La mort est une fin heureuse
Teddy, Septembre 2022.
— Ravie de vous revoir, Victoire, assura Minerva. Je vais vous présenter à l’équipe, ils vous attendent dans la salle des professeurs. Vous ne les avez pas tous rencontrés lors de votre mariage.
Victoire adressa un large sourire à Teddy, qui le lui rendit avant de leur ouvrir la porte de la salle des professeurs. Une quinzaine de personnes les y attendait. En les voyant arriver, la plupart tournèrent la tête en leur direction en souriant. En silence, Teddy se plaça près de Hagrid après s’être chaleureusement laissé écraser la main.
— Bien ! Bonjour à tous et à toutes, nous sommes au complet. Je vous présente Victoire Weasley, qui travaillera avec Pompom durant deux ans avant de définitivement prendre le relais à l’infirmerie.
— Merci pour cela ! lança Pompom tandis que les autres applaudirent la nomination de Victoire.
— Si vous le voulez bien, peut-être pourriez-vous chacun vous présenter ? proposa Minerva. Beaucoup d’entre vous la connaissiez en tant qu’élève, mais je pense qu’une présentation en tant que collègues est de mise.
— Excellente idée, Minerva. Je suis Filius Flitwick, professeur de sortilèges, directeur de la maison Serdaigle, et directeur adjoint de l’école.
— Brendan Lecreuset, professeur de potions.
— Josef Williamson, prof de défense contre les Forces du Mal, et patron des Serpentards.
— Bonjour, Aurora Sinistra, j’enseigne l’astronomie.
— E’ porte bien son prénom, commenta Josef Williamson en déclenchant quelques rires.
— Margaret Bell, j’assure les cours d’étude des Moldus.
— Professeur Binns, j’enseigne l’Histoire de la Magie depuis maintenant deux-cent dix ans.
Le professeur Binns ne sembla pas comprendre en quoi ce qu’il avait dit pouvait être interprété comme une blague, et ne leva pas un sourcil devant le rire de ses collègues.
— Septima Vector, directrice de Poufsouffle, et prof d’arithmancie depuis un peu moins longtemps que le professeur Binns.
Tout comme le professeur Binns, Septima Vector était un fantôme. Mais contrairement à lui, elle rit avec les autres.
— Nous avons déjà été présentées, sourit Pompom.
— Bathsheba Babbling, étude de runes.
— Rolanda Bibine. J’assure les cours de vol des première années, j’arbitre tous les matchs de Quidditch, et je supervise tous les entraînements de chaque équipe de l’école.
— Sybille Trelawney, je n’ai pas eu le plaisir de vous avoir dans ma classe de divination, quel dommage. Soyez la bienvenue pour prendre une tasse de thé quand vous le souhaitez, en haut de ma tour.
— Irma Pince, bibliothèque.
— Argus Rusard. C’est à moi que revient la charge de surveiller tous ces empot… euh, les élèves. Je suis Directeur de Discipline.
— Neville Londubat, professeur de Gryffondor et directeur de botanique.
— Rubeus Hagrid, garde-chasse, gardien des clés et des lieux de l’école, et professeur de soins aux créatures magiques !
— Teddy Lupin, professeur de métamorphose et amoureux de la nouvelle infirmière, sourit Teddy en faisant encore plus rougir son épouse, et rire ses collègues.
— Merci beaucoup à vous tous pour votre accueil, dit Victoire. Pour la plupart d’entre vous, je vous avais en tant que professeur. Je suis ravie aujourd’hui de devenir votre collègue, je suis sûre que nous allons bien nous entendre. Rassurez-vous, je n’ai en aucun cas la prétention de pouvoir être à la hauteur de la légendaire Pompom, mais je vous promets que ma pimentine sera au moins aussi efficace.
— Bravo ! s’écria Brendan Lecreuset en riant et en applaudissant avec les autres.
— Très bien, merci à vous tous, reprit Minerva. Filius, Edward, je vous laisse vous charger de la visite de château ? Je dois assister à une réunion en compagnie de conseil d’administration.
— Avec plaisir, répondit Filius.
— Ah, j’oubliais, ajouta Minerva en reprenant instantanément l’attention de tout le monde. Je vous annonce que dès sa première année parmi nous, Victoire sera mise à l’épreuve. Nous allons en effet accueillir à partir de cette rentrée, pour la deuxième fois dans l’histoire de cette école, une élève atteinte de lycanthropie.
Des soupirs et chuchotements affolés se firent entendre dans la salle. Teddy perdit toute trace de sa bonne humeur, et ouvrit en grand la bouche d’un air troublé.
— Et la potion Tue-loup ? demanda Brendan Lecreuset.
— Malheureusement, la jeune Leliti Tekula est atteinte d’une nouvelle forme de lycanthropie, plus évoluée, et est sujette à des transformations douloureuses et dangereuses en dépit de l’existence de la nouvelle potion Tue-loup de Mr. Malefoy. Nous allons prendre les mêmes mesures qu’avec Remus Lupin il y a cinquante ans, et il n’y a aucune raison que cela se passe mal.
Teddy se renfrogna. Victoire lui avait parlé de la petite Tekula quand elle l’avait accueillie à Ste Mangouste, près de deux ans auparavant. Cela lui avait de toute évidence rappelé ce qu’on lui avait dit sur son propre père. Il avait été particulièrement touché par cette histoire, et se sentait étrangement concerné par l’état de cette fille.
— En quoi consisteront ces mesures ? demanda-t-il, même s’il connaissait déjà la réponse.
— Une fois par mois, lors des nuits de pleine lune, Pompom ou Victoire accompagnera la jeune Tekula dans la Cabane hurlante, qui a été aménagée à cet effet pour Remus Lupin il y a cinquante ans.
De nouveaux chuchotement suivirent ces révélations.
— Alors c’est pour cela qu’on l’appelle la Cabane hurlante ! comprit Aurora Sinistra.
— Oui. L’accès à la Cabane hurlante sera rigoureusement protégé par le saule cogneur, qui a lui aussi été planté à cet effet il y a cinquante ans.
— Ooooh ! s’écrièrent plusieurs collègues en chœur.
— Bien. S’il n’y a pas d’autres questions, je vous laisse poursuivre votre organisation.
Les collègues de Teddy se dispersèrent pour vaquer à leurs occupations. Pompom et Filius proposèrent à Victoire un tour du château. Teddy, lui, resta quelques instants à réfléchir, puis sortit de la salle des professeurs et rattrapa la directrice.
— Minerva ! l’appela-t-il. J’aimerais me joindre à Leliti Tekula dans la Cabane hurlante lors de nuits de pleine lune.
— Je vous demande pardon ? s’offusqua-t-elle.
— Vous a-t-on raconté la scolarité de mon père à Poudlard ?
— Dans les grandes lignes, oui.
— Alors vous savez qu’il a énormément été aidé par ses amis. Ses transformations étaient atroces, mais lorsque ses amis vinrent pour le soutenir sous la forme d’animagi, il passait des nuits beaucoup plus supportables.
— Oui, Albus Dumbledore avait mentionné ces événements, dit-elle d’un air à la fois sévère et impressionné.
— En tant que métamorphomage, je peux me transformer si besoin, je peux lui être d’une aide infinie. Je pense que cela peut faire la différence. Mon père avait trois amis aussi doués qu’inconscients, il n’est pas certain que Leliti Tekula ait autant de chance. Nous savons tous les deux à quel point les loups-garous sont conditionnés à repousser les autres, et à être repoussés. Je voudrais qu’elle ait autant de chance que mon père.
Minerva était manifestement touchée par ce discours.
— C’est… c’est une initiative très honorable, Edward. Entendu, vous pourrez accompagner la jeune Tekula. Maintenant, je dois vraiment rejoindre mon bureau.
Elle tourna les talons et Teddy retourna en direction de la salle des professeurs.
* * *
Le soir venu, Teddy était installé entre Neville et Victoire à la grande table des professeurs. Son épouse et lui observaient les élèves rentrer en compte-goutte. Ils sourirent jusqu’aux oreilles quand ils virent une petite troupe de rouquins s’installer aux tables de Gryffondor et Serdaigle. Puis, Hagrid se faufila discrètement dans la salle, et quelques instants plus tard, Filius entra à la tête d’une file d’une cinquantaine de jeune élèves timides.
— Là, la petite fille avec une écharpe ! lui souffla Victoire.
Teddy chercha un peu, puis repéra une élève minuscule, à la peau noire et aux magnifique cheveux tressés d’une couleur dégradée noire et rouge. Elle avait d’étranges yeux pourpres, et portait à son cou une épaisse écharpe violette. Victoire lui avait dit qu’elle s’était fait mordre au niveau de la nuque, elle portait probablement cette écharpe pour cacher sa blessure. Elle devait bien mesurer une tête de moins que les autres. Elle avait l’air timide et réservée, voire apeurée. Elle ne discutait avec personne, ne semblait connaître personne. Teddy se demanda si elle avait fait le trajet dans le Poudlard Express seule. Il fut alors pris d’un élan de sympathie pour elle.
Quand Minerva commença la cérémonie de répartition, Leliti sembla déconfite. Avait-elle reçu des a priori sur les maisons de Poudlard ? Les élèves défilèrent, les bouts de table se remplirent, puis Minerva appela « Tekula, Leliti ». Cette dernière s’avança, toute tremblante, et Minerva enfonça le Choixpeau sur sa tête. Au bout de quelques instants seulement, le Choixpeau devait avoir pris sa décision, car Minerva annonça « Gryffondor ! ». Teddy en était satisfait, il connaissait au moins une demi-douzaine de Gryffondors bienveillants. Leliti, elle, ne semblait pas ravie. Elle ne semblait pas non plus déçue, elle avait juste l’air effacée, indifférente.
Durant le banquet, Teddy et Victoire jetaient des coups d’œil fréquents dans sa direction. A un moment, ils la virent adresser la parole à une fille à côté d’elle, mais leur conversation ne dura pas. C’était comme si elle voulait rester seule. Comme si elle partait du principe qu’elle n’aurait pas d’amis. La vision de cette petite fille blessée, seule et fragile, plongeait Teddy dans une profonde tristesse. La vie était franchement injuste.
Lorsque Minerva invita tout le monde à aller se coucher, Teddy resta en retrait, comme d’habitude, pour discuter un peu avec les cousins de Victoire. Il observa Leliti se laisser guider par une petite troupe de première années, menée par la voix de Dinah Mokrane, nouvelle préfète de Gryffondor. Elle était entre de bonnes mains avec Mokrane, se dit Teddy.
La cousinade des Weasley mit plusieurs minutes à se frayer un chemin à travers le chaos des élèves. Hugo, qui venait de la table de Serdaigle, arriva en premier, mais s’arrêta dire bonjour à Septima Vector. Teddy les entendit prendre de leurs nouvelles respectives après deux mois de vacances.
— Alors, le nouveau préfet-en-chef ? lança Victoire à l’adresse de son petit frère.
— Le plus difficile est de donner des ordres à Roxanne, répondit Louis.
— Je méritais plus que toi le titre de préfète-en-chef ! rétorqua Roxanne en ne plaisantant qu’à moitié.
— Arrête, sinon je te colle de surveillance de retenue pendant tout le trimestre.
— Non mais quel abus de pouvoir…
Il ne restait plus que huit cousins Weasley à étudier à Poudlard. Louis, Roxanne, Lucy et James entamaient leur dernière année. Louis était préfet-en-chef, Roxanne préfète, et Lucy capitaine de l’équipe de Quidditch de Gryffondor. Rose et Albus en étaient à leur sixième année, Rose étant également préfète, et Lily et Hugo débutaient leur quatrième année. Comme son père, Dominique était devenue briseuse de sorts, et avait trouvé un poste très intéressant en Tanzanie. Molly avait également suivi les traces de son père, et avait été embauchée au département des transports magiques. Enfin, Freddie avait été accepté en tant que batteur dans l’équipe de Canons de Chudley, et venait d’intégrer l’équipe en tant que titulaire, après avoir passé un certain temps en tant que remplaçant.
— J’espère que vous êtes chauds, Lucy et James, ricana Victoire. Lucy, c’est ta deuxième et dernière chance de gagner la coupe de Quidditch en tant que capitaine.
En effet, l’année passée, l’équipe de Gryffondor avait été battue de peu par celle de Serdaigle, entre autres grâce à la performance de leur nouveau gardien, Hugo.
— Je vous laisserai gagner, cette fois-ci, se moqua ce dernier. Je sais combien c’est important pour vous, cette année.
— Pourquoi spécialement cette année ? demanda Teddy.
— Ils comptent tous les deux se faire remarquer par des équipes professionnelles, expliqua Rose.
James et Lucy acquiescèrent silencieusement.
— Et puis, James ne peut pas se permettre de perdre un match devant sa nouvelle copine, affirma Albus.
— La ferme, Al, répondit James en rigolant.
— Allez, allez, dépêchez-vous d’aller vous coucher ! fit la petite voix fluette de Filius.
— Allez, zou, répéta Teddy un sourire aux lèvres. Et soyez sympas avec les première années ! s’empressa-t-il d’ajouter.
— Toujours ! C’est à eux qu’on propose en premier de s’infiltrer dans les vestiaires pour saboter les balais des autres maisons ! s’exclama James en s’éloignant.
Teddy le suivit du regard d’un air désespéré. Il aurait voulu leur en dire plus, pour les prévenir qu’il fallait être particulièrement bienveillant avec Leliti Tekula, mais c’était à cette dernière d’annoncer sa condition quand elle le voulait. Teddy n’avait pas le droit de lui retirer cela.
Après avoir un peu discuté avec leurs collègues, Teddy et Victoire marchèrent jusqu’à l’extérieur de l’enceinte de l’école, puis transplanèrent devant leur petite maison à Feldcroft.
* * *
En cours, Leliti était quasiment inexistante. Elle effectuait le strict minimum que l’on exigeait d’elle, et elle s’en sortait plutôt bien. En deux semaines, Teddy n’avait entendu le son de sa voix que pour prononcer les mots « Bonjour », « Présente » et « Au revoir ». Elle ne parlait avec personne, entrait seule en classe, et ressortait seule. Teddy voyait des groupes d’amis se former petit-à-petit, mais Leliti restait en dehors de tout cela. Elle avait le regard vide, et ne souriait jamais.
La première nuit de pleine lune tomba le troisième samedi de septembre. Victoire et Teddy attendaient à l’infirmerie quand Pompom ouvrit la porte et y entra accompagnée de Leliti. Cette dernière avait gardé sa robe noir et rouge, ainsi que son écharpe violette.
— Bonsoir, Leliti, fit doucement Victoire avec un grand sourire.
— Bonsoir, répéta Teddy.
Leliti les regarda, et sembla intimidée par leur présence.
— Bonsoir, se contenta-t-elle de répondre d’une petite voix aigüe à peine perceptible.
— Bien, entreprit d’expliquer Pompom. Nous revenons du bureau de la directrice, Miss Tekula est au courant de la procédure. Ils vont t’accompagner en sécurité, ajouta-t-elle à l’adresse de Leliti, et Mr. Lupin restera avec toi tout la nuit dans la Cabane hurlante.
Leliti ne semblait pas enchantée par ce programme, mais acquiesça sans protester.
— Je vais garder mon miroir près de moi toute la nuit, indiqua Pompom. S’il y a le moindre souci, préviens-moi. Tu devrais en faire autant, Victoire.
Cette dernière approuva d’un signe de tête.
— Bien, alors allez-y, le soleil va bientôt se coucher. Désillusionnez-la, ça ne sert à rien d’attirer l’attention sur elle.
D’un coup de baguette, Victoire appliqua un sortilège de Désillusion plutôt réussi, et tous les trois sortirent de l’infirmerie. Dans un silence absolu, ils parcoururent les couloirs de l’école, passèrent les grandes portes de chêne, traversèrent le parc, immobilisèrent le Saule cogneur, et gagnèrent la Cabane au bout du long tunnel.
Manifestement, Minerva avait un peu aménagé la vieille cabane. Tout était détruit, moisi et poussiéreux, sauf deux fauteuils, une petite table circulaire et deux lits qui venaient d’y être placés. Victoire sortit d’un sac à dos quelques provisions pour la nuit, ainsi qu’une fiole contenant un liquide vert fluorescent.
— Comment tu te sens, Leliti ? demanda Victoire en s’agenouillant à sa hauteur et en levant d’un coup de baguette le sortilège de Désillusion.
— Ça va, répondit-elle simplement.
— Tu… tu sens la pleine lune ?
— Oui, mais ça ne fait pas mal pour l’instant.
« Pour l’instant »… Teddy réalisa avec tristesse qu’en deux ans, Leliti avait déjà dû avoir affaire à quelques transformations douloureuses. Victoire appliqua quelques sorts de prise de mesures médicales, puis confia la fiole verte à Leliti. Ce devait donc être la fameuse potion Tue-loup. Habituée, Leliti la but cul-sec sans broncher.
— Ça passe bien ? demanda Victoire en appliquant à nouveau d’autres sorts.
Leliti répondit « oui » de la tête.
— Bon, tant mieux. A priori, d’après les mesures que je viens de prendre, tu ne devrais pas te transformer cette nuit. Mais on ne sait jamais, soyez sur vos gardes et faites attention. Tous les deux.
Teddy eut la légère impression que Leliti était rassurée. Il s’approcha de Victoire.
— T’en fais pas, ça devrait aller, dit-il avec un sourire. A demain.
Visiblement, Victoire partageait l’hésitation de Teddy à s’embrasser devant une élève. Ils avaient convenu qu’il valait mieux que les élèves ne sachent pas qu’ils soient mariés. Elle se contenta donc de lui caresser doucement la joue.
— Bonne nuit, chuchota-t-elle avant de tourner les talons et disparaître dans le tunnel.
Teddy resta longuement debout devant l’entrée du tunnel, à toucher du doigt l’endroit de sa joue que Victoire avait caressé. Puis, il se retourna lentement. Leliti s’était assise en tailleur sur le lit situé de l’autre côté de la pièce. Elle fixait des yeux le mur en face d’elle, mais ne regardait rien. Teddy s’assit sur un fauteuil et se servit une tasse de thé.
— Du thé, Leliti ? proposa-t-il.
Mais Leliti fit « non » de la tête. Alors Teddy commença à siroter dans sa tasse. Leliti ne bougeait toujours pas. Visiblement, elle avait l’intention d’attendre que la nuit passe. Mais il fallait qu’elle dorme. Pour qu’elle dorme, il fallait qu’elle soit à l’aise. Mais comment être à l’aise quand on menace de se transformer à tout moment en loup tueur géant ?
— Alors, tes cours se passent bien ? entama timidement Teddy.
— Oui, répondit-elle poliment.
— Tu t’en sors très bien en métamorphose. C’est aussi le cas dans les autres cours ?
— Ça va.
— C’est très bien… Très bien…
Et le silence résonna à nouveau dans la cabane, un silence alimenté par le son du vent sur les arbres environnants, les rires très distants des clients des Trois-balais qui commençaient leur soirée, et parfois quelques hululements de hiboux qui passaient par-là.
Teddy changea alors de stratégie. Il se leva, et s’assit sur l’autre lit, en face de celui de Leliti. Elle le suivit discrètement du regard, puis reporta à nouveau ses yeux vers le mur.
— Tu te demandes pourquoi je suis ici avec toi, dit Teddy.
Elle le regarda droit dans les yeux, mais ne répondit pas.
— D’habitude, tu es toute seule durant les nuits de pleine lune, continua-t-il.
— C’est dangereux.
— Oui, c’est dangereux. Mais tu m’as vu lors du premier cours. En cas de besoin, je pourrai me défendre.
— On sera deux blessés au lieu de juste moi. C’est idiot.
Il n’y avait aucun mépris dans le regard de Leliti. Juste de l’incompréhension.
— J’imagine que ça a l’air idiot… Je vais t’expliquer pourquoi ça ne l’est pas. Pour cela, je vais de raconter une histoire, tu veux bien ?
Leliti l’observa en fronçant les sourcils. Puis, au bout de quelques instants, elle se résolut à accepter d’un signe de tête.
— Bien. Il y a longtemps, un loup-garou du nom de Remus a été accepté à Poudlard. C’était sous la direction d’Albus Dumbledore, le plus grand sorcier du siècle dernier, et Remus fut le tout premier loup-garou de l’Histoire à pouvoir aller à l’école. Ce fut pour sa famille et lui un miracle, d’habitude, les loups-garous n’accèdent pas à l’éducation, ne se mélangent pas aux autres sorciers, vivent leur vie en tant qu’exilés. Pour pouvoir l’accueillir, et pour garantir la sécurité des autres élèves, Dumbledore a aménagé cette cabane, et a sécurisé l’entrée grâce au saule cogneur, pour que chaque mois, Remus puisse venir s’y cacher et y passer les nuits de pleine lune.
« Mais à l’époque, la potion Tue-loup n’existait pas. Chacune de ces nuits était donc pour Remus une transformation douloureuse, et comme il était isolé et ne pouvait attaquer personne, à chaque fois, il se mordait et se griffait lui-même. C’était la perspective d’une scolarité douloureuse, car il devait aussi vivre cela en cachette, qui voudrait d’un loup-garou pour ami ? Malheureusement, trois de ses camarades de dortoir ont compris. Au début, Remus affirmait qu’il partait chaque mois visiter sa mère malade, mais cela ne tenait plus. Ils ont même cru que ses parents le battaient, avant de faire le lien avec la pleine lune. C’était inévitable.
Leliti affichait désormais un air paniqué. Elle sembla réaliser qu’en effet, ses camarades allaient inévitablement finir par comprendre un jour. Teddy ne laissa pas réfléchir trop longtemps, et reprit.
— Dès que son secret fut découvert, Remus se prépara à quitter l’école. Mais ses trois camarades ont fait l’opposé de ce qu’ils auraient dû faire. Ils n’ont pas fui. Ils n’ont pas lâché Remus. Ils sont devenus des animagi. Ils ont acquis la capacité de se transformer en animaux quand ils le souhaitaient, et ils ont passé chaque nuit de pleine lune en compagnie de Remus. Leur présence animale et amicale ont apaisé ses transformations, au point que souvent, les quatre amis ont même quitté la Cabane pour se promener librement à travers le parc, sans qu’aucun incident ne soit déclaré. Avec eux à ses côtés, Remus était devenu absolument inoffensif. Et grâce à ses trois amis, il a ainsi pu vivre une scolarité comme n’importe quel autre sorcier.
Lorsque Teddy acheva son récit, Leliti affichait un air à la fois ému et dubitatif.
— C’est une belle histoire, dit-elle, mais pas la réalité.
— Oh, c’est une histoire vraie. A cent pourcents vraie.
— Comment vous pouvez le savoir ?
— On me l’a raconté des dizaines de fois. Ces événements se sont déroulés il y a cinquante ans à peine. Et je le sais, car Remus était mon père. Remus Lupin.
Leliti sembla troublée.
— Votre père est… était… un loup-garou ?
— Oui, répondit simplement Teddy.
— Et il a vécu toute sa vie… heureux ?
— Pas toute sa vie, non. Enfin, il aurait pu, mais malheureusement, il a vécu durant les deux guerres des sorciers. Mais je suis persuadé que s’il n’y avait pas eu ces guerres atroces, il aurait réussi à être heureux jusqu’à la fin de sa vie, oui, même en tant que loup-garou.
— Il est mort pendant la guerre ?
Leliti ne semblait pas avoir de tabou autour de la mort. Teddy préférait cela à une Leliti complètement silencieuse.
— Oui, lors de la bataille de Poudlard. J’avais quelques mois, je n’ai aucun souvenir de lui. Ni de ma mère, à qui je dois mes dons de métamorphomagie.
— Où est-ce que vous avez grandi ?
— Chez ma grand-mère. La mère de ma mère. Elle m’a élevé, avec l’aide de mon parrain, Harry Potter.
— Harry Potter… répéta Leliti d’un air impressionné. Le Survivant…
— Lui-même.
— Il est venu me voir à l’hôpital quand Jacob m’a mordue. Je dormais, mes parents me l’ont dit. Il a mené une enquête. Il a arrêté Jacob.
— Oui, on m’a raconté.
— Il est mort maintenant, Jacob, dit-elle d’une voix morne.
Teddy marqua une pause.
— Oui, finit-il par répondre.
Leliti soupira.
— C’est vrai que ça aide.
— Quoi donc ?
— Votre présence.
— Ah ? Tant mieux. Euh… sans vouloir être indiscret, quelle est la différence avec d’habitude ?
— Mes parents ont aménagé leur cave pour que je m’y installe lors des nuits de pleine lune. Ils l’ont couverte de sorts, des sorts compliqués, ils ont eu de l’aide des gens du ministère, comme ça, même quand je me transforme, je ne peux pas sortir. C’est arrivé que trois fois. Et c’était… horrible… Bref, la plupart du temps, je ne me transforme pas, mais je sens que je perds un peu le contrôle. Parfois, même si je ne me transforme pas, je ne peux pas m’empêcher de hurler, de frapper des choses, de me mordre et de me griffer moi-même. Comme si… comme si la louve qui me ronge constamment prenait le dessus durant les nuits de pleine lune. Ce soir, je ressens toujours cette louve qui force le passage. Elle force, elle force, elle force toujours plus, mais ce soir, pour la première fois depuis la morsure, je ne cède pas.
Cette terrible description donna la nausée à Teddy. Il s’efforça de garder la face, et se concentra sur le positif.
— C’est encourageant.
— Je ne sais pas. Chaque nuit est différente. C’est un peu aléatoire. Je dirais presque que c’est selon l’humeur de la louve. Peut-être qu’on l’a prise par surprise ce soir. Mais j’ai du mal à croire qu’on arrive à la dompter.
Le fait que Leliti parle de sa malédiction à la troisième personne était terrifiant. Son père avait-il le même ressenti ? Vivait-il les mêmes horreurs chaque mois ?
Leliti bâilla. Il était presque dix heures du soir.
— On devrait aller dormir, lui dit Teddy.
Leliti était hésitante.
— Je n’ai jamais dormi pendant la pleine lune…
— C’est le moment d’essayer.
— Et si je me transforme, finalement ?
— Je me transformerai moi aussi.
— Et si je me transforme pendant que vous dormez ?
— Le lit est enchanté. Il peut supporter quarante kilos, mais pas quatre-vingts. Crois-moi, tu ne te transformeras pas sans que je m’en rende compte.
— Et si je vous attaque sans m’être transformée ?
— J’aurai une ou deux traces de griffures d’une petite fille de onze ans sur le visage. J’espère que Mrs. Pomfresh saura me guérir.
Teddy vit alors pour la première fois le sourire de Leliti tandis qu’elle s’esclaffait. Ce sourire changeait absolument tout, et lui donnait chaud au cœur. Il sourit à son tour. Leliti s’allongea sur son lit, et il en fit autant sur le sien.
— Est-ce que toute l’école est au courant ? demanda timidement Leliti.
— Non, bien sûr que non ! la rassura Teddy. Seulement les enseignants. Pour ce qui est de tes camarades, libre à toi de leur dire si tu le souhaites, quand tu le souhaites.
— Oh, ça je sais bien, fit-elle d’une voix enjouée, je ne parlais pas de ça.
— Hein ? De quoi parles-tu ?
— Est-ce que toute l’école sait que vous… que tu sors avec l’infirmière ? lança-t-elle en rigolant.
Teddy éclata de rire, et Leliti en fit autant.
— Non, mais visiblement, je ne crois pas que l’on parvienne à garder le secret bien longtemps.
— Tu gardes mon secret, je garde ton secret.
— Marché conclu !