, il aura juste à l’approuver, et à nous mettre en relation avec les autorités compétentes.

— N’en sois pas si sûre, Hermione, soupira Adrian. Monsieur Grant vient d’arriver à Downing Street. C’est un excellent politique moldu, mais il déteste les sorciers. Il s’est toujours montré extrêmement têtu à mon égard, à chacune de mes visites. Je ne serais pas surpris qu’il se mette à prendre la défense de nos suspects simplement parce que ce sont des moldus. Enfin, nous verrons bien. Allons-y, il est l’heure.

        Adrian les dirigea vers un portrait représentant un petit homme à la silhouette de grenouille, portant une épaisse perruque argentée. Il s’agissait d’Ulick Gamp, le tout premier sorcier à avoir porté le titre de ministre de la Magie. Adrian s’adressa à Gamp.

— Mon cher Ulick, pouvez-vous nous indiquer si monsieur Grant est prêt ?

        Gamp fit une révérence, se retourna et sortit de son cadre. Il réapparut quelques instants plus tard, et acquiesça d’un signe de tête. Adrian le remercia, se dirigea vers la grande cheminée qui comblait l’un des murs de son bureau, et saisit une bonne poignée de poudre de cheminette. Il attendit que Hermione et Harry se placent dans l’âtre, avant d’y entrer lui-même.

— 10, Downing Street ! s’exclama-t-il en jetant la poudre sur le sol.

        Harry ferma les yeux. Après le long tourbillonnement familier, tous les trois sortirent d’un grand foyer de cheminée blanc. La pièce était spacieuse, et un grand bureau de bois sombre en occupait toute une partie. Assis sur le bord de son bureau, Boris Grant, le Premier Ministre Moldu, les attendait les bras croisés, le regard sombre. Dans un coin de la pièce, il repéra un second portrait représentant Ulick Gamp.

— Monsieur Grant, commença Adrian en lui tendant la main, un plaisir de vous revoir.

— Plaisir partagé, monsieur Ackerley, répondit Grant en ne semblant pas du tout partager ce plaisir.

— Laissez-moi vous présenter madame Granger, directrice du département de la justice magique…

— Enchantée, fit timidement Hermione en lui serrant la main.

— … et monsieur Potter, directeur du bureau des Aurors.

— Harry Potter, hein ? commenta Grant. Vous êtes l’un des rares noms que j’aie retenus des visites de monsieur Ackerley.

— C’est un honneur, monsieur Grant, répondit machinalement Harry.

— C’est cela… bougonna Grant. Bon, allons-y, que voulez-vous ?

— Pour faire court, entreprit Hermione, nous avons eu affaire à quelques meurtres, et nous avons près d’une centaine de suspects qui sont des non-sorciers. Nous aimerions donc collaborer avec vos forces de police afin d’appréhender ces suspects.

        Grant fronça les sourcils.

— Vous voulez enquêter de notre côté ? demanda-t-il l’air méfiant.

— Bien sûr. Ces individus sont tout aussi dangereux pour vous que pour nous, et les informations que nous avons récoltées combinées à vos moyens et vos bases de données nous permettraient de…

— Veuillez m’excuser, la coupa Grant, mais il n’y a pas eu de tels meurtres de notre côté. Il semble que le danger ne soit que de votre côté.

— Sauf votre respect, monsieur Grant, là n’est pas la question. Certains de ces individus sont potentiellement des assassins, peu importe que les victimes s’agissent de sorciers ou non. Par ailleurs, nous avons des raisons de croire que l’une de ces victimes est Sabrina Erskine, qui faisait partie de votre cabinet.

— Soit, approuva Grant. Ces suspects doivent être interrogés.

        Adrian lança un regard rassuré à Harry.

— Mais ce que je ne peux pas autoriser, poursuivit Grant, c’est votre accès à nos bases de données, à notre force de police.

— Nous ne demandons pas un accès, intervint Adrian, simplement une collaboration. Nous serions ravis de donner notre dossier à Scotland Yard, de les laisser travailler de leur côté comme ils savent magistralement bien le faire, et de simplement récupérer les coupables à l’issue de l’enquête.

— J’entends bien, répondit Grant, mais c’est impossible, je suis navré. Nous n’extradons pas nos condamnés vers des pays étrangers, nous n’allons certainement pas les extrader chez les sorciers.

        Adrian marqua une pause. Harry s’apprêta à intervenir, mais Hermione lui fit discrètement « non » de la tête.

— Monsieur Grant, vous savez comment ça se passe, reprit Adrian. Quand l’un des vôtres est cruellement assassiné pour des raisons que vous ignorez, vous exigez que justice soit faite, de connaître la vérité.

— Quand l’un des nôtres est assassiné, répliqua Grant, en général, nous détectives ont au maximum un dizaine de suspects. Pas une centaine.

— C’est pour cela que nous avons besoin de vous, monsieur le Premier Ministre, répondit Harry. Je vous assure, monsieur, nous souhaitons simplement interroger ces coupables. Pour leur condamnation, nous vous ferons entièrement confiance.

— Et je vous assure que cela est impossible, répéta Grant.

        Harry saisit le dossier des mains d’Hermione, et s’avança vers Grant.

— Jetez au moins un œil à notre dossier, implora Harry. Un de mes amis les plus proches fait partie des victimes, et je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle il est mort.

        Grant soupira. Il prit le dossier que lui tendit Harry, et l’ouvrit à la première page. La première page contenait les informations concernant Neville, accompagnée de sa photo. Au moment où Grant posa les yeux sur cette photo, son regard s’effondra. Il commença à trembler, et laissa tomber le dossier.

— Monsieur, y a-t-il quelque chose qui ne va pas ? s’inquiéta Adrian.

        Grant ne prit pas la peine de répondre.

— Sécurité, fit-il d’une voix forte.

        Il devait avoir une minuscule oreillette, car en seulement quelques secondes, cinq agents de sécurité s’engouffrèrent dans la pièce, armés jusqu’aux dents. Instinctivement, Harry sortit sa baguette à toute vitesse et lança un charme du bouclier au moment où les agents se mirent à tirer. Hermione s’était machinalement protégé le visage, mais Adrian ne devait pas avoir conscience du véritable danger d’une arme à feu, car il n’avait pas bougé d’un poil.

        Quand les agents se redirent compte que leurs balles ne passaient pas à travers le charme du bouclier de Harry, ils s’arrêtèrent.

— Monsieur Grant, s’écria Adrian, qu’est-ce que cela veut dire ?

        Hermione lança un léger coup de baguette, et les cinq agents de sécurité laissèrent subitement tomber leurs armes. Ils se regardèrent les uns les autres, confus. Grant plongea derrière son bureau pour se protéger.

— Monsieur Grant, c’est ridicule ! s’exclama Adrian. Nous ne vous voulons aucun mal.

— Aucun mal ? fit Grant en dépassant la tête de son bureau.

        Mais il ne fut pas rassuré du tout. Au contraire, il fut plutôt indigné.

— Aucun mal ?! rugit-il. Messieurs, vous venez dans mon bureau pour me déclarer la guerre, et vous osez me dire que vous ne nous voulez aucun mal ?

        Harry et Hermione croisèrent leur regard, confus.

— Vous… vous déclarer la guerre ? balbutia Adrian.

— Ne faites pas l’innocent, Ackerley, répliqua Grant. Vous savez pertinemment que vous avez pris le parti de l’ennemi dans notre guerre.

— Je… le parti de l’ennemi… votre guerre… Bon sang, de quoi parlez-vous, Grant ?

        Harry vit qu’Hermione commençait à paniquer. Elle respirait de plus en plus fort, de plus en plus vite. Elle observait les cinq agents de sécurité. Harry remarqua à son tour que l’un d’eux semblait parler à un interlocuteur extérieur par l’intermédiaire d’une oreillette. Il appelait probablement des renforts. L’heure était grave. Il fallait se dépêcher.

— Adrian, ne devrions peut-être partir… tenta-t-il.

        Mais Adrian ne lui ordonna de se taire d’un signe de main.

— Nous avons des preuves, Ackerley, gronda Grant. Une vidéo, et vous venez de nous donner la dernière pièce du puzzle, ajouta-t-il en montrant du doigt le dossier que Harry venait de lui donner.

        Grant saisit une télécommande sur son bureau, et alluma un petit écran plat qui était dans un coin de la pièce. Il lança alors une vidéo sur cet écran.

        La vidéo semblait provenir d’une petite caméra de sécurité à bord d’un char. Elle montra un groupe d’une vingtaine de soldats, tous en uniformes, qui prenaient un repas sous une tente ouverte. Soudain, la tente s’envola, et les soldats tombèrent vers le haut.

        Harry et Hermione se regardèrent, effarés. C’était une seconde attaque du Sorcier du Ciel. Elle n’était pas parue dans la Gazette.

— Il y a eu une bonne demi-douzaine d’autres attaques comme celle-ci, commenta Grant avec froideur et dégoût, mais celle-ci est la seule où nous sommes parvenus à nous procurer une vidéo satisfaisante.

        La vidéo n’avait pas de son, mais quand la vingtaine de soldats s’écrasa sur le sol dans un bain de sang et d’organes, Harry eut un haut-le-cœur. C’était tout simplement affreux. Harry se demanda cependant de quoi Grant pouvait les accuser. Il eut la réponse immédiatement.

        Lentement, une silhouette se posa sur le sol. C’était un homme assez grand, vêtu d’une cape de sorcier grise, et une capuche noire recouvrait son visage. Il avait à la main une baguette magique d’un bois sombre. Lentement, il se dirigea vers la caméra, ou, plus vraisemblablement, vers le char dans lequel se trouvait peut-être encore quelqu’un. Il leva sa baguette vers le char, puis repéra la caméra, et regarda en sa direction.

        Avec horreur, ils distinguèrent alors le visage du Sorcier du Ciel. C’était le visage joufflu et familier de leur ami Neville.


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