Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 28 : HOME SWEET HOME!

5735 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/05/2024 11:56

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 28

HOME SWEET HOME !



 

Grèce. Petit matin. Baie de Rodorio. Une brume épaisse flottait sur une mer d’huile. Le seul bruit d’une paire de rames qui frappait doucement l’eau perturbait la quiétude matinale. Une barque glissait lentement. A son bord, un marin avec en face de lui une personne encapuchonnée dans un grand manteau noir. Derrière l’inconnu, une boîte en or.

 

Iris rentrait enfin dans ce pays qui l’avait vu naître, donc sa patrie. Autant elle était heureuse de fouler le sol rocailleux baigné de soleil, autant elle appréhendait certaines retrouvailles et surtout la nouvelle situation du Sanctuaire. Maintenant qu’elle en était capable, elle tenta de sonder la présence de Saga mais aucune trace de lui. Envoyé au loin en mission ? Passons. Elle aurait déjà sa réponse. Pour éviter d’angoisser, elle repensa à Sibelius, surtout au moment où elle avait réussi l’ultime épreuve. L’homme avait été complètement anéanti émotionnellement, pas tant à cause de son retour, mais parce qu’il l’avait à nouveau vue depuis dix ans, sans son masque. Le visage de la petite fille avait évolué pour être le portrait craché de sa propre mère, que Sibelius ne pouvait avoir oublié.

 

Oui, Iris savait, après être tombée par le plus grand des hasards, sur une vieille boîte en métal complètement insignifiante qu’elle avait eu la curiosité d’ouvrir. Des photos et quelques babioles dont la fibule qui relie les pans de son manteau. Sur une photo, elle reconnut sans peine Sibelius, plus jeune, avec une femme qui portait un bébé. Sur une autre, Sibelius avec le bébé, puis avec une fillette, puis avec une jeune femme. Cette femme était son sosie. Les paroles de Saga lui revenaient en tête ; il avait toujours trouvé une énorme ressemblance entre Iris et sa mère qu’il n’avait vue que quelques instants : les mêmes yeux et les mêmes cheveux que sa génitrice. Mais « se voir » sur ce genre de clichés ! Iris referma et rangea la boîte en tremblant. Ne jamais en parler à Sibelius. Faire comme si je ne savais rien, ne rien laisser transparaître, sauf au moment de partir.

 

La barque se dirigeait toujours au même rythme vers l’embarcadère. Le marin semblait bien connaître le coin alors que la brume ne s’était toujours pas levée.

 

—  On y est bientôt.

 

Enfin un autre bruit que la surface de l’eau que l’on frappe. Iris releva la tête mais ne distinguait absolument rien. Petit à petit, presque imperceptiblement, une forme se détacha. Elle était en hauteur, sur l’embarcadère. Normalement, il n’y avait jamais personne à cet endroit, à une heure pareille. Est-ce que c’était … ? Il avait tenu sa promesse ! Et sans attendre d’amarrer la barque, Iris se leva et, avec un bon prodigieux qui manqua faire chavirer l’embarcation, se retrouva devant la forme qu’elle enlaça fiévreusement.

 

—  Je le savais ! Tu as tenu parole, Saga !

 

Mais la personne se dégagea. Iris sentit des mains se poser sur ses épaules et entendit une voix qu’elle ne connaissait pas.

 

—  Je n’ai fait que respecter son souhait, chevalier des Poissons.

 

Iris releva enfin la tête pour voir une personne tout aussi masquée qu’elle, casquée, un rosaire autour du cou sur une tunique immaculée. Elle se recula, effrayée et honteuse de l’horrible méprise. Dans un réflexe stupide, elle mit ses mains sur ses joues dont l’érubescence était heureusement cachée.

 

—  Oh merde ! Le grand Pope ! Je suis foutue !

—  Tâche de penser moins fort, chevalier, mais surtout évite de jurer comme un charretier. C’est indigne de ta position, fit calmement le représentant d’Athéna.

—  Désolée, « murmura »-t-elle.

 

La barque arriva à destination et le marin hissa le paquetage d’Iris.

 

—  Va prendre tes affaires et suis-moi. Je vais t’expliquer la situation.

 

L’homme tourna le dos et se mit à marcher tandis qu’Iris se chargea de son armure et de son baluchon. En retrait, elle en profita pour analyser l’homme. Une longue chevelure grise, un imposant casque rouge écarlate. Alors, c’était lui, Arès ? Assez froid pour le moment. Pas aussi avenant que son frère aîné avec qui elle avait pourtant discuté malgré sa flagellation. Le Pope ne commença la discussion que lorsqu’ils entamèrent les marches menant au palais par un passage secret alors qu’Iris bouillonnait d’impatience. Où était Saga ? Pourquoi était-ce le Pope qu’il l’avait remplacé pour un souhait aussi futile ? Et surtout … pouvait-elle retirer son masque ?

 

—  Ce que je vais t’annoncer ne va pas te réjouir mais je ne fais pas dans les sentiments. Saga, le chevalier des Gémeaux, est décédé il y a sept ans. Lui et son ami du Sagittaire.

 

L’homme s’arrêta dans son ascension mais ne se retourna pas. Il avait entendu Iris s’écrouler au sol et éclater en sanglots.

 

—  Non ! Non ! C’est pas possible ! Pas lui ! Il était ma seule motivation pour rapporter l’armure !

 

Il se passa bien dix longues minutes pendant lesquelles le Pope ne bougea pas, stoïque, mais entendit Iris jurer comme un beau diable en martelant le sol de son poing. Elle en voulait à Saga et paradoxalement le plaignait. Elle était tellement prise dans sa crise de larmes qu’elle ne vit pas le Pope serrer ses poings. Elle finit par se reprendre et se releva plus amorphe que jamais. Elle retira son masque, essuya ses larmes, se moucha bruyamment et replaça son entrave. Son supérieur reprit sa marche.

 

—  C’est arrivé comment ? demanda-t-elle la voix chevrotante.

—  En mission pour mâter des chevaliers rebelles. Pour un chevalier de son niveau, c’est très dur à accepter.

 

Plus aucune question jusqu’à ce qu’Iris se trouve au palais du Pope, bâtiment dont elle n’avait pu apprécier que le sous-sol. Un décor magnifique, riche, reposant, excepté pour la garnison qu’elle trouvait un peu trop nombreuse.

 

—  On est en guerre ? Il y a énormément de gardes, je trouve.

 

Ils entrèrent dans la grande salle et la double porte se referma derrière eux. Le Pope se dirigea à droite du trône et ouvrit un rideau derrière lequel étaient sagement alignées toutes les armures. Manquaient celles du Bélier, de la Balance et du Sagittaire. Iris déposa avec ravissement la sienne au bout de la rangée. Elle eut un pincement au cœur quand elle vit la troisième place.

 

—  Comme tu peux le constater, il y a trois absents. Le chevalier du Sagittaire nous a trahis en attentant à la réincarnation d’Athéna.

—  Aioros ? Pas possible ! Lui et Saga étaient de très bons amis, presque des frères !

 

Iris semblait tirée de son deuil interne. Que se passait-il ici ? Toutes les personnes qu’elle pensait irréprochables avaient-elles retourné leur veste ?

 

—  Aioros était même pressenti pour succéder à mon frère, tout comme Saga. Nous avons perdu deux éléments très brillants : l’un de façon tragique, l’autre a été exécuté.

 

Iris tremblait derrière son masque. Le Pope l’entendit même déglutir nerveusement.

 

—  Et les deux autres absents ?

—  Disparus en même temps qu’Aioros. Ils ont été ses complices et sont recherchés.

 

Mais dans quel monde de fous avait-elle mis les pieds ? Maintenant que plus rien ne la retenait dans ce lieu, Iris n’avait qu’une envie : retourner auprès de Sibelius et laisser les chevaliers régler leurs petits soucis en interne. Elle se repassa en accéléré les dix dernières années. C’était bien plus convivial à Asgard qu’ici ! La voix du Pope la tira de sa rêverie.

 

—  Chevalier, il est temps de procéder à ton intronisation et de prêter serment.

 

Le Pope se plaça devant elle et attendit qu’Iris s’agenouille. Mais la jeune femme resta immobile, analysant et regroupant toutes les informations qui lui avaient été livrées.

 

—  Chevalier ? Tu as ent…

—  Non, merci ! Sans façon !

—  Que dis-tu ?! s’énerva le Pope.

—  Je dis que je refuse d’être un chevalier d’Athéna. Et je vais vous donner une bonne raison.

 

Sans laisser à son interlocuteur la possibilité de se remettre de son silence, Iris retira aussitôt son masque, le laissa tomber au sol pour l’éclater avec le talon de sa botte. Le Pope, horrifié, leva immédiatement sa main devant ses yeux pour ne pas voir le visage de la jeune femme. Mais trop tard ! Il lui tourna néanmoins le dos.

 

—  Relax ! Je ne vais pas vous tuer parce que vous m’avez vue car je ne suis tout simplement pas chevalier, lui lança-t-elle nonchalamment.

 

Mais quelle impertinence ! Voilà donc les résultats de ses années d’entraînement ? Soit son maître ne valait rien, soit c’était lui qui lui avait inculqué une telle attitude. Quoique … la défiance était innée chez cette femme. Iris poursuivit sur le même ton railleur :

 

—  Je vais vous proposer un marché. Je prêterai serment mais probablement à Hippocrate. Et vous y gagnerez. En effet, si je suis chevalier, vous aurez à m’exécuter car je ne suivrai pas vos ordres ; encore un brillant élément de perdu. Alors que si je suis médecin, personnel si vous le souhaitez, je pourrai être beaucoup plus utile et discrète car je serai tenue au secret médical. De plus, mon mutisme me rend deux fois plus digne de confiance. Je reviendrai demain matin. Vous avez plus de vingt-quatre heures pour considérer ma proposition. D’ici là, bien l’bonjour chez vous !

 

Et Iris tourna les talons pour sortir de la grande salle sans même attendre qu’on lui en donne la permission. Ce n’est que lorsqu’elle descendit bien vite les marches de l’escalier secret qui contournait les douze maisons et que le village était en vue que la jeune femme s’écroula. Le coup de massue : l’annonce de la mort de Saga à laquelle elle refusait obstinément de croire mêlée à l’hostilité qu’elle éprouvait depuis longtemps pour la caste et le profond changement de l’île l’avaient rendue on ne peut plus irritable. Elle avait craqué ! Elle avait délibérément manqué de respect et cela aurait pu lui coûter la vie. Sibelius lui aurait asséné une bonne paire de gifles pour la faire rentrer dans le rang. Bon sang que ça faisait du bien ! Surtout de ne plus porter ce fichu masque ! Elle sourit, se releva et décida de prendre un bon café bien chaud dans le petit café où elle avait l‘habitude de traîner petite avant de rejoindre un autre endroit chargé de souvenirs.

 

Dans la grande salle qui n’était plus occupée que par une seule personne, le Pope reprit de sa consistance. Quelques minutes après le départ irrévérencieux d’Iris, il s’avança et ramassa un débris du masque. Puis, contre toute attente, il éclata de rire au point de laisser tomber le morceau qu’il venait de saisir. Il retira son propre masque et son casque. Tant pis si les gardes entendaient. Il quitta la salle pour se diriger vers un grand balcon qui donnait sur l’immense statue de la déesse.

 

—  Même elle ne te reconnaît pas ! C’est inespéré et sans avoir à lever le petit doigt. Elle pourra faire un excellent allié ! rit sardoniquement l’homme.

 

Il se calma et après quelques instants, la couleur de ses cheveux passa du gris au bleu azur. Son attitude aussi changea. Il semblait doux, mélancolique, triste même. Un faible sourire se dessina sur son visage angélique.

 

—  Comme tu as grandi ! Quelle magnifique jeune femme tu es devenue ! Mais quel tempérament ! Toujours à deux doigts de t’attirer des ennuis. Mais tu as réussi ! Et je suis fier de toi car tu t’es accrochée.

 

Une larme glissa sur la joue de l’homme.

 

—  Malheureusement, nous ne pourrons pas évoluer ensemble comme nous l’aurions souhaité. Je suis désolé de ne pas avoir fait preuve de la même ténacité que toi. J’ai cédé. Je ne peux plus être un exemple à suivre mais je ne cesserai jamais de t’aimer et de te protéger, y compris de moi-même s’il le faut, malgré mon âme damnée.

 

L’homme remit ses attributs à contre cœur.

 

L’arrivée d’Iris au village s’était répandue comme une traînée de poudre. Elle avait à peine avalé son café sous l’œil ému mais néanmoins méfiant de la veille tenancière que les riverains jetaient des coups d’œil curieux à travers la vitrine de l’établissement. La vieille dame était restée sur cette dernière image d’une petite délinquante juvénile, exilée pour son crime. Autant dire que l’ambiance était plutôt tendue. Mais quand elle entendit la voix de la jeune femme résonner dans son cerveau alors qu’elle était muette, elle manqua défaillir. Iris tenta de la rassurer mais y mit le temps. Difficile à gérer pour un cœur âgé ; encore plus pour Iris qui allait affronter les cancans quand son hôte allait immanquablement tout raconter. La jeune femme paya avec les quelques drachmes que Sibelius lui avait données en attendant sa solde et sortit.

 

Presque instantanément, la rue se vida. Dans quelques jours, grâce à la diffusion de « radio Sanctuaire », les gens oseront davantage. Mais pour le moment, le logement. Hors de question d’occuper un temple inhospitalier, immense, et pour lequel Iris n’avait aucune considération. Elle avait bien une idée en tête. Elle se retrouva, en un clin d’œil, après s’être déplacée à la vitesse de la lumière devant son ancienne demeure. Quelle désolation ! C’était une image figée. Rien n’avait bougé depuis ce funeste jour. Seule l’usure naturelle et le manque d’entretien avaient considérablement détérioré la petite habitation. Ses nouveaux occupants : la végétation, les rongeurs et autres insectes nicheurs.

 

La porte d’entrée, toujours ouverte, donnait à voir le triste spectacle qui l’avait vue partir. Les meubles étaient toujours renversés. Sur le perron, Iris tenta de distinguer l’énorme tâche de sang. Mais le parquet avait noirci et la pluie avait également fait son œuvre. Elle entra lentement, comme pour ne pas réveiller les habitants. Sur sa gauche, elle vit des éclats de terre cuite jaunis et recouverts de poussière : l’ancien vase qui avait momentanément accueilli la pomme de discorde mais plus aucune trace des roses. Normal ! La jeune femme resta un instant à considérer la scène. Puis, machinalement, elle se dirigea vers sa chambre.

 

Son lit était toujours là mais l’odeur nauséabonde des excréments des souris la prit au nez. Une fois cette gêne passagère tolérée, elle s’approcha de son lit dont le matelas était au centre des effluves et vit un reste du voile multicolore qu’elle avait accroché jadis au-dessus de la tête de lit. Les couleurs s’étaient prodigieusement affadies. Souvenirs d’une enfance trop brève.

 

Iris sortit de la pièce et pénétra dans celle qui servait de cabinet d’examen. Dans un réflexe stupide, elle appuya sur l’interrupteur et une lumière blanche, puissante, typique des hôpitaux, s’alluma miraculeusement, malgré la saleté du néon. Le courant n’était donc pas coupé ? Dix ans après l’abandon de la maison ? Plutôt étrange. Iris se dirigea vers le petit évier et actionna le mitigeur. Un énorme gargouillis fit résonner les canalisations. Une eau brune à l’odeur croupie sortit enfin du robinet. Tout fonctionnait comme si le temps n’avait jamais passé ou plutôt comme si on l’avait attendue.

 

La table d’examen trônait toujours fièrement malgré son apparence de roi miteux : le similicuir avait servi de repas à de nombreux indésirables. Et dans le placard, Iris se saisit du manuscrit de Daphné après avoir délogé quelques araignées. Dans ce livre, toutes les recettes des différents onguents, potions et baumes que Daphné élaborait. Au moins un fil qui la reliait à sa mère adoptive. Elle était satisfaite de voir que tout tenait encore mais qu’il faudrait faire de gros travaux de nettoyage et de réfection, Iris décida néanmoins de s’installer dans son ancienne maison. Elle sortit avec baluchon et livre en main qu’elle déposa assez loin de la maison et recouvrit le tout de son manteau.

 

—  Au boulot !

 

Avec ses pouvoirs, elle put aisément briser les meubles les plus lourds et encombrants pour les jeter par les fenêtres ou la porte d’entrée. Tout ce qui n’était plus utilisable finissait sur un énorme monticule à droite de la maison ; les éléments bien conservés, à gauche, bien rangés. En trois heures, tout fut trié. Elle recouvrit ensuite tous les interrupteurs, prises et luminaires, afin de les protéger de son jet salin haute pression. Un bon coup de brosse une fois que tout serait sec suffirait amplement. Finalement, ses pouvoirs de chevalier s’avéraient fort utiles pour les loisirs mais aussi le ménage. Poséidon, saint patron des techniciens de surface ! Iris esquissa un sourire. Elle arriverait à aller de l’avant et redonnerait une seconde vie à cette maison. Elle ne croyait pas aux malédictions : il fallait simplement se prendre en main. Toujours est-il qu’elle aurait de l’occupation pendant les prochains jours.

 

Le jet qu’elle projeta au plafond arracha les toiles, retira la poussière et même quelques planches du toit qui ne tenaient plus. Les murs eurent droit au même traitement décapant, sans parler du sol. Iris, copieusement éclaboussée, pataugeait dans une eau aussi noire que ses bottes. Elle dirigea l’eau vers le perron. Les deux autres chambres, la salle de bain, la cuisine et le cabinet eurent droit au même traitement.

 

Une coulée de boue sillonnait à présent de la maison jusque vers le bord du petit bras de la rivière qui faisait à présent office de bassin de récupération des eaux usées. Elle attaqua ensuite la façade et les volets. Son programme de nettoyage prit deux fois plus de temps que l’extraction des biens.

 

—  Plus qu’à laisser sécher pendant une bonne semaine en espérant que le temps reste aussi sec et venteux.

—  Et où iras-tu dormir ?

 

Iris se retourna brusquement pour se trouver en face de Milo, en armure, les pieds dans une rivière infâme charriant des immondices. Le chevalier qui avait bien pris soin de masquer son cosmos était malgré tout resplendissant et souriant. Toutefois, il n’affichait pas ce rictus narquois et provocateur qu’elle lui avait toujours connu. Sans prévenir et usant de sa rapidité, il la serra dans ses bras. Il la relâcha pour l’observer.

 

—  Les cancans vont vite ! Quelques uns de mes amis m’ont raconté ton arrivée dès que je suis rentré de mission. Je savais où je pourrais te trouver. Bon sang ! T’as poussé ! Et il y a autre chose qui a aussi bien poussé !

 

Milo évita un coup de poing en plein visage porté à la vitesse de la lumière alors qu’il ne regardait pas Iris dans les yeux. Puis cette dernière « éclata de rire » à la plus grande surprise de son interlocuteur.

 

—   Tu ne changeras jamais, toi ! Aussi étrange que cela puisse paraître, je suis vraiment très heureuse de te revoir. Enfin un visage « amical ».

—  Oui ! Un visage que tu aimes toujours autant cogner ! Mais heureusement, aucune séquelle, dit le Scorpion en retirant son casque. Alors ? Pour ma question ?

—  Ta question ? Ah ! Oui ! Je vais aller à la petite auberge et louer une chambre à la semaine. Gîte et couvert.

—  Jamais on ne t’acceptera.

—  Tu es bien sûr de toi.

—  Moi, je connais ton secret malgré les petites excuses que vous vous êtes tous ingéniés à inventer. Pour le moment, on te voit comme une horrible criminelle.

—  Grâce à la vieille tenancière, ça va changer.

—  Toujours une excuse ! Viens chez moi ! Si on te voit à mes côtés, ce sera vite réglé : les gens vont immédiatement changer d’avis.

—  Je refuse d’aller dans ton temple.

—  Pas mon temple, mais ma petite case. C’est moins grand qu’ici mais ça me suffit pour …

Il s’arrêta net. Une gaffe venait d’être évitée.

 

—  Tes groupies ? Tes amies ?

—  Je te jure que je ne vais pas abuser. A part de ton temps. J’ai des brouettes de questions à te poser.

 

Iris réfléchit un court instant.

 

—  Chiche ! Pourquoi pas ! Moi aussi j’ai une tonne de questions pour toi. D’abord celle-là : tu n’as pas craint les représailles en me voyant sans masque ?

 

Milo sourit victorieusement.

 

—  A peine rentré, j’ai eu droit à des « Iris, la petite muette étrangère est de retour ». Tu imagines ma joie ! Mais il fallait d’abord que j’aille faire mon rapport au Pope. Visiblement, ça avait bardé dans la salle car j’ai vu un masque brisé et une nouvelle armure. J’ai fait le lien un peu lentement. Mais que s’est-il passé avant que je n’arrive ?

—  Je lui ai posé un ultimatum.

—  TOI ?! s’étrangla Milo. Au grand Pope ?! se crispa le chevalier.

—  Demain matin, j’irai le voir pour entendre sa réponse que je connais déjà, sourit Iris.

 

Milo était sans voix. Et c’était lui qu’elle qualifiait d’insolent quand ils étaient gamins. Il craignait pour elle. Saga n’était plus là pour la protéger.

 

—  Et c’est pour ça que le masque … ?

—  Je ne serai pas chevalier, donc tu auras tout le loisir de me voir sans entrave.

 

Quel aplomb ! Il faudrait peut-être la prévenir sur le sort de feu son chevalier servant.

 

—  Je ne veux pas casser ta bonne humeur, fit gravement le Scorpion, mais … il y a un événement tragique qui s’est passé il y a quelques années…

—  Tu veux parler de Saga ? Le Pope m’a raconté … un peu … dit-elle en détournant le regard.

 

Elle se ressaisit en inspirant profondément pour poursuivre plus jovialement :

 

—  Encore une bonne raison d’occuper ta demeure afin de questionner plus amplement !

—  A ce propos, sourit Milo, que fais-je de l’hospitalité grecque ? Je suppose que tu as passé ton repas, occupée comme tu es. Je t’invite.

 

Le chevalier se concentra pour retirer son armure qui réintégra son temple. Milo apparut en tenue civile : jean noir, T-shirt rouge écarlate sous un perfecto. Iris revêtit son manteau et rangea le précieux livre dans son baluchon. Les deux anciennes connaissances firent route vers l’auberge qui avait accueilli la jeune femme pour son café matinal.

 

Iris fut également submergée d’informations que le Scorpion lui livrait par camions entiers, de la plus futile à la plus grave. Les gens regardaient le binôme déambuler puis manger ensemble. Si un chevalier comme Milo côtoyait cette femme, c’était qu’il n’y avait vraiment rien à craindre, surtout quand on le voyait rire et qu’on l’entendait, elle, hoqueter.

 

En sortant de l’auberge, après un plantureux repas, un jeune garçon un peu trop absorbé par l’observation du couple à la conversation monologuée, chuta lourdement du muret sur lequel il les suivait. Immédiatement, Iris se précipita à ses côtés. Le garçon tenait son coude bien écorché et commençait à pleurer. La jeune femme approcha sa main de la blessure. Le petit, d’abord réticent, fut ébloui par le miracle de sa guérison. Ses larmes séchèrent instantanément. En moins de dix secondes, plus de sang, plus de cicatrice. Le petit murmura un timide « merci » et s’en alla sans demander son reste et sous le regard médusé de quelques témoins.

 

—  Ben voilà ! Ta première B.A. D’ici peu, on va se battre pour te voir, la rejoignit Milo, sa main sur l’épaule.

—  Le début de ma patientèle.

—  Quoi ? Tu veux dire que…

—  Exact ! J’ai toujours dit que je reprendrais la suite de Daphné mais avec un petit plus. Ma mère aussi a eu du mal à être acceptée. Je marche bien dans ses traces !

 

Les deux compères reprirent leur chemin jusqu’à la demeure de Milo. L’interrogatoire reprit jusqu’à une heure avancée de la nuit. Iris aurait pu bombarder Milo jusqu’au petit jour mais elle était fatiguée, surtout nerveusement.

 

—  Va prendre ta douche ; je prépare ton lit. Je dormirai par terre.

 

Elle le regarda, gênée qu’il ait si peu de confort.

 

—  T’en fais pas. C’est pas ça qui me dérange. C’est de devoir passer la nuit à bonne distance qui va me faire mal.

 

Milo se baissa aussitôt mais aucun coup ne vint. Grande gueule mais gentleman. Iris lui sourit, confiante, et se dirigea vers la modeste salle de bain. Elle en ressortit dix minutes plus tard, les cheveux enturbannés dans une serviette, en short et T-shirt. Milo venait de finir son propre couchage quand son regard se porta sur un détail qui le fit exploser de rire jusqu’aux larmes. Il lui fallut un certain temps pour se calmer.

 

—  Non ! Tu portes ça aux pieds ? pouffa l’homme en désignant les chaussettes rouges flanquées de gros flocons blancs.

—  Mon cher, fit doctement Iris, je vais t’apprendre une chose : mes pieds sont mon point faible. J’ai toujours froid à cet endroit.

—  Mais on est en Grèce, pas au Pôle Nord ! Oh bon sang ! Ça doit faire des années que j’ai pas autant ri.

 

Iris laissa son compagnon calmer sa crise alors qu’elle se mettait au lit.

 

Une délicieuse odeur de café et de pain grillé vint chatouiller ses narines alors qu’elle était en position fœtale sous un drap recouvert d’une simple couverture.

 

—  Bonjour, mon cœur !

 

Iris ouvrit les yeux, paniquée, au son de cette voix. Elle se releva sur son séant et manifesta son cosmos. Voyant que la menace se résumait à un simple chevalier d’or portant un plateau garni d’un petit déjeuner, elle se calma et se frotta le visage pour s’éclaircir les idées.

 

—  Bonjour Milo. Désolée pour cette attitude défensive et … merci.

—  Bien dormi malgré ma présence ?

—  J’étais bien trop fatiguée pour me rendre compte que tu étais là, répondit-elle en s’empara du plateau dont elle dévora le contenu.

—  C’est quoi ton programme aujourd’hui ?

—  Entrevue avec le Pope comme convenu, puis récupération de quelques affaires de la cabine de Saga et après, on verra.

—  Ça te dirait qu’on s’entraîne même si normalement ça ne se fait pas entre chevaliers.

—  A voir. Merci pour le petit dèj’. Faut que je file.

 

Un court passage aux toilettes pour se changer que la porte d’entrée claqua. Quelle boule d’énergie ! Même pas le temps d’écouter les recommandations avisées de son ami. Milo espérait toutefois que le rendez-vous se passe bien. Il avait pu constater combien le nouveau Pope était des plus autoritaires et parfois cruel. Lui, en tant que chevalier, obéissait aux ordres même s’il émettait souvent des doutes quant à la légitimité des interventions et des châtiments ordonnés par son supérieur dont l’identité le taraudait également.

 

Iris se retrouva à nouveau dans la grande salle où l’attendait le Pope dont l’accoutrement avait évolué. Une espèce de cuirasse à piques était ajoutée à son habillement de base. Vu la tenue mode « hérisson », il était peut-être de mauvaise humeur : elle ne l’avait pas ménagé la veille. Non seulement elle ne reconnaissait pas son autorité, mais en plus elle lui avait fait un odieux chantage. Elle fit néanmoins l’effort de s’agenouiller devant lui. Le Pope se leva.

 

—  Chevalier, malgré ton outrecuidance, j’ai pris le temps d’analyser ta proposition. Visiblement, je n’ai pas l’impression que tu sois parmi nous pour ton rôle premier ; il est donc inutile que je m’évertue à te faire rentrer dans le rang. J’ai pensé à t’exécuter sur le champ mais …

 

Iris releva la tête, soulagée d’entendre que son sort n’était pas de finir bêtement, mais curieuse de savoir ce que le « hérisson » allait lui réserver. Ce dernier avait sorti un objet caché derrière son trône.

 

—  J’ai horreur d’admettre que tu as raison. Se débarrasser d’un élément comme toi serait préjudiciable. C’est donc en tant que médecin que tu officieras parmi les villageois et les membres du Sanctuaire qui seront, avec moi, prioritaires. Voilà de quoi commencer ton activité.

 

Le Pope descendit quelques marches et lui remit une vieille sacoche. Iris fut prise de court mais reconnut immédiatement l’objet. Ses yeux s’embrumèrent. Son regard passa de la sacoche au Pope. N’y tenant plus, elle l’ouvrit : des pots contenant des remèdes qu’elle seule connaissait. Le Pope poursuivit tandis qu’elle sondait affectueusement chaque contenant.

 

—  Tu conserveras ta solde de chevalier mais tes prestations médicales seront entièrement gratuites.

 

Iris ne répondit pas tout de suite, encore sous le coup de l’émotion. Elle se décida enfin à refermer son précieux souvenir pour s’adresser à l’homme.

 

—  C’est plus que je ne pouvais espérer. Et en cela, je vous remercie énormément.

 

La jeune femme se releva, la sacoche précieusement serrée contre sa poitrine, prête à quitter la salle. Elle osa toutefois une dernière bravade.

 

—  Merci encore d’avoir rendu l’ancienne maison habitable.

 

Elle s’inclina une dernière fois puis sortit, encore une fois sans autorisation. A l’extérieur, accueillie par le soleil d’automne, elle s’adossa quelques instants au premier pilier sur son passage. Son cœur cognait si fort et ses mains tremblaient si intensément qu’elle dut respirer calmement.

 

—  Je le savais ! Tout est clair maintenant ! Dès le moment où je t’ai serré dans mes bras sur l’embarcadère, j’ai eu de gros doutes. Mais par ce geste, tu viens de te démasquer. Jamais je ne révèlerai ton identité et bien sûr, tu seras ma priorité. Il s’est passé quelque chose pour que tu sois devenu ainsi. Peut-être que tu cherches mon aide par ce stratagème. Et je vais t’aider mais dans l’ombre.

 

Iris fila ensuite vers sa maison et, avant même de pouvoir l’intégrer définitivement, déposa religieusement les concoctions qu’elle venait de récupérer à l’endroit exact où Daphné les rangeait. Elle allait enfin pouvoir perpétuer la tradition.

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