Who needs you ? - colère

Chapitre 1 : Who needs you ? - colère

Chapitre final

1855 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/03/2024 18:55

Cette fanfiction est une réponse au challenge "7 sins : les sept péchés capitaux" qui se déroule actuellement sur le forum de FFR


La colère consume et n’illumine pas (Lamartine)



Au moment même où Giles Baddicombe, clerc de notaire, était venu lui remettre un étrange coffret vieux de plus de 300 ans, Anathème avait été saisie d’un pressentiment bizarre. Le fait qu’il se soit par la suite enfui en courant à cause d’une sombre histoire personnelle ne changeait rien à l’affaire : entre ses mains reposait bel et bien un nouvel élément du précieux héritage de son aïeule, sorcière de son état : « Les nouvelles belles et bonnes prophéties d’Agnès Barge, où l’on évoque le monde qui estoit à venir : la saga continue ». Son cœur se serra.


Elle avait pris goût à la vie tranquille de Tadfiels et s’était installée avec bonheur au Jasmine cottage avec le jeune Newton Pulsifer, se croyant à l’abri à la fois de la vie trépidante de l’Amérique et des aventures relatives à l’Apocalypse.

Elle s’était laissée convaincre par son tout nouveau compagnon de mettre fin à son destin d’éternelle descendante en brûlant ces parchemins au plus vite. Aussi, ils avaient profité de cette radieuse journée d’été pour allumer un feu dans le parc. La jeune femme avait commencé d’y jeter les feuillets, mais s’était promptement ravisée au bout du troisième.

- Je ne peux pas faire ça, déclara-t-elle à Newton.

- Pourquoi ?

- Tu te rappelles que le livre nous a permis de sauver le monde, tout de même ? Imagine que ces nouvelles prédictions contiennent des indices d’importance pour le futur de l’humanité ? Quel gâchis !

- L’humanité se débrouillera très bien sans nous. Cesse de te torturer. Nous avons un avenir nous aussi, toi et moi, et peut-être une famille bientôt, qui sait … Pourquoi faut-il que ce soit toi, encore et toujours ? Libère-toi de ce fardeau !

- Impossible, rétorqua-t-elle d’un ton péremptoire qui ôta toute velléité à Newton.

Ils rentrèrent à la maison, chacun bougonnant dans son coin.


Les jours suivants, elle se plongea dans la lecture des nouvelles prophéties. C’était abscons, bien évidemment. Il lui faudrait des relectures et des re-relectures nombreuses pour en tirer le moindre indice. Elle était habituée.

Deux d’entre elles avaient cependant retenu son attention :

  • prophétie 4642 « Moult noirs, aussi des blancs, partiront en quête du Prince »
  • prophétie 4666 « En la mouche estoit l’avenir du monde »


Bien sûr, le plus logique était de se pencher sur la plus proche à l ‘échelle du temps. Mais quels noirs ? Quels blancs ? Et qui était ce Prince ? Elle n’en avait pas l’ombre d’un début d’idée.

Quelques jours plus tard, elle avait échafaudé une théorie. Peut-être que les noirs et les blancs étaient des pièces d’échec ? Et le Prince, le roi ? Elle savait jouer. Aussi elle s’inscrivit dans la foulée au Chess Club de Tadfield. A raison de trois participations par semaine, elle eut tôt fait de connaître tous les membres. Le président avait même fini par lui fournir la liste des joueurs, ce qui consistait une grande avancée et lui avait permis d’utiliser son pendule au dessus des 15 petits papiers sur lesquels elle avait inscrit chaque nom. Mais le pendule était resté muet.

La frustration la rendait irritable. Newton se tenait le plus possible éloigné et en était désolé.


Anathème ruminait. Si les noirs et les blancs étaient des Mages ou des Sorciers, jamais elle ne trouverait la signification de cette prophétie, tant était large l’éventail des possibles … Peut-être qu'Agnès parlait de races ? Race noire, race blanche ? Mais là aussi, ses compétences achoppaient sur les potentialités infinies. Agacée, elle se concentra sur le Prince. Elle avait entendu parler de Prince, un chanteur américain. Elle éplucha sa biographie, les textes de ses chansons. Elle s’y plongea durant de longues journées. Newton, quant à lui, continuait à tenter de réparer des ordinateurs, en attendant patiemment le jour où Anathème sortirait enfin de son obsession à comprendre l’avenir. C’était un garçon foncièrement bienveillant, compréhensif et fataliste. Tant dans son métier que dans son couple tout neuf, il était persuadé que tout finirait par s’arranger tout seul. C’est cette candeur même, alliée à sa gentillesse, qui avait séduit la jeune femme. Furieuse contre elle-même, celle-ci pensait qu'elle lui rendait bien mal ses attentions et sa patience. Mais sa curiosité était la plus forte.


Un beau matin (internet étant une source infinie de savoir), elle dénicha les paroles d’une chanson de Prince : « I wish there was no black and white, I wish there were no rules ». Son coeur fit une embardée dans sa poitrine.

- Newt ! Il faut partir tout de suite à Minneapolis !

L’interpellé apparut sur le pas de la porte du salon.

- Et pourquoi donc ?

Anathème lui montra ses découvertes sur la page Wikipédia.

- Mais enfin Anathème ! Ce type est mort depuis trois ans ! Qu’est-ce que tu veux découvrir maintenant ? Tu comptes l’interviewer dans l’au-delà ? Tu veux qu’on emmène Mme Tracy peut-être ? ajouta-t-il dans un sourire.

Elle interpréta ce sourire comme une moquerie, ce qui bien sûr l’exaspéra. Furieuse, serrant les poings, elle s’écria :

- Mais enfin, c’est peut-être LA piste qu’on cherche depuis des semaines ! Tous les ingrédients sont dedans ! Il faut aller étudier ça de plus près ! Qu’est-ce qu’on risque ?

- Que TU cherches, corrigea doucement Newton.

La voix calme et caressante du jeune homme l’apaisa dans l’instant.

- Tu as raison. Je me suis emballée, excuse-moi, bredouilla-t-elle en se blottissant dans ses bras.

- Je te pardonne, lui glissa-t-il à l’oreille.

Comme souvent, ils se réconcilièrent ce soir-là sous la couette …


Les jours d’après, elle tenta encore – sans succès - de se concentrer sur le Prince. Elle se rendait bien compte que tout ce qui lui traversait l’esprit n’avait ni queue ni tête. Après avoir éliminé les gâteaux (« Prince » de Lu, non mais n’importe quoi !) elle se souvint d’un chanteur français un peu barré, prénommé Hubert-Félix (on n’a pas idée …) qui chantait :

« Vous avez le goût du grand art / et sur mon compteur électrique / j'ai le portrait du prince-ringard. »*

Elle avait une affection particulière pour les chanteurs un peu à la marge, mais elle n’était pas plus avancée. Le prince ringard, Leprince-Ringuet, et puis quoi ? Ça ne menait nulle part.


Les journées suivantes se déroulèrent dans une relative sérénité. Anathème avait abandonné ses blancs, ses noirs et son Prince et se faisait violence pour éviter de penser à la mouche.

  • prophétie 4666 « En la mouche estoit l’avenir du monde »


Bien entendu, son esprit refusait de lui obéir et caracolait joyeusement dans toutes les directions.

Agnès parlait-elle de l’insecte, qui se nourrit de cadavres et d’excréments ? Pas très appétissant, mais le plus évident. De poids mouche, de boxeur ? S’il existait bien à Tadfield un cercle d’échecs, la boxe n’était pas représentée au Sporting Club local. Il lui faudrait élargir le rayon des recherches. Et si son pendule était aisément transportable, Newton ne l’était pas. A moins qu’il ne s’agisse de cette petite coquetterie que les dames de la haute se posaient sur le visage au 18ème siècle, en guise de grain de beauté ? De mouche pour la pêche à la truite ? Est-ce que l’avenir du monde se résumait à manger du poisson ou à se coller des trucs sur la figure ?

- Que ces prophéties aillent au diable ! hurla-elle, au comble de l'exaspération.


Elle tournait en rond, au propre comme au figuré. Fulminant, elle arpentait le salon en ruminant des théories et de sombres pensées. Son impuissance à comprendre Agnès la mettait en rage, et elle se disait que peut-être, elle avait perdu une bonne part de sa capacité à interpréter les prophéties de son aïeule tout bonnement parce que le pire avait été évité, et qu’ils avaient réussi, Newton et elle, les Eux, Aziraphale et Crowley, le sergent Shadwell et Mme Tracy, sans oublier Toutou, à empêcher l’Apocalypse. En rage, en effet, parce qu’elle s’était accoutumée à cet état de fait, à ses pouvoirs, et que finalement elle haïssait en être dépossédée. Elle était furieuse à la fois contre Agnès et contre elle-même.

- N’y pense plus. Il est peut-être temps de passer à autre chose, songeait-elle de temps à autre.

Elle savait qu’il n’y avait qu’un moyen de faire taire cette hargne au fond d’elle. Juste, elle avait beaucoup de mal à s’y résoudre, tant ce qu’elle s’apprêtait à accomplir était lourd de signification. On était au cœur de l’automne, un feu ronronnait dans le poêle du salon.

- Newton ! cria-elle.

Il apparut quelques minutes plus tard, les bras chargés de bûches qu’il déposa dans la caisse près du feu. Il s’essuya posément les mains sur son pull camionneur en grosse laine.

- Oui ?

- Ma décision est prise. Tu avais raison. Je connais une petite danse d’excuse, mais on verra ça tout à l'heure … Pour l'instant, on va brûler cette saleté de paperasse. Je me rends compte que je ne t’ai pas bien traité ces derniers temps. Je t’ai même rabroué plus d’une fois. C’est la colère qui parlait. Il faut que ça s’arrête, je ne serai pas une descendante toute ma vie, je veux me libérer de tout ça.

Newton la regardait amoureusement, tandis qu’un large sourire venait éclairer son visage.

- Alors allons-y !

Anathème prit la première feuille de la pile et la jeta dans le poêle,

- C’est fini, soupira-t-elle. Le monde n’a plus besoin de moi.

Ainsi les pages se succédaient, et à mesure que le paquet s’amenuisait, elle sentait le poids sur l’estomac, qu’elle ressentait depuis plusieurs semaines, s’envoler comme des plumes au vent ...




*Hubert-Félix Thiéfaine "Alligators 427" 


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