We'll meet at nine

Chapitre 1 : Dining at the Ritz

Chapitre final

1539 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/05/2024 14:58

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : « À table !» (novembre - décembre 2022), catégorie « Anciens défis no limits »







La direction m'a recruté voilà maintenant une semaine. Les sélections n'ont pas été faciles, et je dois encore faire mes preuves : c'est un établissement de prestige que celui-ci ! Je viens du Garrison, sur Bermondsey Street, où j'ai officié une dizaines d'années. Je m'y plaisais bien, mais j'ai eu envie de franchir une nouvelle étape dans le standing.


Je m'appelle Gabriel Davies, et me voici devenu chef de rang au Ritz, à Piccadilly.


Laissez-moi vous raconter cet étonnant dîner, hier soir, mon septième jour au restaurant. Il y eut comme un moment de flottement lorsqu'ils sont entrés, tant les deux arrivants étaient dissemblables. L'homme blond et potelé, l'air débonnaire, vêtu comme un notable du siècle dernier, arborait une longue veste crème sur un gilet de velours camel un peu élimé qui laissait voir une chemise bleu ciel impeccable et un incroyable nœud papillon en tartan. À la chaîne reliant un des boutons à une poche du gilet s'accrochait sans aucun doute une montre d'un autre âge. Ses boucles platine et son sourire radieux illuminaient la pièce aussi sûrement que les lustres en cristal suspendus dans la salle. Son allure empreinte de distinction innée détonnait curieusement avec celle de son ami. Une silhouette serpentine, grand et mince, les cheveux d'un roux ardent dans un désordre que je soupçonnais savamment étudié, habillé en noir de pied en cap – hormis une fine cravate argentée qui soulignait le V de son encolure - il avait conservé en entrant ses luxueuses lunettes de soleil, et gardait les mains dans les poches de son jean slim. Michael, le maître d'hôtel, s'est avancé obséquieusement vers eux pour les conduire à une table pour deux qui s'était miraculeusement libérée quelques minutes auparavant. Heureusement, car le restaurant était complet ce soir-là.


Je n'aime pas beaucoup Michael, je le trouve mielleux à l'excès, à la limite du sournois, peut-être par déformation professionnelle. Je m'étais tout de suite beaucoup mieux entendu avec Newton, le sommelier.

Quand le roux tourna la tête, j'aperçus une drôle d'arabesque tatouée juste devant son oreille droite.


Je me suis approché des deux convives pour les saluer et leur présenter la carte. Alors que je m'éloignais pour les laisser choisir, des bribes de conversation arrivaient jusqu'à moi :

- ... canard en plastique ...

- ...ange renégat

Leur choix arrêté, Newton est arrivé à leur table pour les conseiller sur les vins les plus appropriés. Quelques minutes plus tard, j'étais là avec les premiers plats. Des huîtres façon Petronus pour le roux, un consommé jardinier aux petits légumes de saison découpés en brunoise pour le blond. Cette recette d'huîtres est une des spécialités du Ritz. Rien de compliqué, mais qui produit toujours son petit effet. Les bestioles étaient directement importées de France, il s'agissait de la variété Istrenn, provenant de la baie du Mont Saint Michel. Il suffisait de réaliser un sabayon avec du vermouth, le jus des mollusques et des jaunes d'œufs, d'en recouvrir les huîtres et de gratiner le tout au chalumeau. J'avais déjà vu confectionner ce plat. Ça paraissait divin.


En même temps que me parvenaient de nouvelles glanures de discours

- ... juger un traître ...

- ... prophétie d'Agnès ...

Newton s'est approché avec une bouteille de Côtes du Rhône Saint-Joseph blanc de 2009, que je l'entendis vanter d'un « ...équilibré et raffiné … notes de fruits blancs et pêches de vigne … texture onctueuse ... » qu'il fit d'instinct goûter au plus guindé. Ah ça ! Il connaissait son affaire, le Newton !


Il faut dire que l'autre convive prenait ses aises. Assis de travers sur sa chaise, il gardait un bras négligemment appuyé sur le dossier et les jambes croisées en improbable nœud. Il ressemblait à un élastique vaguement tendu sur son siège. J'avais mieux observé son tatouage en le servant, qui en fait représentait un serpent. Tout à fait le genre du loustic … Il grignotait du bout des dents, mais buvait sec par contre, tandis que son comparse prenait visiblement plaisir à la dégustation de son consommé. Parfois, il fermait à demi les yeux de délectation, et s'essuyait élégamment les lèvres de sa serviette. Son ami semblait fasciné, c'était comme si le spectacle de ce gourmet appréciant autant ses mets le comblait d'aise plus sûrement que le fait de manger lui-même.

- Puis-je ? demanda le blond en tendant la main vers les huîtres délaissées.

- Fais-toi plaisir, répondit le diabolique dans un sourire taquin.


Le filet mignon à la diable et sa purée de petits pois à la menthe et au cumin étaient prêts, ainsi que le pavé de bœuf grillé aux épices - piment d'Espelette, herbes de Provence, gingembre et poivre blanc - accompagné de linguine aux chanterelles sautées.

Lorsque je soulevai la cloche, l'angélique murmura, comme une prière :

- linguine al dente …

Je distinguais quelques mots :

- ... serviette miraculeuse ...

- ... tais-toi et meurs ...

en croisant Newton qui apportait une bouteille de Saint Emilion Bélair-Monange, un grand cru exceptionnel de 2015, en même temps que son petit commentaire « … intensité … longueur … élégance … blablabla » qui me fit sourire intérieurement.

Je redoutai une remarque de ces experts : ce n'était en effet pas la saison des petits pois, et les cuisiniers avaient dû se rabattre sur ces petites billes vertes congelées. Je croisai les doigts pour qu'ils ne vissent point la différence …


Non, tout allait bien. Le blond ronronnait de béatitude en savourant son pavé de bœuf, le roux continuait de vider la bouteille davantage que son assiette, observant son ami à la dérobée, lequel piocha sans vergogne dans le filet mignon et les petits pois à peine touchés. Moi-même, j'étais comme envoûté par la vision de cet épicurien qui festoyait avec un tel ravissement, en émettant de temps à autres de légers bruits de mastication et de déglutition, une véritable ode aux plaisirs de la chère. A ce moment-là, j'aurais juré avoir entr'aperçu Poseïdon se trémousser sur son socle d'or, et quelques pétales de roses effarouchés tomber délicatement sur la nappe immaculée où était posé l'imposant bouquet ...

J'apportai ensuite le plateau de fromages (en majorité provenant de France, la patrie de la haute gastronomie) : Abondance, Brin d'Amour, Carré Blanc, Doux Chêne, Crémeux du Jura, Galopin, Couronne des 3 Seigneurs.

- ... procès, annihilation ...

- ... bien choisir son visage ...

me parvinrent aux oreilles sans que j'en comprenne davantage le sens. Décidément ces deux-là avaient l'air de se connaître depuis la nuit des temps et avoir partagé des expériences bien mystérieuses, tant leur complicité était palpable. Posées à plat sur la table, leurs mains étaient si proches qu'elles semblaient sur le point de se frôler.

Leur choix s'était porté sur un Saint-Émilion Château Beau-Séjour Bécot, un must ! « une palette aromatique intense, des tanins soyeux et une longueur en bouche exceptionnelle » détaillait Newton en remplissant leurs verres.

L'un mangeait, l'autre buvait, tout allait pour le mieux.


Il était temps de passer au dessert : crêpes flambées au whisky pour le grand fluet, brioche perdue à la pomme et au sirop d'érable pour son ami. Pendant que j'effectuais le flambage sur la desserte auprès de leur table, ils échangèrent encore quelques propos abscons :

- ... le bien commun ...

- ... gagner la guerre ...

et Newton apporta ce qui devait clore leur dîner : un champagne rosé Douce Folie du Domaine La Borderie « aux reflets cuivrés, aux bulles fines et vives, à l’attaque souple sur le palais, avec une effervescence crémeuse et une bouche charnue et acidulée ». Newt avait une mémoire époustouflante, à croire qu'il révisait ses notes pendant la nuit !

Ils portèrent un toast « à ce monde », Dieu seul sait pourquoi ...


J'avais pour consigne de porter l'addition à la Réception, aussi je les laissai en tête-à-tête finir paisiblement leur repas. Quelques éclats de rire vinrent encore ponctuer leur aimable conversation, tandis que je prêtai l'oreille au pianiste qui attaquait maintenant « A nightingale sang in Berkeley Square » :

That certain night

The night we met

There was magic abroad in the air

There were angels dining at the Ritz

And a nightingale sang in Berkeley Square.





************************************************************************************





Aziraphale et Crowley, aux anges, se dirigèrent avec une impatience réfrénée vers la Réception de l'hôtel, pour y retirer la clé de la chambre qui leur était réservée jusqu'à demain. Le déchu s'en saisit et un imperceptible sourire s'en vint illuminer son visage sous la tignasse rousse. Le porte-clé portait le numéro 666.


Laisser un commentaire ?