Dollhouse
J’étais prêt à réduire le monde en cendres. Prêt à tuer chaque personne sur cette planète, moi y compris, pour ne pas avoir à perdre mon frère. Pour ne pas avoir à traverser cette douleur incommensurable qui me tuerait de l’intérieur. J’étais prêt à détruire le monde entier s’il le fallait, et je savais, en cet instant, que je le ferai si je le devais. S’il me l’imposait. Je ne serai pas de ces personnes qui grandissaient des deuils qu’ils traversaient. Je ne serai pas de ces personnes qui se remettaient un jour d’avoir perdu l’autre moitié de leur âme. Je ne serai pas de ces personnes inspirantes qui traversaient les ténèbres et en ressortaient plus fortes de l’autre côté. J’aurais aimé être un homme meilleur. J’aurais aimé être davantage un homme que ce que je l’étais. Mais lorsque cela le touchait lui, il ne restait rien de raisonné en moi.
Et je me détestai. Je me détestai de la façon dont je lui avais brisé le cœur, parce que je n’avais pas le droit de le faire. Personne n’avait le droit de le faire. Et moi encore moins. Mais il m’échappait. Il glissait entre mes doigts comme de l’eau qu’un enfant essayerait d’enfermer dans ses petites mains, en vain. Et j’essayai de m’y accrocher. J’essayai de l’enfermer, en sécurité, avec mon amitié. Mais il m’échappait. Il avait été à mes côtés pratiquement chaque jour de ma vie depuis que je savais marcher. Toujours là, à côté de moi. Il ne pouvait pas ne plus être. Il était la meilleure partie de moi. Il était la raison pour laquelle j’étais devenu l’homme que j’étais aujourd’hui. Il était la raison pour laquelle j’étais capable d’amour et d’amitié. Il était la raison pour laquelle j’avais appris à prendre soin. La raison pour laquelle j’avais appris à aimer. Parce qu’il en valait la peine, depuis le tout début. Parce qu’il avait touché mon âme dès la première fois que mes petits yeux s’étaient posés sur lui. Parce que j’avais su, dès que je l’avais vu, que cet autre enfant faisait partie de moi. Je ne l’avais pas choisi. Je n’avais pas choisi de l’aimer autant. Je n’avais pas choisi de m’inquiéter autant pour lui. Il était arrivé, haut comme trois pommes dans ma gigantesque maison, fermement tenu par la main géante de son père, et dès que mes yeux s’étaient posés sur lui mon cœur s’était brisé autant que mon âme s’était réparée. Ce qu’il y avait entre nous dépassait totalement l’entendement, et j’en étais parfaitement conscient. J’avais des amitiés fusionnelles avec Pansy et Blaise, mais rien, rien n’était comparable à cela. Et elle avait raison, Pansy, lorsqu’elle nous avait appelés des dépendants affectifs. Je dépendais absolument et totalement de lui, et je savais que l’inverse était vrai. Et je n’en avais rien à foutre. Absolument putain de rien à foutre. J’avais accepté depuis très, très longtemps que je n’étais pas complet sans lui. J’avais compris, quand je n’avais pas même encore six ans, et que je ne pouvais pas dormir, seul dans mon grand lit au manoir, parce que je sentais sa peur alors que lui était enfermé dans sa cave. Parce que la vérité c’était que j’avais toujours tout traversé avec lui, et lui avec moi. Toujours. Même lorsque nos corps n’étaient pas l’un à côté de l’autre. Parce que ce qu’il traversait, je traversais aussi. Et cette nuit, je savais qu’il avait failli mourir. Je savais que j’avais failli le perdre. Qu’il avait failli m’abandonner. Et cela, c’était une réalité avec laquelle je ne pouvais pas composer.
Alors je l’avais attendue, au milieu de la tour d’astronomie. Je l’avais attendue parce que j’étais dépassé. Terrorisé. Parce que j’avais besoin de sentir ses bras autour de moi et sa douceur m’apaiser. J’avais besoin qu’elle soit là pour moi, et pour moi seulement. J’avais besoin de sentir que quelqu’un me tenait, qu’elle me tenait, parce que je ne tenais plus, et que Theodore avait failli s’écrouler. J’avais besoin de sentir qu’elle, elle ne m’échappait pas. Qu’elle, elle demeurait la même, toujours au même endroit, toujours avec la même douceur. Et elle avait répondu à mon appel, comme si elle l’avait attendu. Elle s’était précipitée sur moi alors que j’étais à genoux sur le sol, pleurant tout ce qu’il restait de larmes à l’intérieur de moi. Vulnérable. Brisé. Terrorisé. Elle s’était agenouillée face à moi, et j’avais senti ses bras m’encercler de tout son amour. Et de tout son soutien. Et j’avais pleuré dans le creux de son épaule toute mon impuissance, et tout mon désarroi. Et elle m’avait reçu, comme elle le faisait toujours.
- Il a failli mourir cette nuit, lui appris-je en pleurant dans ses bras sans même avoir la force de l’encercler des miens.
Elle me serra plus fort contre elle, et caressa mes cheveux d’une main qu’elle voulait rassurante. Mais je ne pouvais pas être rassuré.
- Je l’ai senti. Il a failli mourir cette nuit, pleurais-je encore dans toute ma vulnérabilité.
J’avais physiquement mal. C’était comme si la détresse et le désarroi que je ressentais me tuaient de l’intérieur, petit à petit, à chaque fois que nous traversions une épreuve abominable de la sorte. Il paraissait que ce qui ne nous tuait pas nous rendait plus fort. Conneries. Ce qui ne me tuait pas sur le champ s’insérait dans mes veines tel un poison vicieux et se propageait dans mes organes vitaux goute après goute, m’asséchant lentement de toute vitalité jusqu’à ce que finalement, je cède à son baiser infecté. Mais elle ne défit pas son étreinte tout le temps qu’il fallut qu’elle me contienne, comme si elle savait. Elle tentait d’apaiser de la chaleur de ses bras et de la force de sa douceur la propagation du poison dans mes veines. Et je la laissai faire, voulant encore croire en la possibilité que mon sang n’était pas encore trop infecté. Voulant encore croire qu’il n’était pas trop tard pour moi. Et à l’instant même où je pu être capable de lui parler vraiment, elle s’écarta un peu de moi de sorte à pouvoir me regarder. Pour se confronter à ma douleur. Pour la recevoir, encore. Je devinais la vue que je lui imposai, des cernes probablement violettes sous mes yeux gonflés de tout ce que j’avais pleuré, ma peau plus pâle que d’ordinaire et la douleur déformant les traits usuels de mon visage. Oui, les yeux qu’elle posait sur moi m’apprenaient sans détour que je faisais peine à voir.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? chuchota-t-elle finalement.
Je ne trouvais pas encore en moi la force de la regarder lorsque je lui répondrai. Je n’avais plus la moindre force en moi. Mes inquiétudes, mes émotions, celles de Pansy que j’avais prises elles-aussi en plein visage, ce que Theo avait ressenti cette nuit, la détresse que je traversai, tout cela m’avait vidé. Je pris encore quelques instants avant de pouvoir lui répondre, fixant ses genoux collés aux miens sur le sol de la tour d’astronomie, quelques larmes dégoulinant encore le long de mes joues. Il me coûtait de lui raconter. Il me coûtait de lui raconter alors que tout ce que je désirai en cet instant c’était de pouvoir oublier, ne serait-ce qu’un moment. Pouvoir arrêter de pleurer, ne serait-ce qu’un moment. Et pouvoir me reposer sur elle, en sachant qu’elle resterait là, avec moi, ne serait-ce qu’un instant. Mais je voulais qu’elle sache, parce que lorsqu’elle savait, sa présence à mes côtés en devenait dix fois plus précieuses. Parce que lorsqu’elle savait, et qu’elle restait tout de même, sa présence signifiait qu’elle considérait, en toute connaissance de cause, que je méritais qu’elle soit là pour moi. Avec moi.
- Il l’a appelé, commençai-je alors doucement. Seulement lui. Il lui a dit que c’était un test, pour pouvoir devenir Grand Intendant. Et il l’a fait transplaner au milieu d’une dizaine d’Aurors, seul, chuchotai-je avec difficulté. Et il devait les tuer tous, seul, pleurai-je encore en appuyant ce dernier mot, pour pouvoir revenir. Et s’il n’y parvenait pas, il mourrait.
Elle reçut mes mots en silence un instant, avant d’hésiter à demander :
- Et il…, il est revenu ?
Je levai finalement les yeux vers elle. Elle appréhendait ma réponse, mais elle tentait aussi bien qu’elle le pouvait de me le dissimuler. C’était des personnes qui faisaient partie de son camp à elle, qu’il avait exterminé cette nuit. J’acquiesçai en silence, de nouvelles larmes inépuisables continuant de couler sur mon visage, lui confirmant ce qu’elle savait déjà. Et j’étais confronté une nouvelle fois, quand bien même je m’interdisais que de m’y arrêter en cet instant, à la souffrance que lui infligeait notre situation. Elle pinça les lèvres, mais elle garda pour elle la tristesse et l’horreur qu’elle ressentait à la réception de cette information. A la place, elle me demanda doucement :
- Est-ce qu’il va bien ?
Elle se mettrait de côté autant qu’il le faudrait pour moi, et je me demandai, en cet instant, jusqu’où elle était prête à aller. Je la regardai, et je recevais sa question, et je voyais cette femme si forte, si déterminée et si vaillante, qui était abîmée par ce qu’elle ressentait pour un Mangemort. Dont les convictions et les valeurs étaient abîmées par ce qu’elle ressentait pour un Mangemort. Elle venait d’apprendre que dix Aurors avaient trouvé la mort cette nuit. Je savais que son cœur devait battre douloureusement dans sa poitrine et qu’elle devait refreiner en elle les larmes de colère et de tristesse qui montaient surement en elle. Mais pour un Mangemort, elle les ferait taire. Pour le Mangemort que j’étais, elle les mettrait de côté, tant que j’aurai besoin d’elle. Alors je me demandais, jusqu’où était-elle prête à aller pour son Mangemort ?
Je me concentrai à nouveau sur sa question, celle émanant dans mon esprit m’effrayant bien trop. D’une certaine façon, je le supposai, qu’il allait bien. Il était revenu.
- Il est en vie, chuchotai-je alors.
- Est-ce que…, hésita-t-elle encore, est-ce que ça signifie qu’il est Grand Intendant maintenant ?
Elle cherchait à comprendre comment mon monde fonctionnait, et je n’avais désormais plus le moindre doute sur le fait que c’était uniquement pour pouvoir prendre soin de moi, plus que pour aider son Ordre. Son Mangemort.
- Ça signifie qu’il va le devenir, oui, murmurai-je tandis que des larmes silencieuses perlaient toujours sur mes joues. Et ça me terrifie. C’était…, tentai-je alors que de nouvelles larmes m’imposaient le silence, c’était le rôle de mon père. C’est le rôle qui l’a tué, chuchotai-je en fixant ses cuisses. Quand on est Grand Intendant on…, on n’a pas droit à la moindre erreur. A la moindre erreur, il le tuera. Et si…, si ce n’est pas lui qui le tue, le monde entier le connaîtra. Le monde entier saura ce qu’il est, et les moldus, les sorciers, et les Mangemorts voudront tous sa mort, sanglotai-je alors. Et si…, si par miracle il…, si par miracle il ne meurt pas, et que vous remportez la Guerre, il sera jugé et il…, il ne sera pas pardonné. Il…, il aura fait trop de choses, beaucoup trop de choses abominables. Et il sera envoyé à Azkaban. Et si nous remportons la Guerre, il sera coincé dans ce rôle jusqu’à…, jusqu’à ce qu’il en meure. Et dans tous les cas, moi, je le perds, pleurai-je en laissant mon visage s’écrasant contre sa poitrine.
Elle encercla ses bras autour de ma nuque, et elle me serra contre elle, parce que c’était tout ce qu’elle pouvait faire. Parce qu’il n’y avait rien qui pouvait être dit pour m’aider. Parce qu’il n’y avait rien qui pouvait être dit pour me rassurer. Parce qu’il n’y avait que ma douleur et la violence de celle-ci qui existait en cet instant. Parce que j’étais affaibli et vulnérable et que je n’en pouvais plus. Parce que cette vie qui était la mienne me tuait de l’intérieur. Et le pire c’était que j’étais désolé que cette vie mette autant de temps à me tuer.
- Je suis désolée, chuchota-t-elle en me serrant. Je suis tellement désolée Drago, murmura-t-elle alors que j’entendais dans sa voix la larme qu’elle pleurait pour moi.
Et je pleurai, encore. Parce que c’était tout ce que je pouvais faire en cet instant. Pleurer sur le sort de mon frère d’âme. Pleurer sur le sort de mon âme, condamnée. Je nous avais condamnés, tous. Theo, Pansy, Blaise. Je nous avais tous condamnés. S’ils ne m’avaient pas connu, s’ils ne m’avaient pas aimé de la sorte, je n’aurais pas eu à porter sur mes épaules le poids des vies qui comptaient le plus pour moi, sachant pertinemment que si quoi que ce soit leur arriverait, ce serait ma faute.
- Et il… il est dans cette situation…, à cause de moi, sanglotai-je contre elle.
- C’est faux, chuchota-t-elle en s’écartant de moi pour saisir mon visage trempé entre ses deux mains.
Elle aussi, elle pleurait. Et ses sourcils froncés sur son visage témoignaient de la douleur qu’elle partageait avec moi. Avec son Mangemort.
- Il n’a rejoint les rangs que pour me protéger, lui murmurai-je difficilement.
- Tu n’es pas responsable de sa décision, tenta-t-elle encore en chuchotant ces mots à mes lèvres.
Les mouvements de mon visage exprimèrent mon désaccord avec ses paroles pour moi. Mais après tout, peu importait. Nous avions dépassé le stade où ma culpabilité pour leur situation était mon plus gros problème. Mon plus gros poison. Nous l’avions dépassé depuis trop longtemps désormais.
- Ça ne change rien, pleurai-je encore. Je vais le perdre. D’une façon ou d’une autre. Je vais le perdre, Granger. Et je ne peux pas survivre à ça, avouai-je en un murmure douloureux.
- Ne dis pas ça, pleura-t-elle, elle aussi. Ne dis pas ça…
- Je peux pas, je… je peux pas..., lui imposai-je mon impuissance.
Elle me sonda l’espace d’un instant, alors que je sanglotais dans ses bras. Cherchant à savoir si j’étais sincère. Cherchant à savoir si c’était réel. Cherchant à savoir si les mots qui sortaient de ma bouche, aussi terrorisants étaient-ils, exprimaient la vérité. Et elle la vit, la vérité. Et elle le su, qu’il n’y avait rien qu’elle pouvait faire contre cela. Alors elle acquiesça, quand bien même elle pleurait, elle aussi. Elle acquiesça, et elle s’avança :
- Alors on va faire tout ce qu’on peut pour s’assurer qu’il ira bien. Et nous trouverons des solutions, quoi qu’il se passe. Il y a toujours des solutions. On trouvera toujours une solution, Drago.
Je voulais la croire. En cet instant, j’avais besoin de la croire. Je ne savais pas comment faire, mais j’avais besoin de la croire. Parce que je ne savais pas comment naviguer dans un monde où la vie de Theo était en danger. Je ne savais plus comment réfléchir, je ne savais plus comment penser, et je ne savais plus comment agir dans un monde où il risquait de m’être enlevé. Alors j’acquiesçai à ses mots. J’acquiesçai à ses mots parce que le peu d’espoir qu’elle m’offrait était tout ce qu’il me restait. Absolument tout ce qu’il me restait. Alors je m’y accrochais, autant que je le pouvais. Parce qu’il était encore là. Oui, il était encore là. Il m’était revenu. Et j’avais été abominable avec lui. Il avait tenu sa promesse, encore. Comme toujours. Comme à chaque fois qu’il promettait quelque chose. Et j’avais brisé son cœur. Une nouvelle vague de douleur mêlée à de la honte se déferla en moi alors que je revoyais son visage, cette épaisse larme coulant sur sa joue, alors qu’il recevait l’injustice de mes mots en plein visage. Parce qu’il recevait toujours. Que ce soit la douleur de Pansy ou la mienne, ou encore celle de Blaise. Il encaissait toujours. Sans ne jamais rien dire. Sans ne jamais s’emporter. Il avait simplement les épaules pour encaisser, et il le faisait. Mais moi, je n’avais pas le droit de lui faire ça. Pas moi. Pas comme ça. Pas alors qu’il me revenait, comme il m’avait promis de le faire.
- Je lui ai dit…, pleurai-je encore, je lui ai dit des choses affreuses. Je…, je lui ai dit que je ne pouvais plus le regarder, que c’était trop douloureux.
- Sois un peu indulgent avec toi-même, chuchota-t-elle avec tendresse, tu viens de passer une nuit ab…
- … Et sa nuit, à lui ? la coupai-je en levant mes yeux pleins de larmes vers elle.
- Vous venez tous les deux de traverser une épreuve atroce, et les gens blessés disent parfois des choses difficiles, continua-t-elle plus bas.
- Pas à lui, pas comme ça. Certainement pas à lui, répétai-je avec dégoût, je n’avais pas le droit.
- Ce n’est pas une vie ordinaire, celle que vous avez, chuchota-t-elle en caressant mes joues. Et ce n’est pas une relation ordinaire non plus, celle qu’il y a entre vous. Et la nuit que vous venez de passer est, elle aussi, loin d’être ordinaire. Alors je crois qu’il comprendra, quand tu lui diras que tu es désolé de lui avoir dit ça.
Bien sûr qu’il comprendrait. Il comprenait toujours. Cela ne rendait pas acceptable les mots tranchants qui étaient sortis de ma bouche pour autant.
- Je lui ai brisé le cœur, chuchotai-je dans tout mon épuisement.
Le soleil allait très bientôt se lever. Et nous n’avions pas fermé l’œil de la nuit. Et mes émotions, celles de Pansy, et celles de Theodore m’avaient anéanti. Et elle le vit sur mon visage, mon épuisement le plus total. Elle se décala sur le côté, étala ses jambes devant elle, et tapota sur ses cuisses doucement.
- Tu le répareras tout à l’heure, il faut que tu dormes un peu. Repose-toi un moment, offrit-elle avec douceur.
Et je lui obéissais, parce que je n’avais plus la moindre force en moi, et que pourtant le jour allait se lever, et qu’il allait falloir continuer d’avancer. Alors je laissai ma tête trouver un peu de repos sur ses cuisses, et je fermai les yeux l’espace de quelques minutes, bercé par les caresses de ses doigts s’entremêlant dans mes cheveux.
Ce fut ses caresses, lorsqu’elles se firent plus insistantes sur mon visage, qui me réveillèrent que bien trop peu de temps après que j’ai trouvé le sommeil. Je ne savais s’il s’était écoulé ne serait-ce qu’une heure. Mes yeux furent brûlés par la lumière du soleil levant, et il me fallut un moment pour pouvoir les ouvrir complètement. Ma tête me faisait mal, elle aussi, probablement à cause de mon manque cruel de sommeil.
- Il faut te réveiller, le jour se lève, chuchota-t-elle en ne cessant ses caresses.
La douceur de sa voix ne palliait pas au fait que j’étais épuisé, et toujours aussi vidé. La réalité n’avait pas eu le temps de me quitter, ne serait-ce que le temps où j’avais fermé les yeux contre elle. Elle demeurait présente, écrasante, cette réalité. Trop lourde. Bien trop imposante pour pouvoir être évitée, de quelque façon que ce soit. Je me relevai difficilement de ses cuisses et frottais mes paupières gonflées de toutes les larmes que j’avais pleurées.
- Comment tu te sens ? murmura-t-elle vers moi.
Je tournais les yeux vers elle. Elle n’avait pas dormi, le temps que j’avais passé à me reposer sur elle. Elle avait monté la garde. S’était assurée que je trouverai un peu de repos, en paix. Et les petits yeux qu’elle arborait m’apprenaient qu’elle aussi, elle n’avait que trop peu dormi cette nuit.
- Mal, avouai-je avec sincérité de ma voix trop matinale. Mais la vie continue.
Elle passa encore une main délicate dans mes cheveux, et la laissa glisser sur ma joue probablement marquée par les plis du tissu de son pyjama rouge et or.
- Tu veux aller à l’infirmerie, et dire à Mme Pomfresh que tu as été malade cette nuit pour pouvoir te reposer, et prendre un peu de temps avec Theodore ? proposa-t-elle tout bas.
Elle avait l’air d’une maman inquiète pour son bébé. Pour son Mangemort. Je fis non de la tête. J’avais besoin de me mettre en action. Je ne pouvais pas continuer de me noyer dans cet océan de terreur. Je ne pouvais pas continuer de me noyer dans mes pires cauchemars. Il fallait avancer. La vie était ainsi faite. Ma vie était ainsi faite. Le Seigneur des Ténèbres n’attendait pas. Ses punitions n’attendaient pas. Les vies qu’il prenait lorsqu’il n’obtenait pas satisfaction n’attendaient pas.
- Non, ça va aller, lui assurai-je alors. Va te préparer pour le cours de Rogue.
Je me levai difficilement du sol, et elle m’imita. J’imaginai que ses jambes devaient être pleines de fourmis de n’avoir pu bouger le temps que j’avais passé sur elles. Elle attrapa mon poignet alors que je m’éloignai pour rejoindre ma salle commune, et je me retournai vers elle. Je la retrouvai là, la Granger terrorisée. Celle qui doutait. Celle que je pouvais briser de quelques mots. Celle qui dépendait de ma volonté, et des versions de moi que j’avais à lui présenter. Celle qui savait que les choses devenaient sérieuses, réellement sérieuses, et que les incidences étaient-elles-aussi on ne pouvait plus réelles. Et elle avait raison. Mais en cet instant, j’étais bien trop épuisé, bien trop amoché pour le lui rappeler, et pour confirmer ses peurs les plus intimes. Elle me regardait avec douleur, ainsi qu’appréhension. Elle avait peur que je parte, et que je ne lui revienne pas. C’était une peur légitime. C’était même une peur adéquate. Parce que nous y arrivions. Mais à cet instant, j’attrapais sa nuque, l’attirai contre moi, et la serrai dans mes bras un moment. Elle laissa ses bras encercler mon dos, et elle me retourna mon geste en me serrant contre elle. Je laissai une de mes mains s’aventurer dans ses cheveux. Dans ses cheveux que j’aimais tant. Et je les caressai, ces cheveux qui me rendaient fou. Je déposai un baiser appuyé sur le haut de son crâne, et je la sentis inspirer mon odeur contre mon torse quand je la relâchai. Ses yeux étaient rouges quand je la libérai de mon contact.
- Va te préparer, chuchotai-je vers elle en sachant pertinemment que nous arrivions à la fin de notre aventure.
Et elle le savait, elle aussi. C’était écrit sur son visage. Elle l’avait largement compris, cette nuit. C’était concret. Ce n’était plus un futur lointain. Ça se passait, maintenant.
Je n’avais en théorie pas le temps de me doucher avant de devoir rejoindre la classe de Rogue, mais je l’avais pris, ce temps. Il savait ce qu’il s’était passé. Je le défiai de me prendre la tête ce matin-là pour être arrivé en retard de dix minutes à son cours. Je n’avais croisé ni Theo, ni Pansy, ni Blaise en allant me doucher, fort probablement parce qu’ils s’étaient déjà rendus en classe, à l’heure. Je m’y rendais la boule au ventre, embarrassé à l’idée d’être confronté à Theo. Je n’étais pas à l’aise avec ce que je lui avais dit. Il venait de rentrer d’une des probablement pires nuits de sa vie. Et je l’avais rejeté, et je lui avais brisé le cœur. Peut-être avait-il besoin de moi, à ce moment-là. Et moi, je lui avais brisé le cœur.
Tous les regards s’étaient tournés vers moi lorsque j’avais pénétré dans la classe de Rogue, y compris le sien. Il me regarda traverser la salle et m’asseoir à ma place, et il ne dit rien. Pas le moindre mot. J’ignorai les regards critiques des autres élèves. J’étais conscient de l’état dans lequel j’étais. J’étais parfaitement conscient des cernes violettes, presque noires qui encerclaient mes yeux gonflés, et qui demeuraient rouges. Je savais que je ne pouvais pas cacher mon état interne à qui que ce soit. Et en cet instant, cela ne m’importait même pas. Très bientôt, ils seraient tous dans le même état que moi. Certains seraient même morts. Peut-être même de ma baguette à moi. Nous étions parmi eux, et nous menions déjà la Guerre contre eux. Ils ne le savaient simplement pas encore. Mais la Guerre nous tuait déjà, nous autres. Alors, tel un fantôme, je pris ma place en regardant droit devant moi, et Rogue reprit son cours.
Theo était assis quelques tables devant moi, un peu sur la droite. C’était Rogue qui avait décidé de nos places en début d’année. Autrement, il aurait été à côté de moi. Il ne restait rien du sang dont il était recouvert la dernière fois que j’avais posé les yeux sur lui. Et il se tenait droit comme un piquet, regardant face à lui sans n’écouter un traitre mot de ce que racontai Rogue. Il n’allait pas bien. Et je n’allais pas bien non plus. Nous n’étions pas habitués à être dans une telle situation. Dans une situation où nous nous faisions du mal l’un à l’autre. Ça avait toujours été lui et moi contre le reste du monde. Nous ne faisions pas ça. Nous ne nous faisions pas du mal mutuellement. Mais je supposai que les circonstances actuelles, que le contexte dans lequel nous étions, comme me l’avait rappelé Granger quelques heures plus tôt, pouvait nous pousser dans des retranchements qui dépassaient ce que nous connaissions de nous-mêmes. Après tout, il avait failli mourir la nuit dernière.
Oui, il avait failli mourir, même s’il s’était gardé de le dire aux autres. Moi je le savais. Je l’avais senti. Et il ne l’avait pas dit. Je fixai ses larges épaules et son dos imposant, et je me demandai ce qu’il avait traversé sans moi. Et je me demandai comment cela c’était passé. Comment j’avais failli le perdre. Et comment il avait réussi à ne pas mourir. Et je savais, au moment où je le faisais, que c’était probablement une mauvaise idée, mais j’avais besoin de savoir. Je devais savoir. Alors je pénétrais son esprit, et je découvrais ce qu’il s’était vraiment passé ce soir-là.
Le bruit caractéristique d’un transplanage raisonna dans mes oreilles, et alors que j’atterrissais, ancré sur mes deux jambes, je sondais les environs sans prendre le temps de me demander ce qu’il se passait. Une cave. Ou un sous-sol. Un endroit frais et sombre. Une dizaine autour de moi. Par leurs uniformes, je devinai qu’il s’agissait d’Aurors. Deux sur ma droite, devant moi. Un en face. Deux sur ma gauche, devant moi. Et l’équivalent derrière moi, en fonction du nombre de battements de cœurs s’accélérant que je percevais. Je me concentrai pour prendre une dernière inspiration par le nez, et calmai mon corps. Les battements de mon propre cœur et les manifestations discrètes de l’appréhension qui venaient entacher la clarté de mes sens. C’était les leurs, de corps, que je devais écouter. Ils semblaient prêts pour me recevoir. Tous braquaient sur moi leurs baguettes. Le bruit avait dû les alerter. Et si l’accélération de leurs battements par minute au début de mon arrivée m’apprenait leur surprise à me découvrir soudainement au milieu d’eux, la façon dont ils se calmaient désormais m’apprenait qu’ils étaient déçus que ce ne soit que moi. En tout cas, ils n’avaient pas peur. L’un d’entre eux, sur ma gauche, avait discrètement plus de poids sur la jambe gauche de son corps. Il était blessé. C’était le seul.
- Voyez-vous ça, commenta un homme qui se tenait devant moi, sur ma droite.
Longs cheveux blonds et soyeux, peau de pêche, jolis yeux clairs, épaules épaisses. Probablement le favori. Il s’avançait doucement vers moi.
- Le fils Nott, me reconnut-il avec un sourire en coin.
Je supposai que les Aurors devaient avoir d’épais dossiers sur chaque Mangemort, ainsi que sur leur progéniture. Rien de bien étonnant. Ses collègues souriaient, eux aussi. Ils étaient rassurés que ce ne soit que moi, bien que visiblement un peu offensés.
- Ton papa n’a pas pu se libérer ? tenta-t-il de me provoquer avec un ton de voix enfantin.
Le sourire qui se dessina sur mes lèvres n’avait rien à voir avec ceux que j’adressai à Pansy. Sauf peut-être dans certains contextes intimes. Là n’était pas la question. Concentration. Je sorti ma baguette en lui souriant et m’excusai :
- Pardonnez-moi, je n’ai pas le temps pour des préliminaires, il y a des gens qui attendent que je rentre à la maison.
Et je ne perdais pas plus de temps avant d’engager le combat. Je les prenais de court et lançai un Bombarda droit sur leur maillon faible claudiquant, qui fut propulsé en arrière contre le mur en pierre de cette sorte de sous-sol, et il explosa avec ce mur lors de l’impact, son sang se répandant autour de nous avec les débris de l’explosion. L’écoulement de pierre qui suivit ne prit avec lui qu’un seul autre Auror en l’écrasant intégralement. J’en avais compté un de plus avec l’écoulement, étant donné la position de l’impact du Bombarda sur un mur porteur. Tant pis. Je lançais un Impedimenta sur l’Auror qui aurait déjà dû être mort et qui s’avançait vers moi en évitant un Expelliarmus qui me venait sur la droite, et immobilisai les jambes de ce dernier avant de lui lancer un Avada. L’ambiance changea. Les Aurors restants me prirent plus au sérieux. Je venais de prendre trois d’entre eux en trois coups de baguette.
Je contrai un Petrificus Totalus en me retournant vers ceux qui avaient demeuré dos à moi depuis le début de cette rencontre. L’avantage de se battre contre des Aurors était qu’ils ne tiraient pas pour tuer. Ils cherchaient à m’attraper, et à m’emprisonner. Tout au plus à me torturer un peu pour avoir quelques informations, s’il se trouvait que j’en avais. Rien de bien grave. Je n’avais pas le même objectif qu’eux.
Je contrai un Immobulus mais reçu un sortilège qui me propulsa en arrière, me faisant tomber sur le sol, sans me faire trop de mal pour autant. Du moins pas du mal que je pouvais sentir sur le moment. C’était le blondinet. Je lançai cependant un Confringo sur la femme qui tentait discrètement de s’approcher de moi dans mon angle mort par la droite, mais dont le cœur battait trop fort pour que je ne l’entende pas. Elle explosa sans être propulsée contre un mur qui risquait de s’écrouler, et je sentis la fraicheur de son sang se répandre sur ma peau. Je contrais rapidement un sort qui se dirigeait droit sur moi à ma gauche mais je ne pus éviter celui qui me prit de court sur la droite, et qui envoya mon bras droit, celui qui tenait ma baguette, bien trop loin derrière mon dos. Je ne me concentrai pas sur la douleur ni sur mon corps et lançai un Sectumsempra à l’homme qui venait probablement de m’abîmer sévèrement le bras, et il fut propulsé sur le sol, se vidant de son sang. Le blondinet me lança un sortilège qui me frappa en plein abdomen, mais là-encore je continuai d’avancer vers eux, quand bien même je remarquai que ma respiration se faisait plus difficile. Je remarquai que mon corps bougeait plus lentement alors que je me baissai et me retournai pour éviter un nouveau sort lancé par une femme qui s’approchait de moi, ainsi que par blondinet. Je lui lançai un Everte Statum et elle fut projetée en arrière pendant que je lui lançais un Avada qui la frappa de plein fouet. Plus que quatre.
Je contrai un Stupéfix sur ma droite et un Expelliarmus sur ma gauche, mais fut propulsé en arrière à mon tour par le sort d’un homme brun à la peau mate qui s’approchait de moi. Plus près, pensai-je en me relevant en me forçant à ignorer les douleurs dans mon corps. Je contrais un nouveau maléfice qu’il me lançait en s’approchant de moi et lui lançai un Diffindo, sa peau se découpant de part et d’autre sur son visage ainsi que son corps alors qu’il se vidait de son sang, tombant sur le sol. Je lui lançai un Confundo et il explosa, son sang se répandant sur moi quand je fus frappé en plein poitrail par un Expelliarmus.
Je sentis plusieurs os se briser dans mon dos lorsque je rencontrais le sol, et ma respiration fut immédiatement coupée. Ma baguette était à quelques centimètres de mon bras droit étendu sur le sol, cassé lui aussi, je le sentais à présent. Je toussai à la recherche d’air, et essayait de tendre le bras vers ma baguette. Il n'en restait plus que trois. Et je ne pouvais plus bouger le bras, ni le dos, ni quoi que ce soit de mon corps. Je devais attraper ma baguette, sinon j’étais mort. Le blond me domina de sa hauteur et enfonça son pied dans mon ventre alors que je retenais mon cri de douleur entre mes dents. Je ne pouvais plus respirer. Je ne pouvais plus bouger. J’étais coincé. Il appuya plus fort sur mon ventre et je sentis du sang remonter dans ma gorge, inondant mes voies respiratoires. Je me forçais à tousser, cherchant à en expulser une partie. Je n’en sentis qu’une trop faible quantité couler sur mon menton. Je tentais une nouvelle fois de prendre une inspiration et les douleurs dans mon dos m’en empêchèrent absolument. Coincé. Les deux hommes qui restaient avec le blondinet se mirent chacun d’un côté de moi, celui à ma droite poussant ma baguette plus loin d’un coup de pied. Je m’entendais tousser, tentant de respirer, comme si je n’étais plus vraiment dans mon corps.
- Mais t’es qui, toi ? chuchota le blond en me sondant. Comment c’est possible qu’un lycéen puisse tuer sept Aurors tout seul ?
Il appuya plus fort sur mon abdomen et les douleurs dans mon dos s’intensifièrent. Je m’entendis encore tousser, et je tournais douloureusement le visage vers ma baguette. Elle était trop loin. En l’état actuel de mon corps, je ne pouvais pas l’attraper. Je devais l’attraper. L’Auror appuya une nouvelle fois sur mon ventre, et je sentis plus de sang sortir de ma bouche pour dégouliner le long de mon menton.
- Adrien, qu’est-ce que tu fais ? lui demanda d’une voix inquiète l’homme sur ma gauche.
Ma baguette.
- Il vient de tuer sept Aurors à lui tout seul, gronda sa voix colérique.
Je devais attraper ma baguette, pensai-je encore.
- On ne peut pas…
Et je n’entendis bientôt plus rien. Et je ne sentis bientôt plus rien. Et je retrouvais cet état que j’avais connu, cette fois-là, dans la cave de mon père. Cette fois où il m’y avait laissé pendant trop longtemps. Cette fois où j’avais failli mourir. J’allais mourir, réalisai-je alors que de la terreur m’envahissait. Drago m’attendait. Pansy m’attendait. Ils avaient besoin que je les protège. Ils avaient besoin de moi. Drago ne tiendrait pas sans moi. Il ne parviendrait pas à prendre des vies, à mener cette Guerre, et à tenir sans moi. Il mourrait. C’était trop tôt. Pas comme ça. Pas maintenant. Je lui avais promis. Et j’avais promis à Pansy. Je n’avais pas le droit de mourir. Je n’avais pas le droit de mourir. Je devais rentrer pour eux. Je devais tenir pour eux. Je devais me battre pour eux. Mais je ne pus lutter lorsque je me sentis me déconnecter totalement de mon corps, mes yeux se perdant dans le vide au-dessus de l’Auror qui gardait son pied sur moi.
Et soudain je le sentis à nouveau, la force avec laquelle le petit Drago de pas même 6 ans m’avait enlacé pour empêcher mon père de me ramener chez nous, et de me punir. Et j’entendais ses rires et ses cris lorsque je le trouvais toujours quand nous jouions à cache-cache. Et j’entendais à nouveau sa voix paniquée quand il m’appela alors que mon père m’amenait chez lui après m’avoir brûlé les yeux. Et je sentis la chaleur de sa main contre la mienne lorsqu’il m’avait tenu le temps que Narcissa me soigne.
« Ça va aller, m’avait-il chuchoté. Je te lâche pas. »
Et je le revoyais, comme si c’était un film, toutes ces nuits à faire des cauchemars à cause de ce qu’était devenu sa vie. Je revoyais son visage plein de transpiration, livide, et la façon dont ses yeux paniqués se posaient toujours sur moi lorsque je le réveillai, tentant désespérément de le sortir de là, cherchant en moi la force de revenir, fort et ancré.
« Je vais le tuer. Je vais le tuer de mes propres mains, lui avais-je promis. Sans magie, sans baguette. Je vais le tuer de mes propres mains quand le moment sera venu, et chacun d’entre nous, ta mère, Pansy, Blaise, toi, et moi, nous serons sains et saufs. » Et je l’avais vu dans ses yeux argentés, l’apaisement. Parce qu’il me croyait. Parce que j’avais fait en sorte qu’il me croit.
Et je le revoyais, quand Voldemort avait appris pour le monstre qui avait agressé Pansy. Je revoyais la panique sur son visage alors qu’il se tenait devant moi dans la cour du château, et les larmes qu’il pleurait de peur de me perdre. De peur de ce qui était en train de se passer.
« REGARDE-MOI ! avait-il hurlé de sa voix brisée qui raisonnait en moi. Regarde-moi et dis-moi que tu vas m’abandonner ! Regarde-moi et dis-moi que tu vas endosser toute la responsabilité, avait-il hurlé alors qu’il me poussait de toutes ses forces… »
« Tu ne peux pas me faire ça, avait-il chuchoté en pleurant. »
Et je l’avais enfermé dans mes bras. Et j’avais serré son visage contre mon torse. Et il m’avait serré de toutes ses forces, terrorisé que je lui échappe.
« Je ne vais pas t’abandonner, lui avais-je promis. Tu m’entends ? Je ne vais pas t’abandonner. »
Et je revoyais la terreur absolue sur son visage quand Voldemort avait forcé Pansy à me torturer, la douleur dans sa voix quand il avait hurlé « Il va mourir ! ». Et j’entendais à nouveau cette panique sans égale quand nous étions rentrés, et que je demeurais à moitié conscient sur le canapé, et qu’il hurlait « MAIS À QUOI TU PENSAIS BORDEL ?! A QUOI TU PENSAIS ?! BORDEL DE MERDE ! IL AURAIT PU TE TUER ! ». Et je sentais à nouveau la chaleur de son accolade, le lendemain matin dans la Grande Salle. Et j’entendais la force de son amour quand il me chuchota « Je t’aime putain ». Et je l’avais serré plus fort contre moi. Et je m’entendais lui répondre « Je t’aime ».
Et je me rappelais comment je m’étais senti, lorsqu’il m’avait montré dans son esprit la façon dont je le faisais se sentir. Je me rappelai l’énorme créature fluorescente bleue qui avait ma forme, et la vague intense de bonheur, de sérénité, et de sécurité qui m’avait traversé quand elle nous avait enlacés. Je me rappelai à quel point elle avait l’air indestructible, cette façon dont il m’avait représenté.
Et j’entendais le rire de Pansy, nue contre moi la première fois que nous nous étions touchés. Je revoyais ses grands yeux verts posés sur moi, et que je pouvais désormais rencontrer. Dont je pouvais me délecter. Et j’entendais sa voix magnifique dire pour la première fois les mots que j’avais attendu toute ma vie : « Je t’aime, Theo ».
Et je revoyais Drago, dans ce lit d’infirmerie, après s’être jeté sur le crac pour éviter qu’elle soit blessée par le maléfice de Voldemort. Et je me rappelai la terreur et la violence de ce que je ressentais lorsque je l’avais vu, blessé. Abîmé.
Et je revoyais Drago, propulsé de la Tour d’Astronomie par Potter, et l’horreur qui m’avait traversée lorsque pendant l’espace de quelques secondes, j’avais cru le perdre. Et je me rappelai de la rage meurtrière qui avait pris le contrôle de moi quand j’avais frappé Potter qui avait failli me prendre mon frère.
Et j’entendais Pansy, Blaise et lui me souhaiter un joyeux anniversaire alors que je descendais les rejoindre dans notre salle commune, et les grands sourires qui sublimaient leurs visages. Leurs magnifiques visages à tous.
Et je revoyais le mot de Narcissa qui m’offrait la chevalière de Lucius, qui était toujours à mon doigt. Et je revoyais le visage de Drago, émut, qui pensait sincèrement que je la méritais, parce que j’étais sa famille. Ma famille.
Et je revoyais les étoiles, et le visage éclairé par les milliers de celles-ci de Drago, ses traits fins et pâles sublimés par la lune.
« Est-ce que tu vois la constellation d’étoile qui ressemble à un serpent, juste-là ? C’est ta constellation. Je l’ai achetée pour toi. (…) Je voulais que le monde entier puisse regarder le ciel et te voir. Parce qu’autant que je veux très égoïstement te garder rien que pour moi jusqu’à la fin de ma vie, je crois que le monde entier mérite de connaître le nom de l’être humain le plus incroyable qui n’ait jamais béni cette terre, et goûter à ce qu’on ressent quand on sait qu’une telle personne veille sur nous. Parce que tu es ma personne préférée Theo. »
Et je me rappelai sa détresse, dans tout ce qu’il traversait, et dont je ne pouvais pas le protéger, peu importait à quel point j’essayais. Je le revoyais sur le sol de l’escalier de notre salle commune, contre moi alors que je serrai son visage contre mon torse.
« J’en peux plus, chuchotait-il dans toute sa douleur. J’en peux plus. J’y arrive plus, pleurait-il contre mon torse. J’y arrive plus. Je veux que ça s’arrête. Il faut que ça s’arrête, sanglotait-il en enfouissant son visage contre mes pectoraux. »
Et je revoyais l’atrocité de la scène avec le professeur Lupin. Je le revoyais, ivre, tanguant, tenant la baguette de Lupin contre son front, hurlant et sanglotant :
« TUEZ-MOI ! TUEZ-MOI ! ALLER ! ALLER ! JE SUIS JUSTE LÀ ! TUEZ-MOI ! TUEZ-MOI ! ».
Et je me rappelai sa détresse, lorsqu’il m’avait trouvé en haut de la tour d’astronomie, frappant mon crâne contre les barres de fer.
« Tu ne peux pas lâcher, avait-il murmuré en me serrant contre lui. Tu ne peux pas me lâcher Theo, avait-il pleuré. D’accord ? Promets-moi que tu ne vas pas me lâcher. »
Et j’avais enfermé son torse dans mes bras, et j’avais chuchoté contre sa peau « Je te le promets ».
Et je me rappelai cette première fois, dans mon esprit alors que Granger était arrivée dans cette même tour, où il m’avait dit pour se rassurer lui-même, je l’avais vu :
« Je te verrai demain. »
Et je lui avais souri. Et je lui avais promis :
« Et tous les jours d’après. »
Et je revoyais la détresse, alors qu’il dormait à côté de moi, et qu’il cauchemardait encore. Et je revoyais la panique dans laquelle il était plongé, et de laquelle il ne parvenait pas à sortir seul.
« Respire, lui avais-je ordonné, à califourchon sur lui. Reste avec moi, respire. Drago, l’avais-je sommé alors qu’il ne me revenait pas. Respire, mais il ne respirait pas. Concentre-toi sur mes yeux, et respire avec moi. » Et il avait pu, dès lors, respirer à nouveau. Et je nous revoyais, ensemble dans cette douche, l’eau chaude coulant sur nous. « Avec un peu de chance, Azriel épousera ma fille, et nous serons enfin une vraie famille », avait-il rêvé en souriant. Apaisé. Et avec son apaisement, j’avais pu m’apaiser aussi.
Et je le revoyais, pleurant dans mes bras à genoux sur le sol de la cour, alors qu’il venait de découvrir que celle qu’il aimait avait toujours su ce qu’il était. Et je le revoyais lever ses incroyables yeux argentés pleins de larmes vers moi, m’implorant de l’aider, quand il m’avait demandé, perdu, dans toute sa vulnérabilité :
« Qu’est-ce que je fais maintenant ? »
Et je revoyais la main que j’avais passée sur son visage parfait pour essuyer ses larmes pendant qu’il cherchait la réponse au fond de mes yeux.
« Qu’est-ce que je fais, Theo ? »
Et je l’avais relevé. Et il avait répété :
« Je te verrai demain. »
Et je lui avais souri. Et j’avais promis :
« Et tous les jours d’après. »
Et je le revoyais, dans l’animalerie, après qu’il soit venu me chercher dans mes souvenirs dans le sous-sol de mon père. « J’irai te chercher n’importe où, avait-il chuchoté. C’est le deal, non ? Tu me lâches pas, et je ne te lâche pas non plus. »
Et je revoyais Pansy en sanglots sur le sol de notre salle commune, son visage enfoncé dans mon épaule, épuisée. « Je suis là, lui avais-je assuré. Je te tiens. Je gère, avais-je promis. Tu peux lâcher, je suis là. »
Et je la revoyais, sortant du sommeil à côté de moi, pleurant du cauchemar qu’elle venait de faire.
« Tu ne peux pas mourir Theo. Tu ne peux pas mourir, avait-elle pleuré. Promets-moi que tu ne vas pas mourir. »
Et je revoyais son visage que je tenais entre mes mains quand je lui avais promis :
« Je ne vais pas mourir. »
Et je revoyais les yeux de Drago qui s’étaient posés sur moi quand j’avais sentis mon bras me brûler. Et je revoyais le visage de Pansy, tentant désespérément de rester forte pour moi alors que je devais partir. Et je revoyais le doute dans ses yeux quand je lui avais promis :
« Je vais revenir. Fais-moi confiance. Je vais revenir. »
Et j’entendais la voix de Drago qui m’avait prié :
« Je te verrai demain. »
Et je revoyais son visage quand j’avais assuré :
« Et tous les jours d’après. »
Et soudain j’entendis sa voix raisonner en moi. Et je sentis sa terreur qui me ramenait dans le présent, les douleurs de mon corps devenant plus réelles. « J’arrive. Tiens bon. Je viens te chercher. J’arrive, mon frère. »
Je sentis une larme perler sur ma tempe. Il n’arriverait pas à temps. Il ne me trouverait pas à temps. Mon frère. Je n’avais pas le droit de le laisser.
« J’arrive », raisonna encore sa voix en moi. « J’arrive, il va grandir, je te le promets, j’arrive. »
Et je le sentis, son désarroi. Et je la sentis, sa terreur la plus violente. Et je l’entendis me supplier.
« Tu n’as pas le droit de me laisser. Je t’en supplie, ne meurs pas, pleura-t-il douloureusement. »
Et je sentis mon cœur battre plus vite dans mon torse. Et mes yeux revinrent dans le présent, le blond au-dessus de moi appuyant toujours sur mon ventre. Mon frère. Je ne pouvais pas le laisser. Il m’attendait. Il avait besoin de moi. Il m’attendait. Je ne pouvais pas le laisser. Peu importait ma douleur. Peu importait ce qu’il m’en coûterait. Je n’avais pas le droit de rester sur le sol, et de cesser de me battre. Je devais me battre encore pour lui.
Je pris une profonde inspiration par le nez, et entendis mon hurlement raisonner dans l’entièreté de la cave quand je forçais mes jambes à se relever, déchirant mon dos et chacun de mes os brisés alors que j’envoyais celui qui se nommait Adrien hors de moi de la force de mes jambes. De la force de mon amour pour lui. J’hurlais encore quand je me retournais sur ma droite pour me tirer jusqu’à ma baguette, et tuais les trois Aurors restant depuis le sol, me prenant de nouveaux maléfices que je ne pouvais toujours contrer. Mais ils tombèrent, l’un après l’autre, malgré ma douleur. Parce qu’il y avait Drago. Parce que tout ce à quoi je pouvais penser c’était lui. Parce qu’il m’attendait, je le sentis. Parce qu’il avait besoin que je lui revienne. Que je rentre pour lui. Et je demeurai sur le sol, blessé, mon dos brisé. Et la seule chose à laquelle je pouvais penser, c’était qu’il fallait que je trouve en moi la force de transplaner, parce que Drago m’attendait. Et parce qu’il savait que j’avais failli mourir. Et que je n’avais pas le droit de le laisser dans le doute. Il ne pouvait pas penser que j’étais mort. Je n’avais pas le droit de lui faire ça. Alors je me relevai dans toute ma douleur, et je m’entendis hurler une nouvelle fois alors que je transplanais jusqu’à Voldemort.
Je sortais de son esprit alors que je réalisai que je pleurai dans la salle de Rogue, peinant à respirer. Theo était tourné vers moi, et il me regardait. Il avait failli mourir. Il était seul. Il avait vraiment failli mourir, quelques heures plus tôt. Et je ne pouvais plus respirer. Et je ne parvenais pas à arrêter de pleurer. Il fallait que je sorte de là. L’angoisse et la terreur m’assaillaient. J’avais l’impression de pouvoir encore sentir la colonne dans son dos brisée, et la douleur abominable qu’il avait réussi à ignorer. J’avais encore le goût acide de son sang dans la bouche. Il fallait que je sorte de cette putain de classe. L’intégralité de mon corps tremblait alors que je me levai difficilement. Je voyais trouble. Je me concentrai sur le sol que je voyais double, et me sentais tanguer le long de la classe, m’appuyant sur les bureaux devant lesquels je passais. J’entendais vaguement Rogue m’appeler, mais je devais sortir. Je devais sortir immédiatement. Je ne pouvais plus respirer, et je ne pouvais plus penser. La seule chose que je ressentais, c’était la mort de Theo. Et je le sentis, le bras musclé de Theodore qui s’enferma sur ma taille, tandis que sa main soulevait mon bras pour le passer autour de ses épaules alors qu’il m’aidait à marcher hors de cette classe angoissante. Et je m’appuyais sur lui, comme je le faisais toujours. Et je le laissai me guider, comme il le faisait toujours. Et ensemble, nous sortions de la salle de Rogue sous ses protestations lointaines.
Je pris une profonde inspiration une fois que nous avions passé la porte et nous retrouvions dans le couloir vide à cette heure de cours. Je laissai mes mains retomber sur mes genoux que je pliai, fixant le sol en cherchant désespérément à respirer.
- Drago, me somma Theo face à moi.
Je ne voyais que ses chaussures. Je me concentrai pour pouvoir respirer, et j’entendais son hurlement raisonner encore en moi lorsqu’il avait failli mourir. Il avait réellement failli mourir. Je l’avais vécu avec lui. Il venait de passer à deux doigts de la mort.
- Vous ne pouvez pas sortir de ma classe en vous donnant en spectacle de la sorte, retentit de derrière Theo la voix lointaine de Rogue.
Les pieds de Theo demeurèrent face à moi, et dos à lui.
- Laissez-nous, ordonna-t-il froidement.
- A quoi jouez-vous, voulez-vous que tout le château sache ? continua le Mangemort.
- Laissez-nous, appuya Theo sans se retourner vers lui, la colère grandissant dans la froideur de sa voix.
- Il ne faut pas prendre de responsabilités que l’on n’a pas les épaules d’assumer Monsieur Malefoy, votre comportement ne fait que vous mettre plus en danger que ce que vous ne l’étiez déjà, trancha sèchement le professeur.
Et je vis les pieds de Theodore se retourner face à lui alors que je peinais toujours à respirer, appuyé sur mes genoux. Quand la voix de Theo raisonna à nouveau, elle n’était plus seulement froide. Elle était menaçante.
- Je vous conseille d’arrêter de parler sur le champ, et de retourner donner votre cours aux élèves qui vous attendent.
Rogue demeura silencieux un instant, sondant probablement mon frère, cherchant à savoir si cela valait la peine qu’il le provoque ou tente de lui faire la morale.
- Vos faiblesses font ses forces, déclara-t-il finalement plus bas.
- Foutez le camp, trancha Theo d’un ton glacial.
Et il obéit, retournant dans sa classe alors que Theo me faisait à nouveau face. Et je ne pouvais toujours pas sortir de mon esprit ce que j’avais vu dans le sien. Et avec ces images, avec ces sensations, avec sa douleur l’angoisse me possédait. Obscurcissant mon esprit et tout jugement. Toute capacité à respirer convenablement. Parce que c’était notre réalité, sa réalité. Et que plus les jours passaient, plus cela devenait sa réalité. Et plus je risquai de le perdre.
Je le vis s’accroupir face à moi de sorte à ce que je puisse le voir, et il enfonça ses yeux dans les miens. Et je ne pouvais pas détourner le regard. Parce que tout ce que je demandais, tout ce dont j’avais besoin, c’était d’être assuré que je pourrais toujours admirer la beauté de ces yeux-là. Et ils étaient là.
- Drago, chuchota-t-il à nouveau, je suis là.
Oui, il était là. Pour combien de temps encore, cependant ? Pour combien de temps avant que ses nouvelles fonctions ne me privent de lui ? Avant que quelqu’un me l’enlève, et que je me retrouve seul ? Abandonné, sans lui ?
- Bloque tes pensées, m’ordonna-t-il sans lâcher mon regard. On va l’écouter, toute cette inquiétude en toi. On va leur donner leur place, à ces pensées-là. Mais d’abord, elles doivent te laisser respirer, d’accord ? Alors ignore-les, et concentre-toi juste sur mes yeux, et respire avec moi.
Je sentis à l’intérieur de moi que cela me semblait être un compromis acceptable, alors je l’écoutais, comme je l’écoutais toujours. Et je regardais ses yeux, et j’ignorai les pensées catastrophiques qui déferlaient en moi. Je les laissais couler sur moi sans leur prêter attention, et je me concentrai sur les plis bleus à l’intérieur de ses pupilles. Je notai chaque tâche plus claire, et chaque tâche plus foncée dans ses iris, et je suivais le rythme de ses respirations avec mes propres inspirations.
- C’est ça, encouragea-t-il en inspirant profondément par le nez, respire avec moi.
Et je lui obéissais, parce que c’était pour cela qu’il était la personne parfaite pour être Grand Intendant. Parce que rien chez lui ne laissait de place à l’hésitation. Rien chez lui ne laissait de place au doute. Il disait quelque chose, et on s’exécutait. Il disait quelque chose, et on le croyait.
Je parvins finalement à inspirer et expirer convenablement, et je sentis mon corps à l’intérieur de moi s’apaiser. Il me força à continuer à respirer un moment encore cependant avant que je puisse me relever, et il m’imita. Et finalement, une larme perla sur ma joue alors que je le regardai encore.
- T’as vraiment failli mourir, chuchotai-je.
Il acquiesça doucement.
- Oui, j’ai failli.
Je sentis mes sourcils se froncer sur mon front alors que je le regardais douloureusement, ce seul être au monde que j’étais incapable de perdre.
- Tu m’avais promis que tu m’abandonnerais pas, murmurai-je encore. T’avais promis que tu me laisserais pas…
Il demeura calme devant ma douleur, comme il l’était toujours. A recevoir simplement, comme toujours. Peu importait l’état dans lequel nous étions, Pansy, Blaise ou moi. Il demeurait ancré, et il recevait.
- Et je ne l’ai pas fait, m’adressa-t-il doucement en retour. Je suis revenu.
De lourdes larmes perlèrent le long de mes joues alors que je ne pouvais pas le quitter des yeux. Cet être que j’avais failli perdre et que j’aimais plus que tout au monde. Sans lequel je ne pouvais fonctionner.
- Tu ne peux pas mourir, chuchotai-je.
Ses propres yeux se mouillèrent de larmes quand il répliqua sur le même ton que moi, l’ambiance lourde entre nous :
- Je serai là autant que tu auras besoin de moi.
- Mais j’aurai toujours besoin de toi, pleurai-je dans toute ma vulnérabilité.
- Alors je serai avec toi jusqu’à la fin, promit-il, une larme cheminant le long de sa joue.
Je n’attendis pas qu’il m’ouvre ses bras pour me blottir contre lui et le serrer de toutes mes forces restantes. Et je laissai ce sentiment d’être à la maison prendre possession de moi, et apaiser mes maux. Et je sanglotais dans ses bras alors que je m’excusai :
- Je suis désolée de ce que je t’ai dit.
Il me serra plus fort contre lui et caressa mon crâne.
- C’est rien, tout va bien.
- J’suis tellement désolé, pleurai-je contre lui.
- Tout va bien, apaisa-t-il doucement.
Et nous nous permirent de rester ainsi un moment, et j’écoutais son cœur battre. Et je laissais son odeur remplir mes narines. Et je sentais la chaleur de son corps contre le mien. Il était rentré pour moi.
Theodore avait passé le reste de la journée à côté de moi. Il avait fait fuir toutes les personnes qui habituellement étaient assises à côté de moi en cours, quand ce n’était pas déjà sa place attitrée, et il était resté là, montant la garde à côté de moi. Surveillant mes angoisses, contrôlant ma respiration et le rythme des battements de mon cœur. Il m’avait expliqué que lorsqu’il avait transplané jusqu’au Seigneur des Ténèbres, ce dernier l’avait soigné, quand je lui avais demandé comment allait son dos. Nous avions subi notre journée, tous deux épuisés, Pansy et Blaise également, mais nous avions survécu. Nous avions tous survécu. Et lorsque le soir arriva, Blaise trouva tout de même la force de nous proposer de nous rendre sur le terrain de Quidditch, en souvenir du bon vieux temps, pour prendre un verre avant d’aller dormir comme nous le méritions largement. Nous étions tous plus qu’épuisés, mais plus que tout nous en avions tous besoin. D’un moment ensemble. D’un moment paisible entre nous. Alors nous avions tous accepté.
Nous étions tous les quatre assis en cercle sur le terrain de Quidditch, Pansy blottie contre Theodore, nos épais manteaux nous tenant chaud en ce mois de janvier alors que Blaise faisait tourner entre nous une bouteille de whiskey. Les yeux de Pansy étaient si gonflés des larmes qu’elle avait pleurées la nuit d’avant qu’ils en étaient presque fermés, mais son visage reposait paisiblement contre l’épaule de son petit-ami qui n’abordait sur lui que des cernes violettes minimes pour tout signe de ce qu’il venait de traverser. Les cernes de Blaise, quant à elles, étaient creusées dans son visage, comme à son habitude. Nous étions épuisés. Mais nous étions ensemble.
- S’il n’y avait pas eu tout ça, et s’il n’y avait pas cette Guerre, ça aurait été quoi votre vie de rêve ? demanda doucement Pansy avant de prendre une gorgée de la bouteille que Blaise venait de lui faire passer.
Blaise soupira avec un sourire et laissa les paumes de ses mains rencontrer l’herbe du stade pour prendre un peu de recul et contempler le ciel étoilé au-dessus de nos visages. Je notai la constellation de mon frère, et je savais que lui aussi, c’était celle-ci qu’il regardait. Lorsqu’il baissa les yeux pour me regarder, le tendre sourire fatigué, mais plein d’amour qu’il m’adressa me le confirma.
- Putain, si j’avais pensé que ce serait toi la fille qui me presserait en parlant d’avenir, plaisanta Blaise alors que Pansy arrachait une poignée d’herbe pour la lui lancer dessus alors qu’il riait.
Et elle souriait. Cela faisait du bien de revoir ce visage que j’avais trop vu pleurer la veille sourire. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle n’était qu’au début de ses peines. Ce n’était que le commencement. La nuit passée serait bientôt notre quotidien. Et je ne savais pas comment elle allait pouvoir tenir. Je ne savais comment aucun d’entre nous allait tenir. J’avais le sentiment qu’à chaque fois que nous pensions que nous étions arrivés au fond, au fond de l’horreur, au fond de nous-mêmes, que les choses ne pouvaient pas être pires, elles trouvaient toujours le moyen d’être plus abominables encore.
- J’suis sérieuse, aller, l’implora Pansy d’une petite voix.
D’une petite voix épuisée qui ne lui ressemblait pas. Je découvrais que la douleur, que les conditions extrêmes, que la Guerre avait tendance à faire cela aux gens. A faire d’eux ce qu’ils n’étaient pas avant.
- Merde, je sais pas, songea Blaise en regardant les étoiles. J’imagine que j’aurai voulu un poste haut placé pour gagner d’la maille mais sans trop de responsabilités pour autant, et j’aurai probablement passé mes soirées à essayer de vous convaincre de venir dans des clubs privés avec moi, en vain puisque vous êtes putain d’chiants, sourit-il à sa meilleure amie.
- Dans des clubs privés ? questionna Pansy en faisant passer la bouteille à Theo.
- Ouais, t’sais le genre où les meufs dansent quasi à poil, explicita-t-il alors.
Elle leva vers lui un sourcil désapprobateur.
- T’aurais toujours pu essayer, le défia-t-elle.
- T’aurais jamais voulu te poser ? demandai-je à Blaise alors que Theo me tendait la bouteille.
- Pourquoi faire ? me renvoya-t-il. Le propre de la condition humaine c’est de merder. Et à part en ce qui concerne ces deux-là, dit-il en désignant le couple face à lui du menton, j’crois absolument pas aux promesses d’amour éternel.
- Si c’est possible pour ces deux-là, repris-je ses mots, pourquoi pas d’autres ?
- Parce qu’ils sont des malades mentaux, déclara-t-il alors en laissant ses sourcils se dresser sur son front. Avec tout le respect que je vous dois, leur adressa-t-il, je pense sincèrement que vous êtes des vrais malades. La façon dont Theo aime Pansy depuis le début relève de l’obsession maladive, et dans ce cas-là j’pense effectivement qu’y a même pas de question à se poser sur le fait qu’il puisse un jour ne serait-ce que regarder une autre fille. Et c’est pareil pour cette folle à côté de lui, déclara-t-il en souriant à Pansy.
Theo pinça ses lèvres en une moue approbatrice.
- J’ai rien à dire pour ma défense, lui accorda Theo.
Pansy ne trouva rien à dire non plus.
- Mais pour les autres, continua Blaise plus sérieusement, pour ceux qui sont relativement normaux, j’pense qu’on est assez grands aujourd’hui pour savoir qu’il y en a toujours au moins un dans un couple qui finit par merder. Que ce soit flirter avec un collègue de travail quand la routine s’installe dans leur petite vie, ou que ce soit carrément tromper l’être aimé sans pour autant le quitter, ils finissent tous par merder d’une façon ou d’une autre, parce que c’est le propre de la condition humaine, de faire des erreurs. Et qu’il arrive toujours un moment où la vie stagne, où le couple stagne, où alors un moment où on a envie d’un peu de passion, d’un peu de danger, d’un peu de nouveauté. Et mon cerveau n’arrive pas à concevoir comment je pourrais m’engager auprès de quelqu’un, et lui offrir l’intégralité de ma confiance en sachant ça. Parce que moi j’suis pas capable de faire les choses à moitié, déclara-t-il plus sérieusement, et j’peux pas m’abandonner à quelqu’un en sachant que je ne pourrais jamais vraiment savoir si cette personne s’abandonne à moi de la même façon, et pour toujours. Parce que j’connais trop les humains pour être aussi illusionné. Alors j’pense juste que tous ces délires c’est pas pour moi. J’pense même que c’est pas pour la plupart des gens, ces histoires de monogamie, mais que c’est une jolie histoire qu’ils se racontent et à laquelle ils veulent croire. Mais moi j’suis pas du genre à m’raconter des histoires, finit-il alors que je lui passais la bouteille.
Sa réflexion ne me semblait pas délirante, après considération, alors je la lui accordais sans rétorquer, et les deux autres semblèrent d’accord également. Moi, je voulais y croire. Peut-être me racontais-je des histoires. Mais il me semblait que le monde était assez sombre tel qu’il était pour ne pas s’autoriser à espérer qu’il existait quelques personnes droites parmi nous.
- Et vous, ça aurait été quoi, votre vie de rêve ? renvoya-t-il finalement.
J’inspirai profondément, et me prêtai au jeu :
- J’aurais voulu un poste à responsabilités, probablement au Ministère. Et j’aurais voulu une femme de la même envergure à côté de moi, avançai-je avant de me reprendre.
Pas n’importe quelle femme.
- Granger, me corrigeai-je. J’aurai voulu Granger à côté de moi. Ouais, vas-y, rigole, lançai-je à Blaise qui pinçait les lèvres. N’empêche que j’aurai voulu passer mes journées à travailler comme un acharné en sachant qu’elle faisait de même, et j’aurai voulu rentrer avec elle le soir, et passer ma soirée à me disputer avec elle alors qu’elle désapprouverait toutes mes décisions. Et puis je l’aurais mise enceinte, m’autorisai-je à rêver avec un sourire, et je l’aurais regardée devenir folle à devoir rester à la maison et ne pas pouvoir venir travailler à la fin de sa grossesse. J’aurai passé le reste de ma vie à me disputer avec elle de l’éducation de nos enfants, et j’aurai forcé comme un détraqué pour que ma fille tombe amoureuse de votre fils, adressai-je en souriant à Theo et Pansy.
- Qu’est-ce qui te fait croire que ta fille serait assez bien pour mon fils ? renchéri Pansy avec un sourire.
- Soyons sérieux deux minutes, lui rendis-je avec le même sourire, quel enfant pourrait prétendre être meilleur que la progéniture de Drago Malefoy et d’Hermione Granger ?
Blaise rit à gorge déployée avant d’avancer :
- Ça aurait fait des sacrés repas de famille, nous tous, et le clan à Potter.
- Oh putain non, pestai-je avec une moue de dégoût à cette idée que je n’avais pas envisagée dans mon tableau parfait.
Et il rit plus fort encore à ma réponse.
- Ah frérot, si tu l’épousais ce serait pour le meilleur et pour le pire ! s’exclama-t-il.
- Impossible, rétorquai-je à cette idée abominable.
- T’inquiète on mettrait un plan en place, amena Pansy, on accepterait les premiers dîners mais on serait tellement imbuvables que ce serait eux qui finiraient par dire à Granger qu’ils veulent plus nous voir, problème réglé, et toi t’auras fait l’effort.
Theo tourna le visage vers celui de sa moitié qui reposait toujours sur son épaule avec un sourire en coin.
- Machiavélique, commenta-t-il en ronronnant presque.
- C’est pour ça qu’tu m’aimes, lui répondit-elle en relevant le visage plus haut vers lui.
- Et vous, les fous ? leur demanda Blaise.
- Je pense que j’aurai aimé faire de la recherche, commença Pansy. Je sais pas trop sur quoi, mais je pense que j’aurai aimé contribué au développement du savoir dans le monde magique, vu comment ils sont tous débiles là-dedans. Peut-être dans le soin, je sais pas. Trouver des nouveaux sorts, de nouvelles potions pour les choses qui nous bloquent encore. Peut-être que Theo aurait pu être mon cobaye pour essayer de nouvelles expériences, amena-t-elle en adressant un sourire vers son petit-ami.
- J’aurai été tout ce que tu aurais voulu que je sois, chuchota-t-il à ses lèvres avant d’y déposer un tendre baiser.
- Erk, ça suffit vous me donnez la gerbe, déclara Blaise en tendant la bouteille à Pansy. Bon, et toi l’affreux ? demanda-t-il à Theo.
- Je n’ai jamais vraiment réfléchi à ce que j’aurai pu faire au niveau professionnel, je suppose que j’ai toujours pensé que je seconderai Drago dans ses responsabilités. Et j’aurai passé ma vie à m’assurer que Pansy soit la femme la plus comblée de la planète, ajouta-t-il alors qu’elle levait des yeux enamourés vers lui.
- Seigneur, tais-toi et bois, ordonna Blaise alors que nous rions tous à ses protestations.
- T’en fais pas, lui adressa Theo avec un sourire charmeur, je me serai aussi assuré qu’tu sois un homme satisfait.
- Ah bébé, t’as pas c’qui faut pour me satisfaire pleinement, soupira Blaise qui avait néanmoins du mal à soutenir son regard.
Theodore lui leva un sourcil et n’effaça pas son sourire quand il lui adressa de sa voix suave :
- Tu veux parier ?
Et nous nous foutions tous de la gueule de Blaise et de la façon indécente dont il avait baissé les yeux devant le charme de Theodore. Et je les regardai, mes amis qui riaient. Trouvant encore la force de rire en eux malgré la nuit que nous venions tous de passer. Et me jurais de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour les protéger. Tous. De les protéger autant que je le pouvais. Parce qu’ils étaient tout ce qu’il me restait.
- Les choses ont bien changées, depuis la dernière fois où nous étions ensemble ici, n’est-ce pas ? chuchota presque Pansy vers nous.
L’ambiance devint plus émotive.
- C’est rien de le dire, lui renvoya Blaise sur le même ton.
Le bras de Theodore encercla les épaules de Pansy, et il déposa sur le haut de son crâne un baiser appuyé avant de murmurer avec plus de force :
- Au moins on est ensemble.
Oui, nous étions toujours ensemble. Tous les quatre. Nous échangions des sourires les uns avec les autres chargés d’amour, et je les regardais tous. Et je regardais Theo et Pansy, elle qui demeurait lovée contre lui, souriante quand bien même je l’avais vue brisée la nuit passée. Et je réalisai plus concrètement que jamais que ce que j’avais vu d’elle, sa souffrance dont j’avais été témoin, ce n’était pas quelque chose que je pouvais imposer à Granger. Elle méritait mieux, comme vie. Elle pouvait avoir mieux, comme vie. Elle n’était pas coincée, comme nous autres. Elle pouvait avoir autre chose. Quelque chose de plus simple. Quelque chose de plus viable. Quelque chose qui ne la détruirait pas de l’intérieur comme une maladie incurable le ferait. Et je regardai Blaise, et je revoyais les traits de son visage déformés par la douleur alors qu’il perdait sa mère sous ses yeux. Et je regardai Theodore, et je me rappelai que j’avais failli le perdre, et que c’était réel. Et que la Guerre était face à nous, juste de l’autre côté de ces sourires pourtant sincères. Nous y étions. Il allait devenir Grand Intendant. Et le danger était réel. J’avais assez joué avec elle. Toute cette vie, tout ce danger, toute cette douleur qui se dessinait devant nous, elle était réelle. Et je prenais une dernière gorgée en enfermant en moi la part de moi qui était amoureuse de Granger, parce que ça suffisait. Désormais, ça suffisait.
Épuisés comme nous l’étions tous, nous n’avions pas traîné, et la totalité des élèves n’étaient même pas encore allés se coucher lorsque nous rentrions au château, Blaise dissimulant la bouteille dans son pantalon comme si c’était son sexe. Et nous la croisions, lorsque nous passions devant la bibliothèque pour rentrer dans nos dortoirs. Elle s’arrêta devant nous, un épais pull beige la couvrant jusqu’au milieu de ses cuisses, ses longs cheveux bouclés tombant dans son dos. Mes amis se retournèrent vers moi et me saluèrent avant de nous laisser. Ils avaient vu, eux aussi, le sérieux du regard que nous nous échangions, figés l’un en face de l’autre. Parce qu’elle savait, tout autant que moi. Et qu’elle me regardait déjà avec douleur. Parce qu’elle était tout aussi consciente que moi.
- Comment tu te sens ? me demanda-t-elle tout bas.
Je sentais mon estomac se serrer dans mon abdomen, et la douleur monter en moi. Je n’avais pas la force de faire ça ce soir, de le faire vraiment. Mais il était temps. J’avais assez attendu. J’avais assez repoussé l’échéance. Elle ne méritait pas ça. Il était temps.
- Viens avec moi, chuchotai-je en menant le chemin vers la tour d’astronomie où j’espérais que nous serions seuls.
Ses pas raisonnèrent l’un après l’autre dans mes oreilles jusqu’à ce que nous arrivions à destination. Mon cœur battait violemment dans mon poitrail, et il n’y avait rien au monde que je voulais moins faire que ce que je m’apprêtais à faire. Mais je le lui devais. Pour sa vie. Et pour son avenir. Elle méritait mieux. Elle méritait tellement, tellement mieux que la souffrance que j’avais à lui offrir.
Nous étions effectivement seuls, dans cette tour qui renfermait nombreux de nos secrets. J’isolai néanmoins notre conversation d’un coup de baguette avant de me retourner vers elle pour lui faire face. Ses sourcils étaient déjà froncés sur son front.
- Ne fait pas ça, implora-t-elle en chuchotant.
La douleur qu’elle m’imposait déjà sur son visage m’était insupportable. Mais c’était la dernière fois, me promis-je alors. C’était la dernière fois, pour la garder de douleurs innommables qu’elle ne pouvait même pas imaginer. Pour la garder d’une mort certaine qui ne serait que la délivrance de ses souffrances si elle restait à mes côtés. Oui, ce devait être la dernière fois, quand bien même mon cœur se déchirait.
- Je n’ai pas le choix, répondis-je sur le même ton qu’elle. Tu ne te rends pas compte pour pouvoir partir de toi-même, et je comprends, mais moi je me rends compte. Et il est temps d’arrêter avant que tu te retrouves dans une situation de laquelle tu ne pourras pas sortir indemne, murmurai-je douloureusement.
Elle pinça les lèvres alors que ses sourcils se froncèrent plus fort sur son front, et une larme dégoulina alors qu’elle ne lâchait pas :
- Arrête de penser que je ne réalise pas, c’est faux.
Je lui souriais. Je souriais à son déni. Il avait quelque chose d’attendrissant, dans la façon dont ce déni essayait de tout faire pour pouvoir me garder auprès d’elle. Il était insupportable, et il était dangereux, mais dans sa nature profonde, lorsque je le voyais de la sorte, il touchait mon cœur déjà abimé de ce que je devais faire. De devoir lui dire au revoir. De devoir la libérer de moi. De nous.
- Bien sûr que si, comment le pourrais-tu ? chuchotai-je finalement en retour.
- Je n’évite pas les choses difficiles Malefoy, appuya-t-elle avec plus de conviction, je ne fuis pas la réalité et je ne me raconte pas des histoires qui n’existent pas…
- … Granger…, tentai-je doucement de l’arrêter.
- … Non ! m’interdit-elle vivement. Contrairement à toi, j’ai été confrontée à sa cruauté dès ma première année à Poudlard ! Je sais dans quoi je m’embarque, et je sais très bien ce que je risque ! s’emporta-t-elle sans ne plus prendre le temps de respirer. Je sais parfaitement ce dont il est capable, et à quel point il est dangereux ! Je sais le genre de magie dont il est capable, et je sais à quel point c’est presque impossible de le vaincre, pire encore de le tuer ! Je sais ce qu’il est capable de faire aux moldus, aux nés de parents moldus, et à tous les sorciers et sorcières qu’il considère de sang impur ! Je sais le nombre de personnes qui ont perdu la vie, lorsqu’elles se sont retrouvées de l’autre extrémité de sa baguette, et je sais de quelle violence et de quelle barbarie ses rangs sont capables ! Je n’ai jamais reculé face à la menace qu’il représentait depuis ma toute première année à Poudlard, je me suis tenue aux côtés d’Harry dans toutes les épreuves qu’il a traversées, je l’ai vu de mes propres yeux et j’ai vu tout ce qu’il a fait à Harry pendant toutes ces années ! J’ai…
Je n’entendais plus un traître mot qui sortait de sa bouche. Je ne voyais qu’elle, et c’était tout. Rien d’autre. Je voyais la ferveur avec laquelle sa bouche s’ouvrait pour aligner illusion sur illusion. Je voyais le désespoir sur ses sourcils, sur la façon dont ses yeux paniqués cherchaient tout ce qu’elle pouvait trouver à dire pour me convaincre dans sa mémoire, ainsi que sur les larmes qui coulaient silencieusement le long de ses joues. Son déni l’écrasait. Il avait pris pleine possession d’elle, elle qui d’ordinaire avait le cerveau le plus perspicace et brillant qu’il soit. Je lui avais fait cela. Et je devais arrêter ça, une bonne fois pour toute, pour elle. Il n’était pas important que je ne veuille pas le faire. Il n’importait pas le moins du monde que la seule chose que je désirai vraiment soit de pouvoir me réveiller chaque matin à côté d’elle, et m’endormir le soir contre son corps épuisé de moi. Je devais lui sauver la vie, parce qu’elle n’était plus capable de le faire elle-même. Elle méritait un amour qui la remplirait, pas qui la consumerait. Elle méritait une histoire qui la ferait rire aux éclats, pas qui la ferait hurler de douleur. Elle méritait un homme qui pourrait l’exposer fièrement à son bras, pas un homme qui devrait cacher jusqu’à son existence. Elle méritait un homme, pas un monstre. Et la façon dont elle s’entêtait me brisait autant qu’elle m’animait, parce que c’était là une des nombreuses choses chez elle qui me rendait fou. Mais aujourd’hui, c’était la raison pour laquelle elle était en danger. C’était à moi, de lui ouvrir les yeux. C’était à moi de m’assurer qu’elle serait protégée. C’était ma responsabilité. Et je sentis une larme couler le long de ma joue alors que je la regardai avec toute ma tendresse une dernière fois.
- … Tu m’as empêché de tuer Dumbledore parce que tu ne pouvais pas supporter ça, mais tu penses qu’il va se passer quoi ensuite ? coupa ma voix tranchante alors que mon visage se refermait douloureusement. Tu penses que je peux juste arrêter ? chuchotai-je sur un ton glacial alors que les yeux ronds qu’elle m’adressait traduisaient le mal que je lui faisais. Que je peux juste ne pas le faire ? Tu penses sincèrement que je peux passer mon temps avec toi et m’en sortir sans rien faire d’autre ? enchaînai-je sèchement alors qu’elle pleurait en m’implorant de ses yeux blessés. Et tu vas faire quoi, quand je l’aurai fait ? chuchotai-je d’une voix plus sombre. Parce que je vais le faire, affirmai-je dangereusement. Tu vas faire quoi, mh ? Tu vas me laisser t’embrasser, moi, un meurtrier ? Tu vas me laisser te toucher, de ces mains qui auront pris la tête de ton Ordre ? Tu vas me laisser ne serait-ce que te regarder ?
- Arrête, pleura-t-elle en baissant le visage comme si elle avait peur.
Il fallait qu’elle ait peur. Il fallait qu’elle me laisse, une bonne fois pour toute. Même si cela brisait mon âme en mille morceaux à l’intérieur de moi.
- Parce que là c’est encore gentil, tu ne vois rien, appuyai-je froidement, tu n’entends rien, tu te fais gentiment baisée, bien protégée dans ce château, mais tu penses sincèrement qu’il ne se passe rien ? Que tu m’as empêché de tuer Dumbledore une fois et que tu pourras me faire danser autant de fois qu’il le faudra, et que ça ira ? Il y en a eu d’autres avant lui, chuchotai-je cruellement, et il y en aura d’autres après lui. Pleins d’autres. Et tu crois quoi, Granger ? murmurai-je en m’approchant dangereusement d’elle.
Elle recula, et je sentis une douleur violente assaillir mon poitrail. Je laissai mon visage traduire une moue de dégoût que je ne feignais pas totalement. J’étais dégoûté de moi. Dégoûté de ce que j’étais forcé de lui dire pour la protéger de moi.
- Que je vais rentrer le soir, tout ensanglanté auprès de ma petite femme, et que tu vas me nettoyer en me demandant comment s’est passée ma journée pendant que je te ferai la liste du nombre de tes amis que j’aurai tué ce jour-là ? Quand je vais m’attaquer aux gens que tu aimes Granger, quand je vais m’attaquer aux Weasley avec qui tu as grandis, continuai-je alors que mon cœur battait violemment dans mon poitrail douloureux, quand je vais venir pour livrer Potter au Seigneur des Ténèbres, et pendant que je le regarderai mourir en me tenant à côté de lui, sans rien faire pour l’aider, sans rien faire pour le sauver, quand je vais regarder ton meilleur ami mourir, tu vas faire quoi ?
Elle leva vers moi les yeux les plus brisés que je n’avais jamais vus. Et si j’avais pensé que j’avais tâché mon âme lorsque j’avais reçu la Marque en moi, je découvrais à cet instant que je m’étais leurré. Cette épreuve n’avait rien été, absolument rien à côté de ce que je traversais en cet instant. De la douleur de devoir faire fuir loin de moi la personne que je voulais le plus près de moi.
- Tu crois que tu peux me sauver ? continuai-je de lui cracher au visage. Mes mains sont déjà tâchées de sang Granger, et tu les as laissées te toucher en omettant les vies qu’elles avaient déjà prises.
- Tu es autant victime de lui que toutes ces vies qu’il a fait prendre, chuchota-t-elle doucement.
- JE NE SUIS PAS SA VICTIME, JE SUIS SON SOLDAT ! hurlai-je en lui découvrant mon avant-bras gauche, lui imposant la vue de ma Marque. QU’EST-CE QUE TU FOUS ENCORE LÀ GRANGER ?! JE SUIS DANGEREUX ! criai-je à son visage mouillé de larmes, son visage qui ne voulait pas me croire. JE SUIS UN TUEUR ! formulai-je avec une douleur écrasante qui m’assaillait.
- Je n’ai pas peur, murmura-t-elle en soutenant mon regard inquiétant.
La rage bouillonna dans mes veines alors que j’étais confronté à son incapacité à voir la réalité en face. Elle me forçait à faire ça. Elle me forçait à lui faire plus de mal. A lui faire voir plus du monstre que j’étais. Pour la protéger. Simplement parce que je voulais la protéger.
- J’ai torturé mon propre père, crachai-je avec violence sur un ton plus bas. J’ai torturé des innocents. J’ai tué des innocents. J’ai tué des Sang de Bourbe. J’ai tué des membres de ton Ordre ! Ton professeur Lupin, ce professeur que tu aimais tant, tu te rappelles de lui ? provoquai-je avec rage. C’ÉTAIT NOUS ! CE N’ÉTAIT PAS LUI, CE N’ÉTAIT PAS D’AUTRES MANGEMORTS, C’ÉTAIT NOUS ! hurlai-je alors que mon cœur se brisait de devoir lui dire une telle chose. C’EST NOUS QUI L’AVONS TUÉ ! TU M’ENTENDS ?! l’implorai-je alors que j’entendais mon cœur battre violemment dans mes oreilles. QU’EST-CE QUE TU FOUS ENCORE LÀ PUTAIN ?!
De plus douloureuses larmes coulèrent le long de ses joues, mais elle ne détourna pas les yeux. Et elle ne recula pas.
- Je ne partirai pas, chuchota-t-elle sans bouger.
Je sentis mon poitrail se soulever intensément alors que la rage, l’impuissance et la douleur rendait ma respiration difficile. Mes lèvres se pincèrent avec violence avant de cracher tout le venin que j’avais en moi, me détestant moi-même, et la détestant elle de me forcer à dire les mots que je n’avais pas même la force de penser dans mon propre esprit :
- Un jour je vais me retrouver face à toi sur le champ de bataille, et quand les yeux de Voldemort seront sur moi, attendant de voir ce que je vais faire, et que la vie de ma mère et de ma famille sera en ligne de mire, je vais te chasser Granger. Je vais te chasser, et quand je vais t’attraper, parce que je vais t’attraper, tu me regarderas, terrifiée, et je vais lever ma baguette sur ton corps, sur ce corps que j’ai baisé, crachai-je avec dégoût, et je vais te tuer. PARCE QUE C’EST-CE QUE JE SUIS DEVENU GRANGER ! hurlai-je à son visage qui pleurait de toute la force de mon désarroi.
Mais elle ne recula pas.
- AIES PEUR DE MOI ! vibra ma voix sombre en elle alors que j’hurlais de toute mon impuissance et de toute ma douleur de la voir rester face à moi. JE SUIS UN MONSTRE ! JE SUIS UN MONSTRE ! répétai-je avec toute ma force. AIES PEUR DE MOI ! l’implorai-je violemment.
Mais elle ne bougea pas.
- JE TE TUERAI ! hurlai-je alors que je sentis une larme couler sur ma propre joue. QUAND LE MOMENT SERA VENU, ET QUE CE SERA TOI OU MA FAMILLE, JE TE TUERAI ! TU M’ENTENDS ?! JE TE TUERAI GRANGER ! ALORS FUIS-MOI ! ordonnai-je à quelques millimètres de son visage, mon désarroi faisant trembler l’intégralité de mon corps désemparé.
Mais elle ne fuit pas.
- FUIS-MOI ! hurlai-je plus fort alors que je la poussais en arrière. FUIS-MOI !
Elle retrouva position sur ses pieds ancrés, et elle ne baissa pas les yeux. Ils continuaient de pleurer. Mais elle ne fuyait pas.
- Je ne peux pas, chuchota-t-elle tout bas.
Et je la regardais, mon visage déformé par la rage, par la terreur et l’impuissance dans laquelle elle me mettait, et je sentais des larmes perler sur mes joues alors que je ne comprenais pas. Elle me regarda, elle aussi, dans toute son impuissance, et elle murmura dans toute sa vulnérabilité :
- Je ne peux pas, parce que je suis amoureuse de toi.
Je m’écroulais à ses pieds, tombant à genoux devant elle en même temps qu’elle renversait l’intégralité de mon monde en prononçant ces quelques mots. Ces quelques mots létaux.
Tout le monde va bien mdr ?
Suivez mon compte insta pour des updates et du contenu en rapport avec la fic @ livstivrig <3
A bientôt <33