La mort est une fin heureuse

Chapitre 29 : Une journée d'anniversaire

5525 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/05/2024 09:52

Teddy, Avril 2024.

 

        Quand Teddy ouvrit les volets d’un coup de baguette, un éclair de soleil lui illumina le visage. Le ciel était déjà bleu, et quelques petits nuages ponctuaient l’horizon. Des coqs chantaient au loin, dans le domaine du manoir de Feldcroft. Une douce brise vint gentiment caresser ses cheveux qui avaient pris une teinte gris clair. C’était une magnifique surprise pour le réveil, compte tenu des averses à répétition qui s’étaient enchaînées durant les dernières semaines. Un départ très agréable pour ce qui allait être l’une des pires journées de sa vie.

        Il profita quelques instants de la beauté du paysage, puis rejoint Victoire qui était descendue prendre son petit-déjeuner. Sa chevelure dorée était toujours éclatante, même au réveil, mais ne reflétait pas l’expression de son visage. Elle avait au contraire l’air morne, vide, et grignotait machinalement un morceau de biscotte, le regard fixé vers rien. Teddy ne la dérangea pas dans ses pensées, et s’installa à côté d’elle pour manger quelque chose, avant de se rendre compte qu’il n’avait pas faim. Il se contenta simplement de contempler la petite aiguille avancer sur la magnifique horloge que sa belle-mère Fleur leur avait offerte.

        Quand Victoire eut terminé sa biscotte, elle alla prendre sa douche, puis ce fut au tour de Teddy, et tous les deux se rendirent dans le foyer de cheminée qui dominait leur petit salon. « Le Terrier ! » s’exclama Victoire en jetant une bonne poignée de poudre de cheminette au sol.

        Comme à leur habitude, Arthur et Molly les accueillirent les bras grands ouverts, un sourire chaleureux aux lèvres. Teddy n’eut pas à faire beaucoup d’efforts pour se forcer à sourire en retour. Même s’il n’était pas tellement d’humeur, l’ambiance aimante et réconfortante des grands-parents Weasley était envahissante. Après quelques étreintes, Teddy et Victoire prirent congé de la salle à manger, laissant Arthur et Molly vaquer à leurs occupations pendant quelques minutes.

        Ils sortirent de la maison, et traversèrent le jardin à pas fragiles, timides. Des gnomes étaient de sortie, profitant gaiement du beau temps sans pensées nauséabondes qui abordaient leurs esprits simples. De magnifiques fleurs de toutes les couleurs décoraient le terrain de part et d’autre, marquant le début du printemps. Des crapauds et des grenouilles s’agitaient et coassaient dans la petite mare recouverte de nénuphars. Et, tout au fond de ce jardin plein de vie, Teddy et Victoire s’arrêtèrent devant la tombe de leur fille.

        Un an plus tôt, jour pour jour, ils avaient été privés de la petite vie de famille heureuse qu’ils avaient attendue, espérée, rêvée. Le choc avait été rude. Une petite cérémonie d’enterrement quelques jours après, puis ils avaient dû tourner la page. Laisser de côté la petite Sophie qu’ils n’avaient jamais connue, mais qu’ils aimaient déjà tant.

        Cela avait été très difficile de rentrer chez eux, et de continuer à vivre comme s’ils n’avaient pas aménagé et rénové une pièce entière pour Sophie. Ils avaient laissé la porte fermée, et n’y étaient pas entrés pendant des mois, comme si cette porte maudite renfermait un terrible mal.

        Les rires, la joie, la bonne humeur qui emplissant habituellement leur petite maison, avaient été remplacés par du silence, de la froideur, des larmes. Tout, dans leur vie de couple, les amenait à penser à leur fille, alors au début, ils avaient préféré éviter tout, c’est-à-dire faire rien. Comment apprécier la simplicité d’un bon repas, quand la chaise pour enfant au bout de la table était vide ? Comment profiter d’une belle promenade dans Feldcroft en laissant la poussette chez soi ? Comment reprendre une vie intime, en sachant quel mal cela pourrait leur causer ?

        Ces épreuves terribles avaient grisé leur demeure durant des semaines et des semaines, sans même que l’envie ne leur prenne de tenter d’y remédier.

        Bien sûr, ils n’avaient pas traversé ces moments entièrement seuls. Sans imposer leur présence, de nombreux membres de leur famille avaient manifesté leur soutien. Sa grand-mère Andromeda passait leur rendre visite entre deux et trois fois par semaine. Arthur et Molly les invitait à déjeuner tous les dimanches, ce qui ne changeait pas de d’habitude, en fin de compte, mais c’était toujours appréciable. Bill et Fleur les avaient accompagnés dans des vacances dans les Pyrénées. Son parrain Harry prenait le temps de discuter avec lui quand il en avait besoin.

        Du côté professionnel, Minerva McGonagall leur avait accordé autant de temps de congé qu’ils le souhaitaient, mais ils étaient retournés au travail au bout de seulement deux semaines. Ils aimaient tous les deux profondément leurs métiers respectifs, et avaient désespérément besoin de s’occuper. Curieusement, la qualité de ses cours n’avait pas été impactée. Teddy s’était surpris à enseigner avec bonne humeur, comme si rien ne s’était passé. Mais une fois de retour à la maison, aussi sûrement que le soleil se couchait chaque soir, la tristesse était toujours de retour.

        Il avait donc fallu du temps pour se reconstruire. Et contre toute attente, la raison pour laquelle ils étaient parvenus à retrouver une vie de couple à peu près comme avant, était parce que l’état de Leliti n’avait cessé d’empirer de mois en mois.

        Ils ne savaient pas exactement la cause, même s’ils se doutaient qu’elle avait aussi été grandement affectée par le décès de Sophie, mais la pauvre Leliti souffrait de plus en plus. Cela avait commencé à la première nuit de pleine lune de l’année scolaire, au mois de septembre précédent. Comme à son habitude, Teddy l’avait accompagnée dans la Cabane hurlante pour passer la nuit. Mais rien qu’au bout d’une dizaine de minutes, elle s’était directement transformée, et l’avait attaqué. Evidemment, Teddy n'avait eu aucun mal à se défendre et à la maîtriser, mais cette agressivité l’avait étonné.

        Cela s’était reproduit lors de la nuit de novembre, de celle de décembre, de janvier, et de mars. Un nombre record de transformations, qui inquiétait beaucoup Victoire. Ils avaient demandé conseil à Drago Malefoy, qui avait étudié la situation, et n’avait rien pu faire d’autre que d’augmenter légèrement la concentration en aconit dans sa potion Tue-loup. Cela leur avait épargné une transformation en février, ce qui était déjà ça. L’incident du Saule cogneur, qui était parvenu en décembre, n’avait pas affecté la sécurité de Leliti, Neville ayant immédiatement replanté et soigné l’arbre.

        Durant la journée, Leliti était de plus en plus fatiguée, et ses yeux étaient souvent cernés. Pourtant, elle était plus adorable et chaleureuse que jamais, semblant se faire une priorité de remonter le moral de Teddy et Victoire. Peut-être qu’elle en faisait un peu trop, occultait ce qu’elle ressentait réellement pour ne pas les rendre plus tristes, et que cela affectait ses transformations mensuelles. C’était un sujet délicat, mais Teddy se promit de lui en parler dès que possible. Ce n’était pas à elle de s’occuper d’eux.

Teddy pensa à Leliti. Il était onze heures du matin, le lendemain d’une nuit de pleine lune. Elle était probablement en train de prendre diverses potions pour se requinquer, après avoir passé la nuit dans le cave magiquement sécurisée de ses parents. Quelle vie, tout de même. Ils avaient hésité à venir lui rendre visite pour l’aider à s’y préparer, mais avaient finalement décidé de la laisser se débrouiller. Après tout, ils ne seraient pas toujours présents pour elle, quand elle quittera Poudlard, autant qu’elle apprenne à être seule de temps en temps.

        Mais le fait d’avoir cet objectif commun de prendre soin de Leliti, avait gardé Teddy et Victoire soudés, et petit-à-petit, au bout de longs mois difficiles, ils avaient commencé à reprendre un rythme de vie de couple. Ils avaient commencé par une soirée ensemble au restaurant, durant laquelle ils étaient parvenus à discuter ensemble sans s’autoriser un seul instant de silence mélancolique. Puis, ils s’étaient inscrits à un cours de danse, dans le côté moldu de Londres. Du rock, qui avait lieu deux soirs par semaine. Ils adoraient ça, et ressortaient toujours en sueur, mais avec le sourire aux lèvres. Et quelques semaines plus tôt, ils avaient eu le courage et la complicité d’essayer de reprendre leur vie intime, et cela avait bien marché. Même si ce triste jour marquait au fer rouge une année difficile, ils commençaient à sortir de leur misère, et voyaient le bout du tunnel, au loin.

        Et puis, brutalement, ils avaient dû faire le deuil de leur ami et collègue Neville. En plus d’être un ami de longue date de la famille, il était celui qui avait accueilli et aidé Teddy à s’insérer dans son métier. Il avait en quelque sorte été son mentor, à Poudlard. C’était en très grande partie grâce à lui qu’il était aujourd’hui un enseignant très apprécié de l’école. Comme tout le monde, il avait été terriblement choqué et atteint par ce qui lui était arrivé. Quelle année affreuse, tout de même.

        

       

        Teddy et Victoire restèrent debout à contempler la tombe de Sophie durant une dizaine de minutes, et rebroussèrent chemin en direction du Terrier. Arthur et Molly n’étaient plus seuls, loin de là. Il semblait qu’ils avaient invité du monde pour le déjeuner. Sa grand-mère Andromeda, Bill et Fleur, Louis, Harry, Ginny, Albus et Lily étaient en train de discuter allègrement dans la cuisine. Tous se levèrent pour les embrasser quand ils entrèrent dans la pièce, et personne ne le dit à haute voix, mais Teddy et Victoire comprirent bien vite qu’ils étaient venus pour les soutenir en cette journée d’anniversaire. Teddy fut très touché.

        Tout leur semblait comme un dimanche midi habituel : un déjeuner chaleureux, plein de rires et de bonne humeur, même s’il y avait moins de monde que d’habitude. Le repas, comme toujours, était délicieux. Cela fit beaucoup de bien à Teddy, et il fut pris d’un immense élan d’affection envers les membres de sa famille, ainsi que de reconnaissance de les avoir dans sa vie.

        Après le repas, Harry et Teddy entreprirent une balade dans les environs du village moldu de Loutry Ste Chaspoule. Ils commencèrent par parler du beau début de carrière dans le Quidditch de James, qui avait intégré l’équipe du Club de Flaquemare en tant que titulaire en un temps record, puis Teddy se rappela qu’Harry était son parrain, et qu’il pouvait aborder avec lui des sujets délicats, en particulier celui du deuil.

— Dis, Harry, se lança-il, comment on fait, pour s’en remettre complètement ?

        Harry le regarda d’un air triste, comme s’il attendait cette question. Non, en fait, Teddy fut alors certain que c’était précisément pour qu’il lui pose cette question qu’ils avaient entamé cette balade ensemble.

— Vous ne vous en remettrez jamais, répondit-il sans préambule.

        Teddy s’arrêta de marcher.

— Jamais ?

— Jamais. Mais ça ne veut pas dire que vous ne pourrez jamais aller bien, ajouta-t-il. Il vous faudra simplement passer outre.

— Passer outre ? Comment on fait ? demanda Teddy.

— Je n’en sais fichtrement rien, avoua Harry. Il y a eu tellement de décès autour de moi. Cédric, Sirius, Dumbledore, Dobby, Fred, tes parents. A chaque fois, je me dis que la tâche est impossible, que je ne pourrai jamais à nouveau être heureux. Et puis, à chaque fois, je me surprends à l’être. Mais cela ne veut pas dire qu’on les oublie. Regarde, là, pour Neville. Je suis en plein dans cette phase où le monde s’est arrêté pour moi. Mais même si ça me fait encore de la peine de l’admettre, je sais que dans quelques mois je serai à nouveau à peu près heureux. Et c’est une bonne chose, c’est ce qu’il aurait voulu.

— J’ai l’impression que c’est impossible, qu’à chaque fois qu’on a un moment de joie avec Victoire, Sophie nous rappelle vers la réalité, nous rappelle qu’on l’a perdue à jamais. C’est… C’est si difficile de ne pas culpabiliser. De ne pas penser, à chaque instant heureux de notre vie, qu’elle aurait pu… non, qu’elle aurait dû le partager avec nous. Qu’on la laisse de côté pour vivre nos vies, parce qu’on ne peut pas la suivre.

        Sa voix avait commencé à trembler. Harry posa sa main sur son épaule.

— Tu te rappelles quand James est tombé malade ? lui demanda alors Harry.

        Teddy sourit. Quand James avait cinq ans, il avait dû passer quelques jours à Ste Mangouste. Teddy, qui avait douze ans à l’époque, était allé le voir tous les jours jusqu’à ce qu’il aille mieux.

— Oui, répondit-il. Je lui ai offert ma peluche de flaireur.

— On ne te l’a jamais dit avec Ginny, pour ne pas t’inquiéter, mais c’était la dragoncelle.

        Le sourire de Teddy s’effaça.

— On a fait de notre mieux pour ne pas le montrer, mais on a vraiment eu très peur pour lui. Il n’est pas passé loin. Il s’en est sorti, et pourtant je tremble encore parfois aujourd’hui en pensant à ce qu’on n’a évité que de justesse. Dans ces moments-là, il suffit de se concentrer sur tout ce qui va. Simple, mais évidemment pas facile. Alors je ne peux même pas imaginer, ni même concevoir ce que Victoire et toi traversez, mais je sais que vous avez la force de vous en tirer. Tu n’en as peut-être pas conscience, mais même vu de l’extérieur, on voit déjà à quel point vous commencez à revenir. Vous revenez de loin, mais vous revenez.

        Teddy ne répondit pas. Il se contenta d’enlacer son parrain. Il était content de l’avoir.

 

*       *       *

 

        L’après-midi passa en un éclair. Le temps était très doux, et ils installèrent des fauteuils dans la cour pour discuter calmement tout en profitant du soleil. Ils firent même quelques parties de bavboules, avant de décider de rentrer dîner. Puis, vers huit heures du soir, ils s’apprêtèrent tous à se séparer, quand le foyer de cheminée illumina la pièce d’une forte lueur verte, et laissa rentrer Ron et Hermione.

— Mes enfants ! s’écria Molly, ravie de les voir.

        Mais Ron et Hermione n’avaient pas l’air ravis du tout. Des larmes semblaient avoir été séchées à la va-vite le long de leurs joues.

— Que s’est-il passé ? s’inquiéta Arthur. Rien de grave ?

— Luna et Rolf vont bien ? s’empressa de demander Harry.

— Ils vont bien, répondit Ron. Ce n’est pas… Et si on s’asseyait ?

        Molly resta plantée devant lui comme si ne pas s’asseoir allait rendre meilleure la mauvaise nouvelle qui allait tomber. Mais tous les autres s’installèrent autour de la table. Hermione enfouit son visage dans ses mains, et ce fut Ron qui prit la parole, la voix tremblante.

— Nous sommes désolés d’arriver comme ça avec des mauvaises nouvelles, en particulier aujourd’hui, dit-il en regardant Teddy et Victoire, mais vous auriez de toute façon été mis au courant demain par la Gazette.

— Mais dis-nous, enfin ! s’écria Ginny.

— Très bien. Le Secret est brisé. Le monde moldu a été officiellement mis au courant de notre existence.

        Un terrible silence de choc suivit cette déclaration. Le cœur de Teddy se retourna. Il eut l’impression qu’une catastrophe naturelle à l’échelle internationale venait de frapper. Il se sentit minuscule. Ce fut Harry qui brisa le silence.

— Grant ? demanda-t-il.

        Cachée derrière ses mains, Hermione acquiesça, et Harry soupira.

— Quoi, que s’est-il passé ? s’affola Fleur.

— Nous… Quand nous avons enquêté sur le meurtre de Neville, entama Harry, nous avons dû passer côté moldu, puisque la suspecte principale était moldue. Nous avons apporté le dossier à Grant, le Premier Ministre moldu. Il a déjà été très hostile envers nous, mais quand il a vu la photo de Neville, il a juste… pété un plomb. Des gardes sont entrés pour nous tirer dessus à coups de pistolets.

— Quoi ? Mais pourquoi ? demanda Arthur, qui devait être le seul à savoir ce qu’était un pistolet.

— Il nous a montré un enregistrement d’une des attaques du Sorcier du Ciel. Il avait le visage de Neville. Grant a paniqué, et a cru à un complot contre lui.

        Victoire ouvrit la bouche d’incompréhension, et Teddy s’indigna.

— Mais ça n’a aucun sens, Neville ne ferait jamais ça même s’il était vivant !

— Va expliquer cela à un barjot qui n’attendait que la première occasion pour s’en prendre aux sorciers, répliqua Harry.

— Il n’est pas si barjot que ça, rétorqua Hermione. En un sens, il a raison.

— En quel sens ? demanda Bill, peu convaincu.

— Il n’y a pas de complot contre Grant, mais il y a bel et bien un complot contre la paix entre les moldus et les sorciers. Un complot contre le Secret. Je ne sais pas si ce Sorcier du Ciel n’en est qu’un pion ou l’instigateur, mais de toute évidence, le complot a fonctionné. On s’est joué de nous, et résultat : Grant a révélé au monde entier notre existence. Son annonce a été diffusée partout sur internet, traduite dans une trentaine de langue. C’est irréversible. Le monde va changer à tout jamais, et ce n’est que le début. Qui sait jusqu’où ce Sorcier du Ciel va aller.

— Mais… Pourquoi Neville ? demanda Teddy.

— Hermione et moi en avons discuté, répondit Ron. Nous ne pensons pas que Karen Dickett, la meurtrière de Neville, soit derrière tout ça. Neville est juste décédé à un moment opportun pour le Sorcier du Ciel, et il en a profité. Mais ce que cela veut dire, c’est qu’il nous connaît. Ou au moins, qu’il savait qu’Hermione et Harry seraient à un moment donné amenés à se rendre dans le bureau de Grant pour discuter du meurtre de Neville, et que cette interaction déclencherait une crise diplomatique. Karen Dickett était même sûrement un pion sans le savoir. On pensait que le Sorcier du Ciel n’était qu’un fou qui aimait tuer des moldus loin de nous, mais la conclusion évidente est qu’il est beaucoup plus proche de nous. Et il vient de gagner la première manche.

— Nous avons tout fait pour éviter cela, fit Hermione d’une voix tremblante, toujours cachée derrière ses mains. Adrian l’a pris trop à la légère, alors j’ai contacté le manitou suprême de la confédération internationale des sorciers, mais lui aussi m’a dit de laisser couler.

— Ils seront tous les deux destitués dans les mois qui suivent, commenta Bill.

— Oui, c’est sûr. Mais à quoi bon ? La dernière fois qu’il y a eu de vrais conflits entre nous, c’était il y a plus de quatre cents ans. Qui saura gérer une crise pareille ? Vous savez combien les moldus ont évolué depuis ? Vous savez à quel point ils sont armés ?

        En guise de réponse, Arthur se leva aussitôt de sa chaise, et se rua à l’extérieur pour jeter des sortilèges de protection autour de la maison. Au moment où la cheminée s’illumina à nouveau pour laisser entrer Percy et Audrey – qui avaient l’air affolés – le miroir de Teddy se mit à vibrer. Il se leva, et s’isola de l’autre côté de la pièce pour répondre à Minerva McGonagall.

— Bonsoir Edward, fit-elle d’une voix grave. Je suis terriblement navrée de vous déranger durant vos vacances, mais il y a malheureusement une crise urgente à gérer.

— Oui.

— J’imagine que c’est Hermione qui vous a mis au courant ?

— En effet.

— Cela ne m’étonne pas. Puis-je compter sur votre présence au château le plus rapidement possible ?

— Ce sera l’affaire de quelques minutes.

— Merci. Victoire est avec vous ?

— Oui, pas la peine de l’appeler, je la préviens.

— Parfait, à tout de suite.

        Le temps que Teddy ne prévienne Victoire, remercie Arthur et Molly pour les repas, et dise au revoir à tout le monde, George et Angelina ainsi que Charlie avaient également eu le temps de débarquer en trombe dans la petite maison familiale. Il semblait que la panique habitait le quartier général des Weasleys.

        Lorsqu’ils transplanèrent devant le portail aux sangliers ailés, Hagrid les attendait.

— Je reste ici pour laisser ouvert, je vous rejoindrai quand tout le monde sera là, leur indiqua-t-il. Ils vous attendent dans la salle des professeurs.

        Teddy et Victoire rejoignirent la tour de défense contre les forces du Mal, au pied de laquelle se trouvait la salle des professeurs. Quelques-uns étaient déjà là, mais ils attendirent une dizaine de minutes avant qu’Hagrid n’arrive enfin avec Brendan Lecreuset, dernier arrivé, suivis de près par Minerva.

— Bien, je vous remercie d’être tous et toutes venus aussi vite, commença Minerva. Je ne vais pas tourner autour du pot plus longtemps : le Secret est révélé, la communauté internationale moldue est au courant de notre existence, et cela va avoir énormément de conséquences sur la façon dont nous devront gérer notre école.

        Il y eut quelques exclamations de stupeur indiquant que la plupart d’entre eux n’étaient pas encore au courant.

— En tout premier lieu, reprit Minerva, je pense que les élèves ne peuvent plus arriver en toute sécurité par le Poudlard Express. Ou, tout du moins, ils ne peuvent plus traverser King’s Cross au milieu des moldus.

— Attends, Minerva, intervint Filius. Tu dis que les moldus sont au courant, mais… sont-ils hostiles ?

— Pour le moment, rien n’indique une hostilité globale, d’autant qu’il n’est pas encore certain que l’information soit crue du grand public. Mais l’annonce officielle de notre existence par le Premier Ministre était loin d’être amicale, c’est certain. C’est pour cela que, dans le doute, puisque nous n’en savons pas beaucoup pour le moment, je propose que les élèves ne reviennent pas par King’s Cross lundi.

— Peut-être pourraient-ils installer des cheminées directement sur le quai de la voie 9 ¾ comme dans l’atrium du ministère ? proposa Brendan Lecreuset.

— A terme, ce sera sûrement ce qu’ils feront, répondit Minerva, mais cela ne pourra pas s’organiser d’ici lundi. Cela vous convient-il si je propose à tous les élèves d’arriver par les cheminées de nos bureaux ? A nous tous, on devrait pouvoir y parvenir.

        Tout le monde acquiesça.

— Bien, je vous remercie. Ensuite, il est question de gérer les potentielles discriminations qui naîtront au sein des élèves. Malheureusement, tous les préjugés envers les enfants de moldus que nous sommes parvenus à dissiper ces vingt dernières années vont revenir. Les tensions seront inévitables.

— Il faut que nous soyons impartiaux, affirma Filius. Que nous leur indiquions que nous soutenons les communautés sorcières et moldues, mais que nous condamneront toutes formes de conflits. Notre école doit être neutre.

— Ce sera très difficile à appliquer, intervint Hagrid. A l’époque où les nés-moldus étaient persécutés, même avec une équipe totalement contre ces discriminations, elles existaient. Alors si on reste neutres, ce sera encore plus dur.

— Ce sera difficile, mais ce sera tout ce que nous pourrons faire, rétorqua Filius. Il n’est pas question de laisser passer quoi que ce soit, dans un sens ou dans l’autre. Nous devrons tenir bon.

        Teddy cessa progressivement de prêter attention. Il laissa ses collègues plus anciens et expérimentés débattre sur des questions dont il n’avait pas encore assez de recul pour être objectif. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il avait peur. Toute sa vie, on l’avait élevé dans la loi du Secret. Et même si on l’avait aussi habitué au monde moldu, le choc de ces deux univers lui faisait peur. Les humains, sorciers comme moldus, étaient agressifs et vicieux, et si chacun des deux camps avait aussi peur que l’autre, il fallait craindre le pire.

        Teddy pensa au cours de rock côté moldu que Victoire et lui suivaient deux fois par semaine. Pourraient-ils poursuivre ? Il pensa à tous ces nés-moldus que ne seront plus autorisés à rejoindre Poudlard pour leurs onze ans par les parents effrayés. Il pensa à tous ces enfants qui, élevés dans la peur des sorciers, allaient contenir leur magie et développer des obscurus. Il pensa à ses cours d’étude des moldus, et notamment la partie sur l’arsenal nucléaire de certaines nations moldues, capables de raser des pays entiers en quelques instants. Il songea avec grand désespoir aux potentielles horreurs qui arrivaient. Quelle vie de merde. Quel monde de merde.

— Edward, je peux vous parler quelques instants ? le réveilla Minerva.

        Apparemment, il s’était écoulé deux bonnes heures dans la salle des professeurs, et chacun commençait à repartir.

— Oui, bien sûr, répondit-il. Vas-y, je te rejoins à la maison, ajouta-t-il à l’adresse de Victoire, qui partit avec un sourire léger.

— Avant cette réunion, j’ai un peu discuté par miroir avec Hermione sur la situation, expliqua Minerva. Je pense que c’est la sorcière la mieux qualifiée sur les questions de nos deux mondes, et j’ai voulu lui faire part de mes craintes, ainsi que prendre quelques conseils.

— Oui ?

— Hermione n’est pas optimiste du tout, affirma Minerva d’un air grave. Déjà, rien qu’avec une situation diplomatique détériorée entre les sorciers et les moldus, elle m’a dit qu’elle serait très pessimiste. Mais en plus, elle m’a expliqué que cette relation allait probablement empirer. Je crois que vous êtes au courant de cette histoire de Sorcier du Ciel, et de Neville Londubat.

— En effet. Victoire aussi.

— Bien. Pour des raisons évidentes, il ne faut pas que cela s’ébruite. Nous ne voudrions pas d’effet de panique. Mais il faut quand même prendre des mesures, et nous préparer au pire.

— D’accord, mais où voulez-vous en venir ?

— Vous êtes professeur de métamorphose. C’est l’un des domaines les plus vastes de la magie, et vous maîtrisez à la perfection le programme qui est enseigné à Poudlard. Mais ce n’est qu’une infime partie de ce qui existe en métamorphose. Les possibilités sont presque infinies.

        Teddy fut très étonné de la tournure que commençait à prendre la conversation.

— Il y a de nombreuses années, reprit Minerva, quand Lord Voldemort est monté en puissance et que la première guerre a commencé à éclater, Albus Dumbledore m’a enseigné ces possibilités. Aujourd’hui, a vu de la situation actuelle, je souhaite partager ces savoirs avec vous. Que ce soit pour des mesures de protection, de guérison, ou même de combat, Merlin sait à quel point nous en aurons besoin. Et je ne vois pas de meilleure personne que vous pour cela. Alors j’ai beaucoup de choses à gérer pour le moment, mais dès la rentrée prochaine, je commencerai à vous entraîner. Êtes-vous d’accord ?

        Teddy la regarda avec des yeux ronds, ébahi. Il se rappela cette époque, qui lui semblait si lointaine, où il ressentait terriblement le besoin de faire ses preuves auprès de Minerva. Visiblement, il avait réussi. Et cela le terrifiait. Que Minerva doive lui apprendre de la magie si avancée que lui, un métamorphomage accompli, ne la connaisse même pas, lui faisait se rendre compte de l’ampleur de la situation. Il préférerait largement rester un petit professeur de métamorphose sans davantage de responsabilités que la scolarité de ses élèves.

— Oui, bien sûr, répondit-il cependant.

        Minerva lui adressa un faible sourire.

— Nous entrons dans une période sombre, Edward. Je le sens. Et nous aurons besoin de vous.

        Et sur ces mots terrifiants, elle prit congé, laissant Teddy seul avec ses pensées les plus effrayantes.

        La nuit était tombée dans le parc de Poudlard, depuis longtemps. Il s’était passé tellement de choses en seulement si peu de temps. Il prit conscience que sa vie allait radicalement changer. Ou qu’elle venait de radicalement changer. Et certainement pas pour le mieux.

        Teddy était en train de se dire qu’il allait se jeter au lit sans manger, quand son miroir se mit à vibrer. Quelqu’un d’inconnu l’appelait, mais cette personne portait de toute évidence une robe de Ste Mangouste.

— Quoi encore ? bougonna-t-il avant de décrocher.

        Allait-il un jour avoir la paix ? Allait-on le laisser tranquille, et l’épargner de mauvaises nouvelles ? Le guérisseur ne tint pas compte de ces souhaits, et entreprit de lui annoncer sans préambule la plus terrible des nouvelles de la journée.


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