Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 16 : Le mystérieux Ivo Vláčil

9555 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/04/2024 11:57





11 janvier 2002, 13 h 00.



J'ai terminé la vaisselle. Jim est à l'Université Rockland, car il doit suivre son cours en après-midi. Je me rends au salon. Au moment où j'approche mes mains pour saisir mon tricot, je pense : « Je pourrais bien commencer mon enquête sur le mystérieux esprit errant tchèque qui suit partout Carl Neely... D'ailleurs, je dois passer dans ma boutique, pour voir avec Andrea s'il y a des nouvelles acquisitions... »


Contente de mon idée, je suspends mon geste vers le tricot pour chercher mon calepin. Heureusement, je le trouve rapidement dans mon sac à main beige sur la table basse du salon. Je le sors du sac, le saisis de ma main droite et je tourne rapidement les pages, afin de trouver la page sur laquelle j'avais noté, il y a quelques jours, le nom de l'esprit errant tchèque. Je plie le calepin de manière à laisser visible la page qui m'intéresse. Puis je le range à nouveau dans mon sac à main. Je me lève du canapé sur lequel j'étais auparavant assise, je dépose le sac à main sur la table basse et je mets rapidement mon manteau blanc d'hiver. Je place rapidement sur ma tête un bonnet beige et une écharpe verte – que j'ai moi-même tricoté l'an passé – autour de mon cou et j'enfile des bottes et me voilà prête à me rendre jusqu'à ma boutique ! Bien sûr, je m'assure de ne pas oublier mon trousseau de clés. Je vérifie une dernière fois que mon calepin et mon stylo se trouvent dans mon sac à main et je sors de chez moi. Je barre la porte d'entrée et je me dirige vers ma boutique d'antiquités. Je salue, en entrant, le client et mon associée qui me rendent des formules de salutation. Je me rends directement dans l'arrière-boutique, où je m'installe derrière l'ordinateur. J'allume la machine, qui ronronne avec un bruit terrible, puis je sors mon calepin et mon stylo de mon sac à main. Je me connecte sur l'ordinateur et je lance sur le moteur de recherche, en consultant la feuille de mon carnet sur laquelle j'avais noté le nom de l'esprit, « Ivo Vlacil ». Le moteur de recherche me propose : « Voulez-vous chercher « Ivo Vláčil » ? » Je clique sur la suggestion du moteur et je me trouve devant cent résultats. Tous en tchèque. Je soupire, en pensant : « Est-ce qu'il faudrait que je copie tous les textes sur Google traduction ? Je ne lirai jamais quoi que ce soit à ce rythme ! »


À ma droite, un esprit regarde avec curiosité l'écran de l'ordinateur. Il est un jeune homme peut-être vers la mi-vingtaine ou début trentaine, d'un mètre quatre-vingt peut-être, aux cheveux brun clair et aux yeux noisette, vêtu d'une veste légère de couleur bleue, sous laquelle se voit une chemise blanche, d'un pantalon d'un complet bleu marine et de souliers beige foncé.

Je l'interpelle : – Que voulez-vous, Monsieur ? Quel est votre nom et quelle est votre raison de rester encore parmi les vivants ?

L'esprit, dont dans son regard se lit pendant une fraction de seconde de l’étonnement, me répond d'un ton sérieux : – Je m'appelle Étienne Dillon, et je me demande si ma femme se porte bien... Mais vous cherchez de l'aide pour traduire du tchèque à l'anglais ?

Les yeux agrandis de surprise, je murmure d'un ton gêné : – Oui...

Un sourire aux lèvres, lueur de joie dans ses yeux, l'esprit s'exclame : – Bien sûr ! Je connais le tchèque, qui est la langue maternelle de ma mère. Et je peux vous traduire vos textes...

Je fixe Étienne Dillon et murmure d'une petite voix : – J'accepte votre service de traduction... Merci beaucoup !

Je pense : « Que Dieu soit loué ! Un esprit errant qui m'aide discrètement pour mener à bien mon enquête sur l'esprit errant tchèque qui suit Carl Neely... »

Étienne Dillon me sourit d'un air affable et déclare d'une voix chaleureuse : – Madame...

Mon plus beau sourire aux lèvres, je réplique d'un ton sûr : – Madame Melinda Gordon.

– Madame Gordon, cliquez sur le premier lien du premier résultat, je vous traduis le texte et vous prendrez des notes...

J'opine du chef, je clique sur le lien du premier résultat puis le temps que la page se charge, je m'empare de mon calepin et de mon stylo, prête à retranscrire la traduction.

Étienne Dillon, après quelques secondes de silence, murmure, en raison de sa proximité d'avec la chaise de bureau sur laquelle je suis assise : « Ivo Vláčil est né le 15 octobre 1918 à Jirkov, dans l'Empire austro-hongrois. Il est le fils aîné de Miloslav Vláčil et de Nataša Marešová-Vláčilová... Il est le frère d'Elektra et de Zikmund, nés respectivement le 4 décembre 1919 et le 9 septembre 1920. Il a terminé en 1935 son gymnázium, euh... Son lycée d'enseignement général... Son école secondaire... Ensuite, il a travaillé comme ouvrier d'usine dans l'une des nombreuses usines de textile. Ivo se marie le 20 mai 1947 à Angela Kamelová dans l'Église locale de Saint Gilles. Le couple a eu deux enfants, à savoir Jiří et Martin, respectivement nés le 3 décembre 1947 et le 9 novembre 1948. »

J'ai l'impression de me ramener au primaire ou au secondaire, avec les dictées de l'enseignante. À la seule différence que je suis adulte et qu'un esprit me dicte une traduction d'une langue qui m'est inconnue. En bon élève, j'écris rapidement sur les feuilles de mon calepin.

Mon traducteur continue : « Il est mort le 2 septembre 1997 dans sa maison familiale à Jirkov. Sa femme, Angela, est morte le 3 octobre 2000... Ce sont toutes les informations qui figurent sur cette page... Nous poursuivons avec la suivante ? »

Je confirme positivement ses propos. Je reviens sur la page des résultats et je clique sur le deuxième lien. La page arrive rapidement. Mon traducteur, après quelques minutes de silence, murmure d'une voix neutre : « Il est question... de papiers d'immigration pour l'Angleterre en 1940... Ivo Vláčil a obtenu un permis temporaire pour travailler dans une usine de textile anglaise à Cambridge, la English' Coton Compagny de janvier à décembre 1940... »


Tout à coup, je ne vois plus mon carnet, sur lequel je suis penchée... D'étonnement, je lâche mon stylo. Je vois de mes yeux d'esprit, dans une rue pavée, des passants sur des vélos, d'autres à pied, circulent sur le trottoir. Ils sont tous vêtus plus ou moins d'un manteau classique noir ou beige, avec ou sans un chapeau. De nombreuses maisons sont alignées les unes à côté des autres. Le tramway passe, aux côtés de quelques calèches. Aucun passant n'attire en particulier mon attention, à l'exception d'un homme vers la cinquantaine qui s'avance vers moi. Il est grand, sec et semble joyeux. Sur son nez, des lunettes rondes en or qui accentuent bien ses yeux bleus. Il est simplement vêtu d'un complet beige foncé et d'une chemise blanche, sans aucun chapeau, car ses cheveux noirs avec quelques poils gris sont bien coupés courts. De dos, je vois l'esprit tchèque rajeuni, peut-être vingtenaire, sans lunettes, vêtu d'un complet noir, d'une chemise blanche et d'une cravate noire, qui regarde le quinquagénaire d'un regard haineux. Ensuite, il passe derrière lui en jetant quelque chose d'invisible, le dépasse et continue sa route. Puis, les deux hommes disparaissent de ma vue.


Je reviens à moi, étonnée de la vision soudaine. Je pense immédiatement : « L'esprit tchèque est le sorcier qui a jeté la malédiction sur la famille de Jim ! »

En jetant un coup d'œil vers mon traducteur, je remarque qu'un autre esprit se trouve à sa droite. Étienne Dillon le regarde d'un air étonné. Je reconnais immédiatement notre invité : Jean Bude de Guébriant, ce qui me fait sourire malgré moi. Sa présence me rassure. Et comme s'il a lu mes pensées, les confirme d'un mouvement de tête positif. Il ajoute : « Vous devez savoir qu'il s'agit d'Andy Clancy ! »

Je pense : « Si je ne me trompe pas, il est l'arrière-grand-père de Jim... »

L'Esprit Observateur répond en hochant de la tête.

Je me dis à moi-même : « Dans ce cas, je m'inquiète qu'un tel esprit possède Carl Neely... Ça n’annonce rien qui vaille ! » Le cœur battant la chamade, les larmes se pointent dans le coin de mes yeux. Et je commence même à pleurer à l'idée que Carl Neely pourrait s'en prendre un jour à Jim...

Jean Bude de Guébriant me regarde d'un air triste puis disparaît de ma vue, toujours aussi silencieux.

J'éclate en sanglots. Je me raisonne en ces termes : « Allez, Mel ! Ressaisis-toi ! Je n'aurai qu'à avertir Jim... Il est prudent... En tous cas, plus que moi ! Il ne se laissera pas mourir stupidement ! » Ainsi encouragée, je sèche rapidement mes larmes et je récite à mi-voix une prière au Christ. Une fois calmée, je m'excuse timidement auprès d'Étienne Dillon, qui me sourit chaleureusement et qui réplique : « C'est correct, Madame... Nous continuons la traduction ? »

Je murmure d'une petite voix, un peu nerveuse, en jouant avec quelques mèches de cheveux rebelles : – Oui, bien sûr...

Et je rapporte mon attention sur l'écran de l'ordinateur. Je reviens sur la page précédente et je clique sur le lien au-dessus de celui que l'esprit errant et moi avons consulté. Une fois la page chargée, Étienne Dillon dit d'un ton neutre : « Il s'agit des détails sur la généalogie d'Ivo Vláčil. Son père, Miloslav Vláčil, est le fils benjamin de Klement Vláčil et de Renáta Kantorová-Vláčilová. Miloslav est né le 4 avril 1857 et mort le 30 juin 1930 à Jirkov, dans l'Empire austro-hongrois. Klement est originaire de la même ville... Renáta Kantorová est née à Dubí, dans l'Empire austro-hongrois, le 12 mars 1867 et est morte le 2 février 1929 à Jirkov. Ils se sont mariés à Jirkov à l'église locale de Saint Gilles le 4 avril 1885. »


Je griffonne les propos de mon traducteur sur une feuille de mon calepin puis je hoche la tête pour lui confirmer que j'ai tout noté, évidemment, après qu'il m'ait épelé deux fois les noms des individus et des lieux. Je reviens alors sur la page des résultats et je clique sur le prochain lien. Étienne Dillon me traduit le texte en question : « Miloslav Vláčil a travaillé de 1914 à 1920 dans l'Empire britannique, pour fuir la mobilisation au cours de la Guerre. Il a travaillé en tant que journalier dans le comté du Norfolk dans la région d'Est-Anglie. Il n’a travaillé qu'en été, de sorte qu'il a beaucoup voyagé entre les deux pays... »

Je pense : « Au moins, me voilà rassurée ! Tous les enfants sont légitimes... »


Quelques secondes après cette pensée, je ne vois ni ma main droite tenir le stylo et écrire, ni le calepin, ni l’ordinateur, ni la salle. Je vois de mes yeux d'esprit, sur un trottoir, près d'une maison en pierres à une intersection, un jeune homme vêtu comme un simple paysan de vêtements bruns salis par la boue. Rien de particulier, hormis ses yeux gris, son alliance à l'annulaire gauche et son regard étrange. Il est possédé par un très sombre esprit que je ne parviens point à identifier; son âme est, par ailleurs, à la gauche de son corps. Près de lui, à contresens, un homme vers la trentaine, marié – comme le témoigne son alliance à l'annulaire gauche – aux yeux bleus brillant d'une lueur de joie et aux cheveux noirs, avance d'un pas léger. Le paysan aux yeux gris marmonne en tchèque des paroles dont je saisis le sens : une malédiction de n'avoir aucune descendance. Les yeux des deux hommes se rencontrent et chacun continue sa route, comme si de rien n’était.


Je reviens de la vision, étonnée et effrayée. Je pense : « Ah ! Ne me dites pas que c'est encore la famille de Jim ? »

Jean Bude de Guébriant se manifeste à ma droite. Il commente d'un air sérieux, front plissé : « Madame Gordon, vous venez de voir le rencontre d'Andy Clancy et de Miloslav Vláčil dans une rue de la ville de Cambridge... »

Je pense, le cœur battant la chamade, les mains moites et les yeux écarquillés de peur : « La famille de mon mari est alors deux fois victime de la malédiction de deux sorciers tchèques, qui sont, de surcroît, père et fils... Que Dieu nous vienne en secours ! »

L’Observateur confirme ma pensée en opinant du chef puis il disparaît de ma vue, me laissant très inquiète pour Jim. Je pense, affolée : « Que Dieu nous protège des malédictions de ces sordides sorciers ! Et que leurs malédictions retombent sur eux ! »

J'inspire et j'expire profondément pour me calmer. Lorsque je rapporte mon attention vers mon traducteur, ce dernier poursuit d'un ton toujours aussi neutre : « Et en décembre 1920, Miloslav Vláčil revient définitivement à Jirkov... »

Après quelques secondes de silence, il ajoute, en clignant des yeux et d'un ton surpris « Puis-je vous poser une question ? »

Je hoche la tête. 

Il poursuit, toujours aussi étonné : – Qui est cet esprit qui vous informe de certaines choses que vous seule semblez voir ?

Je lui souris furtivement et réponds d'un ton sûr : – Il est un Esprit Observateur du Moyen Âge, prénommé Jean... Désolé, je ne me rappelle pas de son nom et je ne sais pas le français... De sorte que je ne voudrais pas écorcher son nom... Par contre, je sais qu'il peut m'informer de la vérité des événements du passé... Car il sait vraiment tout ce qui s'est passé, car il observe tout. Évidemment, il n'est pas le seul, mais il est un informateur très fiable... Et, concernant des choses que je peux voir, elles sont des visions, car il m'est parfois accordé de voir selon la perspective d'un esprit... Par contre, je trouve les visions assez troublantes, car je suis alors détachée de la réalité… Je plonge dans le temps, pour ainsi dire.

Étienne Dillon sourit gentiment et murmure d'un ton chaleureux : – Je comprends... Et si nous continuons notre traduction ?

J'opine du chef et je reviens sur la page des résultats. Je clique ensuite sur le lien suivant. Mon traducteur m'en rapporte le sens : « Elektra Vláčilová est née le 4 décembre 1919 à Jirkov, en Tchécoslovaquie, et est morte le 3 novembre 1989, à Most, dans le même pays. Elle épousa le 11 décembre 1937 Silvestr Jelínek, un bûcheron né à Most le 9 janvier 1914. Le couple a trois enfants, à savoir Judita (née le 30 septembre 1938), Olga (née le 7 juin 1939) et Gustav (né le 19 avril 1940). »



Je passe ainsi les différents résultats, en écoutant les traductions d'Étienne Dillon. Évidemment, pour ne pas faire d'erreurs dans les transcriptions des noms des personnes et des lieux, mon traducteur me précise les marques du nominatif, génitif, datif, accusatif, vocatif, locatif et instrumental.

La traduction du résultat suivant est celle-ci : « Zikmund Vláčil, né le 9 septembre 1920, à Jirkov, en Tchécoslovaquie, et mort le 20 octobre 2000 à Vejprty, en République tchèque. Il était électricien de métier. Il épousa le 4 avril 1955 Kristýna Benešová, originaire de Vejprty, de quinze ans sa benjamine. Le couple a eu deux fils, Česlav, né le 23 avril 1957, et Nikola, né le 30 mars 1958. Zikmund Vláčil et sa femme sont morts dans leur maison familiale, par suicide, selon le rapport policier. Le fils aîné, Česlav Vláčil se maria à Alžběta Kantorová (née le 3 janvier 1960 à Klášterec nad Ohří, en Tchécoslovaquie) en 1980. Nikola Vláčil épousa Sandra Šimková, née en 1965 à Novosedlice. Česlav Vláčil et Alžběta Kantorová-Vláčilová sont les parents de Lukáš (né le 3 juillet 1983) et de Miroslav (né le 19 août 1985). Les deux fils de Zikmund étaient aussi des électriciens, qui, à la mort de leur père, sont devenus chefs électriciens. »

Du prochain résultat, je note attentivement la traduction : « Du couple de Klement Vláčil (né le 18 mars 1857 et mort le 2 avril 1930) et de Renáta Kantorová-Vláčilová (née le 5 janvier 1867 et morte le 20 mai 1929), leur fille aînée, Mariana Vláčilová, née le 5 mai 1885, décéda à l'âge d'un an, noyée dans son bain. Dalibor Vláčil, né le 30 avril 1886 à Jikov et mort le 20 août 1950 à Blatno, ne se maria jamais. Radomil, lui, est né le 7 février 1887 et est mort le 20 novembre 1915. Il avait été mobilisé de force dans l'armée austro-hongroise. Radomil participa à la Campagne de Serbie en 1914, puis aux quatre batailles de l'Isonzo. Il meurt au cours de la quatrième bataille de l'Isonzo. »


Je vois à nouveau l'Esprit Observateur français apparaître à la droite de mon traducteur : Étienne Dillon et moi tournons nos têtes vers lui. Il rapporte d'un ton sérieux : « La pauvre Mariana a été sacrifiée à Satan ; de même pour Radomil, qui a été envoyé dans une mort certaine. Que leurs âmes reposent en paix ! Amen ! »

Puis il disparaît de ma vue avant que j'ai le temps d'ouvrir la bouche pour dire un mot. Par contre, je tremble comme une feuille, dépassée par la cruauté de cette famille. Je commence même à pleurer sous l'effet de l'émotion. Je trouve que ceci dépasse toutes les histoires d'esprits les plus horribles que j'ai entendues jusqu'à ce jour. Je fais une pause de quelques minutes dans ma recherche, le temps de me ressaisir. Mon traducteur me regarde d'un air de pitié, mais il ne manifeste aucune impatience. Une fois calmée, après avoir récité deux hymnes à la Vierge, je reprends mon stylo dans ma main droite et je murmure des excuses à Étienne Dillon, qui me sourit chaleureusement. Je reviens pour une énième fois sur la page des résultats et je clique sur le prochain lien.


Je complète mes recherches par le prochain résultat : Judita Jelínková, née le 30 septembre 1938, à Most, en Tchécoslovaquie, fille aînée d'Elektra Vláčilová et de Silvestr Jelínek, se maria le 11 novembre 1957 à Kašpar Bareš (né le 20 août 1928), un banquier. Le couple a eu un fils, prénommé Petr, né le 13 avril 1958. Judita meurt peu après avoir donné naissance à son fils. Kašpar Bareš se remaria alors en secondes noces le 3 mai 1959 à Anna Kopecká (née le 9 septembre 1930), la fille unique d'un riche banquier de Prague. Ce couple n’avait qu’une fille, Rebeka, morte de maladie infantile à l'âge d'un an. Anna Kopecká-Barešová meurt deux mois après sa fille, le 24 juin 1961. Le veuf se remaria alors à Karina Kučerová le 8 juillet 1962. Ils étaient les parents de Slavoj, né le 5 septembre 1962, à Prague. Slavoj Bareš se marie à Marina Pospíšilová, l'une des filles d'un riche homme d'affaires originaire de Unhošť, le 6 janvier 1986 à Prague. Ils ont deux fils, prénommés Igor et Ferdinand, nés le 5 avril 1986. Petr Bareš, lui, s'est marié le 2 juillet 1983 à Sylvie Sedláčková (née le 20 décembre 1960 à Prague). Le couple a eu un fils, prénommé Valentýn, né le 4 octobre 1984 à Prague.


Je continue à noter silencieusement la traduction de l'esprit errant : en ce qui concerne Jiří Vláčil, il est un policier qui a immigré à Grandview en 1970. Il y demeura jusqu'en 1980. Il habite depuis à Openview, où il épouse en 1982 Ewa Fawas, de onze ans sa benjamine. Le couple a une fille, prénommée Myriam, née le 19 septembre 1984 à Openview. De même son frère Martin, qui émigre à Grandview en 1971, habite depuis novembre 1985 Openview. Dans les deux villes, il a le même métier, celui d’enseignant d'anglais au secondaire; à Grandview, à l'École secondaire de Grandview ; à Openview, à l'École Openmind. Il est marié à Elizabeth Parr depuis le 5 juin 1979. Le couple a deux enfants, prénommés Marc (né le 20 mai 1980) et Diana (née le 3 décembre 1981).

En ce qui concerne Olga Jelínková, elle est la fille cadette. Elle est née le 7 juin 1939 à Most, en Tchécoslovaquie et morte le 30 juillet 2000 à Přerov. Elle se maria le 15 avril 1960 à Artur Doležal, un homme d'affaires important de Most, né le 16 juillet 1934 et mort le 29 août 1998 à Přerov. Ils ont trois enfants, à savoir Jaroslav (né le 9 janvier 1962), Leo (né le 19 mai 1964) et Dominik (né le 7 juillet 1965). Gustav Jelínek, lui, se maria le 30 septembre 1965 à Magdaléna Hrušková à Most, en Tchécoslovaquie. Celle-ci est aussi née dans la même ville. Le couple a deux enfants, Helena (née le 4 avril 1967) et Patrik (né le 17 juillet 1968). Gustav Jelínek et son fils sont des professeurs de littérature. Nikola Vláčil et Sandra Šimková, mariés en janvier 1987, sont les parents de deux enfants, à savoir Ivoš (né le 8 octobre 1987) et Lýdie (née le 9 décembre 1988).

Voilà pour ce qui est des informations concernant la généalogie de l'esprit tchèque. Je pense, confuse: « Beaucoup de noms ! Je dois rendre de l'ordre dans toutes ces informations... » Je soupire. Je remarque du coin de l'œil que mon traducteur se tient silencieux, attendant que je dise quelque chose. Je souris et je me dis à moi-même : « Au moins, Monsieur n'est pas impatient... Au contraire de certains qui me pressaient à ce que je règle rapidement leur cas... »


En feuilletant rapidement les pages de calepin noircies de mon écriture, je soupire et je pense : « Je devrai établir l'arbre généalogique de cet esprit errant tchèque, car je suis perdue avec les noms et avec les nombreuses répétitions... »


J'arrache les trois dernières pages de mon calepin et je reviens aux pages sur lesquelles j'ai noté les informations concernant Ivo Vláčil. Voici la généalogie que je parviens à établir :


Klement Vláčil (1857-1930) + Renáta Kantorová-Vláčilová (1867-1929) = Mariana Vláčilová (1885-1886), Dalibor Vláčil (1886-1950), Radomil Vláčil (1887-1915) et Miloslav Vláčil (1888-1959)

Miloslav Vláčil (1888-1959) + Nataša Marešová-Vláčilová (1898-1965) = Ivo Vláčil (1918-1997), Elektra Vláčilová (1919-1989) et Zikmund Vláčil (1920-2000)

Ivo Vláčil (1918-1997) + Angela Kamelová-Vláčilová (1928-2000) = Jiří Vláčil (1947) et Martin Vláčil (1949)

Elektra Vláčilová-Jelínková (1919-1989) + Silvestr Jelínek (1914-1990)= Judita Jelínková (1938-1958), Olga Jelínková (1939-2000) et Gustav Jelínek (1940)

Judita Jelínková-Barešová (1938-1958) + Kašpar Bareš (1928-1997) = Petr Bareš (1958)

Kašpar Bareš (1928-1997) + Anna Kopecká-Barešová (1930-1961) = Rebeka Barešová (1960-1961)

Kašpar Bareš (1928-1997) + Karina Kučerová-Barešová (1948-1997) = Slavoj Bareš (1962)

Petr Bareš (1958) + Sylvie Sedláčková-Barešová (1960) = Valentýn Bareš (1984)

Slavoj Bareš (1962) + Marina Pospíšilová-Barešová (1967) = Igor Bareš et Ferdinand Bareš (nés le 5 avril 1986)

Olga Jelínková-Doležalová (1939-2000) + Artur Doležal (1934-1998) = Jaroslav Doležal (1962), Leo Doležal (1964) et Dominik Doležal (1965)

Gustav Jelínek (1940) + Magdaléna Hrušková-Jelínková (1945) = Helena (1967) et Patrik (1968)

Zikmund Vláčil (1920-2000) + Kristýna Benešová-Vláčilová (1935-2000) = Česlav (1957) et Nikola (1958)

Česlav Vláčil (1957) + Alžběta Kantorová-Vláčilová (1960) = Lukáš (1983) et Miroslav (1985)

Nikola Vláčil (1958) + Sandra Šimková-Vláčilová (1965) = Ivoš (1987) et Lýdie (1988)

Jiří Vláčil (1947) + Eva Fawas (1958) = Myriam (1984)

Martin Vláčil (1949) + Elizabeth Parr (1955) = Marc (1980) et Diana (1982)



J'aperçois du coin de l'œil, vers ma gauche, dans un coin de l'arrière-boutique dans l'ombre, l'esprit errant sur lequel j'enquête. Sa vue glace mon sang dans mes veines. Je suis comme paralysée de peur et je le fixe d'un air ébahi. Aucun son ne sort de ma bouche. Simultanément, deux autres esprits apparaissent, à savoir Antonio Romano et Federico Amedeo; le premier reconnaissable à ses vêtements et à son chapeau noirs, le second à son complet cravate bleu. Je me demande bien ce que signifie leur présence... Je n'ai pas le temps de formuler une réponse en mon esprit que j'entends les grognements d'Homer, le chien-esprit, récemment réorienté en chien policier par Paul Eastman. Je ne peux pas m'empêcher de sourire, car sa présence m'est toujours aussi rassurante. Au moins, les trois esprits maléfiques disparaissent immédiatement. Puis Homer jappe joyeusement et vient se coucher à mes pieds. Je souris : il se comporte comme s'il est encore vivant. Au bout de quelques minutes, après avoir regardé à gauche et à droite, il disparaît de ma vue. 

Je pense, rassurée : « Le fait que Homer n'a pas grogné sur mon traducteur est un bon signe... »

Je remarque du coin de l'œil qu'Étienne Dillon est étonné de l'apparition du chien-esprit. Il cligne des yeux et dit d'un ton surpris : – J'ignorais que les animaux avaient des âmes...

Mon plus beau sourire aux lèvres, j'affirme : – Et bien, maintenant, vous savez que c'est le cas...

Il me sourit gentiment et déambule dans l'arrière-boutique. Je le suis pendant quelques secondes du regard, puis je reviens vers mes notes, en pensant : « Mel, on se concentre ! »

Je pense, perplexe de l'arbre généalogique que j'ai dessiné sur deux feuilles de mon calepin, « Quel est le rapport entre Carl Neely et cet esprit tchèque ? » 


Je parcours la liste des vivants, puis j'arrache la feuille suivante du calepin, que je dépose à côté, de manière à pouvoir me référer à la généalogie. « Réfléchissons ! », pensé-je, « Si Carl Neely peut être né dans les années 1975, il est possible qu'il ait connu dans les années 1990 soit l'une des arrières-petites-filles de cet esprit tchèque, soit il était ami avec l'un des petits-fils ou arrières-petits-fils de ce même esprit... Mais pourquoi alors l'esprit tchèque hante-t-il Carl Neely ? Et si je me souviens de ce que m'a dit l'Observateur, il accepte ses possessions... Pourquoi ? » Je soupire. 

Je relis la généalogie. « Voyons lesquels des descendants de cet esprit tchèque sont susceptibles d'être une connaissance de Carl Neely ? ... Jiří Vláčil, un policier d'Openview... Martin Vláčil, un enseignant d'anglais à Openview... Ceux-là, ils peuvent être par l'âge le père de Carl Neely... C'est vrai, après tout, il peut bien connaître le policier, en tant que collègue... Cette possibilité n'est pas à exclure... Sinon, qui d'autres seront des candidats pour êtres des connaissances ? Aucun des défunts... Certainement pas Ivo lui-même, Kašpar Bareš et compagnie... Les seuls qui restent sont... » Je parcours avec un crayon à mine la généalogie pour encercler les individus susceptibles d'être des connaissances de Carl Neely. Je dis à moi-même : « Ça pourrait être Slavoj Bareš, mais l'un de ses fils me paraît improbable, étant donné qu'ils sont trop jeunes... Ils n'ont que dix ans en 1996... Par contre, il est possible que Carl Neely soit ami avec l'un des Doležal (qu'il s'agisse de Jaroslav, Leo ou Dominik, qui sont à peu près dix-onze ans plus vieux que lui)... Il est aussi possible que Helena Jelínková ait été une aventure entre ses deux mariages... Avec Lýdie Vláčilová, est un peu moins probable, car elle est trop jeune... Mais avec Diana Vláčilová, c'est aussi probable, puisque l'écart d'âge n'est pas très grand... Tout comme il est possible que Carl Neely soit ami avec le frère de Diana, Marc, d'autant plus qu'ils vivent à Openview, à quelques kilomètres de Grandview... Par contre, avec Myriam Vláčilová, une aventure est improbable, car elle n'avait que quatorze ans en 1998... Il y a simplement trop de possibilités à envisager ! Bon, voilà notre liste ! Le seul problème est qu'il y a beaucoup d'individus... Comment démêler toute cette histoire ? Elle commence à me donner mal à la tête ! » Je soupire et j'ouvre mon sac à main pour ranger crayon, stylo et calepin, mais je me ravise en pensant : « C'est vrai ! Je dois aider mon pauvre traducteur ! » Je referme le sac.



Je jette un coup d'œil à l'heure : 16 h 15. Je soupire, fatiguée, j'efface l'historique de l'ordinateur puis je l'éteins. Je pense : « Je dois maintenant aider mon traducteur à partir dans la Lumière en signe de remerciement... »

J'entends Andrea dire d'une voix forte que le dernier client vient de sortir de la boutique. Elle me fait sortir de mes réflexions sur le rapport entre l'esprit errant tchèque et Carl Neely. Étonnée, je sursaute et je pense « Zut ! J'ai oublié de lui demander s'il y a de nouvelles acquisitions ! Pas grave, à demain ! » 

Je m'éclaircis la gorge, puis réplique d'un ton sérieux : « Merci Andrea ! La journée est terminée ! » D'un air joyeux, mon associée s'exclame : – Hourra ! Merci, Madame Melinda Gordon ! Passez une bonne journée !

Cette exclamation de joie me fait sourire malgré ma fatigue.

Machinalement, d'une voix songeuse, je réplique : – Pareillement pour vous !

J'entends les pas, probablement de mon associée, qui se dirige vers la porte. Le claquement de la porte me parvient comme un bruit étouffé. Je tourne alors ma tête vers mon traducteur, sourire aux lèvres, et je murmure d'une voix chaleureuse : – Merci de votre aide, Monsieur Étienne Dillon...

L'esprit errant secoue sa tête puis murmure d'un ton gêné : – Il n'y a pas de quoi...

Je réplique d'un ton sérieux en fixant mon interlocuteur : – Maintenant, à mon tour de vous aider à partir dans la Lumière...

Je souris devant l'expression d'étonnement qui se manifeste sur le visage du défunt, puis je continue d'une voix douce : – Pour cela, j'ai besoin de savoir quelles sont les circonstances de votre mort et votre raison d'errer encore parmi les vivants.

Étienne Dillon demeure silencieux pendant quelques minutes, s'éclaircit la voix puis murmure d'une voix grave : – Je suis mort mordu par un serpent au cours d'un voyage l'été dernier au Mexique...

Je griffonne rapidement sur une nouvelle feuille de mon calepin puis je lui fais signe de continuer à parler.

Mon interlocuteur poursuit d'une voix blanche : – J'ai compris que je suis mort des complications de la morsure. Et je voudrais simplement que ma femme, ma chère Marie, cesse de me pleurer, car ses pleurs me retiennent auprès d'elle, alors que je sais que je ne peux rien faire. Je voudrais bien qu'elle surmonte la douleur de ma perte, et qu'elle se remarie à un homme qui la mérite bien. Dites-lui simplement que la vie continue...

Émue jusqu'aux larmes, je hoche lentement de la tête. Je me ressaisis, m'éclaircis la gorge, puis ajoute : – Monsieur, pouvez-vous seulement me dire où puis-je retrouver votre épouse ?

– Oui, au 157, rue Diamond, Grandview, appartement numéro 39.

Je note rapidement l'adresse et ajoute aussitôt : – Merci de l'information !

Étienne Dillon disparaît de ma vue.



Je regarde sur ma montre : 17 h 00. Je pense : « Je réglerai demain le cas de mon traducteur... Je suis trop fatiguée par cette enquête sur le sorcier tchèque... » Je me lève de ma chaise puis je me rends jusqu'à la porte de ma boutique d'antiquités. Là, je retourne l'écriteau, afin que la mention « Fermé » soit visible de l'extérieur ; je prends mon manteau et mon sac à main, sort à l'extérieur puis verrouille la porte. Je reviens tranquillement chez moi, encore plus perplexe. Les questions suivantes me trottent dans la tête : « Quel est ce rapport entre l'esprit errant tchèque et Carl Neely ? Pourquoi accepte-t-il ses possessions ? »



Je reviens chez moi. Jim m'accueille par un bisou sur les lèvres. Je le lui rends et j'entre à l'intérieur, j’ôte mon manteau, mon écharpe et mon bonnet. Au salon, je me blottis contre mon époux, ma tête appuyée contre son épaule gauche. Je murmure d'une voix songeuse : – J'ai fait mes recherches sur l'esprit errant tchèque qui suit Carl Neely...

Le regard exprimant une curiosité presque enfantine, Jim murmure d'un ton sérieux : – Et alors ?

D'une voix blanche, presque tremblante, je gémis : – Ce mystérieux esprit est un sorcier fils de sorcier, et tous les deux ont maudit ta famille ! Et j'ai vu ces deux rencontres dans des visions... C'est horrible ! Et tu imagines qu'un tel esprit possède Carl Neely... Par ailleurs, il accepte ses possessions... Par contre, j'ignore pourquoi et comment il en est arrivé là... J'ai essayé d'envisager toutes les possibilités, mais je ne sais que conclure...

Je soupire d'un air désespéré.

En me regardant droit dans les yeux et saisissant mes mains entre les siennes, mon époux murmure d'une voix chaleureuse : – Mel, tu sais que tu peux te confier à moi...

Je murmure, émue de son soutien inconditionnel : – Je le sais...

Jim me sourit; je lui rends son sourire puis je l'embrasse sur les lèvres. Je baisse mes yeux, puis je retrouve mon calepin de notes. Je feuillette rapidement les pages pour retrouver la généalogie et les individus susceptibles d'être des connaissances de Carl Neely. Je m'éclaircis la gorge puis je dis d'un ton neutre : – Voilà, Jim, la liste des descendants de cet esprit errant tchèque dont Carl Neely a peut-être connu...

Jim regarde par-dessus mon épaule. Je continue mon explication en lui pointant du bout du stylo les noms : – Il y a Jiří Vláčil (désolé pour la mauvaise prononciation), un policier d'Openview... Martin Vláčil, un enseignant d'anglais de la même ville... Ceux-là, ils peuvent être par l'âge le père de Carl Neely... C'est vrai, après tout, il peut bien connaître le policier, en tant que collègue... Ensuite, il y a aussi Slavoj Bareš, l'un des Jaroslav Doležal, Leo ou Dominik, qui sont à peu près dix à onze ans plus vieux que lui)... Il est aussi possible que Helena Jelínková ait été une aventure entre ses mariages... Même possibilité avec Diana Vláčilová, puisque l'écart d'âge n'est pas très grand... Tout comme il est possible que Carl Neely soit ami avec le frère de Diana, Marc, d'autant plus qu'ils vivent à Openview, à quelques kilomètres de Grandview...

Jim hoche la tête puis dit : – Mel, n'as-tu pas pensé au fait que le policier tchèque aurait pu être le superviseur de stage de Carl Neely ?

Je balbutie : – Je dois avouer que non...

Mon époux me sourit chaleureusement puis ajoute : – À mon avis, il est possible qu'il ait fait son stage pratique à Openview. Je demanderai à Paul Eastman, car les futurs policiers, comme les ambulanciers, ont un stage pratique à faire auprès d'un service de police municipal. Heureusement que demain je n'ai pas de cours, de sorte que j'aurais la journée pour le demander...

Je m'exclame, sans cacher ma joie : – Jim, tu es vraiment génial !

Je lui saute au cou et l'embrasse sur les lèvres ; il me rend mon bisou puis murmure en russe à mon oreille droite: « Mel, c'est toi qui es géniale ! ».


Après quelques secondes de silence, au cours desquelles Jim et moi sommes enlacés, il murmure en anglais : « Ma chérie, j'espère que tu n'as pas oublié notre souper ! »

Je lui souris pour toute réponse et réplique d'un ton mi-moqueur mi-sérieux : « Oui, je l'ai oublié ! »

Puis nous éclatons de rire à la blague : bien sûr que le repas n'a pas été oublié. Au menu: pierogis au chou blanc.

Je me libère de l'étreinte de mon époux pour se rendre en vitesse dans la cuisine. Je sors quatre pierogis du contenant dans lequel je les ai rangés il y a quelques jours pour les placer dans le four. Jim me suit jusqu'à la cuisine et sort en vitesse deux assiettes et sert le breuvage. Une fois que notre repas est réchauffé, nous nous attablons et mangeons dans un silence d'église. Seul le bruit des mâchoires s'entend. Une fois la table débarrassée, nous faisons la vaisselle; Jim la lave, moi, je l'essuie.


Ensuite, nous nous rendons au salon, mon époux pour réfléchir sur son histoire fictive, moi pour continuer mon tricot. Je saisis mon tricot, m'éclaircis la voix et je dis d'un ton sérieux : – Ah ! J'ai oublié de préciser que j'ai obtenu l'aide d'un esprit errant pour la traduction du tchèque... Et demain, je réglerai son cas, car je suis trop fatiguée par cette enquête.

Je vois Jean Bude de Guébriant, Laurie Gibeau et Homer apparaître au salon, ce qui me fait sourire. Lorsque mon regard rencontre celui, étonné, de Jim, je commente d'un ton joyeux : – Nous ne sommes pas seuls...

Les deux Esprits Observateurs font apparaître une balle verte dans leur main droite. Laurie la lance vers le chien-esprit, qui l'attrape entre ses pattes antérieures. Jean en fait de même, puis Homer fait rouler la balle jusqu'à leurs pieds; chacun des Observateurs ramassent leur balle. Je souris devant le petit jeu. Je tourne ma tête vers mon époux et je commente simplement : – Les deux Esprits Observateurs, le Français et la Française, lancent deux balles vertes à Homer, pour jouer avec le chien... Pourtant, les balles ne sont pas matérielles...

Laurie Gibeau se renfrogne et dit d'un ton sérieux : – Madame Gordon, nous ne pouvons nous amuser avec cet adorable chien que si tous les objets sont du même monde, à savoir celui des Esprits.

Les yeux écarquillés de surprise, je balbutie : – Comment ? Il existe un monde parallèle au nôtre que seuls les passeurs d'âmes comme moi peuvent voir ?

– En quelque sorte... C'est le Monde des Esprits, dans lequel il y a exactement les mêmes choses que dans le monde matériel.

Remarquant le regard étonné de Jim, je ramène mon attention vers lui. Je m'éclaircis la gorge puis résume les propos de l'entité invisible : - L'Observatrice me dit que toutes les choses du monde matériel existent dans ce monde invisible, qui est le monde des esprits, à ce que je comprends... Je trouve ça bizarre de dire ainsi... Selon ses propos, les esprits se trouvent dans un monde semblable au nôtre, sauf que personne ne peut le voir, hormis des passeurs d'âmes comme moi... Jim, qu'est-ce que tu en penses ?

Je fixe mon époux qui me répond d'une voix calme après quelques minutes de silence : - Pour être honnête, Mel, je pense que cette division entre un monde visible et invisible me rappelle je ne sais quel philosophe au cours de mes études en tant qu'ambulancier...

Après quelques secondes de silence, Jim poursuit d'un ton modulé : - J'ai pratiquement tout oublié de mes cours de philosophie au collégial, malgré que j'étais un bon étudiant... Disons qu'ils ne m'intéressaient pas plus que cela... Désolé de ne pas pouvoir t'être plus utile...

Je lui serre le bras droit, sourire aux lèvres, le regardant droit dans les yeux. Je murmure : - Ce n'est pas grave... Merci quand même... Tu sais que dans tous les cas, je t'aime.

Il réplique : - Moi aussi !

Et il m'embrasse sur les lèvres ; je lui rends son bisou.

Le soir n'est pas tranquille pour moi. Je me trouve dans la chambre, en panique. Je sais que je suis enceinte, mais pas de mon mari. Je me réveille en sursaut en pensant : « Que de telles âmes adultères ne viennent pas troubler mon sommeil ! » J'essaie de m'endormir après une autre prière du soir. Au moins, je dors sans être dérangée.





Le lendemain, je me réveille avant mon époux. Je me retourne vers lui: il est comme un ange lorsqu'il dort ainsi, un petit sourire au coin des lèvres. Je pense alors, attendrie par sa vue : « Dieu que tu es mignon, Jim ! Tu es vraiment adorable ! Il serait dommage de te réveiller ! » Je me retourne de mon côté, en attendant qu'il se réveille. Une fois qu'il se réveille, je lui raconte mon cauchemar. Nous sommes tous les deux perplexes, ne comprenant pas à qui il se rapporte. Nous nous levons pour prendre le petit-déjeuner.



Vers 8 h 00, je me rends au marché pour faire les commissions. Chemin faisant, je remarque au loin un policier en uniforme. En le détaillant, je sais que c'est Carl Neely. Je retiens ma respiration. Le plus bizarre est sans doute la présence de deux esprits autour de lui, qui tiennent loin de lui les autres âmes qui le hantent. Je reconnais Ivo Vláčil, puisque je l'avais déjà remarqué auparavant. Son regard me fait sursauter malgré moi. Par contre, l'autre esprit errant m'est inconnu. Il est un vieil homme au visage ridé et aux yeux gris qui brillent d'une lueur de méchanceté indescriptible. Son regard glace mon sang dans mes veines. Il est simplement vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon brun sali de boue. Malgré moi, je tressaille à leur vue en pensant : « Ils semblent présenter un air de famille... À moins qu'il s'agit des deux sorciers tchèques qui ont maudit la famille de Jim ? » À cette pensée, je panique. Je me rassure en pensant que peut-être je me suis trompée. Au moins, je l'espère...

Je me dépêche alors de tourner sur une rue perpendiculaire, en priant en mon for intérieur que les esprits maléfiques ne m'ont pas repéré. Je me retourne légèrement par derrière, afin de voir si quelqu'un me suit. Heureusement, aucun vivant ou esprit ne m'a remarqué. Je continue ma route jusqu'au marché. Je regarde d'un air distrait les fruits, les légumes et les autres produits sur les tables. Je remarque un esprit errant devant moi : l'Esprit Observateur français du Moyen Âge. Il s'exclame : « L'autre esprit tchèque qui suit Carl Neely est Miloslav Vláčil ! »

Le cœur battant la chamade et les yeux agrandis par la peur, je pense : « Alors là, la situation est pire que ce que je ne l’ai pensé ! »

Mon interlocuteur hoche simplement de la tête puis ajoute d'un ton sérieux : « Alors, je vous précise que Carl Neely accepte aussi les possessions de Miloslav... En réalité, il accepte d'être possédé tantôt par Ivo, tantôt par Miloslav. »

Et Jean Bude de Guébriant disparaît de ma vue, me laissant très inquiète. Pour ne pas que le marchand me regarde bizarrement, je murmure à moi-même, en fouillant les poches de mon manteau : « Où ai-je mis ma liste de commissions ? » Nerveuse, je fouille non seulement toutes les poches intérieures et extérieures de mon manteau d'hiver, mais aussi celles de mon pantalon jeans et de mon pull. Heureusement, je la retrouve dans la poche droite de mon pantalon. Rassurée, je la brandis devant mes yeux, question de ne pas trop penser aux propos de l'Observateur. Mais il n'en demeure pas moins que je suis très inquiète pour Jim et pour moi...

Je fais rapidement mes commissions puis je reviens chez moi, où Jim m'ouvre la porte.

Une fois toutes les commissions rangées, je dis d'une voix tremblante malgré moi : – C’est pire que je pensais...

Mon époux lève les sourcils d'étonnement et m'invite d'un geste de sa main droite à poursuivre. Je me racle la gorge, les larmes aux yeux, et je dis d'une voix blanche : – Carl Neely accepte les possessions des esprits sorciers tchèques qui ont maudit ta famille...

J'éclate en sanglots. Jim s'approche alors de moi et m'enlace ; je m'appuie contre lui. Il m'embrasse sur le front, les joues et les lèvres pour faire cesser mes pleurs. 

Quelques minutes plus tard, calmée par la présence de mon époux, je m'écarte un peu de lui, affichant un sourire forcé sur mes lèvres. Je m'éclaircis la gorge et le questionne : – Et toi, de ton côté, est-ce que le policier tchèque aurait pu être le superviseur de stage de Carl Neely ?

D'un ton sérieux, il répond : – Non... Paul m'a confirmé qu'ils ont fait leur stage pratique à Grandview...

Les yeux écarquillés de surprise, j'entrouvre ma bouche pour dire quelque chose, mais aucun son ne sort. Je cligne des yeux, m'éclaircis la gorge, puis m'exclame d'un ton surpris : – Alors, comment expliquer son rapport avec la Tchéquie ? Et comment expliquer qu'il accepte les possessions d'esprits errants aussi maléfiques ?

Jim soupire, hausse les épaules, puis me serre la main droite et murmure : – Pour être honnête, je n'ai aucune idée... Je suis aussi perplexe que toi...

Je soupire.

Sourire chaleureux aux lèvres, mon époux dit d'un ton sérieux : – Je ne doute pas, Mel, que nous le saurons un jour... Chaque chose en son temps.

Un petit sourire s'esquisse sur mes lèvres. Je l'aime quand il me rassure ainsi. Nous demeurons silencieux pendant plusieurs minutes. Je brise le silence en murmurant : – Jim, je n'ai pas oublié de faire partir dans la Lumière mon traducteur... J'y vais maintenant, puisque j'ai le temps...

Je l'embrasse sur les lèvres, puis je reprends mon manteau et mon trousseau de clés et je sors à l'extérieur. Je me retourne vers la fenêtre du salon, où je vois Jim m'observer. Je lui fais de grands gestes de la main et je sors mon calepin afin de pouvoir retrouver l'adresse de Marie Dillon. Je m'y rends par le trajet le plus court, puisque je connais assez bien les rues de Grandview. La ville est tellement petite que je la connais comme le fond de ma poche...


Je me rends à l'adresse de Madame Marie Dillon, soit 157, rue Diamond. C'est un immeuble gris, sans aucune fleur ou aucun arbuste sur le parterre. Seul un grand stationnement se trouve à ma droite. Je m'engouffre dans la porte d'entrée et je repère le numéro d'appartement des Dillon (le 39). Je remarque du coin de l'œil qu'Étienne Dillon est apparu depuis quelques secondes à ma droite.

Une fois rendue devant la porte de l'appartement, je consulte rapidement mon calepin, que je sors de mon sac à main – afin de me rappeler des propos de l'esprit errant – puis je frappe doucement. Une femme me l'entr'ouvre. Elle se tient d'une telle manière que je ne peux pas la décrire. D'une voix aimable, elle dit : – Qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Je réponds sans hésiter : – Je suis Melinda Gordon, la propriétaire de l'Antique Shop of Grandview. Et je cherche Madame Marie Dillon.

Elle réplique : – C'est moi-même. Que voulez-vous ?

D'un ton toujours aussi certain, encouragée par la présence de l'esprit errant : – Vous dire quelque chose concernant votre époux...

Elle m'interrompt brusquement : – Impossible, puisqu'il est mort l'été dernier !

Je balbutie, sidérée par une telle attaque verbale : – Pourtant, je vous dis la vérité... Je vois les esprits errants et je dois les aider à aller dans l'au-delà... C'est un don que j'ai depuis mon enfance !

Mon interlocutrice ouvre la porte, de sorte que je peux la détailler : une grande femme d'un mètre quatre-vingt, aux yeux et aux cheveux bruns clairs. Ses cheveux sont ramassés en une queue de cheval. Elle est simplement vêtue d'un sweater bleu et d'un pantalon de jogging bleu pâle. Sur ses pieds, des pantoufles bleu marine. D'un ton sceptique elle s'exclame : – Ainsi, vous affirmez voir les esprits ?

Je réplique d'un ton calme, malgré la colère et la peur d'être rejetée qui habitent ma poitrine : – C'est exact !

Je remarque qu'Étienne Dillon s'est approché à la droite de sa veuve. « Sans doute pour l'influencer afin qu'elle accepte de m'écouter », pensé-je, rassurée.

Après quelques minutes de silence, silence que je trouve trop lourd et tendu, Marie Dillon, moue hésitante, me fixe dans les yeux et dit d'une voix traînante : – Madame Gordon, j'accepte de vous écouter... Mais si vous mentez, je vous poursuivrai pour escroquerie, compris ?

Je hoche la tête, en adressant une prière à la Mère de Dieu. Mon interlocutrice m'ouvre alors brusquement la porte et m'invite d'un geste de la main droite, à entrer. C'est ce que je fais. Elle me conduit jusqu'à son salon, une simple pièce aux murs blancs (comme le reste de l'appartement), meublé d'un seul canapé et d'un meuble à télévision sur lequel trône un petit téléviseur. Elle amène une chaise en plastique semi-transparent de la cuisine, une petite pièce attenante, chaise sur laquelle Marie s'assied. Elle me fait un signe de la main droite pour m'asseoir sur le canapé; j'obtempère aussitôt. Mon interlocutrice me fixe avec curiosité pendant quelques secondes puis dit d'un ton sérieux : – Madame, que voulez-vous me dire au sujet de mon cher Étienne ?

Je suis du regard l'esprit errant, qui se trouve à la droite de son épouse, lui caressant la joue droite. Je souris devant une telle preuve de tendresse, me rappelant tellement mon Jim... Bon ! On se concentre ! Je sors de mes rêveries en m'éclaircissant la gorge puis répond d'une voix calme : – Je vous explique comment votre époux m'a aidé... Il a été, hier après-midi, mon traducteur du tchèque à l'anglais. De sorte qu'il m'a informé que vous devez arrêter de le pleurer, car vos pleurs le retiennent près de vous. Pourtant, il sait qu'il ne peut rien faire et qu'il doit quitter le monde ici-bas...

Une moue sceptique au visage, Marie Dillon murmure d'une voix traînante : – Merci pour un cours rapide de théologie...

Je maugrée : – Pourtant, ce n'est pas de la théologie... Je ne fais que vous rapporter les propos de votre mari...

Étienne Dillon, jusqu'à la silencieux, soupire et s'exclame en français : – Marie, peux-tu comprendre que tes pleurs ne me ramèneront pas à la vie ? Tu es encore jeune et tu peux bien te remarier à un homme qui te mérite bien... Peux-tu comprendre que la vie continue ?

Il se tourne vers moi et s'exclame en anglais : – Madame, pouvez-vous dire à ma femme que ses pleurs ne me ramèneront point à la vie ? Elle est encore jeune et devrait donc en profiter. D'ailleurs, je lui permets de se remarier avec un homme qui la mérite bien... Peut-elle comprendre que la vie continue ? C'est ce que je lui ai dit en français et maintenant en anglais.

Je hoche la tête, puis tourne mon regard vers sa veuve et je dis d'une voix douce et sérieuse : – Madame Dillon, votre époux est en ce moment à votre droite...

Marie jette un regard rapide vers ladite direction, mais ne remarquant rien, ramène son regard vers moi.

Je continue : – ... Il vient de vous dire en français puis en anglais que vos pleurs ne le ramèneront point à la vie...

D'une voix fragile, mon interlocutrice s'exclame : – Je le sais bien ! Mais n'oubliez pas que c'est quand même mon mari, que j'aime bien ! La douleur est terrible ! Ah, mon amour !

Elle éclate en sanglots. Émus, Étienne Dillon et moi s'entr'observons. Je pense, perplexe et inquiète de la suite des événements : « Que puis-je faire ? Mon Dieu et mon Seigneur Jésus, éclairez-moi ! »

L'esprit errant dit en anglais d'un ton quelque peu énervé : – Dites-lui qu'elle tourne la page sur les vacances ! Et c'est tout !

Je répète d'un ton sérieux : – Votre mari vous supplie de tourner la page des vacances, un point c'est tout !

Étonnée, mon interlocutrice renifle puis balbutie d'une voix larmoyante : – Facile pour vous, Madame, quand il ne s'agit pas de votre mari !

Je pense : « S'il vous plaît, n'appelez pas le malheur sur Jim ! »

Étienne Dillon dit d'un ton courroucé : – S'il te plaît, Marie, ne soit pas si méchante !

La veuve poursuit d'une voix larmoyante : – Vous ravivez la douleur de sa mort en mon cœur, et vous appelez ça de l'aide !?

Renfrogné, l'esprit errant s'écrie : – Chienne ! C'est ainsi que tu veux m'aider !? Et bien, fais comme tu veux, mais moi, je voudrais bien partir dans l'au-delà ! Je n'éprouve aucune envie de rester ici !

Je répète machinalement : – Présentement, votre mari s'emporte... Je ne vais pas répéter de quel nom il vous a traité...Il vous dit que vous ne l’aidez pas vraiment à quitter le monde ici-bas… Pouvez-vous comprendre que votre époux veut quitter définitivement ce monde et partir dans l'au-delà ? Il ajoute qu'il n'éprouve aucune envie à rester ici... Pouvez-vous comprendre que c'est dans le processus des choses... Ainsi va la vie !

Étonnée, Marie demeure silencieuse. Elle renifle puis baisse les yeux, comme si elle n'ose pas affronter mon regard. Un silence lourd plane entre nous. L'esprit errant aussi est silencieux. Je remarque seulement qu'il fixe son épouse, comme s'il attend quelque chose. Je soupire malgré moi. Après plusieurs minutes de silence, minutes au cours desquelles je pouvais même entendre une mouche volée (sauf que les mouches ne se sont pas encore réveillées de leur sommeil hivernal), je m'éclaircis la voix et murmure d'une voix douce et sérieuse : – Pourtant, Madame, je vous assure que tels sont les propos de votre défunt mari, qui attend une réponse claire de votre part...

Je remarque à la droite d'Étienne Dillon qu'un esprit vient d'apparaître : Laurie Gibeau. Cette dernière nous sourit, fait un signe de la main droite à mon traducteur, lui dit quelque chose en français. Je remarque que le visage d'Étienne Dillon s'illumine d'une lueur irréelle. « Dieu en soit loué ! Il y a toujours quelqu'un qui sauve la situation ! »

Et l'esprit disparaît de ma vue, car il est parti dans la Lumière. L'Observatrice lui dit : « Bon voyage ! »

Étonnée, je l'apostrophe : – Pouvez-vous me traduire ce que vous avez dit à Monsieur Dillon ?

Marie lève les yeux vers moi, encore plus étonnée; sa moue sceptique s'est effacée, pour laisser place à des yeux écarquillés, une bouche légèrement entr'ouverte de laquelle ne sort aucun son. Je lève mon index droit vers la vivante, puis fais signe à l'Observatrice de continuer. Marie demeure coite ; Laurie Gibeau me sourit puis ajoute en anglais avec son accent français : – Madame Gordon, je suis parvenue à convaincre Monsieur Étienne Dillon de laisser faire sa femme et qu'il ne se préoccupe pas d'elle, de sorte qu'il s'est libéré de son seul lien d'attache au monde des vivants, maintenant qu'il sait que sa femme prendra quelques années, et c'est normal, de surmonter la douleur de sa perte. Et à la fin, je lui ai souhaité bon voyage. Que puis-je lui souhaiter de mieux !

D'une curiosité presque enfantine, je murmure d'une petite voix, la tête légèrement tournée vers sa direction : – Pouvez-vous me le répéter en français, s'il vous plaît ?

Je pense : « Comme ça, je vais enfin apprendre un mot du français ! »

Laurie Gibeau répète aussitôt : – Bon voyage ! Pour l'écrire : B, O, N, espace V, O, Y, A, G, E.

Je griffonne rapidement sur une feuille de mon calepin puis je murmure : – Merci, Madame !

L'Observatrice disparaît de ma vue. Je tourne ma tête vers Marie Dillon, dont le regard se promène vers la direction où se trouvait auparavant Laurie Gibeau, puis revient vers moi.

Je m'éclaircis la voix et commente d'une voix sérieuse : – Madame, pour vous résumer ce qui vient de se passer, je vous dirai ceci: un esprit Observateur est parvenu à convaincre votre mari de partir dans la Lumière. Et cet Esprit Observateur m'a appris le mot « bon voyage ! » C'est ce qu'elle (car elle est une femme) a dit à l'esprit errant qu'est devenu votre époux. Pour information, les Esprits Observateurs sont des informateurs fiables, car ils savent le moindre gestes des vivants, de sorte que rien ne leur échappe.

Les sourcils levés d'étonnement, Marie Dillon s'exclame : – Et alors ?

Je soupire et je réponds d'un ton sérieux, en la regardant droit dans les yeux : – Et bien, ceci signifie que votre époux a enfin trouvé la paix en l'âme qu'il recherchait tant. Maintenant, à votre tour de trouver la vôtre ! Sur ces belles paroles, passez une bonne journée !

D'un ton bourru, elle réplique : – De même pour vous !



Je mets mon manteau sur mes épaules et je sors de l'appartement de Marie Dillon, puis de l'immeuble pour revenir chez moi. Mon époux m'attend et m'ouvre la porte. Une fois entrée à l'intérieur, je lui résume la rencontre avec la veuve. Il m'embrasse pour me rassurer. Cependant, nous sommes encore plus perplexes quant au rapport de Carl Neely avec la Tchéquie. Et je sais très bien que je ne peux pas espérer obtenir une réponse de la part des Esprits Observateurs... Je me raisonne par la pensée suivante en me laissant bercer par Jim : « Je dois faire preuve de patience, c'est tout ! »





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