Bienvenue à Oasis

Chapitre 1 : Bienvenue à oasis

Chapitre final

21773 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/04/2024 17:30

Bienvenue à Oasis

 

           La femme avançait sereinement au milieu du désert. Cela faisait un long moment maintenant qu’elle marchait sans discontinuer, ne s’arrêtant que de cours instants pour vérifier à l’aide de sa boussole qu’elle se dirigeait toujours vers sa destination. La chaleur lui pesait et la soif se faisait un peu ressentir, mais rien d’insurmontable pour elle. Elle s’était déjà retrouvée dans des situations bien plus éreintantes que cela, si bien que sa présente situation ne l’affectait que trop peu. Elle était perdue dans ses pensées et réfléchissait à comment elle allait aborder les multiples problèmes qui ne manqueraient pas de se présenter à elle, quand elle atteignit machinalement le sommet d’une dune. Au loin, au très loin, un point noir semblait se dessiner à l’horizon. Elle s’arrêta un instant et fixa ce dernier, avant de continuer en souriant. C’était sa destination.

           

           Au bout de ce qui lui sembla une éternité, elle fini par sortir du désert et arrivé sur une route balisée, où un énorme et vieux panneau décoloré et battu par les vents se tenait encore fièrement : « Bienvenue à Oasis », écrit en français dans une police discutable. Elle souffla du nez. Aussi bien, elle se demandait souvent d’où pouvez bien venir le nom des villes et quelle idée brillante avait traversé l’esprit des habitants quand ils l’avaient choisi, aussi là, elle trouvait le manque d’originalité gênant. Aucun doute que des colons avaient pris un nom pratique pour cet endroit, sans jamais se poser la question plus que ça, et que cela avait fini par rester. Volontairement ou non.

           Elle replaça sa capuche pour bien couvrir son visage et rentra dans la ville d’Oasis.

           Elle se déplaçait désormais au milieu de la ville. Sa longue cape grise, usée et déchirée par le temps, cachait en partie sa silhouette et son visage sous sa longue capuche, mais les gens qui la croisait de face voyait bien qu’il s’agissait d’une femme et une longue tresse rousse pointait le bout de son nez. De toute évidence, à voir comment les habitants la regardait, ceux-ci semblaient réaliser que cette femme était une étrangère, une inconnue, venue de loin à travers le désert pour un objectif encore inconnu. Elle marchait à pied, et ne semblait pas particulièrement équipée pour une traversée ; pourtant, le Transsert ne devait pas passer avant une bonne semaine, et la ville la plus proche était à des semaines de marche à pied. Elle semblait être apparue comme par magie dans la ville.

           De manière involontaire, elle attirait ainsi toute l’attention des gens qui la croisaient dans la rue. Certes, cette ville était modeste et comptait plusieurs dizaines de milliers d’habitants, mais un nouveau visage passait rarement inaperçu. Surtout en dehors des périodes de transitions. Elle, en tout cas, semblait ignorer ou se moquer de l’attention qu’elle attirer sur elle. Elle regardait calmement autour d’elle, cherchant quelque chose ou quelqu’un. Elle sortit une carte de dessous sa cape et essaya de comparer ce qu’elle lisait avec l’endroit où elle se trouvait. Elle approcha un homme assis sur un banc, abrité à l’ombre d’un des rares arbres de cette place, et lui posa plusieurs questions. Les deux eurent un petit échange avant qu’elle ne le remercie et continue sa route à l’aide des indications que celui-ci lui avait donné. Ce ne serait que le soir même, en rentrant chez lui, que l’homme réaliserait qu’il avait échangé dans la langue locale avec pourtant une parfaite étrangère.

           A l’aide des précieuses indications que l’homme lui avait données, elle finit par atteindre un des bars de la ville, qui avait la particularité de faire également auberge lors des périodes de transitions ; de fait, l’endroit était calme et seuls quelques habitués trainaient à leurs tables habituelles à l’intérieur. Passé les portes battantes pour rentrer dans l’établissement, la pièce principale était assez exiguë : un long comptoir en fer où somnolait un jeune homme, visiblement fatigué de n’avoir rien à faire ; quelques tables rondes ici et là dans la pièce entourées de chaises en bois simple mais confortable, et un escalier qui menait vers les étages du bâtiment. Les murs étaient ornés de poster en tout genre, probablement sur des fêtes ou évènements locaux de ces dix dernières années, et que la patronne n’avait jamais pris la peine de retirer une fois passée. Au bruit de sonnette qui accompagna l’entrée de l’inconnue, le jeune homme leva un sourcil et se releva complètement, visiblement agacé d’être dérangé dans son ennuie :

 

           « Bonjour… Il laissa un temps d’arrêt, prenant le temps de regarder sous la capuche du nouvel arrivant pour ne pas dire de bêtise. Sûr de lui, il continua : m’dame. Que puis-je vous servir ?

- Rien pour le moment. La femme fit un geste de la main pour accentuer son refus, tout en balayant son regard dans la pièce. Les autres clients semblaient l’ignorer complètement. On m’a dit que je pouvais louer une chambre pour dormir. Suis-je au bon endroit ?

- Pour sûr vous y êtes. Toutes nos chambres sont libres, mais vu la période, elles ne sont pas préparées. Vous êtes seule ? Vous voulez rester combien de temps ?

- Oui. Je ne sais pas, répondit-elle franchement.

- Hm. Le jeune semblait réfléchir un moment. De toute manière, le Transsert ne passe pas avant une semaine. Ce que je vous propose dans ce cas-là, c’est de payer un acompte d’une semaine pour commencer. Si jamais vous restez plus longtemps après, vous règlerez à votre départ. Ça vous va ?

- Et si je pars plus tôt ? »

           Le jeune homme, qui avait commencé à saisir les informations sur son poste, s’arrêta dans son travail. Il semblait perturbé. Il releva la tête et regarda sa cliente droit dans les yeux, se demandant très sérieusement si celle-ci était en train de plaisanter ou non. Il manqua de peu de demander comment celle-ci compter partir plus tôt de la ville, mais parvient in extremis à se retenir. Il reprit le sourire professionnel et faux que lui avait enseigné la patronne :

           « Dans ce cas-là, bien évidemment que nous vous rembourserons la différence pour les nuits où vous ne seriez pas resté, chère madame.

- … Ça me semble correct. Le petit déjeuner est inclus dans le prix de la chambre ?

- Non, mais il est possible de payer un supplément pour l’avoir. Et il y a un deuxième supplément si vous voulez que celui-ci soit monter directement dans votre chambre, répondit le jeune homme comme un robot connaissant son texte par cœur.

- Je ne prendrais que le supplément du petit déj’, ça me suffira.

- Vous n’aurez qu’à descendre ici entre 8h et 10h le matin. Je vous le préparerais avec plaisir, dit-il en faisant un petit mouvement de tête, indiquant une porte soigneusement dissimulée au milieu des posters, plus loin derrière le bar, et qui devait probablement donner sur une arrière-cuisine. Pour votre chambre, celle-ci ne sera pas prête avant au moins une heure, le temps de nett… préparer la pièce. Il vous fallait quelque chose d’autre ?

- Vous faites toujours à manger à cette heure-là ? »

 

           La femme rota bruyamment, ignorant les gens qui se trouvaient toujours dans le bar avec elle. Elle avait réglé ses nuits pour une semaine, reprise des forces avec un repas somme toute correct mais manquant d’épices à son goût et elle attendait patiemment que l’on vienne la chercher pour sa chambre, afin de se reposer un peu. Pendant qu’elle restait assise là, elle laissa son regard portait sur la ville à travers les portes battantes, observant les gens qui passaient. La rue n’était pas très animée, mais cela faisait sens vu qu’il s’agissait d’un quartier adapté pour les périodes de transition et que peu de personnes y restaient à l’année. Elle remarqua surtout des gamins qui semblaient passer par moment et elle se demanda ce que ceux-ci pouvaient bien faire à traîner dans les rues à cette heure-là. Normalement, les écoles devaient encore être ouvertes et eux en cours. Elle détourna son esprit quand le jeune homme revint la voir, une clé à la main. Sa chambre était prête.

           Elle sourit et se saisit de la clé avant de monter.

 

           Après avoir profité d’une bonne douche et posé ses affaires dans sa chambre, la femme redescendit dans le bar. Le soleil commençait désormais sa lente descente de fin d’après-midi et la lumière prenait cette teinte orangée qu’elle aimait tant. Elle ne put s’empêcher de sourire en voyant cela, avant de remarquer qu’une rangée de cinq enfants était accoudée au bar, buvant ce qui semblait être de la bière. Ceux-ci étaient également étrangement discrets vu leur âge. 

           Elle s’approcha du bar et s’apprêta à interpeller le jeune homme quand le garçon le plus proche d’elle l’interrompit :

           « C’est toi, la fameuse étrangère qui a traversé le désert à pied ? »

Il la toisait de toute la hauteur que lui permettait son âge. La rousse s’arrêta un instant et pris le temps de regarder le gamin qui lui parlait ainsi. Il était jeune, probablement pas plus de 13 ou 14 ans. Il avait des cheveux blonds courts en pagailles et une peau brûlait par le désert. Il était grand pour son âge et semblait être assez sportif de ce que laissait voir ses vêtements amples. Mais ce qui la marqua, c’étaient ses yeux céladon et l’amusement que ceux-ci dégageaient : elle était l’attraction du moment pour ces garçons.

Elle ne put retenir un sourire en coin et se tourna pour lui répondre :

« Fameuse ? Je viens à peine d’arriver dans cette ville, ça me parait exagérée comme terme.

- Tu ne nie pas, répondit calmement le garçon en l’observant de plus près maintenant. Elle en profita pour les observer à son tour et remarqua que c’étaient les enfants qu’elle avait aperçu à travers les portes battantes plus tôt : ils l’avaient donc repérée depuis un moment. Ça a dû être un sacré voyage.

- Bof, long et ennuyant surtout, se contenta-t-elle de dire, en s’accoudant à son tour au bar.

- Vraiment ? Je suis sûr que tu dois avoir pleins d’histoires intéressantes à nous raconter. Pas vrai les gars ? Dit-il en se retournant vers ses collègues, qui approuvèrent tous avec insistance. T’as pas envie de nous montrer tout l’équipement incroyable que tu as utilisé pour venir jusqu’ici ? Ajouta-t-il avec un coup de tête, désignant l’escalier menant aux chambres. »

           « Aaaaaaah, c’est donc ça », pensa la femme sans ne montrer aucun changement d’expression. Elle ne put se retenir d’avoir un sourire moqueur en lui répondant :

           « Vous n’êtes pas un peu trop jeunes pour essayer de dépouiller une voyageuse ? Parce que bon, je veux bien vous prendre au sérieux mais ça marcherait mieux si vous aviez quelques années de plus. Au moins une dizaine ou deux de plus.

- J’essaye d’être sympa et que ça se passe bien, cracha-t-il, visiblement blessé dans son orgueil par sa remarque. On peut faire ça différemment si c’est vraiment ce que tu souhaites.

- Vraiment ? Et qu’est-ce que vous comptez faire ? moqua-t-elle, curieuse de la suite. »

           Le jeune se leva d’un coup, montant sur le comptoir, tandis que ses camarades reculèrent et s’éloignèrent en ricanant. Alors que la femme restait imperturbable et fixait l’enfant qui la dépassait maintenant, attendant la suite, celui-ci claqua des mains et sauta avec une vitesse qui manqua de la surprendre, passant en un instant par-dessus elle et dans son dos. Elle se tourna immédiatement et vit qu’il avait les mains tendus devant lui, juste avant que deux lames d’air ne se plantent dans le bar.

           De la magie. Ce garçon était un magicien. Et il semblait doué en plus.

 

           Alors qu’il roula sur le sol et se retourna pour voir comment s’en sortait sa victime, il fut surpris de voir qu’elle n’avait absolument rien et ne semblait pas avoir bougé ; le bar avait bien été abimé par les lames d’air, mais pas elle. C’était comme si elles l’avaient traversée.

           « Que… ? »

           Déstabilisé pendant juste un cour instant, il se reprit immédiatement et frotta ses mains d’un coup sec, enflammant ses poings. Il se propulsa de nouveau avec du vent et sauta pour atteindre sa victime, qui ne put retenir un petit sifflement d’admiration. Deux éléments de magie différents, en même temps, c’était bien plus que prometteur.

Mais une fois de plus, quand le garçon allait atteindre la femme qui lui faisait face, il ne trouva que du vide et se rattrapa sur le comptoir, qui commença à chauffer sous l’effet de sa magie. Celle-ci ne bougeait pas spécialement, mais elle ne le quittait pas des yeux non plus. Elle faisait quelque chose, c’était évident, mais il était incapable de comprendre quoi. Il l’injuria par réflexe dans la langue locale et fut extrêmement surpris qu’elle lui réponde d’être plus poli dans la même langue. Il eut un mouvement de recule :

« Elle parle l’Emyrrien ? demanda-t-il, surtout pour lui-même »

Il se releva d’un bond sur le bar, la regardant de nouveau de haut et se prépara… avant d’éclater de rire d’un seul coup. Ses quatre comparses se mirent à rire également, ce qui ne sembla ni étonner ni déstabiliser l’étrangère. Elle se contentait de les observer avec un petit sourire aux lèvres.

 

           « Je te l’avais bien dit ! dit le leader en se tournant vers l’un des autres garçons. C’est une magicienne ! Une vraie de vraie ! Traverser le désert à pied ? Seule ? En cette période ? Seule une magicienne pouvait faire un truc pareil.

- Bordel, mais c’est que t’avais raison, répondit l’autre garçon. J’sais pas comment elle a fait mais c’est la première fois que je vois quelqu’un te mettre une branlée sans même te toucher, ajouta-t-il avant de repartir en rire de plus belle.

- Exagère pas non plus va, dit le jeune en mimant un geste de jet. J’étais sympa avec elle ! »

           Les garçons continuèrent à rigoler ensemble pendant quelques instants comme cela, avant que celle-ci ne finisse par les interrompre.

           « Bon, je peux savoir ce que vous me voulez maintenant, les mioches ?

- Ha oui, pardon madame, s’exclama respectueusement le chef du groupe. On voulait être sûr de nous. C’est juste que c’est tellement rare, d’avoir des magiciens dans le coin. Comme vous l’avez vu, on est sacrément fort nous aussi, ponctua-t-il en faisant apparaître une boule de feu au centre de sa main, avant de la dissiper rapidement, mais on s’est dit que c’était une occasion en or pour le devenir encore plus.

- Alors là, je vous arrête immédiatement, les stoppa-t-elle. Je ne prends pas d’apprentis et je suis déjà quelqu’un d’extrêmement occupée. J’ai d’autres choses à faire de mon séjour ici que du babysitting.

- Non mais… Il semblait agacer d’être pris de haut par cette inconnue, mais l’intérêt qu’il avait primé sur sa colère. Ce qu’on voulait vous proposez, c’est plus comme… une collab’. Si vous êtes venu ici, c’est qu’il y a bien une raison, un but. Et quoique ce soit, on peut vous aidez pour ça ! Vous allez forcément avoir besoin d’informations, de guides, d’aides, bref, que quelqu’un vous dépanne. On peut le faire pour vous. Et en échange, on demande juste quelques cours, précisa-t-il en désignant ses amis et lui-même avec un grand sourire. »

           Elle le regarda de nouveau de haut en bas :

           « Et qu’est-ce qui te fait penser que j’aurais l’utilité d’une bande de gosses ? Demanda-t-elle avec un air sérieux qui dissimulait mal son amusement.

- On est nés ici. On connait cette ville dans les moindres recoins et on connait tout le monde. On ose aller là où quasi personne ne s’aventure par ici. Quoique vous cherchez, on aura l’information, affirma-t-il avec un certain aplomb.

- Hmmmm, elle sembla réfléchir un moment avant de déclarer : Non, pas intéressée ! »

 

           Alors que les garçons étaient repartis la queue entre les jambes, l’air triste et colérique que les négociations n’aient pas abouti, la magicienne prit les renseignements dont elle avait besoin auprès du barman. En vérité, le fait que de si jeunes garçons maîtrisent aussi bien la magie l’avait forcément intrigué et elle ne pouvait s’empêcher de se demander si cela avait un lien avec la personne qu’elle était venue chercher ici, voir s’il s’agissait en réalité d’un de ces garçons. Leur leader semblait particulièrement prometteur et cela ne l’aurait pas particulièrement surprise. Néanmoins, son instinct lui dictait que ce n’était pas le cas et elle savait qu’il valait mieux s’y fier dans ce genre de cas : c’était ce que son maître lui répétait à longueur de temps. Et cela avait fini par la marquer. Elle avait en tout cas marqué discrètement l’un d’entre eux et elle comptait bien les garder sous son radar pour le moment ; même si elle était déjà sûr de les revoir avant son départ.

           De toute manière, elle venait tout juste d’arriver et elle n’espérait pas trouver cette personne aussi rapidement. Elle savait qu’elle allait devoir un minimum prendre son temps et connaître le terrain. Normalement, elle ne risquait rien mais on ne savait jamais vraiment comment tout cela pouvait évoluer et finir. Mieux valait être prête. C’est tout naturellement qu’elle s’était saisit de sa carte et avait commencé à se rendre aux différents endroits pour lesquels elle avait questionné le barman. L’après-midi se couchait tranquillement et elle ne pourrait pas voir beaucoup d’endroits pour cette première journée, aussi se focalisa-t-elle sur les abords de l’auberge.

           Le quartier était calme, malgré l’heure tardive et il n’y avait que peu de personnes en général dans ces rues-là. On était hors période de transition et ça se sentait vraiment : la plupart des commerces étaient fermés, avec une pancarte indiquant une réouverture plus tardive. Les maisons semblaient vides et beaucoup avaient leur volet clos. La bande de gamins qu’elle avait vu plus tôt avait disparue et plus aucun enfants ne traînaient dans le coin : le barman lui avait confirmé que les quartiers résidentiels se trouvaient plus dans le nord de la ville, loin des travailleurs venant durant la transition. Cette tranquillité était exactement ce qui lui fallait, aussi elle ne put s’empêcher de sourire. Puisque pour le moment, le quartier lui appartenait pour ainsi dire, elle décida de faire quelques installations magiques : elle fit le tour des rues entourant l’auberge et plaça des discrètes balises magiques à intervalle régulier. Ainsi, elle serait informée de tout mouvement dans le secteur et serait doubler d’un renforcement de sa magie sur ce secteur. Alors qu’elle venait juste de placer la dernière balise sous terre, elle arriva à l’un des endroits dont lui avais parlé le barman : un parc.

 

           Il était vraiment étrange pour elle de trouver un parc au beau milieu d’une ville situé au sein d’un désert, mais la ville devait se situer sur l’ancien emplacement d’une oasis après tout. Ça faisait sens, vu le nom. L’endroit n’était pas forcément très grand, mais il y avait un large bassin au milieu, de nombreux arbres tout autour et quelques aménagements pour se poser ici là. Elle aperçut même un oiseau aux couleurs vives se déplaçait d’un arbre à l’autre. La magicienne était fascinée par ce qu’elle voyait et décida de se poser ici un instant pour se reposer avant de retourner dans sa chambre. Elle s’assit sur l’un des bancs présents, ferma les yeux et laissa le vent la caresser gentiment.

           Il est vrai qu’elle avait passé des jours et des nuits à marcher sans interruption à travers le désert, se dépêchant pour ne pas rater la personne qu’elle cherchait. Bien que sa magie l’eût protégé des désagréments d’un si long voyage, la fatigue finissait inévitablement par l’atteindre. Elle savait qu’elle ne pourrait pas dormir encore pendant de longues heures, elle devait faire de longues préparations dans sa chambre pour s’installer correctement et se protéger. Les journées suivantes n’allaient pas être de tout repos non plus. La ville faisait une taille considérable de ce que lui indiquait sa carte et trouver la bonne personne n’allait pas se faire en un claquement de doigts, pas plus que celle-ci n’allait certainement pas venir à elle directement. Comment le pourrait-elle après tout ? Elle ne la connaissait même pas.

           Après avoir fini de faire le tri dans ses pensées et profitez de l’instant, elle rouvrit délicatement les yeux, laissant un court instant à ceux-ci pour se réhabituer à la forte lumière ambiante. Une jeune fille se tenait devant elle.

 

           Il est rare et inhabituel pour un magicien de se faire surprendre par quelque chose ou quelqu’un. La magie est un outil puissant et capable de bien des choses, dont l’une des utilisations les plus communes et utiles est justement de voir venir. Les gens, les choses, les évènements, la magie. Tout. Aussi, voir quelqu’un se tenir aussi près d’elle, sans que ses balises ne l’ai détectée, sans que ses sens ne l’ai avertie, installa immédiatement un malaise profond en elle, mais qui ne dura qu’un court instant. La jeune fille était accroupie par terre et la fixait avec deux yeux vert émeraude, pleins de curiosité pour cette étrangère. Elle portait des vêtements rapiécés et amples, la laissant respirer dans la chaleur extrême de la ville. Sa peau était brûlée par le soleil et ses cheveux bouclés étaient bien entretenus, quoiqu’assez courts. Tout au plus, elle ne devait pas avoir plus de 13 ans. Elle ne faisait rien de particulier, si ce n’est la regarder.

           « Bonjour, tenta délicatement la magicienne.

- Bonjour, lui répondit dans le même ton la jeune fille. »

           

           « Je ne t’avais pas entendu, tu jouais dans le parc ? tenta de nouveau la magicienne, dont la curiosité était désormais piquée par cette présence.

- Mmh mmh, fit-elle en faisant non de la tête. J’étais venu pour essayer de vous trouver. Je vous ai aperçu en passant. Elle sembla hésiter un moment puis rajouta : qu’est-ce que vous faisiez là ? Vous étiez en train de placer de la magie ? »

           La voyageuse fut interloquée par ses remarques et questions, avant d’éclater de rire. Quelle étrange enfant !

           « Non, je me reposais juste. J’ai marché très longtemps pour venir jusqu’ici.

- C’est ce qu’ils m’ont dit, oui.

- C’est un très joli parc. C’est très agréable de s’y poser. J’aime bien cet endroit.

- Moi aussi, répondit la jeune fille avec un immense sourire, son premier. Il m’arrive de venir jouer ici de temps en temps. Même si je le fais moins dernièrement…

- Vraiment ? C’est dommage, commenta simplement la rousse en observant le parc, avant de se tourner de nouveau vers son interlocutrice. Tu disais que tu me cherchais ?

- Ha, oui ! La jeune semblait un poil confus, ce qui amusa la magicienne. C’est les garçons qui m’ont parlé de vous. Apparemment, ils vous ont un peu secouée et énervée. Je voulais vous demandez pardon.

- Les garç… ? Elle réfléchit un moment, avant de comprendre qu’elle parlait de la bande de jeunes qui l’avait abordé dans le bar un peu plus tôt. Il semblait que les nouvelles circulaient vite par ici. Elle sourit de nouveau à cette jeune fille : Je vois. C’est très gentil de ta part. Ce sont des amis à toi ? Ou des membres de ta famille ?

- On peut dire ça, se contenta de répondre la jeune fille sur cette question, aussi la magicienne décida de ne pas pousser plus loin.

- Mais tu sais, je ne sais pas ce qu’ils t’ont raconté, mais ils ne m’ont certainement pas secouée, et vraiment pas énervée. Tout au plus, ça a été amusant pour moi.

- Tant mieux. Ils ont tendance à faire n’importe quoi dès que je suis pas là, donc ça m’inquiète toujours un peu. Quand ils m’ont parlé d’une magicienne qui venait d’arriver en ville et qu’ils voulaient vérifier la rumeur, j’ai pris peur qu’ils fassent une bêtise.

- Ha, ricana la femme. Tu as bien raison, au fond. Si je n’avais pas été une magicienne, ils auraient probablement blessé quelqu’un… ou fini blessés. On peut dire que tout s’est passé pour le mieux. »

           La jeune fille fixa encore un peu la magicienne, avant de sourire de nouveau. Elle se releva, dépoussiéra ses habits et fit un petit signe de la main pour lui dire au revoir, avant de filer en courant par une des autres sorties du parc. La magicienne la regarda s’éloigner, sans un mot, avant de se lever et de vérifier le fonctionnement de ses balises : tout fonctionnait normalement. Elle était juste en dehors de leur zone d’effet.

           « Pas étonnant que ne je l’ai pas vu venir, dans ce cas, soupira la magicienne en repartant. »

 

           Alors que le soleil se levait tranquillement sur la ville, la magicienne descendait péniblement l’escalier menant au bar. Bien qu’ayant dormi d’un sommeil de plomb, elle n’avait pas pu se reposer suffisamment longtemps en raison de toutes les préparations qu’elle avait dû faire jusqu’à tard le soir. Elle en sentait maintenant le contrecoup, en plus de son voyage jusqu’ici. L’endroit était encore un peu plongé dans l’obscurité, mais elle distingua que le barman était déjà présent. Elle alla jusqu’à lui et commanda son petit déjeuner, avant de choisir une table qui lui donnerait la vue sur la rue et s’assit en attendant que ce dernier soit prêt.

           Personne ne passait dans la rue encore à cette heure-là. Ses balises lui avaient révélés que bien peu de personnes ne passaient par ici tard le soir, et elles les avaient identifiés pour savoir si c’étaient des déplacements réguliers ou ponctuels. Et en dehors du barman, personne ne s’était approché du bâtiment depuis ce matin, ce qui était bon signe. En dehors de la bande de gamins de la veille, personne ne semblait s’intéresser particulièrement à elle pour le moment. Alors qu’elle restait ainsi plongée dans ses pensées et sa concentration du moment, le jeune homme déposa discrètement devant elle son petit-déjeuner, sans un mot, ce qui la ramena à la réalité.

           Elle grignota tranquillement le plat local que lui avais préparé le serveur, tout en réfléchissant à ses plans pour la journée. Elle allait devoir commencer ses recherches dans la ville et essayait d’être le plus méthodique possible pour ne pas perdre trop de temps. Elle avait identifié plusieurs lieux importants, où elle avait le plus de chance de croiser la personne qu’elle cherchait. Cette ville n’avait après tout que quelques dizaines de milliers d’habitants, un magicien devrait être assez facile à identifier et à débusquer, surtout vu qu’il ne l’attendait absolument pas. Il y avait toujours le risque qu’il est entendu les rumeurs de son arrivé et qu’il se cache par précaution, mais même ainsi elle finirait par mettre la main sur lui. Elle n’avait que trop peu d’informations pour l’identifier pour le moment et allait devoir énormément travailler avec sa magie et son instinct pour le trouver, surtout qu’il était possible qu’il ne se sache pas encore magicien. Après tout, c’était bien le cas pour elle, à l’époque où son maître l’avait trouvé…

           Elle chassa les souvenirs dans le fond de son esprit, fini son petit-déjeuner et sortit du bâtiment pour commencer ses recherches.

 

           Sa première destination de la journée était la plus logique, compte tenu de la ville où elle se trouvait : le marché. Elle n’eut à marcher qu’une petite quinzaine de minutes depuis l’auberge pour atteindre l’endroit où ce dernier se trouvait et alors qu’elle finissait à peine de traverser une rue pour y arriver, elle fut assaillie par une foule immense, ainsi qu’un mélange incroyables de sons, d’odeurs et de couleurs. C’était un énorme boulevard dans lequel les commerces avaient tous des ouvertures sur l’extérieur et où ils mettaient des stands à disposition des habitants qui passaient. Le boulevard était bordé des deux côtés de commerce, tandis que des gens s’étaient installés au milieu de ce dernier, des fois juste avec un tapis, d’autres fois avec des stands en dur. Au milieu de tout ça, la foule se déplaçait selon des mouvement qui lui était propre, passant d’un endroit à l’autre pour faire le plein de nourritures, produits frais de la mer des sables, vêtements, parfums, épices, bijoux, électroniques, etc etc… Aucun doute là-dessus, la plus grande majorité des habitants passaient bien par ici le matin.

           Problème : il y avait beaucoup trop de monde. Impossible de faire discrètement de la magie sans se faire interpeller, voir créer une panique. Et même si elle pouvait placer des balises, elle n’était pas sûr que son cerveau arrive à traiter l’ensemble des données qui l’assailliraient à ce moment-là. Elle décida de procéder à l’œil « nu » pour le moment et se balada dans le marché, identifiant les marchands, discutant ici et là avec les gens, apprenant les coutumes et découvrant tout ce qu’elle pouvait trouver ici. Elle restait très discrète et faisait en sorte de pas attirer l’attention sur elle-même comme la veille, en se rendant le moins remarquable possible auprès des gens. Elle traversa une bonne partie du boulevard, avant de réaliser que le marché s’étendait sur des rues perpendiculaires et se perdait dans des dédales de maisons. Parfait. L’endroit serait moins fréquenté et sa recherche gagnerait en efficacité.

           Elle avança dans une des ruelles et fini par arriver dans une partie du marché couvert, au sein de galeries entre les bâtiments. Il y avait en effet beaucoup moins de monde, mais également beaucoup moins de produits intéressants. Elle ne manqua pas de remarquer que l’une des boutiques proposaient des ingrédients de magie, mais semblait peu fourni et trop cher pour ce qui était proposé : la ville ne devait pas posséder une communauté magique trop développé dans ce cas. De même que les enfants qu’elle avait vu la veille n’utilisait à première vue qu’une magie basique et avec peu de préparation. Le peu de magie qui devait circuler dans le coin était probablement très primaire. Cela allait lui faciliter grandement la tâche, puisque limitant les individus potentiels. Elle ne put s’empêcher de sourire et tourna dans la rue suivante quand du bruit se fit entendre un peu plus loin.

           Elle tendit le cou pour voir d’où venait tout ce bruit mais cela ne semblait pas être dans la rue où elle se trouvait actuellement. Elle avança de quelques pas et affina son audition pour mieux repérer ce qui se passait. Des cris, des gens qui courent, des choses qui se renversent. Une course-poursuite. Des voleurs ? Oui, des voleurs. Elle savait qu’elle ne devait pas attirer l’attention sur elle mais elle se rapprocha rapidement de l’endroit pour récupérer un maximum d’informations. Le cas échéant, si cela pouvait jouer en sa faveur, elle n’hésiterait pas à intervenir.

           Quelle ne fut pas sa non-surprise en s’approchant de découvrir que c’était les gamins de la veille. Ceux-ci semblaient s’être saisit de sacs de nourriture et couraient à travers les rues pour échapper à leur poursuivant, un marchand à l’air passablement énervé. Les passants semblaient amusés par ce spectacle et ne réagissaient pas spécialement plus que ça. De toute évidence, ça devait être quelque chose de fréquent dans les alentours. Sans se faire remarquer, elle commença à les suivre à son tour, pour voir jusqu’où ceux-ci iraient. Elle fut extrêmement déçue de voir la course-poursuite se terminant assez vite, les enfants n’ayant aucun problème à semer le marchand à l’aide d’une magie de vent pour se déplacer plus vite, et le perdirent dans le dédale de rues à une vitesse qui forçait un peu le respect. Ils attendirent d’être un peu plus loin avant de se poser un instant et faire le point sur le butin qu’ils avaient récupéré.

 

           « On dirait bien que je ne suis pas la seule personne que vous ciblez, dit une voix sortant de l’obscurité d’une des ruelles proches. »

           Les cinq garçons sursautèrent en même temps, pris par surpris et en flagrant délit dans leur vol, alors qu’ils pensaient avoir semer leur poursuivant depuis un petit moment. Ils se mirent instantanément en position pour se battre, mais se relâchèrent dès qu’ils virent la magicienne sortir de l’ombre.

           « Oh, c’est juste la magicienne du désert, fausse alerte, dit le leader en se détendant.

- La magicienne du désert ? Pardon ? S’agaça la femme.

- Bah oui, on a aucune idée de comment tu t’appelles. Et tu viens du désert.

- … Elle laissa un blanc avant de répondre, plus à elle-même : c’est donc pour ça que ça l’énervait tant ? Pas surprenant. Avant de relever la tête et regarder le leader dans les yeux : en effet, et je n’ai aucune raison de vous le dire. Appelez moi Madame, ça sera largement suffisant.

- Non.

- Non ?

- On a aucune raison de se plier à tes demandes. Ça sera la magicienne du désert et c’est tout, rajouta le leader avec un sourire au coin des lèvres, très satisfait de voir que cela semblait l’énerver un peu.

- Tu… Elle soupira : Très bien, comme vous voulez en vrai. Je n’ai pas le temps de me prendre la tête avec ça… Bon, sinon, qu’est-ce que vous avez volé ? Demanda-t-elle alors que les jeunes étaient en train de vider les sacs et regarder leur butin, tout en piochant allégrement dedans pour se nourrir.

- Des sacs plein de fruit cette fois-ci, constata le leader sans se retourner. Ce marchand est beaucoup trop riche pour son propre bien. On l’aide donc à se délester un peu de temps en temps.

- Trop aimable à vous. Personne ne s’occupe de vous que vous deviez voler pour vous nourrir ?

- On peut très bien s’occuper de nous-même, répondit le garçon avec un regard de défi. D’ailleurs, tu nous veux quelque chose ? On est occupé là. »

           La magicienne réfléchit un instant, soupira et répondit que non. Elle se détourna et commença à repartir vers la ville. La vie de ces enfants n’était pas son soucis après tout et elle avait beaucoup à faire. Elle jeta un dernier regard en arrière sur eux qui semblaient en joie de se partager le butin, et alors qu’elle s’apprêtait à partir, elle remarqua de l’autre côté de la rue, dans l’ombre, la jeune fille de la veille qui semblait l’observer de loin. Elle attendait très probablement qu’elle parte pour se rapprocher.

           « Etrange », fut tout ce que pensa la magicienne, avant de partir.

 

           Après ce petit interlude terminé, la magicienne put continuer ses recherches. Elle retourna tout d’abord vers l’endroit où elle avait entendu les enfants se faire poursuivre et essaya de retrouver où pourrez bien se trouver le marchand qui s’était fait dépouiller. Elle fut surprise de ne pas y arriver. De toute évidence, soit l’endroit où elle les avait entendus pour la première fois était éloigné de la boutique de cette personne, soit il s’agissait d’un marchand sans stand fixe et qui était depuis parti. De ce que le leader lui avait dit, ils semblaient le connaître et le voler régulièrement, donc c’était forcément quelqu’un de présent régulièrement. Elle enquêterait à un autre moment là-dessus. Elle continua d’explorer le marché et ses alentours pour le reste de la journée.

           Le lendemain, elle explora les alentours du plus grand quartier résidentiel de la ville.

           Le jour suivant, elle se rendit au lieu de culte principal de la ville et y passe de longues heures.

           Encore après, elle explora la partie industrielle de la ville.

           Et ainsi de suite, jour après jour…

 

           Plus les jours passés, et moins sa recherche ne semblait avancer. Elle commençait à connaître bien les lieux, les habitants et le fonctionnement de cette ville : Oasis. Elle savait se repérer très facilement et n’avait plus aucun soucis à se déplacer rapidement. Elle avait pu installer ses balises magiques à des endroits stratégiques et elle avait continué ses préparations habituelles tout les soirs dans sa chambre d’hôtel, même si elle pouvait désormais dormir plus longtemps.

           Toutes ses recherches n’avaient pas été vaines pour autant. Elle avait très vite compris que la ville ne contenait quasiment aucun magicien. En dehors de la bande de gamins qui l’avait agressée le premier jour et qu’elle avait recroisé ici et là, très souvent impliqué dans des vols pour survivre, le nombre de magiciens qu’elle avait rencontré se comptait sur les doigts d’une main. A une exception près, il s’agissait d’hommes, assez âgé et avec une connaissance peu poussé de la magie. Il y avait bien quelques boutiques magiques, mais c’étaient plus des pièges à touristes ou à curieux que de vrais établissements sérieux. La ville comptait une grande médiathèque mais peu d’ouvrages de magie se trouvait à l’intérieur. De manière générale, si les habitants semblaient connaître la magie, c’était très parcellaire et cela avait dû arriver lors de contact durant les périodes de transition. De toute évidence, Oasis n’avait aucune tradition magique ou aucune qui avait survécu jusqu’à aujourd’hui. Alors combien diable l’homme qu’elle cherchait pouvait se trouver par ici ?! C’est ce qu’elle aurait pensé, si son propre cas personnelle n’était pas aussi proche que celui-ci. Dans sa ville natale, il n’y avait après tout aucune connaissance réelle de la magie, même si c’était plus dû à l’époque qu’à l’endroit.

           Néanmoins, toutes ses recherches pointaient vers quelque chose de précis : la bande de gamins. Ceux-ci maîtrisaient la magie, et même très bien pour leur âge. Ils savaient se servir de magie élémentaire, avec rapidité et efficacité et même s’en servir en même temps de plusieurs. L’aspect préparatif et amplificateur semblait leur échapper complètement, mais cela était probablement dû à l’absence complet de mentor pour les éduquer. Pas étonnant que ceux-ci aient cherché à ce qu’elle les forme : tout ce qu’ils savaient faire, ils l’avaient très probablement appris par eux-mêmes. Ce qui rendait l’exploit encore plus impressionnant, surtout vu leur jeune âge. Le magicien qu’elle était venu chercher était-il parmi eux ? Pourtant, son instinct lui criait le contraire, et cela de plus en plus fort à chacune de leur rencontre. Pourtant….

 

           Une coupure nette dans ses pensées.

           Ça approchait.

           Les balises avaient détecté de la magie, en approche de son auberge.

           Allongée sur son lit à ressasser ses pensées, elle se leva d’un coup et jeta un coup d’œil furtif par la fenêtre. Elle ne put retenir un juron en voyant les individus qui se rendaient à la même auberge qu’elle : des arcanistes. Les anciens élèves de la Deuxième.

           Elle n’avait pas fait particulièrement attention au temps qui s’était écoulé depuis son arrivé mais plus d’une semaine avait probablement défilé et le Transsert avait dû finir par arriver en ville, les ramenant avec lui. Aucun doute désormais qu’ils se trouvaient ici : l’homme qu’elle cherchait était bel et bien dans cette ville. Ceux-ci ne seraient jamais venu dans un endroit paumé sans magie comme celui-là autrement. Ils venaient le chercher.

           Restait désormais la question de quoi faire : se cacher ? Ceux-ci ne semblaient pas être équipés pour la trouver elle et elle pourrait très facilement les éviter, avec tout le réseau qu’elle avait déjà étendue dans la ville. Mais cela risquait de la gêner fortement pour ses déplacements, et déjà que ses recherches n’avançaient pas suffisamment… Les tuer ? L’idée ne l’enchantait pas particulièrement. Elle avait déjà tué par le passé. Beaucoup, et pour beaucoup de raisons. Mais elle rechignait toujours à cela : couper tout potentiel d’évolution à quelqu’un, c’était se priver de potentiels atouts futurs. Non, le mieux serait sûrement d’aller leur parler, leur mentir sur qui elle était et de scruter leurs intentions réelles en venant ici. Si elle se débrouillait bien, elle pourrait très probablement se servir d’eux.

           Et dans le cas contraire, tant pis pour eux. En si peu de temps, cette ville était déjà devenue sa forteresse privée. Et ce n’étaient pas quelques maigres et faibles arcanistes qui allaient pouvoir grand-chose contre elle.

 

           Avant même qu’un des arcanistes ne pénétrât dans l’auberge, une de ses sphères de détection passa la porte en premier, scannant l’endroit. L’arcaniste, reliée à cette dernière par un tube étrange, rentra dans le bar à son tour, visiblement satisfait des informations que sa sphère lui avait transmises. Les deux autres suivirent directement derrière lui. D’apparence, il ne s’agissait que de trois hommes, deux d’apparence plutôt âgé et un dernier qui semblait plus être dans la trentaine. Ils portaient tous de très longues capes pour dissimuler leurs tenues, mais les bruits de pas trahissaient les armures magiques qu’ils portaient en permanence. Plusieurs sphères de détection et de défense lévitaient autour de chacun d’eux, attachés à ces derniers par des tubes et renforçant leur sens pour faire face à toute situation. De peau blanche et de teint pâle, ils avaient un visage tiré et fermé, suspicieux de tout. Leurs cheveux étaient également blancs et maintenus court comme le voulait leurs usages. Seul le plus jeune d’entre eux avait une fine tresse sur le côté gauche du visage.

           L’un des deux plus âgé s’approcha du bar et demanda pour avoir trois chambres. Il négocia rapidement avec le jeune homme qui tenait le bar et sembla satisfait des réponses obtenues. Ils allaient devoir patienter que leurs chambres soient préparées, aussi ils décidèrent de commander du thé et s’assirent à l’une des tables libre du bar. Après que le jeune homme les eut servis et soit monté par l’escalier à l’étage, ceux-ci prirent le temps de regarder un peu autour d’eux et d’observer les autres consommateurs du bar. Il y avait une table avec trois anciens qui jouaient à un jeu impliquant des dès, une table avec ce qui semblait être un jeune couple profitant d’un moment à eux et une dernière avec une femme d’un âge certain, qui semblait perdue dans ses pensées en observant l’extérieur du bar. Le plus jeune des arcanistes se leva et se rendit proche de la table de cette dernière :

           « Je vous demande pardon madame, mais puis-je m’asseoir avec vous ? Demanda-t-il poliment. »

           La femme leva les yeux, le dévisagea un instant avant de faire un geste indiquant qu’il pouvait s’asseoir en face d’elle. Il s’assit tranquillement, appuya ses coudes sur la table et posa son visage sur ses mains, observant la femme qui lui faisait face. Les deux plus anciens les observait d’un coin de l’œil, sans rien dire. Il prit la parole :

           « Je ne m’attendais pas à croiser une magicienne dans un tel endroit. Il me semblait pourtant que cette ville était en dehors des cercles universitaires magiques et qu’il n’y avait pas vraiment de communauté dans les environs. Si vous vous trouvez dans ce bar, j’imagine que vous êtes également une voyageuse comme nous ? »

           La femme ne répondit rien, se contentant de le regarder dans les yeux.

           « Je vous rassure, nous ne sommes que de passage dans les environs. Je sais que nous n’avons pas la meilleure réputation auprès des vôtres, mais je tenais à vous assurer que nous n’avons aucune volonté de conflit. Dès que notre mission dans cette ville sera terminée, nous nous en irons aussi rapidement que nous sommes venus. J’ose espérer que notre présence ne vous dérangera pas. »

           La femme le regarda encore pendant un long moment, avant de répondre à son tour :

           « L’odeur de charognard magique tel que vous est presque insupportable, mais je suppose que je peux la tolérer s’il s’agit réellement de vos intentions. »

           L’un des deux plus anciens se leva d’un coup, mais son collègue le força à se rassoir immédiatement. Le plus jeune n’avait pas bougé.

           « Quel est donc cette mission ? Je pourrais me faire une joie de vous aidez à l’accomplir, si cela vous faisait disparaître d’ici plus vite.

- C’est très aimable à vous, madame, répondit-il avec un grand sourire, mais vous doutez bien qu’il m’est interdit de communiquer là-dessus.

- Pourtant, vous dites ne vouloir aucun conflit. Quel intérêt de jouer des secrets dans ce cas-là ?

- Il est vrai, nous ne voulons aucun conflit. Mais qu’en est-il de vous, madame ? Qu’est-ce qui peut bien amener une magicienne dans un coin perdue pareil ?

- Tourisme, répondit la magicienne avec un sourire. Je suis en vacances. »

           Le jeune la regarda un instant, avant d’éclater de rires.

           « Décidément, vous êtes vraiment des gens surprenants, vous autres magiciens. Vous ne me décevez jamais.

- Que voulez-vous ? C’est dans notre nature même.

- Ecoutez. Si ce que vous me dites est vrai… aucun soucis. Vous pourrez faire tout le tourisme que vous voulez et nous nous occuperons de nos affaires de notre côté. Nous n’aurons normalement pas de raisons de nous croiser en dehors de cette auberge.

- Oh, vous savez, cette ville n’est pas si grande que cela. Je suis sûr qu’il nous sera difficile de ne pas se trouver mutuellement en dehors.

- Je voulais dire : nous croiser volontairement en dehors de cette auberge. Chacun a ses affaires et tout ira bien pour tout le monde.

- Ma foi, ça me parait un échange acceptable. Mais si je peux me permettre un conseil, vous devriez retirer tout cet attirail ridicule que vous portez sous vos capes : vous allez juste faire peur aux habitants locaux, vous savez ?

- … Merci du conseil, nous aviserons le cas échéant, répondit mystérieusement le jeune arcaniste. »

           Celui-ci s’inclina et retourna s’asseoir avec ses camarades, avant de patienter silencieusement jusqu’à ce que leur chambre soit disponible.

 

           La rencontre s’était déroulée mieux que prévu. Ceux-ci ne l’avaient clairement pas identifié pour qui elle était vraiment et elle avait négocié une non-ingérence qui lui permettrait de continuer tranquillement ses recherches. Bien évidemment, elle s’était ensuite empressée de retravailler ses balises magiques pour d’un côté les rendre encore plus indétectables et de l’autre identifier plus facilement les arcanistes, afin de savoir ce que ceux-ci allaient faire de leur côté. Elle était très tentée d’essayer de les espionner ou de les suivre par moment, mais cela risquait fort de déclencher un conflit ; et elle n’était toujours pas décidé à les tuer pour le moment. C’était surtout le frère supérieur qui avait attiré son attention. Il avait beau paraître jeune, trop jeune, elle savait d’instinct que c’était le plus vieux d’entre eux. A vu de nez, il devait avoir entre 150 et 200 ans. Négocier avec lui était somme toute facile, de fait. On ne vit pas aussi longtemps sans être raisonnable.

           Mais maintenant que ce problème était mis de côté pour le moment, restait toujours son problème principal : que faire exactement ? Elle commençait à s’approcher du moment où elle allait tourner en rond et s’il y a bien une chose qu’elle ne pouvait pas supporter, c’était de ne pas avancer. En soi, les idées ne lui manquaient pas sur comment potentiellement faire changer les choses, mais la plupart d’entres elles étaient maintenant sérieusement compromises par la présence des arcanistes. Ils ne laisseraient jamais passer la moitié d’entre elle et l’autre moitié attireraient automatiquement leur attention. Et elle ne voulait pas les attirer. Après avoir passé une bonne partie du reste de la journée à cogiter, elle décida de changer d’approche : les arcanistes n’étaient pas venus ici pour rien, et elle pariait très fortement que c’était, même indirectement ou involontairement, pour la même raison. Elle allait donc jouer le rôle qu’elle avait avancé : une touriste. Elle allait se balader en ville sans but précis, et croiser par « le plus grand des hasards » les arcanistes régulièrement. Cela allait bien payer tôt ou tard.

 

           Aussi tôt décidé, aussi tôt appliqué.

           Le lendemain de matin, elle sortit et se rendit comme à son habitude au marché de la ville. Elle avait maintenant pris l’habitude de s’y rendre tout les matins. Déjà pour récupérer des produits frais pour ses repas et potentiellement ses préparations, mais aussi pour échanger avec les habitants locaux. Ceux-ci semblaient de mieux en mieux l’accepter et elle commençait à doucement obtenir des informations pertinentes ; même si cela restait un long chemin avant d’obtenir quoique ce soit de satisfaisant.

           Alors qu’elle était assise sur un banc à discuter avec un vieillard qu’elle appréciait bien, elle finit par remarquer les arcanistes qui traversaient la foule. Les idiots n’avaient pas retiré leurs armures magiques, aussi ne passaient-ils pas inaperçu au milieu de tout ces gens. Elle ne put retenir son amusement à les voir forcer leur passage ainsi, énervant et tournant les habitants contre eux. Ils étaient vraiment d’une stupidité à toute épreuve. Alors qu’ils passaient ainsi dans la foule, ils finirent bien évidemment par passer devant elle. Elle leur fit un grand sourire et un petit geste de la main ; le frère supérieur lui rendit, tandis que les deux autres restaient tendu à sa simple vision. Ils se méfiaient toujours très fortement d’elle… à raison.

           Alors que ceux-ci s’éloignaient dans la foule, elle s’excusa auprès du grand-père à ses côtés et se rendit à un autre endroit stratégique de la ville. Après tout, elle avait eu le temps d’en faire très facilement le tour et savait maintenant comment très facilement se déplacer d’un lieu à l’autre. Elle n’eut aucun soucis à s’y rendre très rapidement. Une fois arrivée, elle s’arrêta de nouveau pour discuter avec les gens et au bout d’un moment, comme elle l’avait prévu, les arcanistes passèrent par là également. Elle les salua de nouveau de la tête ; le frère supérieur lui rendit la salutation, mais avec plus d’hésitation cette fois-ci. Celui-ci devait être surpris de la revoir aussi vite dans un endroit aussi éloigné dans la ville. Le message envoyé était clair : je connais les lieux, pas vous. Méfiez-vous.

           Une fois ceux-ci parti plus loin, elle se lança un pari à elle-même et essaya de deviner le prochain endroit où ceux-ci se rendraient. Cette fois-ci, elle eut besoin de se dépêcher un poil pour y arriver avant eux et se dissimula sur un des toits adjacents au lieu de culte principal de la ville ; elle ne voulait pas être vu, cela risquait de les provoquer un peu trop et d’avoir un effet contraire à ce qu’elle désirait. Elle s’assit dans une position où elle pouvait facilement voir les gens passés sans être vu, et elle n’eut pas à attendre trop longtemps avant que ceux-ci ne viennent à leur tour. Intéressant. Ceux-ci semblaient suivre une logique d’action similaire à la sienne, bien que beaucoup plus pressés qu’elle. Ils avaient fait en une journée ce qui lui avait pris trois jours après tout. Ces informations étaient précieuses. Elle décida de briser la filature pour cette journée et se rendit à l’auberge pour son repas du soir, où elle ne manqua pas de croiser forcément les arcanistes qui rentraient. Ceux-ci n’eurent aucune réaction envers elle et se contentèrent de monter les escaliers vers leurs chambres. Peu de temps après, le barman montait avec trois plats, probablement leur commande pour ce soir.

           Ceux-ci n’allaient donc probablement plus sortir de la soirée, ce qui lui donnait un énorme temps libre. Elle se rendit dans sa chambre, verrouilla magiquement la porte et continua ses préparations et amplifications de la veille. Toute la situation commençait à titiller son intérêt et elle ne se permettrait pas d’être prise de court par quoique ce soit. Son sourire n’en fut que plus grand encore.

 

           Le lendemain et le jour suivant, ce petit cirque se poursuivit tranquillement. Elle anticipait les déplacements des arcanistes et se déplaçait en fonction de ces derniers. Jusqu’à présent, ceux-ci ne lui amenaient aucune information critique ou importante, mais cela avait au moins le mérite de l’amuser et lui faire passer le temps. Plus que tout, elle espérait que leur présence finisse par déclencher quelque chose, n’importe quoi, qui force la sortie de l’homme qu’elle cherchait. Elle avait fini par se rendre à l’évidence que sa seule présence ne suffirait pas à attirer cette personne, et qu’il fallait donc un stimuli externe.

           Le troisième jour de la présence des arcanistes dans la ville, l’accident se produisit.

           Alors que celle-ci les avait complètement oubliés avec la présence des arcanistes, la bande de gosse faisait de nouveau du grabuge dans le marché. Ceux-ci avaient de nouveau volé le même marchand que la dernière fois, mais celui-ci ne semblait pas les lâcher cette fois-ci. Alors que la magicienne s’était posée sur les toits et observait la course poursuite de loin, elle remarqua que ceux-ci se dirigeaient involontairement vers les arcanistes. Elle tilta alors sur ce qui aurait dû attirer son attention plus tôt : ces garçons étaient venus la tester dès son arrivée et avaient essayé de faire d’elle leur mentor. Pourtant, ceux-ci ne s’étaient pas montré avec les arcanistes jusqu’à présent. Pourtant, de leur point de vue, ils pouvaient tout autant leur rapporter qu’elle. Pourquoi l’avaient-ils ciblé elle ? Pourquoi est-ce qu’ils ne ciblaient pas les arcanistes ? Se méfiaient-ils des arcanistes ? Ils auraient eu raison de le faire, mais ils pouvaient logiquement pas le savoir.

           Alors que ses pensées passaient à toute vitesse, elle remarqua que les garçons n’étaient maintenant qu’à quelques mètres des arcanistes. Elle décida que cela méritait toute son attention et se rendit sur le toit le plus près de là où ils se trouvaient tous, afin d’observer ce qui allait se passer.

 

           Lorsqu’elle se posa, les arcanistes remarquèrent sa présence mais ne dirent rien, concentrés qu’ils étaient sur les enfants devant eux. Elle s’assit, sans un bruit. En-dessous d’elle, le frère supérieur s’avança face à la bande de gamins qui les toisaient :

           « Excusez-moi, jeunes hommes, mais j’ai cru comprendre que vous aviez dérobé des biens à ce pauvre gentleman, dit-il en pointant au loin dans la rue le marchand, qui avait le souffle court et n’arrivait quasiment plus à avancer pour les rejoindre. Auriez-vous l’amabilité de bien vouloir les déposer afin que nous puissions lui rendre ?

- Va chier, cracha le leader par terre. Vous êtes qui vous ? D’où vous vous permettez de venir faire votre loi ici ? Interrogea-t-il les arcanistes devant lui, essayant de cacher sa peur derrière son agressivité.

- Nous ne sommes que de simples voyageurs, et nous aimerions que cela reste le cas. Nous ne pouvons juste pas tolérer un vol qui se déroule juste sous nos yeux, c’est aussi simple que ça. Je pense que vous pouvez le comprendre, non ? Demanda le frère supérieur en regardant de haut l’enfant devant lui, lui faisant comprendre par les non-dits la menace qu’il représentait pour eux. »

           Le gamin recula son pied droit, évaluant encore la situation. Cette rue était pleine de gens, qui s’étaient maintenant attroupé autour d’eux et qui les empêcherait de s’enfuir rapidement. Ils pourraient tourner et s’enfuir dans la rue suivante, mais seulement après avoir passé les trois hommes devant lui. Ils ne les sentaient pas et son instinct lui criait de reculer, mais il ne pouvait pas laisser tomber ses 4 amis derrière lui. Il fini par faire ce qui lui paraissait le plus logique.

           « Barrez-vous, cria-t-il ! »

           Il venait de se propulser avec un sort de vent vers le frère supérieur, espérant le prendre par surprise par sa rapidité. A l’instant où il décolla du sol, les quatre autres garçons s’enfuirent immédiatement dans la foule, profitant de leur petite taille pour se faufiler entre les gens et passer discrètement. Les arcanistes ne réagirent ni ne bougèrent. Le leader frotta ses mains pour les enflammer et s’apprêta à frapper le frère supérieur devant lui. A l’instant où il aurait dû le toucher, son poing s’immobilisa d’un seul coup, la flamme disparaissant. Il était comme pris d’un coup dans une espèce de gelée étrange et froide, et il ne distinguait que de vagues mouvements d’air autour de son poing. Il remarqua alors que le frère supérieur avait tendu son bras sous lui et qu’une étrange armure sombre recouvrait ce dernier entièrement. Par de petites feintes situés à l’articulation de la main de ce dernier, quelque chose s’échappait. Le jeune homme tira en arrière et se détacha immédiatement de ce qui le stopper, tombant à la renverse face à la facilité avec laquelle il s’était libéré.

           « Mais qu’est-ce que… ?

- Tu vois, vous pouvez être raisonnable quand vous voulez, dit simplement l’arcaniste en s’accroupissant et en pointant derrière le leader des gamins. »

           En effet, pour s’enfuir, ses amis avaient dû abandonner les sacs volés par terre. Mais cela n’avait pas d’importance pour le moment. L’importance, c’était que l’homme devant lui lui faisait peur, le terrifier même. Quelle était cette étrange armure qu’il portait ? Qu’elle était ce pouvoir qu’il avait utilisé ?

           « T... T’es qui au juste ? Articula avec grande difficulté l’enfant.

- Je te l’ai déjà dit, un simple voyageur, se contenta-t-il de dire avec un sourire.

- Mytho va, sortit tout seul de la bouche du garçon.

- Hm, peut-être, se contenta de dire le frère supérieur. Mais par contre, la vrai question, c’est qui es-tu toi ? C’est une très belle démonstration de magie que tu as fait là, tu sais ? Demanda-t-il avec un sourire qui dissimulait mal ses intentions. »

           Le garçon trembla une seconde devant les menaces informelles contenu dans cette question, et sans plus attendre, il échappa de se projeter sur le côté. En vain. Il ne l’avait pas vu ou n’avait pas fait attention, mais l’un des deux autres arcanistes s’était placé là : celui-ci le saisit par le bras et le souleva, l’empêchant de s’enfuir.

           « Lâche-moi ! Lâche-moi ! »

           Les complaintes de l’enfant tombèrent dans une oreille sourde. L’homme releva sa cape, laissant apparaître la même armure sombre étrange sur son bras. Un tube muni d’une seringue commença à en sortir et s’entortilla autour du bras de l’enfant, avant de se planter dedans. Quelque chose commença à être tirer du corps de l’enfant par cette dernière.

           « Qu’est-ce que… ? L’enfant ne comprenait pas ce qu’il se passait, mais il sentait dans tout son être que cela ne présageait rien de bon. »

           Alors que l’homme le tenant maintenait une expression neutre jusqu’à présent, il fut soudainement extrêmement surpris et ses yeux s’écarquillèrent en grand en regardant l’enfant devant lui. Alors qu’un fin liquide vert passait dans sa seringue et à travers le tube de son armure, il semblait réaliser quelque chose.

           « Mais… Tu es qui, exactement ?! Questionna-t-il. Ce n’est pas normal, c’est… »

           Mais avant qu’il ne pût terminer sa phrase et alors qu’il avançait sa deuxième main vers le visage du pauvre garçon qu’il tenait, celle-ci s’arrêta net dans son chemin et ne bougea plus d’une pouce. Il fallut quelques secondes à l’arcaniste pour comprendre ce qui se passait. La magicienne était descendue des toits et avait saisit le bras de l’arcaniste, le maintenant fermement en place, comme si elle n’était qu’une statue. Elle n’avait pourtant fait aucun bruit et il ne semblait n’y avoir aucun mouvement d’air. Son expression semblait neutre et elle ne dit qu’une seule chose, sans même le regarder : « Lâche. » Instantanément, un frisson traversa le corps de l’arcaniste. Avant même que son cerveau ne put réfléchir à ce qu’il se passait, la seringue était sortie du corps de l’enfant, il l’avait lâché et il avait fait un bond de plusieurs mètres en arrière, suant d’énormes gouttes. Mettant quelques instants à réaliser ce qui s’était passé avec son propre corps, l’arcaniste avait du mal à avoir des pensées cohérentes. Pendant ce temps, les autres arcanistes n’osaient pas bouger d’un millimètre, même le frère supérieur, et ils observaient la situation avec beaucoup de prudence, transpirant abondement. Il était désormais clair qu’ils devaient faire très, très attention à leurs prochaines paroles et actions.

           Avant que ceux-ci n’eurent le temps d’y réfléchir vraiment, la magicienne avait saisit le gamin dans ses bras, l’avait soulevé et commencé à marcher pour partir avec lui. Alors que le frère supérieur se trouvait sur son chemin, elle s’arrêta devant lui, releva la tête et dis simplement en le regardant dans les yeux : « Bouge. » Son expression était toujours neutre et d’un point de vue extérieur, elle pouvait paraitre parfaitement inoffensif, mais n’importe quel utilisateur de magie ne s’y tromperait pas. La moindre contrariété finirait probablement instantanément en poussière. Le frère supérieur se poussa sur le côté, perdit l’équilibre et fini par terre sur ses fesses. La magicienne continua sa route sans le regarder et ils mirent de longues secondes après qu’elle eut disparu dans les rues pour se permettre de respirer enfin de nouveau.

 

           « Idiot, murmura la magicienne en tenant le garçon dans ses bras. »

           Celui-ci était encore sonné de ce qui venait de se passer. La magicienne avait passé ses doigts sur l’endroit où la seringue avait pénétré le bras de l’enfant, stoppant l’hémorragie qui avait commencé quand elle avait été retirée.

           « Ceux-ci allaient te vider de toute ta magie si je les avais laissé faire, continua la magicienne tout en emmenant le garçon vers l’auberge. Ces charognards se moquent bien de ce qui peut arriver à quelqu’un d’aussi jeune qui se verrait vider de la sorte.

- Me… Merci, parvint-t-il à articuler difficilement.

- Economise ta salive. Ils n’ont pas eu le temps de t’en prendre beaucoup, mais cela doit complètement te retourner. Je te passerais bien de ma magie pour compenser, mais cela risquerait de te faire plus de mal que de bien. Pas le choix, on va devoir patienter que tu t’en remettes naturellement. »

           Le jeune homme sembla écouter son conseil et resta muet. Il fini par fermer les yeux et s’endormit dans les bras de la rousse.

 

           Ce n’est que quelques heures plus tard qu’il se réveilla finalement, transpirant, haletant et avec la gorge extrêmement sèche. Voyant qu’il avait ouvert les yeux, la magicienne s’approcha de lui, lui souleva la tête et le força à boire de l’eau.

           « Prend ton temps. Ton corps n’est pas habitué à perdre de la magie comme ça. Bois. C’est ça. Tranquillement. Continue. Ton corps essaye de compenser la perte comme il peut. Tu devrais commencer à te remettre doucement mais il te faudra sûrement plusieurs jours pour t’en remettre complètement, expliquait calmement la femme. »

           Après que celui-ci est fini son verre d’eau, elle se recula et s’assit de nouveau à côté de lui, alors qu’il avait toujours du mal à comprendre ce qui se passait.

           « Est-ce que tu arrives à parler ?

- … Oui, parvient-il à chuchoter par de grands efforts.

- Tu as été vraiment stupide, tu le sais ? Tu aurais dû fuir comme les autres et ne pas essayer de t’en prendre aux arcanistes, l’engueula-t-elle calmement et posément.

- … Je… sais… Mais… je voulais, il parlait difficilement et devait prendre le temps de respirer pour bien parler, qu’ils s’enfuient… sans problème…

- Umpf, souffla du nez la magicienne avant de continuer. C’est étrange quand j’y pense. Comment est-ce que vous saviez que ceux-ci étaient dangereux ? Qui vous a parlé d’eux ? demanda-t-elle en le fixant intensément du regard.

- C’est… notre grand sœur… qui nous a mis en garde, répondit-il sans réfléchir, alors que sa tête le faisait souffrir. Elle nous a dit… de ne pas nous approcher d’eux. Qu’ils étaient… dangereux…

- Votre grand sœur ? La fille que j’ai vu dans le marché, la fois où vous faisiez les comptes de votre butin ? continua-t-elle en le fixant dans les yeux.

- Oui…

- Comment pouvait-elle savoir ça ? Elle les connait déjà ?

- Non… Je ne crois pas… Elle… le sait… c’est tout. Mais… je ne les pensais pas… dangereux à ce point…

- Et encore, ils y sont allés gentiment avec vous, commenta-t-elle sobrement. Cela… »

           Elle s’interrompit, visiblement coupée par quelque chose. Elle souffla de dépit.

           « Forcément, la trêve est rompue maintenant, dit-elle pour elle-même avant de se tourner vers l’enfant. Ecoute, reste allongé là et repose-toi. Il ne t’arrivera rien ici. J’ai des visiteurs à aller saluer. »

           Et sur ces bonnes paroles, elle sortit de la chambre en verrouillant magiquement la porte derrière elle.

 

           Ses balises l’avaient informé, les arcanistes étaient de retour à l’auberge. Et aucun doute sur leur activité magique, ils venaient préparer pour se battre contre elle. Elle avait trop montré de ses capacités lorsqu’elle les avait interrompus tout à l’heure et les avait forcément effrayés. Cela n’avait beau être qu’un fragment de ce dont elle était capable, ils avaient compris qu’elle avait dissimulé volontairement ses capacités lors de leurs rencontres précédentes et qu’elle était donc dangereuse pour eux. Maintenant que le jeune homme dormait dans sa chambre, elle ne pouvait pas prendre le risque de se battre contre eux dans l’auberge : elle risquait de détruire le bâtiment et d’emporter l’enfant avec. Elle espérait encore pouvoir régler la situation par la parole.

           Elle descendit dans la salle du bas et fut extrêmement contente de voir que personne ne s’y trouvait à part la patronne. Sans attendre une seconde, elle l’ensorcela pour la faire partir et celle-ci partie par la porte cachée derrière le bar, s’enfuyant, elle l’espérait, loin. Elle prit une chaise située la plus loin possible de la porte et s’assit là, attendant que les arcanistes viennent de nouveau dans le bar. Elle n’eut pas à attendre longtemps que plusieurs sphères de détections rentrèrent dans la salle en premier, scannant tout les environs avant que les arcanistes n’ouvrent les portes et rentrent à leur tour. Leurs regards étaient posés sur la magicienne, avec un mélange de méfiance et de colère. Le frère supérieur ne fit qu’un pas en avant, gardant une longue distance de sécurité entre eux. Prudent.

           « Où est l’enfant ? demanda-t-il en premier.

- Loin. Je l’ai placé en sécurité, loin de vos sales pattes, répondit-elle sans se démonter, cachant parfaitement ses intentions et la vérité.

- Nous ignorions que c’était votre élève. Nous n’avons fait que nous défendre lorsqu’il nous a attaqué, commença à s’expliquer l’homme.

- Vous vous trompez, je n’ai pas d’élève. Mais je ne tolère pas que vous vous permettiez de toucher à un enfant.

- Dans ce cas-là, ce que nous faisons ne vous regarde pas. Et il s’avère que nous avons découvert que l’enfant est lié à la raison pour laquelle nous sommes là. Nous avons besoin de l’étudier. Je l’ai déjà dit, je ne cherche pas le conflit. Remettez-le-nous simplement et tout s’arrêtera là. »

           Elle laissa un long silence, avant de répondre, sans jamais les quittez des yeux :

           « Pourquoi ? Qu’a-t-il de spécial ?

- Nous n’avons aucune raison de vous le révéler. »

           Elle hésita un instant : était-ce une bonne idée de se servir ici de son pouvoir ? Néanmoins, elle sentait qu’elle touchait du doigt la Vérité et qu’il ne lui manquait plus qu’une pièce ou deux pour finir de compléter le puzzle. Elle décida de pousser.

           « Je crois que je ne suis pas bien fait comprendre : qu’a-t-il de spécial ? Demanda-t-elle de nouveau, en fixant intensément le frère supérieur dans les yeux.

- Il… Le frère supérieur déglutit, comprenant soudainement que quelque chose n’allait pas. Il ne pût s’empêcher de continuer : Il a un niveau de magie beaucoup trop élevé pour un enfant. Et sa magie est trop pur. C’est… c’est comme si… il n’était pas qu’un enfant… »

           Il se tût, tombant à genou sous la pression alors que les deux hommes l’accompagnant le regardaient, choqué qu’il eut révélé de tels informations soudainement. Les trois homme ne comprenaient pas ce qu’il venait de se passer, mais il n’y avait aucun doute que la magicienne avait usée de magie sur lui, sans même se faire remarquer. La situation venait soudainement de devenir critique pour eux. De son côté, la magicienne écarquillait maintenant les yeux, comprenant ce qu’elle avait manqué jusqu’à présent. C’était donc ça, tout faisait sens pour elle désormais. Mais il restait toujours un mystère et…

           Alors qu’elle s’était perdue dans ses pensées, l’un des deux arcanistes encore debout s’était rué sur elle, prêt à la frapper de son poing. Elle fut surprise, non pas par l’attaque en elle-même, mais que l’un d’entre eux fut assez stupide pour essayer de le faire de front, face à elle. Elle se leva, calmement, s’approcha de l’arcaniste qui s’approchait maintenant à une vitesse extrêmement lente et saisit son poing dans sa main gauche. Elle hésita un instant sur ce qu’elle allait faire et décidé finalement de l’incinérer. Maintenant que ceux-ci lui avaient apporté la pièce manquante à sa recherche, ils n’avaient plus aucune utilité pour elle. Une flamme violette sortie de sa main, monta dans le bras de l’arcaniste avant de le réduire complète en poussière, quasiment instantanément. Même son armure disparu face à la violence de la flamme.

 

           Le frère supérieur, encore sous le choc, releva la tête. Il vit son compagnon fonçait sans un bruit vers la magicienne afin de l’attaquer, le poing tendu. L’instant suivant, une flamme d’un violet terrifiant le consuma à une vitesse foudroyante, alors que la femme se trouvait maintenant juste devant le tas de cendre qui avait été auparavant son élève. Celle-ci ne semblait afficher aucune émotion, alors qu’elle venait très clairement de réduire en cendre un homme. Qui était-elle au juste ? Qu’elle était cette magie qu’elle avait utilisée sur lui sans aucun geste de sa part ? Doucement, tout doucement, l’idée que ceux-ci avaient touché du doigt quelque chose, quelque chose qu’ils n’auraient jamais dû approcher, commença à se faire dans son esprit. Alors qu’il hésitait un instant sur la marche à suivre, il remarqua que le deuxième élève qui l’accompagnait commençait à passer le choc et allait bientôt agir à son tour. Il devait l’empêcher de mourir.

           Il se releva d’un coup, lançant sa cape en arrière tandis que toutes ses sphères de détections et de contrôles se répandirent autour de lui en un instant. Il tendit les deux bras et mis en place un bouclier magique entre eux et la magicienne. Les orbes de combat traversèrent le bouclier et commencèrent à voler en direction de leur ennemie. Lorsqu’elle celle-ci les vit, elle sembla bien embêter pendant un instant et son regard balaya la pièce. Elle n’attendit pas une seconde de plus et sauta par-dessus le bar, ouvrant la porte dissimulée et s’engouffrant dedans.

           « Merde, elle s’enfuit, s’échappa de la bouche du frère supérieur.

- Je m’en occupe, répondit le second élève en se lançant à sa poursuite, croyant que son supérieur lui avait donné un ordre. Cette salope ne va pas s’en tirer comme ça !

- Non ! cria-t-il pour essayer de le retenir mais c’était trop tard, il venait de passer à travers la porte à son tour. »

           De son côté, la magicienne s’était retrouvée dans une cuisine lorsqu’elle avait passé la porte, comme elle s’y attendait. Alors qu’elle s’apprêtait à aller vers la porte de derrière, elle remarqua une trappe dans le sol. Sans attendre un instant, elle l’ouvrit et descendit à toute vitesse l’escalier qui menait vers ce qui semblait être une réserve. Alors qu’elle s’attendait à pouvoir se dissimuler ici, qu’elle ne fut pas sa surprise de voir une porte dans la réserve. L’ouvrant, elle sentit l’air caressée sa joue alors qu’un long tunnel s’avançait dans le noir.

           « Qu’est-ce que… ? »

           Comment avait-elle pu ratée quelque chose de pareil ? Elle avait été tellement occupée par le de fouiller la ville que l’idée de souterrains ne lui avait même pas traversé l’esprit. Sans plus attendre, elle fit apparaître une lumière flottante devant elle et s’élança à toute vitesse dans le tunnel, curieuse de là où cela allait bien la mener.

 

           Ouvrant les yeux de nouveau, le jeune homme venait de se réveiller. Il voyait un plafond qu’il ne reconnaissait pas vraiment. Sa tête tournait encore beaucoup et ses pensées étaient confuses. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer ce qui s’était passé et comprendre là où il se trouvait. Commençant à appréhender la situation, il se leva péniblement, avant de voir un verre d’eau sur la table basse proche du lit. Il s’en saisit et le vida d’un trait. Il commença à regarder autour de lui. Alors qu’il s’imaginait être dans une simple chambre d’hôtel, il fut surpris de voir que la pièce était gigantesque. Il y avait une foule de meubles en tout genre, couvert d’instruments dont il ne connaissait pas l’utilité et avec des ingrédients étranges à ces yeux de partout. De nombreux instruments semblaient en fonctionnement et une gigantesque maquette de système solaire tournait au milieu de la pièce. Il y avait de nombreux cercles alchimiques peint sur le sol et les murs, et des runes semblaient graver dans le bois de nombreux meubles. Aucun doute là-dessus, il se trouvait dans le cabinet de travail d’une magicienne. Et pourtant, la fenêtre derrière lui donnait sur la rue de sa ville, qu’il connaissait si bien. Comment était-ce possible ?

           Pris un peu au dépourvu, il traversa la pièce en faisant attention à ne rien toucher et fini par atteindre la porte. Il tourna la poignée et put sortir dans le couloir, alors que la porte se referma derrière lui sans un bruit. L’endroit était silencieux et il n’y avait aucune lumière. Il s’avança et parvint à atteindre les escaliers. Descendant dans le bar qui servait d’accueil, l’endroit était vide. Pas une âme ne semblait présente. Il remarqua que la porte derrière le bar était ouverte. Intrigué, il commença à marcher vers elle quand il manqua de peu de marcher dans ce semblait être un immense tas de poussière. Ignorant ce que c’était, il préféra faire le tour de ce dernier et se rendit dans la cuisine.

           Là encore, silence et vide l’accueillit. La porte arrière était, elle, toujours fermée. Il se rendit à l’un des éviers et se servit un verre d’eau qu’il remplit plusieurs fois, cherchant à étancher sa soif. Alors qu’il s’apprêtait à partir, il vit une trappe dans le sol, ouverte en grand. Son sang ne fit qu’un tour. S’étaient-ils rendus dans les souterrains ? Il descendit les marches trois par trois et manqua de peu de s’étaler par terre, ayant encore du mal à contrôler correctement son corps. Son mal de tête commençait à se dissiper, mais son équilibre n’était pas encore complètement revenu. Arrivé en bas de l’escalier, seul l’obscurité du tunnel l’accueillit. Mais cela ne l’affecta pas outre mesure : il avait l’habitude de se déplacer dans ces tunnels après tout. Frottant ses yeux à l’aide de la paume de ses mains, il améliora sa vision dans le noir et s’en servit pour se déplacer. Les tunnels de cette partie de la ville étant peu employés, il remarqua facilement deux traces de pas distincts dans le sol, une plus profonde qui suivait la première, et décida de les suivre.

           Au bout de quelques virages, il était clair que ceux-ci avaient marché au hasard dans les tunnels, ne connaissant visiblement pas les lieux, même s’ils semblaient dotés d’un bon sens de l’orientation et qu’ils évitaient de tourner en rond. Quelques virages plus loin, quelle ne fût pas sa surprise de tomber soudainement sur le cadavre d’un homme. Son corps était dispersé en centaines de pièces sur le sol et le sang recouvrait une bonne partie de la zone, mais celui-ci avait déjà séché : un certain temps devait déjà s’être écoulé depuis la mort de cette personne. En y regardant de plus près, il reconnut que le cadavre était celui d’un des hommes qui l’avait attaqué au marché.

           « Bien fait, s’échappa de ses lèvres. »

           En avançant un peu plus loin, il ne restait plus qu’une seule trace de pas dans le sol. De toute évidence, celui qui était désormais mort avait poursuivit cette personne, l’avait trouvé et cela s’était mal fini pour lui. Etais-ce la magicienne qu’il avait poursuivie ? Si oui, la violence de sa mort était terrifiante. Il réalisait soudainement que celle-ci avait vraiment été gentille avec eux. Elle aurait pu les tuer en un claquement de doigts, si elle l’avait voulue. Sans plus attendre, il décida de continuer à suivre les traces au sol, curieux de jusqu’où celle-ci s’était rendu.

           Alors qu’il avançait depuis maintenant un bout de temps dans ces tunnels sans fin, il remarqua que celle-ci, volontairement ou non, se dirigeait vers leur planque. Quand cela le percuta, il ne réfléchit plus un instant et se mit à courir directement vers cette dernière, prenant un chemin différent et bien plus rapide. Il ne savait pas pourquoi, mais il était soudainement pris d’une peur panique. Quelque chose avait dû se passer. Après quelques minutes de courses dans des tunnels très précis, il arriva dans un endroit éclairé, où il vit que ses pires craintes étaient fondées. Sur le sol de leur repaire, les corps sans vie de ses amis gisaient là, du sang émaillant les alentours. La magicienne se tenait debout face à leur grand sœur, visiblement effrayée et en pleurs, et tendait sa main vers elle. Il voulait faire quelque chose mais ses yeux n’arrivaient pas à quitter les cadavres de ses amis.

           « Que… Quoi… Mais… Qu’est-ce… »

           Ses paroles ne faisaient aucun sens et il ne parvenait pas à saisir ce qui c’était déroulé. Finalement, ce fut la colère qui le consuma et il se tourna vers la magicienne, qui semblait ignorer sa présence.

           « Qu’est-ce que t’as foutu ?! Hurla-t-il de tout son être.

- Silence marionnette, répondit d’une voix ferme la magicienne sans se retourner.

- Si… estomaqué par sa réponse, il chancela un peu, avant de se reprendre immédiatement. De quel droit… ?! »

           Il avait voulu répliquer, mais fut soudainement interrompu en plein milieu de sa phrase. La magicienne s’était retournée. Sa main était désormais tendue vers lui. Il lui fallut une seconde pour comprendre ce qui venait de se passer, alors qu’il tombait au sol et que sa bouche se remplissait de sang. Celle-ci venait de le trancher en deux en un instant. Le son et la bourrasque du vent qu’elle avait utilisé mis quelques secondes de plus avant d’atteindre ses oreilles, tandis que le mur derrière lui volait en éclats.

           « J’ai dit, silence marionnette, se répéta la magicienne, très énervée. »

           Alors que sa conscience commençait à le quitter, la dernière chose qu’il vit fut la magicienne qui se tournait de nouveau vers sa grand sœur, alors que celle-ci venait de tomber en pleurs au sol.

           

           Quelques instants plus tôt, la magicienne était en train d’explorer les tunnels quand l’un des arcanistes avait essayé de lui tomber dessus. Bien mal lui en pris, cela n’avait été que l’affaire d’une seconde, bien qu’elle se demandât si elle n’y était pas allée un peu fort pour le coup. Au pire, si le troisième suivait, cela devrait faire passer un message assez clair. Une fois qu’elle eut réglé ce soucis, elle avait continué son avancé dans les tunnels. Tout ce réseau était impressionnant et presque envoutant. Depuis combien de siècles ces tunnels avaient-ils été creusés ? Pourquoi ? Il y avait bien des tags et des dessins sur de nombreux murs, et par moment des salles immenses, ainsi que des passages qui semblaient descendre vers des égouts ou des niveaux inférieurs, mais l’endroit semblait relativement désert de manière générale. A n’en point douter, ou bien les gens n’avaient que peu connaissances de ces lieux, ou bien ils ne présentaient aucun intérêt et c’est pour cela que les gens les ignoraient. Ou bien alors, une magie avait été mise en place pour éloigner les gens. Pourtant, elle ne sentait pas plus de magie ici que dans le reste de la ville en général.

           Alors qu’elle continua son avancé dans ce labyrinthe souterrain, des bruits de voix commencèrent à se faire entendre plus loin : elle avait enfin trouvé ce qu’elle était venue chercher. Elle suivit naturellement les voix jusqu’à arrivé à une grand salle, éclairée et avec du mobilier ci et là. Sur plusieurs canapés disposés vers le fond de la pièce, quatre jeunes garçons discutés entre eux en rigolant, tandis qu’une jeune fille se tenait à l’écart d’eux, assise sur un fauteuil. Lorsque la magicienne pénétra dans la pièce, ils turent tous d’un coup, se tournant vers la personne qui venait d’arriver. La tension venait de monter d’un cran : de toute évidence, ceux-ci ne s’attendaient pas à voir quelqu’un débarqué ici. Sans prêter attention à cela, la magicienne s’avança en jetant des regards tout autour :

           « C’est donc là que vous vivez ? Je comprends mieux pourquoi vous volez dans ce cas-là. Vous êtes vraiment isolés par rapport au reste de la ville. »

           Personne ne répondit rien. Ils restaient fixés sur elle, incertain sur ce qu’ils devaient faire ou dire. La magicienne continua de se rapprocher, l’air de rien, en parlant :

           « C’est une bonne planque quand même. Personne ne semble se douter que ces souterrains sont là, malgré les nombreuses sorties vers la surface. Vous pouvez facilement y accéder d’un peu partout et vous pouvez encore plus facilement accéder là où vous voulez dans la ville. Si un de vos poursuivants vous suit trop longtemps, cela devient un jeu d’enfant de le semer.

- Qu’est-ce que tu veux ? Demanda un des garçons. Je croyais qu’on t’intéressait pas.

- C’est vrai, affirma la magicienne d’un petit mouvement de tête. C’était le cas jusqu’à peu. Mais je me rends compte maintenant que c’était une erreur de ma part et que j’aurais dû m’occuper de vous bien plus tôt.

- T’occuper de nous ? Interrogea un autre des garçons, avec une vrai curiosité dans la voix.

- Oui, exactement, répondit-elle avec délicatesse. »

           Alors que ceux-ci n’avaient même pas fait attention, elle était maintenant à côté des deux premier garçons. Elle passa sa main sur le visage du premier, puis du second, avant de se diriger vers les autres, lentement. Le temps semblait se dérouler étrangement pour eux : ils contemplaient la magicienne se mouvoir librement, tandis qu’ils semblaient comme bloqués. Elle s’approcha des deux suivants et leur caressa le visage également, afin d’enfin faire face à la jeune fille.

           « C’est bien ce que je pensais, murmura-t-elle en se posant devant elle. C’est toi, n’est-ce pas ?

- … Moi ? »

Elle semblait ne pas comprendre ce que la femme en face d’elle lui disait et était sur la défensive. Elle s’interrogeais sur les intentions de cette dernière :

           « Que voulez-vous dire ?

- Vois-tu ma petite, je suis venu dans cette ville pour trouver quelqu’un. Un homme pour être précis. Cet homme va devenir l’un des Dix. Le Septième pour être tout à fait exact. En dehors de ça, je n’avais pas beaucoup plus d’indications.

- … Je ne vous suis pas, répondit la jeune fille en se recroquevillant. Les Dix ? Le Septième ? De quoi parlez-vous ?

- Es-tu vraiment à ce point ignorante ? Demanda la magicienne, véritablement surprise. Bon sang, je vais vraiment devoir tout t’expliquer. Désolé, mais je vais te faire la version courte dans ce cas-là. »

           La jeune fille n’était toujours pas rassurée mais elle regardait la magicienne avec un certain intérêt. La femme reprit ses explications :

           « Dans notre monde, il va exister en tout et pour tout dix magiciens aux pouvoirs incommensurables : les Dix. Chacun de nous est doté d’une magie unique, qui nous rend vraiment spécial. Par exemple, nous savons tout cela grâce à la magie de Vision du Cinquième, qui a pu voir l’avenir et nous ramener de précieuses informations. Nous connaissons les Dix, nous savons quels sont nos magies, mais nous ne savons pas quelle magie est associée à qui par exemple. Ses visions ne sont pas assez précises pour cela.

- D’accord. Mais quel rapport avec l’homme dont vous parliez ?

- J’allais y venir justement : le Cinquième m’avait prévenu que le Septième devait apparaître dans cette ville aux alentours de cette période et qu’il s’agissait d’un homme. Mais j’ignorais complètement qui c’était ou quel était sa magie. Pour la magie, j’ai fini par comprendre. Mais pour l’homme en question, je ne comprends pas. C’est toi. Et pourtant, j’ai une fille en face de moi. Dis-moi, jeune fille, demanda-t-elle en la fixant intensément dans les yeux, es-tu une fille ou un garçon ? »

           La magicienne ne la quittait pas des yeux, alors que celle-ci semblait être prise de panique et commençait à pleurer. Elle essayait de résister à sa magie, mais en était incapable. C’est un cri qui déchira le silence :

           « JE NE SAIS PAS ! »

           La magicienne fut surprise. Réellement surprise. Elle ne s’était pas attendue à ça. Mais cela répondait à toutes ses questions désormais. Le Cinquième n’avait pas menti. Elle avait le Septième.

           « Bingo, je t’ai trouvé. Cher Septième, magicien des Marionnettes. Ou magicienne, pour le moment ? Plaisir d’enfin te rencontrer dans tout les cas, dit-elle avec un sourire. »

 

           La jeune fille pleurait à chaudes larmes maintenant. Elle ne comprenait pas ce qui c’était passé, le cri qui était sorti de sa bouche, les pensées qui se fracassaient dans son esprit. Tout cela ne faisait aucun sens. Le Septième ? Magicien des Marionnettes ? De quoi parlez donc la femme en face d’elle.

           « Je ne comprends pas… Je ne comprends pas… Je ne comprends pas…, pleurait en boucle la fillette.

- C’est normal, je pense que tu n’étais pas encore complètement consciente de ça. Vois-tu, je suis la Sixième, la magicienne de la Vérité. Personne, je ne dis bien personne, ne peut me mentir quand j’utilise mes pouvoirs. Même si tu ignores la Vérité, elle sortira quand même. C’est ça, ma magie.

- Mais… Et magicien des Marionnettes ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

- C’est ton pouvoir. Tu ne l’as pas réalisé ? Ces garçons, dit la Sixième en montrant le groupe derrière elle, aucun d’entre eux n’est humain. J’ai vérifié leur magie en leur touchant le visage. Ce ne sont que des marionnettes que tu as créé avec ta magie.

- … Mais de quoi parles-tu ? Ce sont mes amis, mes frères. J’ai grandi avec eux, depuis toute petite. Ils ont toujours été là pour moi. Ne parle pas mal d’eux comme ça ! Hurla la jeune fille. »

           A l’instant où son cri sorti, les 4 garçons se mirent soudainement en mouvement vers la magicienne. « Merde », pensa-t-elle. De toute évidence, la jeune fille ne se savait pas magicienne, ou tout du moins ignorer l’étendue de ses pouvoirs. Comme pour elle dans son passé, elle avait dû utiliser sa magie par instinct de survie, sans jamais le faire consciemment. Créer des amis, cacher leur existence aux yeux des gens, se déplacer sans se faire remarquer par même des magiciens, vivre ainsi pendant des années sans interruption. Et elle avait créé cinq marionnettes aussi parfaites, capable d’utiliser un tel niveau de magie ? Inconsciemment ? Quel genre de monstre allait-elle devenir quand elle maîtriserait pour de vrai sa magie. A n’en point douter, elle allait être encore plus terrible qu’elle.

           « On dirait que je n’ai pas le choix, je vais devoir t’ouvrir les yeux, dit la magicienne en regardant toujours la jeune fille dans les yeux. Elle se retourna, regarda vers les garçons qui couraient vers elle et demanda : les gamins, êtes-vous humains ? »

           Ils s’arrêtèrent dans leurs courses, visiblement perturbés par la question. Il ne s’écoula qu’un instant avant qu’ils ne répondent en chœur, d’un cri franc :

           « Non !

- Qu’êtes-vous, si vous n’êtes point humains ?

- Des marionnettes !

- Qui vous a créer ?

- Grand sœur est notre créateur ! »

           La jeune fille ne comprenait pas ce qu’il se passait. Qu’est-ce qu’ils racontaient ? Des marionnettes ? Qu’elle avait créé ?

           « Arrête de mentir ! Tu dis n’importe quoi, hurla-t-elle à la magicienne. Tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi… répétait-elle en boucle »

           La magicienne fut prise de colère. Elle ne supportait pas les crises injustifiées des enfants :

           « Assez ! Hurla-t-elle. »

           Et se retournant, elle tendit quatre doigts de sa main gauche : les 4 garçons furent projetés dans la pièce, leurs cœurs ayant été transpercés. Le sang gicla jusqu’à l’endroit où ils s’effondrèrent par terre. Elle les avait tous tués en un instant.

           « Ce ne sont pas des êtres humains ! Maintenant, cesse cette crise et viens là, lui ordonna-t-elle en tendant la main. »

           C’est à ce moment-là que le leader des garçons, la cinquième marionnette, arriva dans la pièce.

 

           La jeune fille ne comprenait pas. Elle s’était effondrée par terre, pleurant à chaudes larmes. Ses amis, ses frères, ils gisaient tous sur le sol, morts. Elle appelait leur nom à tour de rôle mais aucun ne répondait. Elle ne comprenait pas, elle ne comprenait pas, elle ne comprenait pas, elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

           La magicienne avait une expression compliquée sur son visage. La colère était toujours présente contre cette gamine, mais celle-ci ne semblait toujours pas comprendre ce qu’elle avait voulu lui expliquer. Pour la première fois depuis qu’elle avait posé un pied dans Oasis, elle doutait. Avait-elle bien fait de provoquer un tel choc pour la Septième ? Elle était sûr que cela lui aurait permis de comprendre, mais la fille au sol devant elle ne semblait que prises de douleurs extrêmes. La pitié se lu sur le visage de la Sixième, et elle alla pour se baisser vers sa collègue.

           « Ecoute, dit-elle en posant sa main sur son épaule, ce ne sont que des marionnettes, pas des êtres humains. Tu ne sembles pas comprendre ce que ça veut dire, laisse-moi t’expliquer…

- Tais-toi ! Hurla la jeune fille en repoussant la main. Tu les as tués ! Tu les as tués… monstre ! Hurla-t-elle encore plus fort, en relevant la tête de colère. »

           Quelque chose avait bougé en elle : la colère avait remplacé la tristesse. La magicienne fut surprise, mais comprit instantanément l’avantage qu’elle pouvait tirer de cette situation. Elle prit le sourire le plus cruelle qu’elle pouvait et regarda droit dans les yeux de l’enfant en face d’elle :

           « Oui. Oui, tu as raison. Je suis un monstre. Et que vas-tu faire maintenant, Septième ? Qu’est-ce que tu peux seulement faire ? Demanda-t-elle en la fixant intensément, utilisant ses pouvoirs pour faire ressortir la Vérité d’elle.

- Je. Peux. Faire. Ça ! Hurla de nouveau la Septième en se relevant. »

           L’air autour d’elle se mit à bouillonner et les meubles autour d’elles furent projeter par la force qui se dégageait de cette jeune fille, si frêle et si petite. Elle s’éveillait enfin, pleinement et consciemment à la magie. A sa propre magie. Alors qu’elle hurlait de colère et de douleur, sa magie s’activait sans limite, se déversant dans toute la pièce et les couloirs aux alentours. La magicienne en face d’elle ne bronchait pas, observant avec le même sourire la fillette en face d’elle. Et soudainement, sans qu’elle ne le sente ou le vit venir, un coup de poing s’écrasa sur son visage.

           Elle resta interdite pendant un court instant, le sourire s’étant effacé de son visage. Elle n’avait bien évidemment pas bougé et c’est tout juste si c’est son visage avait tourné sous l’effet du coup, mais quelqu’un l’avait bel et bien frappé. Quand elle retourna la tête pour voir devant elle, le leader du groupe des garçons se trouvait devant elle. En vie et en un seul morceau. Il s’était interposé entre elles deux et protégeait dorénavant la jeune fille contre la magicienne.

           « Qu’est-ce que t’as foutu, je t’ai demandé ?! Hurla-t-il, comme si sa mort n’avait pas eu lieu il y a quelques instants. Laisse ma grande sœur tranquille ! »

           La magicienne était fascinée. C’était donc ça, une marionnette. La Septième avait pu le recréer instantanément, à l’identique. Celui-ci ne semblait n’avoir gardé aucun souvenir de sa propre « mort » et continuait comme si de rien n’était. Même la magie de la Vie du Premier ne pouvait pas accomplir un tel miracle. Quelle magie incroyable, pensa-t-elle sincèrement.

           Du côté de la Septième, elle s’était soudainement calmée. La colère s’était dissipée, avec sa tristesse, à l’instant où son ami avait jailli et attaqué la femme en face d’elle. Comment… était-ce possible ? Il était mort, non ? Elle se leva péniblement et se rapprocha de lui. Elle lui toucha l’épaule, le retournant vers elle et commença à caresser son visage. Il était chaud. Elle baissa sa main sur sa poitrine ; elle entendait le battement de son cœur. Elle inspecta son ventre, aucune déchirure n’apparaissait là où la magie l’avait scié en deux, ni dans ses vêtements, ni dans sa chair.

           « Heu… Grand sœur ? Tout va bien ? Demanda le garçon timidement, un peu mal à l’aise de se faire toucher ainsi par son amie.

- Tu… Tu es en vie. Tu es en vie, répéta la jeune fille, alors que des larmes, de joie cette fois-ci, commençait à s’écouler de son visage.

- Bah… Oui ? De quoi tu parles ? »

           Le garçon ne comprenait pas du tout ce qui se passait. La fille en face de lui se contenta d’hocher de la tête de gauche à droite, incapable de répondre, alors que ses larmes continuaient à couler. Elle saisit son ami et le serra le plus fort possible dans ses bras. La magicienne en face d’eux se détendit. Elle souffla du nez et sourit, cette fois avec sincérité : la Septième avait réussi à activer correctement sa magie et l’avait comprise. La situation était enfin résolue.

 

           Une fois que celle-ci eu réussit à arrêter de pleurer et avoir mis un long moment à lâcher le câlin qu’elle faisait à son ami, elle put s’asseoir sur la canapé à côté de la Sixième et elles discutèrent un long moment. Celle-ci lui expliqua plus en détails ses pouvoirs, sa magie, ce qu’elle avait fait et comment. La guidant, elle l’accompagna pour recréer de nouveau les quatre autres garçons, qui renaquirent de la même façon que leur leader, comme si rien ne s’était passé. Ce dernier était un peu confus de voir ses amis revenir à la vie de la sorte, mais il accepta assez facilement l’idée que c’était tout simplement de la magie. La Septième ne semblait pas vouloir leur parler pour le moment du fait que c’étaient des marionnettes. Une fois tout cela terminé, la jeune fille s’effondra soudainement : elle venait juste de découvrir sa magie et l’utilisait de manière aussi intense, volontairement, l’avait complètement épuisée.

           « Ne vous inquiétez pas, je vais la ramener dans ma chambre d’auberge où elle pourra se reposer en toute sécurité, expliqua la magicienne aux garçons. Personne ne pourra lui faire du mal tant qu’elle sera sous ma protection. »

           Les garçons voulurent protester et la suivre, mais le leader les dissuada. Avec ce qu’il avait vu, aucun doute que personne ne serait à même de s’en prendre à leur grande sœur. Ils décidèrent de rester là et ranger leur repaire, qui avait été sacrément bousculé par toute la magie qui avait été utilisé aujourd’hui. La rousse sourit et se dirigea dans les tunnels jusqu’à trouver un accès à la surface. De là, elle n’eut aucun problème à se situer dans la ville et se diriger de nouveau vers son auberge.

           Alors qu’elle approchait de cette dernière après avoir un peu marcher, elle vit que le frère supérieur des arcanistes était toujours là, assis sur les quelques marches qui servait à rentrer dans le bâtiment. La magicienne se stoppa à quelques mètres de lui, la jeune fille toujours dans ses bras.

           « Tu cherches à mourir toi aussi ? Demanda-t-elle sans menace dans sa voix. Après tout, elle ne faisait qu’un simple constat.

- Non. Je voulais juste confirmer ce que je pensais, je n’ai aucune attention de m’attaquer à quelqu’un d’aussi puissant que vous.

- Je vois. Je te dirais bien que je suis désolé pour tes deux élèves… mais en réalité, je ne le suis pas. Ils m’ont attaqué, je me suis défendu. »

           L’arcaniste ne répondit rien, l’air triste et atterré, les yeux baissés.

           « C’était pour elle que vous étiez venu, n’est-ce pas ? Demanda la magicienne, sans même utiliser sa magie.

- Oui, répondit sobrement l’homme. Et c’est aussi votre cas, n’est-ce pas ? Sacré tourisme, hein.

- Yep. Que voulez-vous ? Impossible de faire confiance à des arcanistes. Pas après tout ce que votre ordre à fait.

- Ce que nous avons fait, c’était pour… ! Hurla l’homme, se levant d’un coup, avant d’être interrompu par la femme en face de lui.

- Je sais, et je m’en moque pas mal en toute honnêteté, dit-elle froidement. En tout cas, tu sais désormais que ta mission a échoué. Ne t’en veux pas trop, tu n’avais aucune chance de la mener à bien avec moi dans les parages. Je pars demain et j’emmène la fille avec moi, indiqua-t-elle en montrant la nouvelle magicienne dans ses bras. Si je te recroise avant que nous partions, sache que je te tuerais. Ha, et le Transsert repasse dans quelques semaines, tu pourras partir à ce moment-là. Profite de la ville pendant ce temps, elle est sympa en vrai, fini-t-elle en passant à côté de lui pour rentrer dans l’auberge, tout en lui disant au revoir d’un geste de la main. »

           L’homme ne répondit rien tandis que la magicienne venait de rentrer dans la bâtiment. Il avait vécu suffisamment longtemps pour savoir qu’il n’aurait absolument aucune chance contre elle. Il ne lui restait plus qu’à se cacher bien sagement dans sa chambre jusqu’à ce que celle-ci s’en aille de la ville et de partir dès qu’il en aurait l’opportunité, seul. Quel échec, tout de même…

 

           Le lendemain matin, la jeune fille se réveilla enfin après avoir dormi pendant longtemps, très longtemps d’un sommeil sans rêve. Elle se sentait complètement déphasée avec le monde réel et ne comprenait pas tout. La magicienne s’assit à son chevet en la voyant se réveiller et lui donna une tasse de thé chaud, la faisant boire délicatement pour qu’elle se réhydrate. Alors que ses pensées commençaient à se remettre dans l’ordre et qu’elle comprenait mieux ce qui se passait, la jeune fille regarda autour d’elle. Elle était assise sur un lit simple, au milieu d’une toute petite chambre d’hôtel. Il y avait également une table dans un coin et une petite étagère pour ranger ses affaires. C’était donc là que la magicienne avait passé son séjour dans la ville.

           « Doucement. Rallonge-toi, lui conseilla-t-elle en la guidant de ses mains. Prend ton temps, c’est toujours très fatiguant d’user de la magie pour la première fois.

- … C’est donc vrai ? Tout ce qui s’est passé hier ?... Cela me parait si loin et étrange.

- Je sais, c’est toujours difficile au début. Moi-même, il m’a fallu beaucoup de temps pour m’y faire au début. On passe vraiment d’un monde à l’autre, sans retour possible. Mais ne t’inquiète pas, je serais là pour toi, la rassura-t-elle en lui prenant la main.

- Merci. »

           Il y eu un léger blanc entre les deux femmes avant que la plus jeune ne reprenne la parole :

           « On va devoir partir du coup ? Demanda-t-elle, avec de la tristesse dans la voix.

- Oui, on ne peut pas se permettre de rester là malheureusement. Tu as tellement à apprendre et à voir.

- Je ne suis jamais sorti de la ville jusqu’à présent. Comment… Comment est le monde, après le désert ?

- Vaste, beau et libre. Il y a tellement de choses à voir, à vivre, à ressentir. En quelques années à peine, tu te demanderas comment tu as pu faire pour rester aussi longtemps dans un tel endroit.

- … J’ai peur, un peu, dit-elle en serrant plus fort la main de la Sixième.

- C’est normal, ne t’inquiète pas, je ne te lâcherais pas, répondit tendrement la magicienne à sa nouvelle apprentie.

- Est-ce que… mes amis peuvent venir avec nous ?

- Bien sûr. Ce sont tes marionnettes. Ils te suivront jusqu’au bout du monde. Tant que tu voudras d’eux, ils seront là. Ils ne t’abandonneront jamais. »

           La jeune fille sourit et se blottit un peu plus sous les draps, serrant la main de la magicienne contre elle. Celle-ci commença à la caresser les cheveux pour la rassurer, tout en lui chantant une chanson. Un ancien chant, venu de son village natal et qu’elle avait emporté avec elle. Elles restèrent ainsi pendant un long moment, profitant de cet instant privé et partagé entre elles.

 

           Les deux magiciennes se dirigées maintenant vers l’entrée de la ville. La Sixième avait payé ses nuits d’auberge et elles étaient partis. Elle avait anticipé leur départ et avait rangé toutes ses affaires pendant que la Septième se reposait. Elle avait également fait le tour de la ville et récupérer toutes les balises qu’elle avait mise en place. Elle en cacha juste une, au fond des souterrains de la ville, si jamais elle dût en avoir besoin un jour.

           Lorsqu’elles étaient sorties de l’auberge, la rousse n’avait pas manqué de remarquer l’arcaniste qui les observait à la fenêtre, s’assurant de leurs départs : il avait tenu parole et était resté enfermé dans sa chambre jusqu’à leur départ. Nul doute qu’elle le recroiserait un jour. Elle sourit et continua son chemin avec son élève.

           Lorsqu’elles atteignirent finalement la sortie de la ville, les garçons les attendaient sous l’ombre du panneau de l’entrée de la ville. Ils avaient préparé des sacs de voyage avec leurs maigres affaires et portaient tous de longues capes comme la magicienne. La jeune fille courut pour les voir et les rassura immédiatement : ils furent extrêmement contents de la voir en pleine forme. La magicienne ne put s’empêcher de sourire, avant de s’avancer pour leur parler :

           « A partir de maintenant, ta formation de magicienne commence. Je vais vous apprendre les sorts les plus importants pour pouvoir franchir un désert comme celui-là, sans jamais mourir de faim, de soif, de fatigue ou de chaleur. Ces sorts peuvent être un poil complexe, surtout par des débutants, et je les renforcerais si jamais vous n’arrivez pas à correctement les faire. Pour commencer, répéter après moi et imitez mes gestes. Vous verrez, cela rentrera vite. »

           Et sans plus attendre, elle commença son incantation, tout en effectuant un ensemble de gestes extrêmement précis et minutieux. La jeune fille et les garçons l’imitèrent au mieux, et elle dût renforcer quelques sorts pour s’assurer que le voyage se passerait bien. Une fois cela fait, ils passèrent l’énorme et vieux panneau décoloré et battu par les vents, qui tenait encore fièrement avec écrit en grand dessus : « Bienvenue à Oasis ». La jeune fille se retourna une dernière fois, le regarda, avant de suivre sa maîtresse.

           

           Ce fut le tout dernier jour qu’aucun des habitants de cette ville ne revirent la jeune fille et les cinq garçons.

 

FIN

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