Quand on ne regarde que les étoiles

Chapitre 4 : Le joyau du Commonwealth

3963 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/12/2023 15:54

Chacune des maisons dans lesquelles j'entrais donnait l'impression d'avoir été mise sur pause. Les frigos étaient pleins, parfois des casseroles étaient toujours sur des gazinières défoncées, des radios jamais éteintes diffusaient un grésillement sinistre. Et puis, tous ces squelettes. Des restes sur des lits, aux toilettes, à table. Pour ces gens, tout s'était arrêté dans un grand flash.

Je prenais toujours soin de ne pas trop déplacer ces souvenirs, ces traces de vie. Je me servais, mais avec cette retenue que l'on a, lorsqu'on est convié chez quelqu'un. Dans une valise, je trouvai une robe, propre, de la mode d'avant-guerre, à peu près à ma taille. Ce n'était pas vraiment une tenue pour se battre, et ça sentait la poussière, mais je ne tenais pas à entrer en ville avec ma combinaison d'Abri sur le dos.


Il était difficile de rater Diamond City.


La ville était indiquée par des panneaux lumineux, mais, plus encore : elle était construite dans un stade d'avant-guerre. Entourée d'un grand mur, elle était verrouillée par un grand pan de métal faisant office de porte. A côté de la porte, une espèce d'interphone. Devant l'interphone, une femme a l'air très contrarié. J'hésitai un instant en observant la scène. Je n'avais pas vraiment envie de me faire remarquer, mais il fallait bien que j'accède à cet interphone. Arrivée à sa hauteur, je me contentai de toussoter.

Elle redressa la tête vers moi. Son visage entouré de cheveux bruns était constellé de petites taches de rousseur.

— Ah, tiens. Bonjour. Vous voulez entrer, c'est ça ?

Avant que je ne puisse dire le moindre mot, elle mit un gros coup de pied dans la porte sans me quitter des yeux. D'accord, très bien.

— Je... Oui. Vous ne pouvez pas... ?

J'étais mal à l'aise. Elle ne l'était pas du tout. Elle devait être de ces gens qui parlent à une foule toute entière sans avoir le moindre tremblement dans les mains.

— Non, dit-elle en haussant les épaules. Ils ont décrété que j'étais la vilaine et méchante journaliste..

— Il y a encore des journ-

— DANNY, hurla-t-elle, ce qui me fit violemment sursauter. Bordel, laisse-moi entrer, pour l'amour du ciel.

— Va-t-en, Piper, répondit ce Danny. Le maire ne veut plus de toi ici.


Et je restai là, les bras ballants, pendant que cette femme, Piper, donc, continuait de rouer la porte de coups.

J'eus envie de lui dire qu'une porte qui tenait debout depuis, quoi, deux siècles, au moins, ne risquait pas de céder sous ses poings. Mais il était probable qu'elle ne tape dans la porte que pour emmerder celui qui se trouvait derrière.

Ce qui allait peut-être finir par marcher, d'ailleurs. Ce boucan était insupportable.

— Bon, vous, là, dit-elle en me pointant du doigt - elle s'était lassée de taper sur la porte, finalement. Vous voulez rentrer, je veux rentrer. Je vous propose un truc. Contentez-vous de suivre.

Elle avait débité ça à toute vitesse. J'ouvris la bouche, elle rétorqua aussitôt :

— Parfait.

Elle se racla la gorge et colla son visage à l'interphone :

— Comment ça, une énorme caravane de marchands venus de Quincy ? De quoi faire les stocks de la boutique pendant un mois ? T'as entendu ça, Danny ? Tu fais quoi, tu ouvres les portes ou comment ça se passe ?

— Attends Piper, quoi ? répondit Danny. Une caravane, tu dis ? Tu serais pas en train de te foutre de moi par hasard ?

— Je sais pas, vous voulez prendre le risque ?

Elle m'attrapa par le bras et me tira devant la porte.

— Vous n'avez qu'à demander au marchand, lança-t-elle avec un sourire.

— Hé, vous. C'est vrai, vous avez une caravane ? dit la voix dans l'interphone.

J'échangeai un regard en coin avec Piper. Elle hocha la tête de haut en bas, frénétiquement, en me faisant les gros yeux. D'accord. Très bien.

— Euh... oui.

Un soupir traversa le haut-parleur.

— Bon, ok, j'ouvre les portes. Piper, pas de conneries ! La prochaine fois que tu écris ce genre de trucs dans ton journal de merde ça va très mal finir !

Dans un fracas métallique, la porte s'ouvrit. Piper entra, je la suivis en tâchant de me faire encore plus petite que je ne l'étais. Derrière la porte se trouvait Danny - c'était sans doute Danny. Il soupira à nouveau.

— Vous n'êtes pas du tout commerçante, j'imagine ? dit-il d'un ton las.

J'étais pétrifiée. Nerveusement, je balbutiai un semblant d'excuse. En croisant les doigts pour ne pas me faire exécuter sur le champ. Ça aurait été trop bête. Il leva les yeux au ciel, visiblement plus fatigué que réellement énervé. D'un geste, il pointa l'entrée de la ville.

— Du vent. Dépêchez-vous.

Je ne me fis pas prier.


Piper s'était volatilisée. Je descendis les quelques marches qui menaient au centre du stade. Dans d'autres circonstances, j'aurais peut-être trouvé de la beauté au sein de Diamond City. Je m'étais retrouvée sur une place, entourée d'échoppes de marchands. Ici, tout était fait de matériaux récupérés çà et là, principalement de la tôle. Les habitations, si c'en étaient bien, tenaient plus du container que du bâtiment. Il y avait tellement de gens. Je répétais dans ma tête une conversation hypothétique avec un garde ou un passant ; bonjour, je viens du passé, je cherche mon fils, une idée de où est-ce que je pourrais le chercher ?

C'était ridicule. Alors je m'assis sur un banc. Canigou s'allongea à mes pieds. Je posai mes mains sur mes cuisses. Tapotai de mes doigts le lin de la robe. Et je vis le journal posé à la va-vite à côté de moi. Quoi de mieux pour m'informer sur cette époque qu'un journal ?

En grosses lettres à empattements était écrit Publick Occurrences. Un ornement fleuri, un peu pompeux, entourait le nom du journal. Ce n'était qu'un unique article, qui s'étalait sur plusieurs pages. La vérité synthétique, octobre 2287, par Piper Wright.

La plume de Piper était acérée, accusatrice. Elle relatait des événements arrivés près de soixante ans plus tôt : un homme, un certain M. Carter, habitant respectable de Diamond City, qui, du jour au lendemain, attablé dans un certain stand de nouille, s'était mis à tirer sur tout le monde. D'après Piper, M. Carter n'était pas un habitant comme les autres. C'était un synthétique ; un genre de robot si parfaitement réalisé qu'il ressemble à s'y méprendre à un être-humain. Les synthétiques étaient des créations de l'Institut, une organisation top secrète ,responsable d'enlèvements et de meurtres. Les dernières lignes du journal laissaient entendre, vaguement, que le maire de Diamond City était lui-même un synthétique. Ceci expliquait cela.

Tout cela était très gros. Je repliai tant bien que mal les pages froissées du journal et le reposai sur le banc.

Les enlèvements perpétrés par l'Institut...

Je repris le journal, relu les lignes en question. Il n'y avait aucune source, aucune enquête, rien de tangible, et pourtant, je me levai, bien décidée à retrouver cette Piper.Ce ne fut pas très compliqué. A l'entrée de la ville, un bâtiment de fortune était surmonté de lettres en néon, dépareillées, qui indiquaient Publick Occurrences.

Une gamine était postée là, et tendait des exemplaires du journal à tous les passants.

— Publick Occurences ! Journal gratuit ! Soyez prêts à vous défendre contre l'Institut ! La vérité est dans Publick Occurences ! Quoi, vous n'en voulez p... Et bien n'allez pas dire qu'on n'aura pas essayé de vous prévenir quand l'Institut viendra vous chercher en pleine nuit ! Journal gratuit, Publick Occurrences !

Je toussotai ; à croire que c'était ma nouvelle façon de dire bonjour. La fille me vit et son visage s'illumina.

— Publick Occurrences ! Journal g...

— Gratuit. J'ai entendu. Merci.

Je pris le journal par politesse.

— Vous ne le regretterez pas !

La gosse était aussi brune que Piper, mais c'était surtout son énergie qui laissait supposer un lien familial. Elle continuait à crier à s'en briser la voix.

— Euh... En fait, je voulais parler à Piper.

— Bah, rentrez, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?

Puis elle se remit à crier.

Je pourrais être une synthétique en missionet tu me laisses quand même rentrer. 


L'intérieur était très exigu : une table, un terminal, un lit et un foutoir sans nom tout autour. Canigou osait à peine avancer, de peur de faire tomber quelque chose. Piper était assise à un bureau. Elle sursauta en me voyant.

— Désolée, j'aurais dû frapper. Votre... La fille, devant, elle m'a...

— Nat a le don de laisser entrer tout le monde. Désolée pour tout à l'heure. Vous avez pas eu trop de soucis avec Danny, hein ? Enfin, vous comprenez, il fallait bien que je rentre. Elle n'aurait jamais pu gérer le journal toute seule.

— ...

— Vous ne venez pas me dépouiller pour vous venger, hein ?

— Euh, non. En fait, j'avais des questions. Sur votre article.

A l'instar de celui de Nat, son visage s'illumina à la mention de l'article. Elle redressa son cou, ses épaules, s'assit plus confortablement sur sa chaise, avec une certaine fierté.

— Vous l'avez lu ! Alors ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que ça fait, de savoir la vérité ?

— Je ne sais pas trop, fis-je en ne sachant que faire de mes mains. Je voulais parler des enlèvements.

— Ah, les enlèvements. Toujours des coups de l'Institut, dit-elle en farfouillant frénétiquement dans ses dossiers, constitués majoritairement de brèves de son journal. Ça fait des années que ça dure, enfin, vous devez être au courant, si vous êtes du coin. Vous êtes du coin ? Vous savez, il y a peu de monde qui se rend compte de la menace que représente l'Institut. Beaucoup de gens pensent même que je raconte des sottises, ha ha ! Des sottises.

Elle parlait si vite.

— Je ne suis pas vraiment du coin. Et mon fils a disparu. Vous pensez qu'il pourrait être à l'Institut ?

— Oh, dit-elle, ses sourcils essayant de se rejoindre au-dessus de ses yeux. Et, bien, oui, ça ne serait pas le premier. Quand est-ce qu'il a disparu ?

— Je ne sais pas.

— Comment ça, vous...?

Je haussai les épaules. Bonjour, je viens du passé. Et vous, tout va bien ? De Piper émanait une espèce de frénésie bienveillante. Peut-être que l'Institut était une invention de son cerveau qui partait dans tous les sens. Peu importe.

— J'étais dans un Abri.

Les yeux de Piper se posèrent sur mon Pip-Boy. Ils s'arrondirent comme des soucoupes et ses mains ouvrirent un tiroir, dont elle tira un calepin et un stylo.

— Un Abri. Allez-y. Je vous écoute. Ne vous occupez pas de mes notes.

Je lui racontai alors toute l'histoire : la vie d'il y a 200 ans, le thé, l'Abri, les pods de cryogénisation, l'enlèvement de Shaun, la mort de Nate, le garage, Canigou, Concord.

Son flot de paroles s'était mué en un silence qui hésitait entre le choc et la fascination. Elle avait griffonné une page, hochant la tête de temps à autre.

— Quelle horreur. Et vous avez survécu jusqu'ici. C'est quand même... Enfin, bon. Vous devez être sacrément perdue.

— Oui.

Ma voix était rauque, distante. Piper pencha la tête sur le côté.

— Je vais vous aider.

— ...

Elle se leva, sortit un sac de couchage de sous son lit.

— Vous allez rester là, dit-elle en pointant le sac, vous serez bien mieux que dans votre garage. Vous avez faim, soif ? Le chien, il a faim ?

Elle ouvrit des placard, commença à jeter de la nourriture sur le sac de couchage. Canigou renifla avec avidité une boîte de gâteaux.

— Où est-ce que j'ai foutu ce bouquin...

— Pourquoi est-ce que vous feriez tout ça pour moi ?

Elle se retourna vivement. Elle était presque outrée.

— Parce que c'est ce que je fais. Je ne vais pas vous laisser retourner dehors ; vous vous feriez découper en morceaux. Vous avez un fils à retrouver, aux dernières nouvelles. Ah, il est là.

Elle sortit un livre d'une étagère, essuya la poussière de la couverture d'un revers de sa manche, puis le lança. Il tomba à côté de moi. C'était un petit ouvrage. Je l'ouvris à la première page.


Le Guide de Survie des Terres Désolées

Par Moira Brown

Recherches sur le terrain effectuées par l'experte Éléa O'Brian

Ce guide indispensable contient tout ce qu'un voyageur des Terres Désolées pourrait avoir besoin de savoir. Chacune de ses pages recèle toutes les connaissances requises pour explorer en toute sécurité le monde d'aujourd'hui. Ce guide exceptionnel peut non seulement vous sauver la vie, mais même vous mener sur le chemin des valeurs perdues du monde d'avant-guerre.

À mettre entre toutes les mains !


— Je n'aurais pas pensé que des gens écrivaient toujours des livres, fis-je platement en le refermant.

— On fait encore plein de choses. Vous verrez, vous vous y ferez. Enfin, peut-être. Après tout, je ne sais pas comment c'était, avant.

Avant.

— Piper. Merci.

Elle sourit, puis retourna à son bureau, relisant avec avidité la page de notes prises lors de mon récit.

Je réalisais à peine ce qu'il venait d'arriver. J'étais tombée sur une nana à moitié cinglée devant Diamond City - cette ville avait vraiment un nom pourri - et voilà que j'étais chez elle, logée, nourrie, que je n'avais rien eu à faire en échange si ce n'est raconter mon histoire.Elle m'avait crue, d'ailleurs. Elle n'avait presque posé aucune question. Elle m'avait tout simplement crue.

Je ne savais pas si c'était bon signe. Je rouvris le livre et me mis à lire.


A vous, cher lecteur, que j'imagine déjà perdu dans votre quête pour la survie : pas de panique ! Nous allons traiter dans ce chapitre des sujets essentiels à votre existence.

Vous avez peut-être eu un frisson de dégoût en tombant sur de la nourriture d'avant-guerre, -vieille de presque deux cents ans au moment où j'écris ces lignes-, mais détrompez-vous ! Les merveilleux industriels de l'époque ont doté leurs denrées de charmants conservateurs, permettant à la nourriture, pour peu que l'emballage soit intact, de garder ses qualités nutritionnelles. Goût fade, texture molle, petite amertume radioactive ? Il faudra vous y faire, cher lecteur, si vous ne voulez pas succomber à la famine. Croquez donc à pleines dents dans ces steaks Salisbury, dans ces Bombes Sucrées, et rincez-vous en plus avec un bon vieux Nuka-Cola !

Alliez l'utile à l'agréable en dégustant la viande des créatures que vous devrez tuer avant qu'elles ne vous tuent...


Les deux pages suivantes décrivaient en détail comment cuisiner radcafards, yao guais, brahmines, mouches bouffies et d'autres animaux dont je n'osais imaginer l'aspect.

— Fangeux bouilli..., soufflai-je en lisant.

— Le fangeux, c'est dégueulasse, dit Piper sans relever la tête de la page qu'elle écrivait. J'avais oublié les recettes de ce bouquin.

— D'après le livre, c'est très nourrissant, répondis-je.

— Ça n'empêche que c'est immonde. Rien que d'y penser... dit Piper avec un air dégoûté.


Note de l'auteure : il est fortement déconseillé de déguster les goules et les super-mutants, ainsi que les autres habitants des Terres Désolées. Manger, c'est bien, rester en vie, c'est mieux !


— Dites, Piper... Je sens que je vais regretter d'avoir posé la question, mais, les goules et les super-mutants, c'est quoi ?

— Oh, dit Piper en relevant la tête de sa feuille. Euh... Bon, les goules. Comment vous expliquer ça... En gros, vous en avez deux types : les sauvages, et les autres. Allez pas tirez sur les autres, hein. Dans le doute, vous dites bonjour, si ça grogne, vous tirez, si ça répond, et bien vous...

Je la regardai avec des yeux ronds. Elle resta la bouche ouverte pendant un instant, puis reprit :

— Ouais, nan, hein, oubliez ce que je viens de dire. Les goules, ce sont des humains qui se sont fait irradier. Tellement irradier qu'ils ont, comment dire, muté ? Ils sont un peu... Différents. Mais ce sont des gens comme vous et moi. Beaucoup de personnes qui ne supportent pas leur apparence, notamment le maire. Il les a toutes chassées.

— Chassées, chassées ?

— Ouais, chassées. Elles n'ont plus le droit de rentrer en ville, encore moins d'y vivre.

— Mais c'est affreux, soufflai-je.

— On est bien d'accord. Je vous avais dit que le maire était un con. Enfin, peut-être pas, mais maintenant vous savez : c'est un con. Il s'est justifié en disant que toutes les goules finissaient par devenir des sauvages, mais on a des goules qui sont aussi vieilles que vous et qui sont toujours parfaitement saines d'esprit. Je pense que c'est juste une excuse.

— Mais c'est quoi, une sauvage, alors ?

— Ah, oui, les sauvages, dit Piper. Ce sont toujours des goules, donc, sauf que les rayons ont grignoté leur cerveau. Elles sont devenues des zombies, plus ou moins.

— Mais c'est affreux, répétai-je.

Piper hocha tristement la tête.

— Et, vous avez dit qu'il y avait des goules aussi vieilles que moi. Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? repris-je

— Exactement ce que je voulais dire. Certaines goules ont vécu la chute des bombes. Elles ne peuvent pas mourir de vieillesse, ajouta Piper. Enfin, c'est ce qu'on dit. Certains poussent le bouchon un peu loin et disent qu'elles sont immortelles, mais qui sait, elles vieillissent peut-être bien plus lentement que les humains.

Immortelles. Je me demandai si certains avaient essayé de se transformer volontairement en goule. Une apparence repoussante en valait la chandelle si c'était l'assurance d'une vie aussi longue.

— Les super-mutants, maintenant, dit Piper en plissant les yeux. Comment vous expliquer ça... Vous voyez Grognak, de la BD ? Le mec aux énormes biceps, là ?

— Oui.

Grognak existait donc toujours. Tu parles d'une gloire.

— Ok. Bah vous prenez Grognak, vous ajoutez... cent kilos de muscles, reprit Piper. Et vous l'imaginez verdâtre. Et assoiffé de sang. Et ça vous donne une petite idée de ce que c'est, un super-mutant. Vous avez de la chance, je peux difficilement vous décrire l'odeur... Je saurais pas vous dire d'où ils viennent, si c'est l'œuvre des radiations, si c'est une expérience qui a mal tourné, mais une chose est sûre ; ils sont peut-être complètement cons, mais ils sont lourdement armés, ils ont une force colossale, et leur truc préféré à bouffer, c'est les humains.

— Oh.

— Mais bon, au moins, ils servent à quelque chose, ils tuent des pillards.

— Les pillards ?

Je repensai à ce type, à Concord.

— Les malfrats, les voyous, vous voyez le genre, des types sans foi ni loi qui ont décidé que la fin du monde était une raison valable de foutre le plus de bordel possible pour gagner le plus de capsules possible.

— Quand vous dites les capsules...

Piper leva un sourcil. Puis elle sembla se souvenir que je ne savais rien.

— Ah, mais, oui. Bien sûr. Vous, c'était ces bouts de papier, c'est ça ? Pour payer ?

— Pour payer ? Attendez, les capsules, des capsules de bouteille ? C'est de ça dont vous vous servez pour payer ?

Piper haussa les épaules et sortit une poignée de capsules de sa poche. Nuka-Cola, Sunset Sunsarparilla, bière, apparemment, n'importe quelle capsule comptait.

— Et les dollars ; les bouts de papier, comme vous dites... Ils ne servent plus à rien ?

— Certains les achètent pour les recycler, mais bon, ça ne mènera pas bien loin. Vous n'avez aucune capsule ?

Je soulevai mon sac à moitié vide, comme pour dire, voilà tout ce que j'ai.

— Et dans votre sac, là, vous avez autre chose que cette robe ? C'est joli, hein... Mais bon. Vous voyez ce que je veux dire...

— J'ai juste ma combinaison d'Abri.

Je n'avais pas vraiment envie de la remettre. J'avais l'impression que ma vie avait été ruinée le jour où je l'avais enfilée.

— Non, déjà votre Pip-Boy, c'est pas vraiment discret, mais avec une combinaison bleue en plus, vous allez avoir une cible sur le dos. Venez avec moi, dit-elle en attrapant un sac.

Je la suivis docilement dehors.

— On va aller voir Myrna, dit-elle.

Elle me mena à une échoppe tenue par une femme brune à l'air grognon.

— Bonjour Myrna, dit Piper appuyant chaque syllabe. Vous auriez pas une armure pour mon amie ? ajouta-t-elle avec un signe de tête dans ma direction.

Le mot amie résonna étrangement dans ma tête. C'était probablement une simple tournure de phrase ; il aurait été compliqué de dire, vous n'auriez pas une armure pour la personne que j'ai rencontrée il y a à peine quelques heures alors que j'essayais de rentrer à Diamond City. Et pourtant, le mot résonna.

Myrna me regarda de haut en bas.

— C'est pas une synthétique ? Je ne vends pas aux synthétiques, répondit Myrna en fronçant les sourcils.

Piper leva les yeux au ciel et soupira.

— C'est à moi que vous vendez, Myrna, dit-elle.

Myrna ne répondit rien. Elle me fixait.

— Euh, je suis... je suis pas une synthétique, répondis-je finalement.

Je crois.

— Hm, grommela Myrna.

— Hé, si vous voulez pas de mes capsules, on va aller voir Becky, dit Piper.

— C'est bon, soupira Myrna.

Elle fouilla dans son stock et en sortit une tenue avec des renforcements faits en cuir.

— J'ai ça. Pour femme. Pas trop usée. Quatre-vingt-cinq capsules.

Piper inspecta le vêtement puis hocha la tête.

— Ok, vendu, dit-elle en sortant une bourse.

En repartant, Piper me fourra l'armure dans les mains.

— Voilà, vous serez déjà mieux avec ça, dit Piper en continuant de marcher.

— Je... Merci. Vous n'auriez pas dû, dis-je en ayant l'impression de répéter une banalité.

— J'ai dit que je vous aiderais. Je n'aime pas faire les choses à moitié, dit Piper avec un clin d'œil. Est-ce qu'il vous faudrait autre chose ? Vous avez des Stimpaks ? Des armes ?

Je me contentai de hocher la tête.

— Vous devez avoir faim, quand même, dit Piper, de toute évidence bien décidée à me remplir l'estomac. Il faut que je vous fasse goûter les nouilles.

Le stand de nouilles était au centre de la place du marché de Diamond City. Il était tenu par un Protectron, ces robots de RobCo à la programmation basique. Celui-ci portait une petite toque de chef.

Piper me fit signe de m'asseoir sur un tabouret proche du comptoir.

— Nan-ni shimasko-ka ? demanda le Protectron.

— Oui, répondit Piper. Deux bols, Takahashi, ajouta-t-elle en tendant les capsules. Oh, trois, en fait.

— Trois ?

— Pour votre chien, dit-elle avec un sourire.

Le robot se mit à gigoter dans tous les sens aux fourneaux. Il posa sur le bar les trois parts de nouilles.

—Tenez, dit Piper en poussant deux des bols brûlants vers moi. Bon appétit !

Quand on regarde devant soi comme on regarderait un jour de pluie, quand on n'attend plus rien du monde et que pourtant, quelque chose vient, on se dit : quel somptueux cadeau.

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