Quand on ne regarde que les étoiles

Chapitre 25 : Nouveau jour sur le reste du monde

4101 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/03/2024 21:32

— Qu'est-ce que vous foutez ici ?

— On l'aime bien, ton QG, quoiqu'en dise Mac, dit Hancock, la bouche pleine.

— On s'est dit que tu finirais bien par revenir, ajouta MacCready.

Ils s'étaient bien installés. Chez moi. Ce n'était pas chez moi, mais c'était tout de même ce qui s'en rapprochait le plus et je regardai avec dégoût les emballages de nourriture éparpillés partout par terre.

D'être triste me faisait toujours chercher les grands fracas.

Je n'étais jamais assez triste ; il me fallait l'être encore plus, attaquer les larmes à leur racine et transformer le ruisseau en raz-de-marée, comme si un autre désastre pouvait remplir le trou laissé par la mort de Zeke.

Leur présence ne m'aidait pas.


— Vous auriez pu nettoyer, un peu, fis-je en abaissant mon flingue. 

MacCready eut l'air un peu gêné, mais Hancock, en guise de réponse, ouvrit une bière, la bu d'un trait et jeta la bouteille vide au sol.

Génial.

Avec un soupir, je m'écrasai sur un matelas défoncé et pris une bouteille à mon tour.

Je la décapsulai, et la levai presque imperceptiblement en l'air. MacCready et Hancock auraient pu supposer que je trinquai dans leur direction ; il n'en était rien.

— Où est Nick ? demandai-je alors, me rendant compte que j'étais une sorte de disque rayé.

— Tu l'as raté de peu, dit Hancock. Il est resté ici quelques jours à attendre, et puis il s'est dit qu'il allait rentrer à Diamond City au cas où tu t'y pointerais.

— Oh, dis-je en m'allongeant sur le matelas.

Tu l'as raté de peu, il m'avait attendue, j'étais rentrée trop tard.

Si j'étais rentrée plus tôt, il ne serait peut-être pas avec Ellie en ce moment-même. 

— Hancock. Tu n'as rien de plus fort que de la bière ?

— Qui se boit ou pas ?

— Plutôt qui se boit.

Hancock fouilla dans son manteau - du moins, je le supposai, parce que je regardais le plafond. Il lança une petite flasque sur le matelas.

Elle me regardait comme pour me défier de la boire.

Je ne pouvais pas me plaindre du feu si je l'attisais moi-même.

— Tu t'en vas ? demanda Hancock en me voyant remettre mon sac dans mon dos.

— Oui.

— Mais il fait nuit, observa MacCready.

— Et alors ?

— Et alors tu devrais grailler un truc avant d'encore te sauver comme une voleuse, dit Hancock.

Je me rassis. Ce que les gens sont pénibles, quand ils ont raison. Je fouillai des yeux les déchets au sol jusqu'à repérer une boîte de Bombes Sucrées à peine entamée. Hancock ouvrit la flasque de vodka, en but une gorgée, et me la tendit.

— Je suis triste, dis-je platement.

— Moi aussi, dit MacCready en regardant ses genoux.

— Je suis tellement désolée de t'avoir embarqué là-dedans. En plus, il y avait...

Je ne pus en dire plus. Ce n'était pas grave : il savait.

— Je suis désolée, répétai-je. Cinq-cents capsules, ça n'était pas vraiment suffisant pour un truc pareil.

— J'suis pas triste de ce que j'ai vu, répondit MacCready en relevant la tête.

Il tendit la main vers moi et je lui donnai la flasque.

— Et en même temps, reprit-il, je suis heureux d'avoir fait quelque chose de bien, pour une fois. J'ai pas vraiment l'habitude de faire des trucs bien... J'ai pas vraiment l'habitude de ressentir autant de trucs non plus.

Le nom de Zeke flotta dans l'air pendant quelques instants.

— T'as quel âge, MacCready ? demandai-je.

— Vingt-deux ans.

— La vache, fit Hancock.

Il lui mit une tape dans le dos :

— T'es un gosse, en fait.

— Et depuis six ans, c'est la merde, répondit MacCready.

Vingt-deux ans. Ma vie avait été si simple.

— J'imagine que ça n'a pas été simple de grandir... De grandir dans le coin.

— Franchement, grandir, c'était cool, dit MacCready en donnant la flasque à Hancock. J'ai jamais connu mes parents, donc j'ai jamais eu à être triste de pas en avoir. Je vivais dans la Capitale, dans une grotte qu'on appelait Little Lamplight. On était que des gosses, là-dedans. On laissait même pas rentrer les virl... Enfin, les adultes. J'étais le maire, d'ailleurs.

— Le maire d'une grotte ?

— Hé, me dit Hancock. Il aurait pu être le maire d'une cabane en ruine, qu'est-ce qu'on s'en fout. Il te dit qu'il était maire, montre un peu de respect.

— Ouais, le maire de la grotte, reprit MacCready. Les plus petits me faisaient confiance, ils me respectaient, et je les protégeais. Sauf qu'à seize ans, j'ai dû partir, puisque c'était la règle : pas de virloques à Little Lamplight.

— C'est une règle pourrie. Ils ont viré leur maire, marmonna Hancock.

— Mais il n'y avait jamais d'adulte dans ta grotte ? Comment vous avez fait pour vous en sortir si vous n'étiez que des gamins ? Qu'est-ce que vous mangiez ?

J'avais tant de questions que je ne savais même pas par où commencer. J'avais imaginé une vie de gamin porté de colonie en colonie, mais une enfance dans une grotte, c'était sacrément inédit.

— Il y a eu une adulte, une fois. Je l'ai laissée entrer parce qu'elle était vraiment marrante. Elle s'appelait Eléa ? Un truc dans ce genre-là. Mais elle nous a pas aidés, hein. On se débrouillait très bien tous seuls. On vivait pas si mal, vachement mieux que dehors. On avait même une boutique de souvenirs... Ce qui était un peu con, maintenant que j'y pense.

— Et après ? demanda Hancock qui montrait un grand intérêt pour ce que racontait MacCready, surtout depuis qu'il avait mentionné avoir été maire, lui aussi.

— Après, ça a été la merde, répéta MacCready.

Il croisa les bras sur la poitrine. Il avait beaucoup parlé ; l'instant s'était brisé. Hancock me rendit la flasque qui avait désormais fait le tour de la pièce.

Finalement, quand on a des amis, il n'y a pas besoin de chercher les grands fracas.

— A Zeke, soufflai-je en levant la bouteille en l'air avant de la rendre à MacCready.

— Je le connaissais pas beaucoup, mais ça avait l'air d'être un gars bien, dit Hancock en me pressant l'épaule.

— Je peux pas m'empêcher de penser que je l'ai emmené à la mort.

— Hé, arrête, avec ça, dit MacCready en décroisant ses bras. Crois-moi, ça sert à rien de se flageller là-dessus. Les gens qui meurent, c'est déjà assez triste comme ça.

— Je confirme. Les gens meurent. Ils meurent pour nous ou tous seuls, mais quoiqu'il arrive, ils meurent, fit Hancock en regardant le plafond. On peut pas sauver tout le monde... On peut pas.

Ils ne m'avaient pas fait le coup du il aurait voulu que. Zeke aurait voulu être enterré au garage avec son armure, il aurait voulu que je pense à lui en buvant un alcool fort, il aurait voulu que je me batte, que j'aille à l'Institut ; maintenant que je le pouvais. 

Il aurait voulu tout ça, mais surtout, il aurait sans doute voulu rester en vie.

En silence, nous nous passâmes la vodka, jusqu'à ce qu'il n'y en ai plus. Je me levai.

— Tu t'en vas ? répéta Hancock.

— Je ne sais pas. Je crois, oui.

— Et tu vas où ? demanda MacCready.

— A Diamond City, répondis-je sans réfléchir. Et ensuite, à Goodneighbor, ajoutai-je après avoir, cette fois, réfléchi.

— L'appel de Goodneighbor, dit Hancock en se levant.

— Vous partez aussi ?

— La fête est finie, de toute évidence.

— Oui.


Nous fîmes ensemble le trajet jusqu'à Diamond City. Devant les portes, je saluai MacCready et Hancock et les regardai s'éloigner. 

Le jour se levait, un nouveau jour sur le reste du monde.

J'espérais que Nick avait croisé Piper et lui avait dit que je n'étais pas morte, puisque je n'avais pas prévu d'aller la voir. Premièrement, parce que l'aube n'est pas le bon moment pour aller frapper chez quelqu'un, et ensuite, parce que j'aurais dû tout lui raconter, et je n'en avais pas envie du tout.

Il est plus facile de parler des morts avec les gens qui les ont connus ; même très brièvement. Ça évite de devoir s'épancher, de dire à quel point ils étaient bons, à quel point ils ont été courageux, avec, en toile de fond, un film de leurs derniers instants.

Arturo, qui venait d'ouvrir sa boutique, me salua d'un signe de tête avant de continuer à installer son étal. Il n'aurait sans doute pas de clients avant plusieurs heures, mais Arturo était probablement quelqu'un qui aimait commencer sa journée très tôt.

La place traversée, je me dirigeai vers l'agence. Cela faisait bien dix minutes que je pesais le pour et le contre. Que ça soit l'agence Valentine ou la bicoque de Piper, il était trop tôt. 

Je traversais la dernière ruelle quand je vis Nick, assis sur un banc.


— Vous êtes rentrée, dit-il en se levant.

— Bravo. Vous avez pensé à devenir détective ?

Il sourit ; c'était rare, j'aurais pu compter toutes les fois où c'était arrivé. Je le fixai, gravant intérieurement l'image de ses lèvres qui forment un sourire pour la regarder à loisir plus tard, pour remplir le tiroir dérobé de ma mémoire d'encore plus de photographies.

Nick amorça un geste dans ma direction, puis se ravisa. Finalement, il se rassit. Je l'imitai, et il me tendit une cigarette sans que je n'ai à la lui demander.

En fin de compte, il n'était pas allé rejoindre Ellie.


— Vous êtes partie comme une voleuse. Vous auriez pu vous faire tuer, marmonna Nick.

— Et bien, je ne suis pas morte.

Ma cigarette dans la bouche, je sortis de mon sac la puce du chasseur - qui n'avait pas grand-chose d'une puce, finalement, quand on voyait la taille de l'objet-, et la fit tourner entre mes doigts.

— Doucement, avec ce truc. N'allez pas le casser.

— Nick, vous êtes chiant, rétorquai-je.

Je rangeai quand même la puce en sûreté dans mon sac.

— Il faut bien que quelqu'un le soit, dit-il avec un soupir. Qu'est-ce que vous allez en faire ?

— Je vais aller la montrer à Amari.

— C'est ce que je pensais aussi. Je viendrai avec vous.

— Vous n'êtes pas obligé, marmonnai-je en me levant.

Vous avez peut-être mieux à faire. Avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, j'en rajoutai une couche et formulai ma pensée :

— Vous avez peut-être mieux à faire.

J'avais presque imperceptiblement pointé la porte de l'agence d'un signe de tête. Nick, qui n'était pas idiot, l'avait sans doute remarqué. Il n'y avait pas grand-chose qui échappait à Nick : c'était un synthétique, après tout.

— Je n'ai pas spécialement mieux à faire. Mais c'est vous qui voyez, dit-il en posant sa main sur la poignée de la porte.

Il me regarda, il attendit, probablement que je lui dise que j'étais stupide, que, bien sûr, il devrait venir avec moi, parce qu'il en avait toujours été ainsi, parce qu'il avait toujours été à mes côtés, après tout.

Je restai quelques instants à soutenir son regard, et, puisqu'en tout temps, j'avais cherché les grands désastres, je partis sans me retourner.

J'étais encore dans la ruelle quand j'entendis la porte de l'agence s'ouvrir, puis se fermer.


En fin de compte, Nick était bien allé rejoindre Ellie.


*


Irma ne bougeait jamais ; elle était toujours allongée sur sa méridienne, elle était toujours très bien vêtue, elle me fit un énième sourire en coin en battant de ses paupières aux cils si longs qu'ils en étaient presque inhumains.

Elle était si belle que c'en était inhumain, oui : c'était ça.

— Bonjour, Irma, lançai-je machinalement en m'avançant dans le Memory Den.

— Lily. Comment va Nick ?

— Je ne sais pas. Bien, j'imagine.

Il faut dire que cette question était étrange. Personne ne demande comment vont les gens, après la guerre. Ce n'est pas comme s'il y avait beaucoup de possibilités. Irma acquiesça silencieusement ; cette réponse lui convenait.

— Est-ce qu'Amari est là ?

La vraie question était plutôt : est-ce que je peux aller en bas, afin de parler à Amari.

— Elle est en bas, répondit Irma.

Ce qui ne répondait pas à ma vraie question, finalement. J'y répondis toute seule et descendis les escaliers.

Amari, malgré l'heure matinale, était déjà en train d'installer un client, une goule, dans un caisson mémoriel.

— Voilà, tout est prêt. Comme d'habitude, Kent ?

— Oh oui ! répondit Kent, d'une voix aiguë et d'un ton qui contrastait grandement avec son apparence.

— Alors allons-y...

Amari referma le caisson. Par politesse, j'étais restée sur le pas de la porte. Une fois qu'elle eut lancé la séquence mémorielle depuis son terminal, je toussotai pour signaler ma présence ; il y avait bien longtemps que je n'avais pas utilisé le toussotement, ce qui rendait son utilisation absolument justifiée.

— Ah, bonjour... dit Amari en plissant les yeux. Lily, c'est ça ? Je n'ai pas une très bonne mémoire des noms...

— C'est bien ça, répondis-je en m'approchant, la main dans mon sac.

— Alors, comment s'est déroulé votre...

Amari fixa la puce du chasseur que je tenais entre le pouce et l'index, avec un mélange d'admiration et d'horreur.

— Ne me dites pas que...

— C'est une puce de chasseur, répondis-je rapidement. J'ai besoin d'aide pour la décoder. Vous pourriez me filer un coup de main ?

— Je... Je...

Elle tendit la main, se ravisa, s'assit, se releva, alla chercher une loupe, et prit finalement la puce.

— Une puce de chasseur, marmonna-t-elle pour elle-même en l'observant.

— J'aimerais m'en servir pour me téléporter à l'Institut, fis-je sur le ton de la conversation.

Elle se redressa et me regarda comme si je venais de dire une grossièreté.

— Qu'est-ce que vous voulez dire par vous téléporter à l'Institut ?

— Y aller. Pour sauver mon fils, vous savez.

Je mis mes mains dans mes poches. Amari ne savait même pas par où commencer. Elle ouvrait et fermait la bouche comme un poisson qui manque d'air.

— Hé, vous en faites pas, ajoutai-je. Je connais le topo, je vais mourir, tout ça, je suis au courant. Je m'en fous. Vous pouvez en tirer quelque chose, oui ou non ?

— C'est-à-dire que... commença Amari, puis elle retourna à sa loupe et à la puce.

Finalement, elle me la rendit, presque à contre-cœur.

— Non. C'est au-dessus de mes compétences. Mais si vous acceptez de me la laisser...

— Je ne préférerais pas, répondis-je en rangeant la puce. Je ne tiens pas vraiment à devoir en trouver une autre s'il arrivait quelque chose à celle-ci. J'imagine que vous comprenez pourquoi.

Amari se passa une main sur le visage et acquiesça, les sourcils froncés.

— Le Réseau du Rail, dit-elle finalement en regardant le mur droit dans les yeux.

— Le bar ?

C'était effectivement au Troisième Rail que j'avais prévu de passer juste après. Peut-être qu'Amari était tellement abasourdie par ce que je venais de lui amener qu'elle en perdait ses mots.

Peut-être qu'Amari avait bien besoin d'une bière, elle aussi.

— Non, pas le bar, dit-elle en soupirant. Le Réseau. Le Réseau du Rail. L'organisation qui vient en aide aux synthétiques échappés de l'Institut. Vous avez bien dû en entendre parler, non ?

Je fis une moue.

— Ça ne me dit rien.

— Je travaille de temps en temps pour eux, dit Amari en faisant les cent pas dans la pièce, les bras croisés sur sa poitrine. Ils... J'imagine que je peux vous le dire... Oui, j'imagine... Ils effectuent des modifications physiques et mémorielles sur les synthétiques enfuis. Une remise à zéro, en quelque sorte...

Elle s'arrêta devant moi.

— Ils pourraient peut-être vous aider avec la... Avec la puce.

Même le simple fait de parler de la puce semblait la déranger, au fond d'elle-même.

— Ils sont ici ? À Goodneighbor, je veux dire ?

Amari haussa les épaules :

— Je ne sais pas. Ils m'envoient les synthétiques à réinitialiser par leurs agents. Je ne suis pas en contact avec eux.

— Génial, soufflai-je en me laissant tomber sur une chaise.

J'étais venu jusqu'ici pour rien. J'étais peut-être même allée chercher la puce pour rien si Amari ne pouvait rien en faire.

— Et quand est-ce qu'ils viennent à vous, ces agents ? C'est régulier ?

— Pas vraiment. C'est toujours une surprise.

Je n'allais quand même pas attendre ici. Non pas que cela ne soit pas une solution viable, mais je n'en avais vraiment pas envie. Je me levai.

— Vous n'avez aucune autre info à leur sujet ?

— Ils sont très secrets. Leurs agents parlent très peu... Je m'occupe des synthétiques parce que je sais que c'est ce qui est juste.

Et soudain, mon cerveau se remit en marche et je me souvins que j'avais une journaliste pour amie.

— Ok, Amari. Merci pour tout.

— Ce n'était pas grand...

— Vous m'aidez. C'est déjà bien.

Amari marmonna quelque chose que je n'eus pas le temps d'entendre.


Je me mis à courir. Piper saurait ; Piper saurait forcément quelque chose. Une organisation top secrète qui cherchait à faire tomber l'Institut. C'était du pain béni. 

Et finalement, je doutai. Si Piper savait quelque chose, pourquoi ne m'en aurait-elle pas déjà parlé ? Je ralentis l'allure. Le Réseau du Rail, ça tombait tellement sous le sens qu'il était vraiment trop surprenant que Piper ne m'ait pas déjà conseillé d'aller les voir.

Mais si elle ne savait pas, elle aurait peut-être une idée. Rien qu'une idée, une piste. Je ne pouvais pas rester sans rien faire, pas après la mort de Zeke. Je ne pouvais pas rester à contempler le trou ; j'en avais déjà suffisamment creusé d'autres.

Et ainsi, je me rendis compte qu'il était moins question de sauver Shaun que d'échapper à ce qu'il se passait dans ma tête.

Ce n'était pas tout à fait vrai. Ce n'était pas tout à fait faux non plus. Aller sauver Shaun était ce qui donnait du sens à mon existence ; et pourtant.

J'avais envie d'aller au bout de ma recherche pour Shaun pour être en paix, pour pouvoir me dire : j'ai tout essayé.

Et ensuite, peut-être, pouvoir vivre autrement.


— Piper ! lançai-je en frappant vigoureusement à la porte.

Je n'avais même pas pris le temps de regarder l'heure ; j'étais bien déterminée à entrer de force s'il le fallait.

— Piper, insistai-je. Je n'hésiterai pas à défoncer ta porte.

— Tu vas te calmer, oui ? dit Piper en m'ouvrant finalement.

Elle ne portait pas sa casquette ; je venais probablement de la réveiller. Je souris, comme à chaque fois que je posais les yeux sur elle.

Elle aurait pu me frapper que ça n'aurait pas entamé mon bonheur de la voir.

— Allez, rentre, et range-moi ton sourire niais.

— C'est bien, à chaque fois que je rentre ici, c'est encore plus le bordel que la fois d'avant.

Piper soupira avec exagération.

— J'étais contente que tu sois en vie, mais finalement...

Je le regardai en haussant un sourcil. Elle fit un effort pour se retenir de rire, et, finalement, me tomba dans les bras. Je la serrai de toutes mes forces.

— Tu sais où est Canigou ? demandai-je en relâchant mon étreinte.

— A l'agence, je crois. Peut-être que c'est trop le bordel pour lui aussi, ici.

— Hm, marmonnai-je. Peut-être. J'aurais bien aimé le voir.

— C'est pas très loin, l'agence, hein.

Je ne répondis rien et m'assis sur le lit de Piper.

— Tu as faim ? demanda-t-elle en ouvrant un paquet de gâteau.

— Non, ça va. Je me suis rempli l'estomac de Bombes Sucrées cette nuit.

— Bon, raconte moi tout, dit-elle en s'asseyant à côté de moi. Fais-moi vivre tes aventures par procuration...

Je lui contai la traque et le combat contre le chasseur, en omettant complètement de parler de Zeke. C'était une excellente solution ; de tout simplement ne pas en parler, et de laisser supposer qu'il était sorti de ce combat bien vivant.

Piper avait fait des Ooooh.... et des Aaaah... Elle avait arrêté de manger quand je lui avais parlé de Greenetech, s'était arrêté de respirer quand j'avais raconté cet instant où le chasseur était apparu bien vivant à travers la fumée.

— Et tu l'as, alors ? Tu l'as dans ton sac, la puce ?

— Oui, dis-je en la sortant.

Ce truc faisait définitivement son effet auprès de tout le monde. Piper n'osa pas la toucher, mais la dévora des yeux.

— Et comment on s'en sert, alors, pour aller à l'Institut ?

— Amari m'a conseillé d'aller voir le Réseau du Rail...

Je laissai planer la fin de ma phrase, avec l'espoir que Piper saute du lit les pieds joints et m'annonce qu'elle savait parfaitement où le Réseau était planqué et qu'il fallait y aller immédiatement. Elle n'en fit rien.

— Sauf que je ne sais pas où ils sont, et Amari non plus - alors qu'elle travaille avec eux, c'est quand même un comble... Je pensais que tu aurais peut-être des infos sur eux, ajoutai-je avec peu d'enthousiasme.

Je rangeai la puce. Tu parles de bordel, mais tu as vu l'état de ton sac ?

— J'ai beaucoup cherché, hein, tu me connais... Mais les types sont planqués, planqués de chez planqués.

Elle se leva, et posa sa casquette sur sa tête. C'était bon signe.

— Ce qui est quand même un comble, comme tu dis, c'est que j'ai entendu dire à l'époque où je fouinais que les mecs déposaient des holobandes de recrutement. Comment tu veux recruter de nouveaux agents si personne ne sait où te trouver ? Et surtout, personne n'avait cette fameuse holobande. À se demander si elles existent bien.

Une holobande. Je sortis la puce de mon sac, par principe, et le retournai pour vider la totalité de son contenu par terre. Frénétiquement, je me mis à fouiller, en balançant à travers la pièce les paquets de gâteaux et les boîtes de munitions.

— Euh, qu'est-ce que tu fous, exactement ? Et après, tu te plains du... Oh, bordel, Blue.

Je l'avais trouvée. Je tenais dans mes mains l'holobande que j'avais récupérée sur le stand d'Arturo.

Des semaines, que dis-je, des mois plus tôt.

— Mais qu'est-ce que t'attends ? fit Piper, qui ne tenait plus en place. Allez, mets-là dans ton lecteur !


Commonwealth, réveillez-vous ! Les synthétiques ne sont pas votre ennemi. Ils sont, tout comme vous, des victimes. Certes, ils ont été créés par l'Institut. Mais ils ont été créés pour servir d'esclaves. Des êtres capables de penser, de ressentir, de rêver, qui sont considérés comme des choses par leurs maîtres tyranniques. Rejoignez-nous dans le combat contre le réel ennemi : l'Institut. Rejoignez le Réseau du Rail. Suivez le chemin de la liberté. Suivez le Rail. Quand vous serez prêts, nous vous trouverons.

Clac.


— Bordel, Blue, répéta Piper, la main devant la bouche. Je le savais. Je le savais, que c'était pas une foutue légende. T'as trouvé ça où ? On s'en fout, en fait, ajouta-t-elle avant que je ne puisse répondre.

Elle attrapa son sac, laissa échapper un petit cri, et me dit :

— Faut y aller. Vite ! Faut y aller.

— Euh, Piper, dis-je en contemplant le contenu de mon sac par terre. Aller où ?

Son enthousiasme retomba d'un coup.

— C'est vrai. C'était pas clair. Remets la bande.

— Ça disait de suivre le chemin de la liberté, dis-je en relançant quand même l'enregistrement.

— Le chemin de la liberté, marmonna Piper, en faisant les cent pas, incapable de tenir en place. Le chemin... La liberté... Le rail...

Elle laissa échapper un juron.

— Il faut que je réfléchisse, lança-t-elle en s'asseyant sur un matelas, la tête dans les mains. Il faut que je pense.

— D'accord, bredouillai-je.

— Chut, Blue. Je me concentre, ajouta-t-elle en plissant les yeux.


D'accord. 

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