La mort est une fin heureuse
Pravin, Septembre 2021.
— Allez, file d’ici, ton train va partir.
Pravin observa sa tante faire demi-tour sur le quai de la voie 9 ¾, et se diriger vers la sortie en allant à contre-sens du flot de parents qui venaient dire au revoir à leurs enfants. Sans un regard en arrière, elle franchit précipitamment la barrière qui séparait le monde sorcier du monde moldu.
Seul au milieu des parents, Pravin saisit la poignée de sa petite valise et se laissa emporter par la foule en direction du Poudlard Express qui était sur le point de s’en aller. Il repéra la porte la plus proche, et souleva sa valise pour monter dans le train.
— Tu as besoin d’aide, mon garçon ? demanda un vieux sorcier souriant portant un chapeau vert rabougri.
— Non, répondit aussitôt Pravin avant de se précipiter à l’intérieur du train et de refermer la porte derrière lui.
À travers la vitre, Pravin aperçut l’expression légèrement indignée du vieux sorcier. Il avait l’air stupide. Pravin continua son chemin dans le train à la recherche d’un compartiment vide. Il en trouva un, y entra, hissa sa valise sans trop de difficultés dans les filets prévus à cet effet, et s’assit près de la fenêtre.
Il ne regarda pas à travers la vitre, ne voulant pas voir les visages ahuris de tous les parents qui agitaient leurs bras comme des idiots pour dire au revoir à leurs enfants. De toute façon, aucun de ces parents ne regardait en direction de son compartiment.
Pravin fût tout de même soulagé quand le train quitta la gare. Il en avait marre de fixer le siège vide face à lui, et se mit donc à observer le paysage qui commençait à défiler. D’abord un tunnel sombre, puis des bâtiments grisâtres, et enfin des collines, des arbres et des champs.
Pravin était un jeune garçon d’à peine onze ans. Il était petit, mais assez costaud. Il avait les yeux bleu clair, des cheveux noirs coupés très courts, et des sourcils particulièrement épais. Son visage affichait toujours une expression très sombre. Il ne souriait jamais. En fait, il n’avait pas vraiment de quoi sourire.
Durant les premières années de sa vie, il avait vécu modestement, élevé par son père. Cette période n’avait jamais été désagréable, mais on ne pouvait pas dire que Pravin avait été heureux. Il aimait bien son père, mais ce dernier avait toujours l’esprit occupé, la tête ailleurs. L’éducation qu’il avait offerte à son fils relevait du strict minimum.
Pravin n’avait jamais connu sa mère. Après lui avoir donné naissance, elle l’avait laissée à son père et était partie. Son père ne parlait jamais d’elle. Et Pravin ne s’en plaignait pas. Il se contenait de ce qu’il avait.
Mais deux ans auparavant, son père avait été tué mystérieusement en plein milieu du Chemin de Traverse. Et Pravin avait dû quitter sa petite maison pour vivre avec sa stupide tante Karen.
La tante Karen était une moldue. Elle aimait profondément son frère Cranston, mais détestait Pravin. Enfin, elle le détestait depuis la mort de son frère. Pour une raison qui échappait à Pravin, elle semblait convaincue qu’il avait une part de responsabilité dans la mort de Cranston.
La tante Karen n’avait pas d’enfants, elle avait donc dû déménager pour pouvoir loger Pravin, à son plus grand agacement. Depuis deux ans, tous les deux vivaient donc dans un petit appartement moisi à Durham, avec les trois vieux chats de la tante Karen. Cette dernière travaillait comme adjointe au patron d’un grand magasin Sainsbury’s, et son salaire lui permettait d’assurer le loyer.
De son temps libre, la tante Karen passait son temps à regarder des idioties à la télévision, à râler sur les actualités qui ne lui plaisaient pas, et à téléphoner à ses copines. Pravin, lui, faisait… rien du tout. Il passait ses journées dans sa chambre à regarder le plafond ou à observer les voisins et les passants. Sa vie avec son père n’avait rien d’exaltant, mais il avait quand même l’impression de mourir d’ennui chez sa tante.
Mais il n’était pas pour autant heureux de quitter cet endroit pour rejoindre Poudlard. Il n’avait pas hâte de se faire des amis, ni d’apprendre de choses sur la magie. En fait, il était un peu rebuté sur les sorciers depuis son père avait été tué par l’un des siens, et que le ministère de la Magie avait pris la merveilleuse décision de le laisser vivre chez sa tante. On lui avait rapidement demandé s’il avait des objections quant au choix de son nouveau foyer, mais Pravin n’avait trouvé aucune réponse. Il ne voulait pas rejoindre un orphelinat, car il aurait dû côtoyer d’autres enfants. N’ayant eu aucune autre option, il avait dû consentir à aller vivre avec la tante Karen.
Après réflexion, Pravin s’était dit qu’aucune perspective d’avenir qu’on lui avait proposée ne lui procurait une once de joie. Mais rejoindre Poudlard était toujours mieux que de rester cloîtré dans sa chambre à subir les éclats de voix de sa tante au téléphone.
* * *
À son grand agacement, Pravin entendit la porte du compartiment s’ouvrir, et une élève plus vieille s’assit face à lui. Elle était grande, habillée tout en noir, et ses cheveux sombres et ondulés tombaient sur ses épaules. Pravin la regarda avec méfiance, droit dans les yeux, pendant de longs instants.
— Pourquoi tu me regardes ? demande la fille avec agressivité.
— Pour rien, répondit Pravin, ne souhaitant absolument pas lancer une conversation.
Mais Pravin ne baissa pas les yeux. Il voulait faire comprendre à cette fille qu’elle n’était pas la bienvenue.
— Écoute, reprit la fille. Je cherche pas à discuter. Alors si tu me laisses tranquille, je te laisse tranquille.
Surpris, Pravin haussa les sourcils. C’était un compromis qui lui convenait parfaitement. Il ne connaissait même pas le nom de cette fille, et c’était très bien comme ça.
— D’accord, répondit Pravin avant de replonger son regard dans le paysage.
Mais leur tranquillité ne dura pas bien longtemps. Au bout d’une dizaine de minutes, durant lesquelles la fille face à lui avait commencé à lire un livre, la porte du compartiment s’ouvrit à nouveau, et quatre élèves entrèrent. Deux d’entre eux étaient de toute évidence des jumeaux : ils avaient le même visage rond et ahuri, et leurs cheveux blonds partaient dans tous les sens. Avec eux, il y avait une fille aux cheveux brun foncé portant un étrange gant à sa main droite, et un garçon, plus jeune, qui lui ressemblait, et qui affichait un sourire narquois.
— Mokrane ! s’écria un des jumeaux. Comment ça va, tu as passé un bel été ?
La fille assise en face de Pravin, qui s’appelait apparemment Mokrane, soupira.
— Dragonneau, répondit-elle avec exaspération. Qu’est-ce que vous venez faire ici ?
— Et bien on cherchait un compartiment avec Lorcan, et on est tombés sur Alice et Frank, donc on a décidé de chercher ensemble, mais c’était impossible de trouver un…
— Laisse tomber, j’aurais pas dû demander, coupa Mokrane. Installez-vous mais ne faites pas de bruit, j’aimerais bien lire tranquille.
Pravin les observa s’assoir. Les jumeaux s’appelaient Dragonneau. C’était le même nom qu’il y avait sur le livre qu’il avait dû acheter pour les cours : Vie et habitat des animaux fantastiques, par Norbert Dragonneau. Il n’avait pas saisi le prénom de celui qui avait parlé, mais l’autre s’appelait Lorcan. Peu importe. Ils seraient à présent Norbert numéro 2 et Norbert numéro 3. Il n'avait aucune intention de retenir trois prénoms différents associés à un même nom de famille. La fille s’appelait Alice, et le dernier garçon Frank. Comme ils se ressemblaient, et que Norbert numéro 2 avait dit qu’ils étaient venus ensemble, ils étaient probablement frère et sœur.
— Vous avez-vu Evie et Basile ? demanda Norbert numéro 3 à Alice.
— Non, répondit cette dernière. Ils ont peut-être croisé Entis et ont trouvé un compartiment…
— Alors par contre, ça va pas le faire, coupa brusquement Mokrane. Déjà que j’accepte que vous soyez ici, si en plus vous vous mettez à bavasser…
— On ne fait que discuter, s’indigna Alice. On ne va quand même pas rester ici sans rien faire pendant des heures !
— Ça serait parfait, merci ! répliqua Mokrane.
— Et bah non, c’est mort ! T’es pas propriétaire du compartiment, on a aussi le droit d’être là, et on a le droit de discuter !
Mokrane n’avait plus rien à dire, mais ne semblait pas vexée du tout. Elle jeta à Pravin un regard qui disait « Bah, au moins j’ai essayé ».
— Désolé Mokrane, commença Norbert numéro 2, mais elle a…
— Rah, la ferme, toi ! cracha Mokrane avant de se replonger dans son livre.
Les quatre amis reprirent donc leur discussion. Pravin n’y prêta aucune attention, n’étant pas du tout intéressé par leurs histoires. Il continua de contempler le paysage en pensant à son père.
Son père n’avait jamais beaucoup parlé de son propre séjour à Poudlard. Il n’y avait pas été particulièrement heureux. En fait, la seule chose que Pravin savait de la scolarité de son père, c’était qu’il avait rencontré le grand Harry Potter. Ce dernier était en quatrième année quand son père était arrivé à Poudlard. C’était l’année du très célèbre Tournoi des Trois Sorciers de 1994. Son père avait passé sa première année à voir les exploits du jeune Harry Potter, et à entendre des histoires sur lui. Quand Potter avait annoncé le retour de Lord Voldemort en fin d’année, il l’avait tout de suite cru.
Mais Potter, lui, ne savait pas qui était Cranston Dickett. Leur seule interaction fût lors de la troisième année de ce dernier, quand il avait tenté d’intégrer l’équipe de Quidditch de sa maison, et quand Potter l’avait lamentablement recalé. À raison, disait Cranston.
Quand Potter avait été en fuite durant l’Année des Ténèbres, Cranston n’était pas non plus retourné à Poudlard, en tant que né moldu. Il s’était caché toute l’année, avec la tante Karen, chez le cousin de leur mère, en France. Il était ensuite retourné à Poudlard pour ses quatre années d’études restantes.
Oui, Pravin connaissait bien toutes ces histoires. C’étaient les seules que son père lui racontait. Pravin se demanda si, comme son père, il vivrait sa scolarité dans l’ombre des exploits d’autres élèves que lui. Son père avait été extrêmement heureux de lui apprendre, après avoir fait quelques calculs, qu’il passerait cinq ans à Poudlard avec des enfants de Harry Potter. Pravin ne voyait pas en quoi cette information était réjouissante. Mais il se promit de chercher discrètement qui étaient les enfants de Potter, en honneur à son père.
* * *
Vers une heure de l’après-midi, une vieille dame passa dans le couloir avec un chariot rempli de friandises. Pravin ne voulut rien. Mais Alice, les deux Norberts et Mokrane se levèrent pour acheter un truc à manger. En se levant, Mokrane laissa son livre ouvert sur sa banquette. Alors, il se passa quelque chose à laquelle Pravin ne s’attendait pas.
Frank se leva discrètement, et se dirigea vers la fenêtre, face à Pravin. Il prit le livre de Mokrane, et y glissa un minuscule objet tout fin entre les pages. Puis, il se retourna vers Pravin, lui adressa un clin d’œil, et posa son doigt sur sa bouche pour lui faire signe de ne rien dire, avant de rapidement retourner près du chariot, derrière sa sœur.
Intrigué, Pravin ne dit rien, et préféra observer la scène. Quand la femme du chariot fût partie, et tout le monde se soit assis à sa place, Pravin observa attentivement Mokrane ouvrir une boîte de Chocogrenouilles avant de reprendre sa lecture. Depuis l’autre coin du compartiment, Frank ne prenait même pas la peine d’être discret : il attendait que quelque chose se passe. Mokrane remarqua les regards de Pravin et de Frank.
— Qu’est-ce que vous me voulez, tous les deux ? lança-t-elle. Qu’est-ce qui vous…
Un grand BOUM retentit. Un flot d’encre noire jaillit du livre et se répandit sur le visage, dans les cheveux, et sur les vêtements de Mokrane, qui poussa un grand cri aigu et eut un mouvement de recul, se tapant en plus l’arrière du crâne contre la vitre. Un des Norberts sursauta tellement fort qu’il glissa de son siège.
Pravin éclata alors d’un grand rire. La surprise, l’expression choquée de Mokrane et les sursauts de tous les autres le rendaient hilare. Mais surtout, le fou rire de Frank était tellement particulier, tellement étrange mais drôle que tous les deux riaient en chœur, au milieu du silence.
— C’est quoi ce bordel ?! cria Mokrane.
Pravin et Frank rirent de plus belle.
— C’est toi qui a fait ça ? s’écria Mokrane à l’adresse de Pravin.
— N… N… Non, s’étrangla Pravin entre deux rires.
— Frank ! protesta Alice en direction de son petit frère, qui était en train de s’écrouler de rire par terre.
— Putain mais j’y crois pas ! s’exclama Mokrane en donnant un coup de pied de rage à son siège. T’es sérieux là ?
Frank ne prit pas le peine de répondre. En fait, il n’avait pas l’air d’être en capacité de répondre tellement il riait.
— Espèce de p’tit merdeux ! s’écria-t-elle en sortant sa baguette.
Aussitôt, Alice se leva, et se plaça entre elle et son frère.
— Non, Dinah, arrête ! Fais pas de connerie ! S’il-te-plaît !
— Mais t’as vu ce qu’il m’a fait ?!
— Si tu lui lances un sort, tu auras une retenue ! protesta Alice.
Mokrane donna un nouveau coup de pied dans son siège.
— Putain de p’tit con ! cracha-t-elle avant de sortir du compartiment à toute vitesse.
Un des Norberts était sous le choc, et celui qui était tombé s’était rassit précipitamment. Pravin et Frank étaient toujours à bout de souffle
— Taisez-vous, tous les deux ! s’exclama Alice. Frank, pourquoi t’as fait ça ? T’es débile ou quoi ?
— Parce qu’elle avait l’air de se prendre un peu trop au sérieux, répondit Frank. Du coup ça rend la blague encore plus drôle.
— Mais t’es même pas arrivé à Poudlard, et tu commences déjà tes bêtises ?
— Oh, ça va, il faut bien rigoler, hein !
— Mais elle allait te lancer un sort ! Si tu continues, tu vas t’attirer des ennuis ! En plus, je te parie que tu vas déjà avoir une retenue ! Et sans parler de ce que Papa va dire quand il va…
— Papa ne s’attendait sûrement pas à ce que je sois aussi sage que toi, si ? répliqua Frank.
— Ce n’est pas la question ! Il est prof, ici !
— Et bien il fera son boulot, et me collera une retenue, et puis voilà !
Alice soupira. Frank croisa rapidement le regard de Pravin, et tous les deux eurent un petit rire. Alice jeta un regard mauvais à Pravin, soupira à nouveau, et se plongea dans une conversation avec les Norberts.
* * *
Mokrane ne revint pas dans le compartiment. Elle y avait laissé ses affaires, mais elle avait dû préférer rester ailleurs. Durant tout le reste du trajet, Pravin et Frank restèrent silencieux. Parfois, leurs regards se croisaient, et un sourire incontrôlable se dessinait tout seul sur leur visage.
Quand le train arriva en gare de Pré-au-Lard, Pravin descendit du train derrière Alice, Frank et les Norberts. Il n’avait aucune intention de rester près d’Alice, mais il aurait bien aimé suivre Frank. Heureusement, une espèce de montagne vêtue d’un manteau fit raisonner sa grande voix à travers le quai :
— Les première année, par ici, s’il-vous-plaît !
Visiblement, les première année devaient prendre un chemin différent des autres. Devant Pravin, Alice se retourna vers Frank pour lui glisser rapidement quelques recommandations.
— Tu vas prendre les barques à travers le lac noir pour rejoindre le château. Suis bien Hagrid. Et pas de bêtises, hein ?
— T’inquiète, répondit Frank avec un petit sourire, de toute façon j’avais qu’un seul pétard.
Cela ne fit pas rire Alice, qui lui tapa gentiment l’arrière de la tête avant de s’éclipser en compagnie des Norberts. Frank jeta un œil derrière lui, et aperçut Pravin.
— Tu es nouveau, toi aussi ?
Pravin acquiesça d’un signe de tête. Tous les deux rejoignirent donc les autres élèves de première année.
En silence, Hagrid les guida à travers des sapins sombres, sur un petit chemin de terre, avant de leur montrer, au loin, de l’autre côté d’un grand lac, un haut château hérissé de tourelles. Devant eux, des barques étaient accostées à un petit ponton de bois.
Pravin s’installa dans une des barques, à côté de Frank ainsi que de deux autres personnes dont il ne jugea pas nécessaire de se préoccuper. Lentement, les barques glissèrent sur l’eau en direction de l’école.
— Au fait, je m’appelle Frank, et toi ?
Pravin tourna la tête vers lui. Il avait la main tendue. Pravin la saisit.
— Pravin, répondit-il.
— Tu viens d’où ?
— Durham.
— Non, mais je parle de ta famille. Tu viens d’une famille de sorciers ou du moldus ?
— Sorciers. Toi aussi, j’imagine ?
— Ouep. Ma sœur Alice est déjà en troisième année. Et mes parents… ils sont sorciers aussi. Enfin, tu vas voir mon père bientôt, il est prof ici, ajouta Frank avec amertume.
Pravin se demanda pourquoi Frank n’était pas content que son père soit avec lui au château. Après tout, lui aussi aurait bien aimé avoir son père avec lui.
— Pourquoi ça te dérange ? demanda-t-il.
Frank soupira.
— Oh, parce qu’il ne m’aime pas autant que ma brillante sœur. Je te parie qu’il va essayer de me mettre la pression.
Pravin ne répondit pas.
— Et toi, ils font quoi tes parents ? reprit Frank.
— Je n’ai jamais connu ma mère, répondit Pravin. Et mon père est mort il y a deux ans. Je vis avec ma stupide tante moldue, maintenant.
Frank lui lança un regard triste. Puis, il sourit.
— Au moins, t’es sûr que ta stupide tante ne sera jamais prof à Poudlard ! plaisanta-t-il.
Pravin lui rendit son sourire. Il appréciait la compagnie de Frank, ce qui n’était pas peu dire, puisque cela faisait presque deux ans qu’il n’avait pas apprécié la compagnie de quelqu’un. D’habitude, au mieux, il la tolérait.
Tandis que les barques parvinrent de l’autre côté du lac, et que l’amas de nouveaux élèves se dirigea vers l’entrée du château, Pravin réfléchit à ce qu’il pensait de Frank, et arriva à la conclusion qu’il aimerait bien devenir son ami. Évidemment, il faudra d’abord déterminer s’ils s’entendaient bien en général, et pas seulement après une farce ; si Frank n’était pas répugné à l’idée de passer du temps avec lui, car c’était en tout cas le cas de sa tante ; et enfin si Frank était digne de sa confiance.
Quand Pravin s’extirpa de ses pensées, le groupe de première années était rassemblé devant la table des professeurs, dans la Grande Salle. Il regarda autour de lui, et vit un bon millier d’élèves regarder en leur direction. Assise à la table qui semblait être celle des Gryffondors, il repéra Dinah Mokrane. Son visage étant encore couvert de traces sombre, elle n’avait pas dû réussir à tout nettoyer. Peut-être que l’encre sortie du pétard de Frank était ensorcelée ? Il se mit à rire, et des élèves autour de lui le regardèrent bizarrement. Frank, lui, suivit le regard de Pravin, et rit à son tour.
Le professeur McGonagall, directrice de l’école, s’interrompit dans son discours, et se racla la gorge pour attirer leur attention. Un des professeurs, à la table derrière elle, regarda Frank d’un air sévère, et ce dernier baissa les yeux. McGonagall reprit la parole.
Puis, elle présenta un grand chapeau vert foncé, sur lequel étaient cousus deux gros boutons asymétriques, l’un bleu et l’autre jaune. Le chapeau était entouré d’une sorte de ceinture de cuir brun munie d’une boucle dorée. Tour à tour, McGonagall appela les élèves dans l’ordre alphabétique, et le Choixpeau, comme elle l’avait appelé, envoya chacun de ces élèves dans les différentes maisons. Quand l’élève était envoyé à Poufsouffle, le bouton jaune s’illuminait, à Serdaigle le bouton bleu s’illuminait, à Gryffondor la boucle se détachait et se rattachait, et à Serpentard le chapeau tout entier vibrait. Quand McGonagall prononça « Dickett, Pravin », ce dernier avança lentement vers elle, s’assit sur le tabouret, et la directrice lui enfonça le Choixpeau sur la figure.
« Hmm… Un cas très intéressant… » raisonna alors une voix dans sa tête. Cette voix était étrange. Elle ne semblait appartenir ni à un homme, ni à une femme, et pourtant elle était humaine. La voix continua.
« Tu as des qualités et des défauts assez uniques, je dois dire… Pourtant, ta répartition me semble assez évidente… »
Puis, le bouton jaune du Choixpeau semblait s’être illuminé, puisque McGonagall annonça « Poufsouffle ! ».
Sous les applaudissements des élèves de Poufsouffle, Pravin rejoignit la table correspondante et s’assit précipitamment sur le banc, sans faire attention à ses voisins de table.
Frank, qui s’appelait d’ailleurs Frank Londubat, fût également envoyé à Poufsouffle. Pravin fût donc heureux de le voir s’installer face à lui.
Quand McGonagall annonça le début du festin et des assiettes remplies de plats divers apparurent devant eux, Frank et Pravin mangèrent donc allègrement, heureux de se retrouver ensemble.
Au moment du dessert, le fantôme d’un énorme moine s’approcha d’eux, et entama la discussion.
— Bienvenue dans ma maison, s’exclama-t-il d’un air que Pravin trouva prétentieux. Si vous avez besoin d’une quelconque aide dans ce château, n’hésitez pas un seul instant à me le signaler, je serai ravi de…
— Qui êtes-vous ? coupa Frank.
Le fantôme le regarda avec des yeux ronds.
— Et bien je suis le fantôme de Poufsouffle, répondit-il. Je suis le Moine Gras !
— Attendez… C’est votre nom, ou votre descriptif pour qu’on vous reconnaisse ? demanda Frank tandis que Pravin éclatait d’un grand rire.
— Je… Je vous demande pardon ? balbutia le Moine Gras, interloqué.
— Vous êtes mort comme ça, ou bien vous avez découvert un moyen de vous nourrir après être devenu un fantôme ? cracha Pravin.
Cette fois-ci, ce fût Frank qui éclata de rire. Autour d’eux, personne ne riait, et un élève de quatrième année leur jeta un regard indigné. Le Moine Gras, lui, affichait un sourire qui était de toute évidence forcé. Un sourire qui, si on y prêtait attention, disait « Pour qui vous vous prenez, petits morveux ». Ce sourire faisait rire Frank et Pravin encore plus fort.
— Excusez-moi, je… je suis attendu autre part, marmonna le Moine Gras en flottant vers l’entrée de la Grande Salle.
Frank et Pravin le suivirent du regard, et s’aperçurent qu’une demi-douzaine de leurs camarades les regardaient, outrés.
— Oh, ça va ! protesta Frank. Ça fait un sacré nombre d’années qu’il est ici, vous allez quand même pas me dire qu’on est les premiers à faire ce genre de blagues !
— Le Moine Gras est probablement l’être le plus sympathique de ce château, les gars, rouspéta une élève de cinquième année. Si vous l’insultez, vous vous mettez à dos la moitié de l’école !
— Alors quoi, personne ici n’est capable de reconnaître une blague ? répliqua Frank. On peut pas rigoler ? Super, on va bien se marrer !
— C’était pas une blague, ça, c’était deux merdeux qui se moquaient gratuitement d’une personne juste adorable ! Alors arrêtez de prendre la confiance, mangez votre dîner, et bouclez-la ! grogna l’élève de cinquième année avant de se retourner vers son groupe d’amis.
Frank, qui ne paraissait absolument pas vexé, se retourna vers Pravin.
— Et ben ! dit-il. Si on veut continuer à s’amuser, va peut-être falloir la jouer plus discrètement, vu comment ils ont tous un Brossdur dans le…
Mais Frank fût interrompu par le professeur McGonagall qui annonça la fin du banquet, et invita les élèves à se rendre dans leurs dortoirs respectifs. Elle indiqua notamment aux première années à suivre les préfets de leur maison. Pravin découvrit avec agacement que la préfète qui les appelait était l’élève de cinquième année qui venait de les réprimander. Génial.
Frank l’avait remarqué, lui aussi. Quand son regard croisa celui de Pravin, il leva les yeux au ciel en souriant, comme pour dire « On est pas sortis de l’auberge ».
La préfète ne leur accorda pas un regard, et s’occupa des autres élèves. Tandis que la Grande Salle se vidait petit à petit, Alice surgit d’entre deux groupes de Serdaigles, et se rua sur Frank.
— Bravo Frankie ! rugit-elle avec un grand sourire.
— Bravo pour quoi ? demanda Frank.
— Et bien, ton admission à Poufsouffle !
— Ah oui, quel exploit, ironisa-t-il. Enfiler un vieux chapeau et se faire envoyer dans la maison la moins sélective de l’école, ça m’a demandé pas mal d’efforts !
— Ok, fais le malin, n’empêche que je suis contente pour toi, tu te plairas beaucoup à Poufsouffle.
— Je pensais que tu serais déçue que je ne sois pas avec toi, dit Frank d’un air triste.
— J’espérais que si, répondit-elle, mais dans le fond, je savais qu’on serait séparés. On a des caractères très différents, tous les deux.
Frank baissa les yeux.
— Oui, murmura-t-il.
Alice passa son bras autour des épaules de Frank. Pravin n’eût aucun gène à observer cette scène plutôt intime, et Alice ne lui accorda pas un regard.
— Mais ça nous empêche pas de s’entendre à merveille, pas vrai ? dit-elle avec douceur.
— Oui, répéta Frank, mais cette fois-ci en souriant.
— Bravo Frankie, je suis fier de toi ! fit une voix tendre mais forte derrière eux.
Frank se retourna et son sourire d’effaça. Un des professeurs se tenait près d’eux. Il était grand, un peu trop gras du visage, et Pravin lui trouvait un air simplet. Il devina qu’il s’agissait du père de Frank, le professeur Londubat.
— T’es content que je sois à Poufsouffle ? s’étonna Frank d’un air sombre.
— Bien sûr ! J’ai failli y aller moi-même, et ta mère y était, elle s’en est plutôt bien tirée…
— Je ne suis pas comme Maman et toi, répliqua Frank.
— Je sais, Frankie, ce n’est pas ce que je voulais dire. Poufsouffle est une maison qui te plaira, je suis certain que tu t’y sentiras comme chez toi.
— Ouais, bon, on verra bien, dit Frank en tournant les talons et en se dirigeant vers la sortie.
Alice et le professeur Londubat s’échangèrent un regard à la fois surpris et triste. Ce dernier adressa un signe de tête à Pravin, comme pour lui signifier qu’il devrait rattraper Frank. Pravin s’exécuta sans un regard en arrière. Il entendit Alice murmurer quelques paroles à son père dans son dos, mais ne s’en préoccupa pas.
Frank marchait vite, mais Pravin le rejoignit facilement. Tous les deux suivirent de loin et en silence quelques élèves de Poufsouffle qui se rendaient dans leur salle commune. Ils descendirent dans un sous-sol, et gagnèrent un couloir qui, d’après l’odeur qui y régnait, devait donner sur les cuisines.
Soudain, un petit homme aux proportions étranges, à moitié transparent et flottant à deux mètres au-dessus du sol, se matérialisa devant eux. Tous les deux sursautèrent, mais Frank sut à qui ils avaient affaire.
— Peeves, dit-il.
Peeves l’ignora complètement, et entra directement dans le vif du sujet.
— J’ai entendu dire que vous avez insulté le Moine Gras, dit-il d’une voix aigüe et perçante.
Frank haussa les sourcils, et Pravin répondit avec un ton de défi.
— Oui.
À leur grande surprise, Peeves éclata d’un rire qui raisonna dans tout le couloir. Frank et Pravin échangèrent un regard, abasourdis. Puis, Frank sembla tout à coup comprendre l’envergure du personnage.
— Et c’est nous qui avons balancé de l’encre indélébile à la figure de cette Mokrane, ajouta-t-il.
Peeves rit de plus belle. Un peu nerveux, Frank et Pravin se mirent à rire doucement à leur tour. Puis en voyant la tête décontenancée de deux élèves qui passèrent par-là, ils s’esclaffèrent encore plus.
Quand tous les trois reprirent leur calme plusieurs dizaines de secondes plus tard, Peeves les observa d’un air malicieux. Il dit, d’une voix un peu plus grave :
— Je sens que vous allez me plaire, tous les deux.